S. f. (Métaphysique) La distinction en général est la négation d'identité. Ainsi une chose est distinguée d'une autre, dès-là qu'elle n'est pas la même. Il y a une grande différence entre distinction, séparation, et diversité. Car, par exemple, le corps et l'âme sont distingués, et cependant ils ne sont pas séparés dans l'homme : Pierre et Paul sont distingués, encore qu'ils n'aient pas une différente nature. La distinction est précisément la négation d'identité, comme nous venons de le voir ; au lieu que la séparation est la négation d'unité, et la diversité la négation de similitude.

Les Philosophes sont fort embarrassés pour assigner une marque caractéristique de la distinction des êtres. Les uns assignent la capacité que les êtres ont d'être séparés mutuellement ; les autres la font consister dans tout ce qui exclut l'unité numérique. Mais comment concilier cela avec la Trinité et la reproduction du corps de J. C. dans l'Eucharistie ; ces deux mystères qui étonnent et confondent notre raison ?

La distinction est une source féconde de disputes entre les Thomistes et les Scotistes. Où les premiers ne découvrent qu'un être, les seconds ont le secret d'y en apercevoir une infinité. La grande maxime des Scotistes, c'est de multiplier les êtres à mesure qu'ils multiplient les idées. Or comme il n'y a point d'être, quelque simple qu'il sait, qui n'offre une foule d'idées partielles ; aussi n'y a-t-il point d'être où ils ne découvrent une infinité d'êtres distingués. Dieu, tout simple qu'il est, est donc pour les Scotistes un être des plus composés. Autant d'attributs, autant d'êtres distingués réellement. Il n'y a pas jusqu'aux idées abstraites de leur esprit qu'ils ne réalisent. Les genres, les espèces, les différences, les propriétés, les accidents, sont autant de petites entités qui vont se placer d'elles-mêmes dans tous les êtres. Moyennant ce système, il n'y a point d'être dans tout l'univers qui ne renferme une infinité d'ordres d'infini, élevés les uns sur les autres. Ce que la divisibilité des parties à l'infini est à la matière, la multitude d'êtres à l'infini l'est même aux esprits : et ce qu'il y a de singulier, c'est que des entités toutes spirituelles s'allient dans ce système avec les êtres les plus matériels, s'il est permis de parler ainsi : car que sont autre chose ce qu'on appelle dans l'école degrés métaphysiques ? y a-t-il d'être qui n'ait ses degrés métaphysiques ; et si, comme le prétendent les Scotistes, tous ces degrés existent réellement dans les objets, je ne vois pas comment ils pourraient se défendre d'enter sur la matière, des entités purement spirituelles et indivisibles. Voilà, à proprement parler, en quoi consiste le faible de leur système. Les Thomistes plus sensés prodiguent moins les êtres : ils n'en voient que là où ils aperçoivent des idées totales et complete s. Voyez DEGRE, etc.

La distinction en général est de deux sortes, réelle, et mentale, autrement de raison. La première suppose des êtres qui ne sont pas les mêmes, indépendamment de ce que l'esprit en pense ; et la seconde, des choses que l'esprit distingue, quoiqu'elles soient réellement les mêmes. Telle est la distinction qui se trouve entre une chose et son essence, entre son essence et ses propriétés.

Les Scotistes, autrement les Réalistes, admettent trois sortes de distinctions réelles ; l'une pour les êtres qui peuvent exister séparément, comme le corps et l'âme ; l'autre pour deux êtres, dont l'un peut être séparé de l'autre, sans que cela soit réciproque entr'eux, comme la substance et l'accident qui la modifie ; la troisième enfin, pour les êtres qui ne sont tous deux que des modalités. La première de ces distinctions s'appelle réelle majeure, la seconde mineure, et la troisième la plus petite ; comme si la distinction était susceptible de plus et de moins.

La distinction mentale ou de raison est de deux sortes ; l'une est dite distinction rationis ratiocinantis ; et l'autre rationis ratiocinatae, comme l'on parle dans les écoles. La première est celle que l'esprit met dans les choses, sans qu'il y ait en elles aucun fondement qui autorise une telle distinction : telle serait, par exemple, la distinction qui se trouve entre Cicéron et Tullius. Comme cette distinction ne roule que sur des mots, ceux qui en sont les défenseurs sont appelés nominaux. Un de leurs chefs est Okam, cordelier anglais, qui vivait dans le quatorzième siècle. Ils entraient dans un grand détail des mots, s'appésantissaient scrupuleusement sur toutes les syllabes ; c'est ce qui leur attira le reproche injurieux de vendeurs de mots, ou marchands de paroles. Cette secte s'éleva vers la fin du onzième siècle. Ils prétendaient être sectateurs de Porphire et d'Aristote ; mais ils ne commencèrent à porter le nom de nominaux que du temps d'Okam : ils furent les fondateurs de l'université de Leipsik. On trouve encore aujourd'hui beaucoup de philosophes qui se piquent d'être nominaux.

La distinction de raison raisonnée, rationis ratiocinatae, est celle que l'esprit met dans les choses, lorsqu'il y a une raison légitime pour cela. Le fondement de cette distinction est de deux sortes : ou il est extrinseque, et c'est alors la variété des effets qui donne naissance à la distinction ; ou il est intrinseque, et c'est alors l'excellence d'une vertu qui produit différents effets. Si l'on considère cette distinction du côté de la chose, elle est appelée virtuelle ; mais si on l'envisage par rapport à l'esprit, elle retient le nom de distinction de raison raisonnée. Considérée sous le premier rapport, c'est moins une distinction, que le fondement d'une distinction : considérée de la seconde manière, c'est une vraie distinction appuyée sur un fondement réel. On appelle autrement cette distinction thomistique, du nom des Thomistes.