S. m. (Métaphysique) opération, perception, sensation, conscience, idée, notion, semblent être tous des termes synonimes, du-moins à des esprits superficiels et paresseux, qui les emploient indifféremment dans leur façon de s'expliquer ; mais comme il n'y a point de mots absolument synonymes, et qu'ils ne le sont tout au plus que par la ressemblance que produit en eux l'idée générale qui leur est commune à tous, je vais exactement marquer leur différence délicate, c'est-à-dire la manière dont chacun diversifie une idée principale par l'idée accessoire qui lui constitue un caractère propre et singulier. Cette idée principale que tous ces mots dont je viens de parler énoncent, est la pensée ; et les idées accessoires qui les distinguent tous, en sorte qu'ils ne sont point parfaitement synonymes, en sont les diverses nuances. On peut donc regarder le mot pensée comme celui qui exprime toutes les opérations de l'âme. Ainsi, j'appellerai pensée, tout ce que l'âme éprouve, soit par des impressions étrangères, soit par l'usage qu'elle fait de la réflexion. Opération, la pensée entant qu'elle est propre à produire quelque changement dans l'âme, et par ce moyen à l'éclairer et à la guider. Perception, l'impression qui se produit en nous à la présence des objets. Sensation, cette même impression entant qu'elle vient par les sens. Conscience, la connaissance qu'on en prend. Idée, la connaissance qu'on en prend comme image. Notion, toute idée qui est notre propre ouvrage. On ne peut prendre indifféremment l'un pour l'autre, qu'autant qu'on n'a besoin que de l'idée principale qu'ils signifient. On peut appeler les idées simples indifféremment perceptions ou idées, mais on ne doit pas les appeler notions, parce qu'elles ne sont pas l'ouvrage de l'esprit. On ne doit pas dire la notion du blanc, mais la perception du blanc. Les notions à leur tour peuvent être considérées comme images ; on peut par conséquent leur donner le nom d'idées, mais jamais celui de perception : ce serait faire entendre qu'elles ne sont pas notre ouvrage. On peut dire la notion de la hardiesse, et non la perception de la hardiesse : ou, si l'on veut faire usage de ce terme, il faut dire, les perceptions qui composent la notion de la hardiesse.

Une chose qu'il faut encore remarquer sur les mots d'idée et de notion, c'est que le premier signifiant une perception considérée comme image, et le second une idée que l'esprit a lui-même formée, les idées et les notions ne peuvent appartenir qu'aux êtres qui sont capables de réflexion. Quant aux bêtes, si tant est qu'elles pensent et qu'elles ne soient point de purs automates, elles n'ont que des sensations et des perceptions ; et ce qui n'est pour elles qu'une perception, devient idée à notre égard par la réflexion que nous faisons que cette perception représente quelque chose. Voyez tous ces mots chacun à son article.

PENSEE, SENTIMENT, OPINION, (Synon. Gram.) Ils sont tous les trois d'usage lorsqu'il ne s'agit que de la simple énonciation de ses idées : en ce sens, le sentiment est le plus certain ; c'est une croyance qu'on a par des raisons ou solides ou apparentes. L'opinion est la plus douteuse ; c'est un jugement qu'on fait avec quelque fondement. La pensée est moins fixe et moins assurée, elle tient de la conjecture. On dit rejeter et soutenir un sentiment, attaquer et défendre une opinion, désapprouver et justifier une pensée.

Le mot de sentiment est plus propre en fait de goût ; c'est un sentiment général qu'Homère est un excellent poète. Le mot d'opinion convient mieux en fait de science : l'opinion commune est que le soleil est au centre du monde. Le mot de pensée se dit plus particulièrement, lorsqu'il s'agit de juger des événements des choses ou des actions des hommes ; la pensée de quelques politiques est que le moscovite trouverait mieux ses vrais avantages du côté de l'Asie, que du côté de l'Europe.

Les sentiments sont un peu soumis à l'influence du cœur ; il n'est pas rare de les voir conformes à ceux des personnes qu'on aime. Les opinions doivent beaucoup à la prévention ; il est d'ordinaire aux écoliers de tenir celles de leurs maîtres. Les pensées tiennent assez de l'imagination ; on en a souvent de chimériques. Synonymes français. (D.J.)

PENSEE, (Art. orat.) La pensée en général est la représentation de quelque chose dans l'esprit, et l'expression est la représentation de la pensée par la parole.

Les pensées doivent être considérées dans l'art oratoire comme ayant deux sortes de qualités : les unes sont appelées logiques, parce que c'est la raison et le bon sens qui les exigent ; les autres sont des qualités de gout, parce que c'est le goût qui en décide. Celles-là sont la substance du discours, celles-ci en sont l'assaisonnement.

La première qualité logique essentielle de la pensée, c'est qu'elle soit vraie, c'est-à-dire, qu'elle représente la chose telle qu'elle est. A cette première qualité tient la justesse. Une pensée parfaitement vraie, est juste. Cependant l'usage met quelque différence entre la vérité et la justesse de la pensée : la vérité signifie plus précisément la conformité de la pensée avec l'objet ; la justesse marque plus expressément l'étendue. La pensée est donc vraie quand elle réprésente l'objet : et elle est juste, quand elle n'a ni plus ni moins d'étendue que lui.

La seconde qualité est la clarté. Peut-être même est-ce la première ; car une pensée qui n'est pas claire n'est pas proprement une pensée. La clarté consiste dans la vue nette et distincte de l'objet qu'on se représente, et qu'on voit sans nuage, sans obscurité ; c'est ce qui rend la pensée nette. On le voit séparé de tous les autres objets qui l'environnent : c'est ce qui la rend distincte.

La première chose qu'on doit faire, quand il s'agit de rendre une pensée, est donc de la bien reconnaître, de la démêler d'avec tout ce qui n'est point elle, d'en saisir les contours et les parties. C'est à quoi se réduisent les qualités logiques des pensées ; mais pour plaire, ce n'est pas assez d'être sans défaut, il faut avoir des grâces ; et c'est le goût qui les donne. Ainsi tout ce que les pensées peuvent avoir d'agrément dans un discours, vient de leur choix et de leur arrangement. Toutes les règles de l'élocution se réduisent à ces deux points, choisir et arranger. Etendons ces idées d'après l'auteur des principes de la Littérature ; on en trouvera les détails instructifs.

Dès qu'un sujet quelconque est proposé à l'esprit, la face sous laquelle il s'annonce produit sur le champ quelques idées. Si l'on en considère une autre face, ce sont encore d'autres idées ; on pénètre dans l'intérieur ; ce sont toujours de nouveaux biens. Chaque mouvement de l'esprit fait éclore de nouveaux germes : voilà la terre couverte d'une riche moisson. Mais dans cette foule de productions, tout n'est pas le bon grain.

Il y a de ces pensées qui ne sont que des lueurs fausses, qui n'ont rien de réel sur quoi elles s'appuyent. Il y en a d'inutiles, qui n'ont nul trait à l'objet qu'on se propose de rendre. Il y en a de triviales, aussi claires que l'eau, et aussi insipides. Il y en a de basses, qui sont au-dessous de la dignité du sujet. Il y en a de gigantesques qui sont au-dessus : toutes productions qui doivent être mises au rebut.

Parmi celles qui doivent être employées, s'offrent d'abord les pensées communes, qui se présentent à tout homme de sens droit, et qui paraissent naître du sujet sans nul effort. C'est la couleur foncière, le tissu de l'étoffe. Ensuite viennent les pensées qui portent en soi quelque agrément, comme la vivacité, la force, la richesse, la hardiesse, le gracieux, la finesse, la noblesse, etc. car nous ne prétendons pas faire ici l'énumération complete de toutes les espèces de pensées qui ont de l'agrément.

La pensée vive est celle qui représente son objet clairement, et en peu de traits. Elle frappe l'esprit par sa clarté, et le frappe vite par sa briéveté. C'est un trait de lumière. Si les idées arrivent lentement, et par une longue suite de signes, la secousse momentanée ne peut avoir lieu. Ainsi quand on dit à Médée : que vous reste-t-il contre tant d'ennemis ? elle répond, moi voilà l'éclair. Il en est de même du mot d'Horace, qu'il mourut.

La pensée forte n'a pas le même éclat que la pensée vive, mais elle s'imprime plus profondément dans l'esprit ; elle y trace l'objet avec des couleurs foncées ; elle s'y grave en caractères ineffaçables. M. Bossuet admire les pyramides des rois d'Egypte, ces édifices faits pour braver la mort et le temps ; et par un retour de sentiment, il observe que ce sont des tombeaux : cette pensée est forte. La beauté s'envole avec la jeunesse ; l'idée du vol peint fortement la rapidité de la fuite.

La pensée hardie a des traits et des couleurs extraordinaires, qui paraissent sortis de la règle. Quand Despreaux osa écrire : le chagrin monte en croupe et galope avec lui, il eut besoin d'être rassuré par des exemples, et par l'approbation de ses amis. Qu'on se représente le chagrin assis derrière le cavalier, la métaphore est hardie, mais qu'on soutienne la pensée, en faisant galoper ce personnage allégorique, c'était s'exposer à la censure.

On sent assez ce que c'est que la pensée brillante, son éclat vient le plus souvent du choc des idées :

Qu'à son gré désormais la Fortune me joue :

On me verra dormir au branle de sa roue.

" Les secousses de la fortune renversent les empires les plus affermis, et elles ne font que bercer le philosophe ".

L'idée riche est celle qui représente à-la-fais non seulement l'objet, mais la manière d'être de l'objet, mais d'autres objets voisins, pour faire, par la réunion des idées une plus grande impression. Prends ta foudre ; le seul mot foudre nous peint un dieu irrité, qui Ve attaquer son ennemi et le réduire en poudre.

Et la scène française est en proie à Pradon.

Quel homme que ce Pradon, ou plutôt quel animal féroce, qui déchire impitoyablement la scène française ! elle expire sous ses coups.

La pensée fine ne représente l'objet qu'en partie, pour laisser le reste à deviner. On en voit l'exemple dans cette épigramme de M. de Maucroix.

Ami, je vois beaucoup de bien

Dans le parti qu'on me propose :

Mais toutefois ne pressons rien :

Prendre femme est étrange chose,

On doit y penser mûrement.

Gens sages, en qui je me fie,

M'ont dit que c'est fait prudemment

Que d'y penser toute sa vie.

Quelquefois elle représente un objet pour un autre objet. Celui qu'on veut présenter se cache derrière l'autre : comme quand on offre l'idée d'un livre chez l'épicier.

La pensée poétique est celle qui n'est d'usage que dans la Poésie, parce qu'en prose elle aurait trop d'éclat et trop d'appareil.

La pensée naïve sort d'elle-même du sujet, et vient se présenter à l'esprit sans être demandée.

Un boucher moribond voyant sa femme en pleurs,

Lui dit : ma femme, si je meurs,

Comme en notre métier un homme est nécessaire,

Jacques, notre garçon, serait bien ton affaire ;

C'est un fort bon enfant, sage, et que tu connais,

Epouse-le, crois-moi, tu ne saurais mieux faire.

Hélas, dit-elle, j'y songeais.

Il y a des pensées qui se caractérisent par la nature même de l'objet. On les appelle pensées nobles, grandes, sublimes, gracieuses, tristes, etc. selon que leur objet est noble, grand, etc.

Il y a encore une autre espèce de pensées ; qui en porte le nom par excellence, sans être désignée par aucune qualité qui leur soit propre. Ce sont ordinairement des réflexions de l'auteur même, enchâssées avec art dans le sujet qu'il traite. Quelquefois c'est une maxime de morale, de politique. Rien ne touche les peuples comme la bonté : d'autres fois c'est une image vive ; trois guerriers (les Horaces) portaient en eux tout le courage des Romains.

A toutes ces espèces de pensées répondent autant de sortes d'expressions. De même qu'il y a des pensées communes, et des pensées accompagnées d'agrément, il y a aussi des termes propres et sans agrément marqué, et des termes empruntés, qui ont le caractère de vivacité, de richesse, etc. Pour représenter les pensées qui sont dans le même genre ; car l'expression, pour être juste, doit être ordinairement dans le même goût que la pensée.

Je dis ordinairement, parce qu'il peut se faire qu'il y ait dans l'expression un caractère qui ne se trouve point dans la pensée. Par exemple, l'expression peut être fine, sans que la pensée le sait. Quand Hyppolite dit en parlant d'Aricie, si je la haïssais, je ne la fuirais pas, la pensée n'est pas fine, mais l'expression l'est, par ce qu'elle n'exprime la pensée qu'à demi. De même l'expression peut être hardie, sans que la pensée le sait, et la pensée peut l'être sans l'expression : il en est de même de la noblesse, et de presque toutes les autres qualités.

Ce qui produit entr'elles cette différence, est la diversité des règles de la nature, et de celles de l'art en ce point. Il serait naturel que l'expression eut le même caractère que la pensée, mais l'art a ses raisons pour en user autrement. Quelquefois par la force de l'expression, on donne du corps à une idée faible ; quelquefois par la douceur de l'une on tempere la dureté de l'autre : un récit est long, on l'abrège par la richesse des expressions : un objet est vil, on le couvre, on l'habille de manière à le rendre décent : il en est ainsi des autres cas.

Enfin, si quelqu'un me demandait quel est le choix qu'on doit faire des pensées dans l'élocution, je lui répondrais que c'est tout ensemble dans le génie et le goût qui peuvent l'en instruire. L'un lui suggérera les belles pensées, l'autre les placera dans leur ordre ; parce que le goût et le jugement n'adopte que ce qui peut prendre la teinte du sujet, et faire un même corps avec le reste. (D.J.)

PENSEE, (Critique sacrée) ce terme ne signifie pas toujours la simple opération de l'esprit qui pense ; l'Ecriture l'emploie quelquefois pour un dessein, un projet, une entreprise : in illâ die peribunt omnes cogitationes eorum ; Psaumes cxlv. 4. leur mort dans ce jour même rompra tous leurs projets. Nemo avertère potest cogitationes ejus ; Job, xxiij. 13. personne ne peut empêcher les desseins de Dieu. Ce mot veut dire encore le soin qu'on a de quelqu'un : cogitatio illorum apud Altissimum ; Sap. Ve 16. le Très-Haut a soin des justes. Il se prend pour doute, scrupule : quid cogitationes ascendunt in corda vestra ; Luc, xxiv. 28. Enfin, il se prend pour raisonnement : evanuerunt in cogitationibus suis, dit saint Paul aux Romains, l. xxj. en parlant des philosophes payens. Ils se sont égarés dans leurs vains raisonnements, c'est-à-dire qu'ils ont été entrainés à l'idolâtrie par de faux raisonnements ; car idole dans les septante est appelée , et saint Paul dit (D.J.)

PENSEE, en Peinture, est une légère esquisse de ce qui s'est présenté à l'imagination, sur un sujet qu'on se propose d'exécuter. Ce terme diffère de celui d'esquisse, en ce que la pensée n'est jamais une chose digérée, au lieu qu'une esquisse, quoique projet d'ouvrage, ne diffère quelquefois de la perfection de l'ouvrage même que parce qu'elle est en plus petit volume ; pensée n'a pas la même signification que croquis. On dit j'ai fait un croquis de la pensée de tel, mais on ne dit point j'ai fait une pensée de la pensée d'un tel.

PENSEE, herba Trinitatis, (Jardinage) est une petite fleur qui, comme la violette, a trois couleurs.

Ses tiges rampantes, garnies de feuilles presque rondes, se partagent en rameaux qui produisent des fleurs composées de cinq feuilles, lesquelles portent un calice partagé en cinq parties de trois couleurs blanches ou jaunes, purpurines et bleues. Il vient après ces fleurs une coque qui renferme des semences qu'on seme sur couche. On les transplante dans des plates-bandes le long des terrasses, et on en forme les massifs et les coquilles des grands parterres. Sa culture est des plus ordinaires, elle fleurit au printemps.

PENSEE, couleur de, (Teinture) espèce de violet tirant sur le pourpre.