S. f. (Métaphysique) est la puissance et la capacité de faire quelque chose. Voyez PUISSANCE.

Les anciens philosophes, pour expliquer l'action de la digestion, supposaient dans l'estomac une faculté digestive : pour expliquer les mouvements du corps humain, ils supposaient une faculté motrice dans les nerfs. Cela s'appelle substituer un mot obscur à un autre qui ne l'est pas moins.

Les facultés sont ou de l'âme ou du corps.

Les facultés ou puissances de l'âme sont au nombre de deux, savoir l'entendement et la volonté. Voyez PUISSANCES. Voyez aussi ENTENDEMENT et VOLONTE.

On distingue ordinairement les facultés corporelles, par rapport à leurs différentes fonctions ; ainsi on entend par facultés animales, celles qui ont rapports aux sens et au mouvement, etc. Chambers.

FACULTE, (Physique et Médecine) en général est la même chose que puissance, vertu, pouvoir, facilité d'agir, ou le principe des forces et des actions. La science des forces et des puissances est ce que les Grecs appellent dynamique, de , je peux. Voyez DYNAMIQUE.

Quelques auteurs confondent mal-à-propos les forces avec les facultés ; mais elles diffèrent entr'elles de la même façon que les causes diffèrent des principes. La force étant la cause de l'action, entraîne l'existence actuelle. La faculté ou puissance n'en entraîne que la possibilité. Ainsi de ce qu'on a la faculté d'agir, il ne s'ensuit pas nécessairement qu'on agisse ; mais toute force existante emporte proprement une action, comme un effet dont elle est la cause.

En Médecine, n'ayant à considérer que l'action de l'homme et celle des corps qui peuvent changer son état en pis ou en mieux, on a toujours traité des facultés de l'homme, et de celles des remèdes, des poisons, etc.

Les anciens ont divisé assez arbitrairement les facultés de l'homme, tantôt en deux, tantôt en trois genres, dont ils n'ont jamais donné des idées distinctes ; car les facultés qu'ils appellent animales, sont en même temps vitales et naturelles : les naturelles sont aussi vitales et animales. Ils ont même soudivisé chacun de ces genres trop scrupuleusement, en un grand nombre d'espèces, ainsi qu'on vient de le voir.

Les modernes donnant dans un excès opposé, ont voulu bannir tous ces termes consacrés par l'emploi qu'en ont fait tous les maîtres de l'art pendant deux mille ans ; ce qui nous mettrait dans l'impossibilité de profiter de leurs écrits, qui sont les sources de la Médecine.

Mais sans adopter tous les termes des facultés que les anciens ont établis, ni vouloir les justifier dans tous les usages qu'ils en faisaient, on ne peut non plus se passer en Médecine du terme de faculté ou de puissance, qu'on ne peut en Mécanique se passer des forces attractives, centripetes, accélératrices, gravitantes, etc. Ce n'est pas à dire qu'on sache mieux la raison d'un effet, comme de la chute d'un corps, de l'assoupissement produit par l'opium, quand on dit que la gravité est le principe de l'un, et la faculté ou vertu narcotique l'est de l'autre ; mais c'est qu'on est nécessité, dans les Sciences, d'employer des expressions abrégées pour éviter des circonlocutions ; comme en Algèbre, on est obligé d'exprimer des grandeurs, soit connues, soit inconnues, par des lettres de l'alphabet, pour faciliter à l'entendement les opérations qu'il doit faire sur ces objets, tout occultes ou inconnus qu'ils puissent être.

Les anciens ont reconnu dans les corps deux sortes de facultés, dont on ne doit pourtant la véritable distinction qu'à Leibnitz : savoir 1°. les facultés ou pouvoirs mécaniques, tels que sont ceux de tous les instruments de Chirurgie, de Gymnastique, agissants par pression ou par percussion, relativement à la figure, la masse, la vitesse, etc. des corps, et au nombre, à la situation de leurs parties sensibles ; et 2°. les facultés physiques, telles que sont celles des médicaments, des aliments, lesquels n'agissent que par leurs particules séparément imperceptibles, et dont nous ignorons la figure, la vitesse, la grandeur, et les autres qualités mécaniques.

Comme nul changement ne peut se faire dans les corps que par le mouvement, toutes les facultés des corps agissent par des forces mouvantes, sur la première origine desquelles on est depuis longtemps en dispute. Les Médecins ont suivi sur cela les opinions qui ont été les plus à la mode, chacune en son temps. Aristote, Descartes, Newton, successivement les ont gouvernés.

On peut pourtant, ce me semble, quand il s'agit des facultés de l'homme, concilier ces sentiments en établissant que le principe du sentiment, du mouvement musculaire, enfin de la vie de l'homme, l'est aussi de tous ses mouvements mécaniques, soit libres, soit naturels ; et la puissance générale qui fait approcher les corps les uns vers le centre des autres, communément nommée attraction ou adhésion, est le principe des mouvements spontanés, qui arrivent surtout dans les liqueurs des animaux, des végétaux, ainsi que de l'action des médicaments et des aliments ; sauf aux Cartésiens, à expliquer ce dernier principe par leurs tourbillons, ce qui ne parait propre qu'à transporter la difficulté.

Les facultés des médicaments, prises indépendamment de la sensibilité du sujet qui en use, et en ne les estimant que par les effets qu'ils peuvent produire sur un corps inanimé, se peuvent déduire des règles de l'adhésion, comme l'a fait le savant professeur Hamberger dans plusieurs de ses dissertations. C'est ainsi que les molécules des délayans, des humectants, s'insinuent dans les pores du corps en diminuant la cohésion de ses parties élémentaires ; au lieu que les dessicatifs font évaporer l'humidité superflue, qui empêchait l'adhésion mutuelle des parties. On peut déduire de ce même principe, l'action propre de tous les altérants ; mais pour expliquer les effets évacuans, il faut faire concourir la faculté mouvante de l'homme, laquelle correspond à sa sensibilité : ces médicaments ne font que solliciter ces deux puissances à agir.

Quant aux facultés de l'homme, on peut les diviser en deux sortes, savoir en celles qui lui sont communes avec les végétaux ; telles sont la faculté d'engendrer, de végéter, de faire des secrétions ; et de digérer des sucs qui lui servent de nourriture. Les anciens et les Stahliens ne sont pas fondés à attribuer ces facultés à l'âme, à moins que d'abuser ridiculement de ce terme, et de lui donner une signification contraire à l'usage reçu. On ne peut pas non plus les appeler naturelles, à moins que d'entendre par le mot de nature l'univers, l'âme du monde, ou pareilles significations, qui sont le moins d'usage parmi les Médecins. Voyez NATURE.

Les facultés que l'homme possede, et qui ne se trouvent point dans les végétaux, sont de trois sortes ; savoir celle de percevoir ou connaître, celle d'appéter ou désirer, et celle de mouvoir son corps d'un lieu en un autre.

La faculté de percevoir est ou inférieure ou supérieure. L'inférieure, qui est commune à tous les animaux, s'appelle instinct ; la supérieure est l'entendement ou la raison.

L'instinct diffère de l'entendement en ce qu'il ne donne que des idées confuses, et l'entendement est le pouvoir de former des idées distinctes. L'instinct se divise en sens, et en imagination. Le sens ou le sentiment, est le pouvoir de se représenter les objets qui agissent sur nos organes extérieurs ; on le divise en vue, ouie, odorat, gout, et tact. L'imagination est le pouvoir de se représenter les objets même absens, actuels, passés, ou à venir : cette faculté comprend la mémoire et la prévision.

L'entendement forme des idées distinctes des objets, que l'âme connait par l'entremise des sens et de l'imagination. Les sens ne nous donnent des idées que des êtres individus ; l'entendement généralise ces idées, les compare, et en tire des conséquences, et cela par le moyen de l'attention, de la réflexion, de l'esprit, du raisonnement, et surtout des opérations de l'Arithmétique et de l'Analyse.

Le principal usage de la perception est de connaître ce qui nous est utîle et ce qui nous est nuisible ; et ainsi cette première faculté nous a été donnée pour diriger la seconde, qui nous fait pancher vers le bien et nous fait éloigner du mal. Le sentiment nous ayant fait connaître confusément, quoique clairement, ce qui nous est agréable, nous l'appétons ou le désirons, de même que nous avons de l'aversion pour ce qui nous parait desagréable au sens ; ce penchant s'appelle cupidité ou aversion sensitives, desquelles on ne saurait rendre des raisons distinctes : telle est l'aversion du vin, la cupidité ou l'appétit d'un tel aliment.

Mais quand l'entendement s'est formé des idées distinctes du bien ou du mal qui se trouve dans un objet, alors l'appétit qui nous porte vers l'un ou nous éloigne de l'autre, s'appelle volonté ou appétit rationnel, dont on peut dire les raisons ou les motifs.

Or ces penchants et ces aversions nous auraient été inutiles, si en même temps nous n'avions eu le pouvoir d'approcher les objets utiles ou agréables de notre corps, et d'en éloigner ceux qui sont nuisibles ou qui déplaisent. La faculté mouvante était nécessaire pour ce but ; c'est celle qui par la contraction musculaire exécute ces mouvements qu'on ne trouve que chez l'homme et chez les animaux.

Les mouvements qui sont excités en nous, conséquemment à des idées confuses ou au sentiment du bien ou du mal sensibles, et dont le motif est la cupidité ou l'aversion naturelle, sont communément attribués à une puissance, que les Médecins appellent la nature ; et les actions qu'elle exécute sont appelées actions naturelles. Galien dit que la nature est le principe des mouvements qui tendent à notre conservation, et qui se font indépendamment de la volonté souvent par coutume, ou quoique nous ne nous souvenions point des motifs qui les déterminent.

Quant aux mouvements qui sont déterminés par la notion du bien ou du mal intellectuel, et en conséquence par la volonté ou la nolonté, comme parle M. Wolf, ils sont communément attribués à une faculté de l'âme qu'on nomme liberté, qui est le pouvoir de faire ou d'omettre ce qui parmi plusieurs choses possibles, nous parait le mieux conformément à notre raison ; et dé-là les actions prennent le nom de libres.

Ainsi nos actions sont divisées par les philosophes moralistes en libres et en naturelles. Il y a une différence essentielle entre les unes et les autres, quoique le motif des unes et des autres soit toujours la perception claire ou obscure du bien et du mal ; car les libres sont déterminées par la raison et la volonté, quoiqu'elles ne soient pas toujours conformes à la droite raison et à la vérité : ce sont les seules actions qui nous sont imputées ; elles sont du ressort de la Jurisprudence et de la Morale.

Mais les actions naturelles sont déterminées par la perception claire ou obscure, mais toujours confuse du bien et du mal, les sens ne pouvant seuls nous en donner des idées distinctes, et nous nous y portons par une cupidité ou une aversion aveugles dont nous connaissons quelquefois clairement les motifs, comme dans les passions, et quelquefois nous ignorons ce motif, comme dans le mouvement des organes cachés à la vue ; et dans les actions que nous faisons par coutume.

FACULTE, (Physiologie) terme générique, c'est la puissance par laquelle les parties peuvent satisfaire aux fonctions auxquelles elles sont destinées. Telle est, par exemple, la faculté qu'a l'estomac de retenir les aliments jusqu'à ce qu'ils soient suffisamment digérés, et de les chasser dans les intestins, lorsque la digestion qui se doit faire dans ce viscère est achevée.

Il y a deux choses à remarquer dans les facultés ; 1°. les organes ou les causes instrumentales, par lesquelles les opérations de l'économie animale s'exécutent : ces causes sont purement machinales ; elles dépendent uniquement de l'organisation des parties, et du principe vital qui les anime et qui les met en mouvement. 2°. La première cause qui donne le mouvement à ce principe matériel qui anime les organes et qui dirige leurs actions. Presque tous les philosophes anciens et modernes ont attribué à la matière même, cette puissance motrice ou cette âme qui la dirige dans ces mouvements, et qui l'arrange dans la construction des corps.

Comme les facultés se divisent communément en facultés animales, facultés sensitives, et facultés intellectuelles, nous suivrons ici cette division.

Il y a dans les hommes deux sortes de facultés animales ; savoir les facultés du corps qui agissent sur l'âme, et les facultés motrices de l'âme qui agissent sur le corps. Les premières ont été attribuées par les Médecins, à l'âme sensitive ; car il n'y a que quelques philosophes modernes qui n'ont pas voulu reconnaître d'ame sensitive dans les animaux.

Les facultés du corps qui agissent sur l'âme, dépendent des différents organes qui nous procurent différentes sensations ; telles sont les sensations de la lumière et des couleurs qui nous sont procurées par les organes de la vue ; le sentiment du son par les organes de l'ouie ; celui des odeurs, par les organes de l'odorat ; celui des saveurs, par l'organe du goût ; ceux des qualités tactiles, par l'organe du toucher, qui est distribué dans presque toutes les parties du corps ; les appétits qui nous avertissent par divers organes des besoins du corps, ou qui nous sollicitent à satisfaire nos inclinations et nos passions : enfin les sentiments de gaïeté et d'angoisse, qui dépendent des différents états de la plupart des viscères, par exemple du cerveau, du cœur, des poumons, de l'estomac, des intestins, de la matrice, etc.

Les esprits animaux mis en jeu par les objets qui affectent les organes des sens, contractent des mouvements habituels, et laissent dans le cerveau ou dans les nerfs de ces organes, des traces, des modifications qui rappellent ou causent à l'âme des sensations, semblables à celles qu'elle a eues lorsque les objets mêmes ont agi sur les sens.

Tout ce que nous savons sur les facultés qui rappellent ces sensations, c'est-à-dire sur la mémoire, l'imagination, etc. se réduit à des connaissances vagues, qui ne peuvent nous servir qu'à former des conjectures sur le lieu où résident ces facultés, et sur le mécanisme par lequel elles s'exécutent.

Est-ce dans le cerveau ou dans les nerfs des organes des sens que se forment les traces, les modifications qui rappellent à l'âme, par l'entremise des esprits animaux, des sensations que lui ont causé les objets qui ont frappé les organes des sens ? Il est difficîle d'assigner dans le cerveau aucun lieu, ni aucun endroit où se puissent graver ou tracer tant d'images différentes : cependant nous savons qu'un faible dérangement dans certaines parties du cerveau, mais particulièrement dans le corps calleux, comme l'a prouvé M. de la Peyronie (Mémoires de l'acad. des Scienc. an. 1741.), détruit ou fait cesser entièrement l'usage de toutes les facultés du corps qui peuvent agir sur l'âme. Mais que peut-on conclure de-là, si ce n'est que cette partie est le lieu où l'être sensitif reçoit les sensations que lui procurent les facultés du corps qui agissent sur lui ?

Ces facultés résident-elles dans toute l'étendue des nerfs, qui se terminent par une de leurs extrémités dans le corps calleux, et par l'autre dans les organes des sens, qui ont d'abord fourni des sensations ? Il ne parait pas qu'elles existent dans la partie de ces nerfs, qui entre dans la composition des organes des sens ; car lorsque ces organes sont détruits, ou lorsque leur usage est suspendu, les facultés qui nous rappellent les sensations qu'ils nous ont procurées, subsistent encore. Un aveugle peut se représenter les objets qu'il a vus ; un sourd peut se ressouvenir des airs de musique qu'il a entendus ; un homme à qui on a coupé une jambe, souffre quelquefois des douleurs qu'il croit sentir dans la jambe même qui lui manque : cependant ces exemples ne prouvent point absolument que les facultés recordatives ne s'étendent pas jusque dans la partie des nerfs qui entrent dans la composition des organes des sens ; mais seulement que ces facultés peuvent subsister indépendamment de cette partie, parce qu'elles subsistent encore dans les nerfs qui vont à ces mêmes organes, et qui restent dans leur état naturel. Concluons qu'on ne saurait déterminer en quoi consiste le mécanisme des facultés, qui nous rappellent des sensations.

La faculté motrice de l'âme sur le corps, est la puissance qu'ont les animaux de mouvoir volontairement quelques parties organiques de leur corps : cette faculté, comme je l'ai dit ci-dessus, a été attribuée à la matière par la plupart des philosophes. Selon eux, la matière n'a rien de déterminé ; ce n'est qu'une substance incomplete , qui est perfectionnée par la forme ; mais cette même substance est cependant toute en puissance ; et c'est de cette puissance que dépendent radicalement les propriétés qu'a la matière de recevoir toutes les formes par lesquelles elle peut acquérir les facultés de sentir et de se mouvoir.

L'ame n'est point une vraie cause motrice, mais tout au plus une cause dirigente ou déterminante des mouvements qui paraissent dépendre de la volonté des animaux, et qu'on attribue à leur âme sensitive. L'ame a dans l'homme une puissance active, qui dirige les mouvements soumis à sa volonté. Notre âme peut changer, modifier, suspendre, accélérer la direction naturelle du mouvement des esprits, par lequel s'exécutent ces déterminations ; elle peut affoiblir, retenir, faire disparaitre, et faire renaître quand elle veut, les sensations et les perceptions que lui rappellent la mémoire et l'imagination ; elle peut se former des idées composées, des idées abstraites, des idées vagues, des idées précises, des idées factices ; elle arrange ses idées, elle les compare, elle en cherche les rapports ; elle les apprécie, elle juge, elle pese les motifs qui peuvent la déterminer à agir : toutes ces facultés supposent nécessairement dans notre âme une puissance, une activité qui maitrise le mouvement des esprits animaux. Cependant nous ne pouvons ni imaginer ni concevoir comment l'âme dirige le mouvement des esprits animaux dans nos déterminations libres. Toutes les sensations que nous recevons d'un objet par les organes des sens, se réunissent à l'endroit du siège de l'âme, au sensorium commun, et nous causent toutes les idées que nos facultés animales peuvent procurer.

Les facultés attribuées à l'âme sensitive nous sont communes avec les bêtes, parce qu'elles se rapportent toutes aux perceptions, aux sensations, et aux sentiments que nous avons des objets qui affectent, ou qui ont affecté nos sens. Elles consistent dans les facultés du corps, qui s'exercent seulement sur la faculté passible de l'âme ; mais ces facultés sont beaucoup plus imparfaites dans les bêtes, que dans les hommes ; parce que les organes dont elles dépendent, ont des fonctions moins étendues, et parce qu'elles ont en général moins d'aptitude à recevoir les impressions des objets, et à acquérir les dispositions qui perfectionnent ces facultés.

Je dis en général, car quelques-unes de ces facultés sont plus parfaites dans certains animaux que dans les hommes ; les uns ont l'organe de l'odorat, les autres celui de la vue, d'autres celui de l'ouie, etc. plus parfaits que nous ; mais les autres facultés s'y trouvent beaucoup plus imparfaites que dans les hommes, surtout les facultés recordatives, c'est-à-dire celles qui rappellent les sensations des objets : on s'en aperçoit facilement même dans les bêtes les plus dociles, lorsqu'on leur apprend quelques exercices, puisque ce n'est que par une longue suite d'actes répétés, qu'on peut les former à ces exercices.

Les bêtes ne cherchent point et ne découvrent point les différents moyens qui peuvent servir à la même fin ; elles ne choisissent point entre ces différents moyens, et ne savent point les varier ; leurs travaux ont toujours la même forme, la même structure, les mêmes perfections, et les mêmes défauts ; elles ne conçoivent point différents projets ; elles ne tournent point leurs vues ni leurs talents de divers côtés : que leur âme soit une substance matérielle ou une substance différente de la matière, il est toujours vrai qu'elle n'a rien de commun avec la nôtre, que la faculté de sentir ; et plus nous l'examinons, plus nous reconnaissons qu'elle n'est ni libre, ni intellectuelle.

Les bêtes sont donc poussées par leurs appétits, conduites par leur instinct, et assujetties en même temps à diverses sensations et perceptions sensibles qui règlent leur volonté et leurs actions, et leur tient lieu de raison et de liberté pour satisfaire à leurs penchants et à leurs besoins.

Mais malgré ces secours, les facultés des bêtes restent très-bornées ; elles sont presque entièrement incapables d'instructions sur les choses mêmes qui se réduisent à une seule imitation ; avec les châtiments ; les caresses, et tous les autres moyens que l'on emploie pour leur faire contracter des habitudes capables de diriger leurs déterminations, on réussit très-rarement.

Le chien, qui est la bête la plus docile, ne peut apprendre que quelques exercices qui ont rapport à son instinct. Le singe, cet animal si imitateur, est le plus inepte de tous les animaux à recevoir quelques instructions exactes, par l'imitation même : tâchez de le former à quelque exercice réglé ; à quelques services domestiques les plus simples ; employez tout l'art possible pour lui faire acquérir ces petits talents, vos efforts ne serviront qu'à vous convaincre de son imbécillité.

Il faut laisser croire au vulgaire, que c'est par la malice ou mauvaise volonté que le singe est si indocile. Les Philosophes connaissent le ridicule de cette opinion ; ils savent que toute volonté, qui n'est pas nécessairement assujettie, se règle par motifs : or il n'y a ni crainte, ni espérance, ni autres motifs qui puissent changer ni régler celle de cet animal ; c'est pourquoi il ne laisse, comme les autres bêtes, apercevoir dans tout ce qui passe les bornes de son instinct que des marques d'une insigne stupidité.

Si les hommes montrent très-peu d'intelligence dans les premiers temps de leur vie, ce défaut ne doit pas être attribué à une imperfection de leurs facultés intellectuelles, mais seulement à la privation de sensations et de perceptions qu'ils n'ont pas encore reçues, et qui leur procurent ensuite les connaissances sur lesquelles s'exercent les facultés intellectuelles, qui sont nécessaires pour régler la volonté et pour délibérer.

C'est pourquoi les enfants se laissent entraîner par des sensations, qui les déterminent immédiatement dans leurs actions ; mais lorsqu'ils sont plus instruits, ils réfléchissent, ils raisonnent, ils choisissent, ils forment des desseins, ils inventent des moyens pour les exécuter ; ils acquièrent des connaissances, ils les augmentent par l'exercice ; ils apprennent, ils pratiquent, et perfectionnent les Arts et les Sciences. L'avancement de l'âge ne donne point cet avantage aux bêtes, même à celles qui vivent le plus longtemps.

Ce sont donc les facultés intellectuelles qui distinguent l'homme des autres animaux ; elles consistent dans la puissance de l'âme sur les facultés animales dont nous avons parlé, et dans le pouvoir qu'elle a de s'exercer sur ses sensations et perceptions actuelles ; elles rendent les hommes maîtres de leurs délibérations ; elles leur font porter des jugements surs, et leur font apprécier les motifs qui les dirigent dans leurs actions.

Mais nous ne pouvons dissimuler ici que les facultés intellectuelles ont une liaison très-étroite avec le bon état des organes du corps ; dans les maladies elles s'éclipsent, et la convalescence les fait reparaitre : l'âme et le corps s'endorment ensemble. Dès que le cours des esprits, en se rallentissant, répand dans la machine un doux sentiment de repos et de tranquillité, les facultés intellectuelles deviennent paralytiques avec tous les muscles du corps : ceux-ci ne peuvent plus porter le poids de la tête ; celles-là ne peuvent plus soutenir le fardeau de la pensée. Enfin l'état des facultés intellectuelles est si correlatif à l'état du corps, que ce n'est qu'en rétablissant les fonctions de l'un, qu'on rétablit celles de l'autre. Ainsi quiconque sait apprécier les choses, dit Boerhaave, conviendra que tout ce qui nous a été débité par les plus grands maîtres de l'art sur l'excellence de l'âme et de ses facultés, est entièrement inutîle pour la guérison des maladies.

Quelques physiologistes appellent facultés mixtes intellectuelles les opérations de l'âme qui s'exercent à l'aide des perceptions et des connaissances intellectuelles : telles sont le gout, le génie, et l'industrie.

Ces sortes de facultés exigent différents genres de sciences pour en étendre et perfectionner l'exercice. Le goût suppose les connaissances, par lesquelles il peut discerner ce qui doit plaire le plus généralement par le sentiment et par la perfection qui doivent réunir, surtout dans les productions du genie, le plaisir et l'admiration. L'exercice du génie serait fort borné sans la connaissance des sujets intéressants qu'il peut représenter, des beautés dont il peut les décorer, des caractères, des passions qu'il doit exprimer. L'industrie doit être dirigée par la connaissance des propriétés de la matière, et des lois des mouvements simples et composés, des facilités et des difficultés que les corps qui agissent les uns sur les autres, peuvent apporter dans la communication de ces mouvements. Mais ces différentes lumières sont bornées presque toutes à des perceptions sensibles, et aux facultés animales.

Au reste la connaissance des facultés de l'homme, fait une partie des plus importantes de la Physiologie ; parce que les dérangements des facultés de l'âme qui agissent sur le corps, causent diverses maladies, et que le dérangement des facultés du corps trouble toutes les fonctions de l'âme. Il est donc absolument nécessaire que les Médecins et les Chirurgiens soient instruits de ces vérités, pour parvenir à la connaissance des causes des maladies qui en dépendent, et pour en régler la cure. D'ailleurs ils sont chargés de faire des rapports en justice sur des personnes dont les fonctions de l'esprit sont troublées ; il faut donc qu'ils soient éclairés sur la physique de ces fonctions pour déterminer l'état de ces personnes, et pour juger s'il est guérissable ou non.

Nous n'entrerons pas dans de plus grands détails sur cette matière, ils nous conduiraient trop loin. Le lecteur peut consulter la physiologie de Boerhaave, et surtout le traité des facultés, que M. Quesnay a donné dans son économie animale. Article de M(D.J.)

FACULTE APPETITIVE, (Physiol. Medec.) c'est une faculté par laquelle l'âme se porte, soit nécessairement, soit volontairement, vers tout ce qui peut conserver le corps auquel elle est unie, et même vers ce qui peut concourir à la conservation de l'espèce, et par laquelle l'âme excite dans le corps des mouvements ou volontaires ou involontaires, pour obtenir ce qu'elle appete. Cette faculté qui est active, en suppose une autre qui est passive, et qu'on appelle sensitive, parce que ce n'est qu'en conséquence d'une sensation agréable ou desagréable, que l'âme est excitée à agir pour jouir de la sensation agréable, ou pour se délivrer de la sensation desagréable. Et comme la faculté appétitive a été donnée à l'âme pour l'entretien du corps et pour la conservation de l'espèce, le Créateur lui a donné aussi des sensations relatives à cette faculté. Voyez SENSATION.

Communément on ne fait mention que de trois appétits, connus sous les noms de faim, de soif, et d'appétit commun aux deux sexes pour la propagation de l'espèce. Voyez FAIM, SOIF, XESEXE. Mais il me parait que mal-à-propos on a omis l'appétit vital, par lequel l'âme est nécessairement déterminée à mouvoir nos organes vitaux, et à en entretenir les mouvements. Nous parlerons de l'appétit vital en traitant de la faculté vitale. Voyez l'article suiv.

C'est à ce double état de patient et d'agent, dont notre âme est capable, que Dieu a confié la conservation de l'individu et de l'espèce. En qualité de principe passif, notre âme reçoit des impressions de nos sens qui l'avertissent des besoins du corps qu'elle anime, et qui la déterminent pour les moyens propres à satisfaire à ces besoins : en qualité de principe actif, elle met en mouvement les instruments corporels qui lui sont soumis. Lorsque ce principe est guidé par la volonté, il embrasse l'amour et la haine, ou le désir et la répugnance, et il fait mouvoir le corps pour attirer à soi les objets favorables, et pour éloigner ceux qui pourraient lui être contraires ; mais lorsqu'il agit nécessairement, il est borné au seul désir et aux mouvements propres à satisfaire ce désir : alors cet appétit n'embrasse rien de connu, et il prouve à cet égard la fausseté du proverbe latin, ignoti nulla cupido. En effet, si par le moyen des sens extérieurs, nous n'avions pas acquis la connaissance des choses qui peuvent apaiser notre faim et notre soif, les impressions, qui de l'estomac et du gosier, seraient transmises jusqu'à notre âme, nous feraient sentir un besoin, et exciteraient en nous un désir de quelque chose inconnue, ou ce qui est le même, un désir qui ne se porterait vers aucun objet connu. Mais lorsque par le gout, l'odorat, et les autres sens extérieurs, nous avons reconnu les objets qui peuvent contenter notre désir, et que nous en avons fait l'épreuve ; alors ce n'est plus un appétit vague et indéterminé, c'est un appétit qui a pour objet des choses connues. Voyez FAIM et SOIF.

Il faut donc, en Médecine comme en Morale, distinguer deux sortes d'appétits ; l'un aveugle ou purement sensitif ; et l'autre éclairé ou raisonnable. L'appétit aveugle n'est qu'une suite de quelque sensation excitée par le mouvement de nos organes intérieurs, qui ne nous représente aucun objet connu : l'appétit éclairé est la détermination de l'âme vers un objet représenté par les sens extérieurs, comme une chose qui nous est avantageuse, ou son éloignement pour un objet, que ces mêmes sens nous représentent comme une chose qui nous est contraire.

Du reste tout appétit suppose une sensation, et la sensation suppose quelque mouvement dans nos organes extérieurs ou intérieurs. Tout appétit suppose aussi une action dans l'âme, par laquelle elle tâche de se procurer les moyens de jouir des sensations agréables, et de se délivrer des sensations desagréables : une action supérieure à celle des causes qui lui ont donné lieu, et qui n'est point soumise aux lois mécaniques ordinaires. Ces moyens ne sont jamais primitivement indiqués par l'appétit ; c'est aux sens extérieurs, à l'expérience et à l'usage à nous les faire connaître, à quoi le raisonnement peut aussi servir ; mais lorsque ces moyens nous sont une fois connus, l'âme se porte, pour ainsi dire, machinalement à les employer, s'ils sont avantageux, ou à les éviter, s'ils ont été reconnus nuisibles. Si ces moyens sont des instruments corporels, cachés dans l'intérieur de notre machine, l'âme est nécessairement déterminée à s'en servir, même sans les connaître, d'autant que la volonté n'a aucun pouvoir sur eux, et que le Créateur ne les a soumis qu'à un appétit aveugle ; tels sont nos organes vitaux, dont les mouvements ne dépendent pas de la volonté. Voyez FACULTE VITALE. Mais si ces marques sont des objets extérieurs, et que les mouvements nécessaires pour en user soient soumis à la volonté, l'âme n'est point nécessairement déterminée ; elle peut reprimer son appétit, et elle le doit toutes les fois qu'il tend vers les choses défendues par les lois divines ou humaines, ou vers des choses contraires à la santé. Article de M. BOUILLET le père.

FACULTE VITALE. C'est une certaine force qui, dès le premier instant de notre existence, met en jeu nos organes vitaux, et en entretient les mouvements pendant toute la vie. Ce que nous savons de certain de cette force, c'est qu'elle réside en nous, qui sommes composés d'ame et de corps ; qu'elle agit en nous, soit que nous le voulions ou que nous ne le voulions pas, et qu'elle s'irrite quelquefois par les obstacles qu'elle rencontre. Mais à laquelle des deux substances, dont nous sommes composés, appartient-elle ? Est-ce uniquement au corps qu'il faut la rapporter ? ou bien n'appartient-elle qu'à l'âme ? Voilà ce qu'on ne sait point, ou du moins ce qu'on n'aperçoit pas aisément.

Ceux qui ne reconnaissent dans l'âme humaine d'autres facultés actives que la volonté et la liberté, et qui sont d'ailleurs persuadés que toutes les modifications et les actions de cet être simple, indivisible et spirituel qui nous anime, sont accompagnées d'un sentiment intérieur, croient avec Descartes, que la faculté vitale, dont ils ne se rendent aucun témoignage à eux-mêmes, appartient uniquement au corps humain duement organisé, ou pourvu de tout ce qui est nécessaire pour exercer les actions ou les fonctions vitales, et une fois mis en mouvement par le souverain Créateur de toutes choses. Dans cette idée, il n'est point d'effort qu'ils ne fassent pour déduire ces fonctions et leurs différents phénomènes de la structure, de la liaison, du mouvement, en un mot de la disposition mécanique de nos organes vitaux, au nombre desquels on met toutes les parties intérieures, principalement le cœur et les artères avec les nerfs qui s'y distribuent.

D'autres, tels que MM. Perrault, Borelli, Stahl, etc. placent cette faculté dans l'âme raisonnable, unie à un corps organisé. Il parait vraisemblable, dit-on, dans le IV. tome de la société d'Edimbourg, pag. 270. de l'édition française, que l'âme préside non-seulement à tous les mouvements communément appelés volontaires, mais qu'elle dirige aussi les mouvements vitaux et naturels, qui s'arrêteraient bien-tôt d'eux-mêmes, s'ils n'étaient entretenus par l'influence de ce principe actif. Il semble de plus, ajoute-t-on, que ces mouvements, au commencement de la vie, sont entièrement arbitraires, selon la commune signification de ce mot, et que ce n'est que par l'habitude et la coutume qu'ils sont devenus si nécessaires, qu'il nous est impossible d'en empêcher l'exécution. On trouvera dans ce même volume d'autres preuves de ce sentiment, dont la plupart avaient été donnés par M. Perrault, de l'académie royale des Sciences, dans ses essais de Physique, imprimés à Paris en 1680, et par Alphonse Borelli, dans la 80e proposition de la seconde partie de son traité de motu animalium, imprimé à Rome en 1682. On peut voir aussi sur ce sujet les œuvres de M. Stahl.

Quelques autres enfin, peu contens des hypothèses précédentes, font consister la faculté vitale dans l'irritabilité des fibres de l'animal vivant. Il n'y a point, dit M. Haller, dans ses notes sur Boerhaave, §. 600. de différence entre les esprits animaux qui viennent du cerveau, et ceux qui sont fournis par le cervelet, entre la structure des organes vitaux et celle des organes destinés aux fonctions animales : ces organes agissent tous également, lorsqu'ils sont irrités par quelque cause, comme un horloge agit, lorsqu'il est mu par un poids, et se reposent tous, dès que cette cause cesse d'agir. Si par la dissipation des esprits, et par d'autres causes, tout le système nerveux vient à s'affoiblir, les fonctions animales sont suspendues, parce que les sens et la volonté ne sont point aiguillonnés ; mais les fonctions vitales ne s'arrêtent point, à moins que la disette des esprits ne soit extrême, ce qui est rare, parce que de leur nature, le cœur, le poumon, et les autres parties douées d'un mouvement péristaltique, ont des causes particulières et puissantes qui les irritent continuellement, et qui ne leur permettent pas le repos. M. Haller démontre l'irritation de chacun des organes vitaux, et il appuie cette théorie sur un phénomène bien simple, avoué de tout le monde ; savoir, qu'il n'est point de fibre musculeuse dans un animal vivant, qui étant irritée par quelque cause que ce sait, n'entre d'abord en contraction, de sorte que c'est la dernière marque par laquelle on distingue les animaux les plus imparfaits d'avec les végétaux. Enfin il fait remarquer que dès que l'irritation des nerfs destinés aux mouvements volontaires, est trop forte, ces mouvements mêmes s'exécutent sans le consentement de la volonté, et sans interruption, comme dans les convulsions, dans l'épilepsie, etc. Et pour expliquer d'où vient que les organes vitaux ne sont pas soumis à la volonté, il a recours à une loi du Créateur, ajoutant que la cause mécanique de cet effet n'est autre, peut-être, que parce que l'irritation qu'occasionne la volonté, est beaucoup plus faible que celle que produisent les causes du mouvement continuel du cœur et des autres organes vitaux.

Pour moi je pense que la faculté vitale réside dan l'âme ; et je crois qu'outre la volonté et la liberté, outre les actes libres, réfléchis, et dont nous avons un sentiment intérieur bien clair, notre âme est capable d'une action nécessaire, non réfléchie, et dont nous n'avons aucun sentiment intérieur, ou du moins, dont nous n'avons qu'un sentiment bien obscur ; et par conséquent, que ce n'est point par une faculté active, libre, réfléchie, et devenue nécessaire par l'habitude et la coutume, que notre âme influe sur nos actions vitales et sur les mouvements spontanés de toutes les parties de notre corps, mais par une faculté entièrement nécessaire, indépendante de la volonté, non libre ni réfléchie. Quand on ne supposerait dans notre âme qu'une force unique, imprimée par le Créateur, on peut par abstraction concevoir diverses manières d'exercer cette force ; et on le doit, ce semble, dès qu'on ne peut expliquer autrement tous les effets qui en résultent. Je conçais donc dans l'âme humaine deux puissances actives, ou deux manières principales d'user de la force qui lui a été imprimée : l'une libre, raisonnée, ou fondée sur des idées distinctes et réfléchies, et dirigée principalement vers les objets des sens extérieurs connus de tout le monde ; c'est la volonté : l'autre nécessaire, non libre, non raisonnée, fondée sur une impression purement machinale, et dirigée uniquement vers les instruments d'un sens peu connu, que j'appelle vital, et dont je déterminerai le siege après en avoir prouvé l'existence ; c'est la faculté vitale. Mais avant que d'établir mon sentiment, il est juste d'exposer en peu de mots les raisons qui m'ont empêché d'acquiescer au sentiment des autres.

En premier lieu, il n'est pas naturel de placer la faculté vitale uniquement dans les parties de notre machine ; et quiconque saura bien les lois ordinaires de la mécanique, dont une des principales est que tout corps perd son mouvement à proportion de celui qu'il communique aux corps qu'il rencontre, conviendra aisément qu'il est tout à fait impossible d'expliquer la durée et les irrégularités accidentelles de nos mouvements vitaux, uniquement par de pareilles lais. Pour mettre les lecteurs en état d'en juger, j'observerai d'abord qu'il est vrai qu'un pendule, une fois mis en branle, continuerait toujours ses allées et venues, sans jamais s'arrêter, s'il n'éprouvait aucun frottement autour du point fixe ou du point d'appui, auquel il est suspendu, et s'il ne trouvait aucune résistance dans le milieu où il se meut : qu'il est vrai aussi, que deux ressorts qu'on ferait agir l'un contre l'autre, ne cesseraient jamais de se choquer alternativement, si d'un côté leurs parties ne souffraient aucun frottement entr'elles, ou si leur ressort était parfait, et qu'ils pussent chacun se rétablir avec la même force, précisément avec laquelle ils auraient été pliés ; et de l'autre, si le milieu, dans lequel ils se choqueraient, n'apportait aucune résistance à leurs efforts mutuels : mais j'observerai aussi, que comme la résistance du milieu et le frottement mutuel des parties, absorbent à chaque instant une partie du mouvement de ce pendule et de ces ressorts, le mouvement total qui leur a été imprimé, quelque grand qu'il sait, doit continuellement diminuer et se terminer bien-tôt en un parfait repos. C'est ce qui arriverait aux pendules et aux montres, si par le moyen d'un poids qu'on remonte, ou d'un ressort qu'on bande par intervalles, on n'avait continuellement une force motrice capable de surmonter la résistance du milieu dans lequel ces machines se meuvent, et celle qu'opposent les frottements de leurs parties.

On dira sans-doute que Dieu, dont l'intelligence surpasse infiniment celle de tous les Machinistes, et dont le pouvoir égare l'intelligence, n'a pas manqué de mettre dans le corps humain quelque chose d'équivalent au poids et au ressort dont on se sert pour faire aller les machines artificielles ; en un mot, une force motrice matérielle, capable d'entretenir les mouvements spontanés de nos organes ; une cause mécanique qui est continuellement renouvellée par la nourriture que nous prenons chaque jour. Mais sans ramener ici une foule de difficultés qu'entraîne cette supposition, la réflexion suivante suffit pour la détruire. Dans les pendules et les montres, la force qui les fait mouvoir, est uniforme et proportionnée aux résistances qu'elle doit vaincre : elle ne s'accélere jamais d'elle-même ; et si par quelque cause que ce sait, elle vient à s'affoiblir, ou si les résistances augmentent, le mouvement de ces machines cesse entièrement, à moins que l'ouvrier n'y mette la main pour augmenter la force motrice, ou pour diminuer les résistances. Il en serait donc de même dans le corps humain, si les mouvements vitaux n'étaient qu'une suite de la disposition mécanique des organes : ces mouvements, loin de s'accroitre jusqu'à un certain point par des obstacles qui leur sont opposés, comme il n'arrive que trop souvent, se rallentiraient et cesseraient bien-tôt entièrement, à moins que Dieu ne remit presqu'à tout moment la main à son ouvrage ; ce qu'il serait ridicule de penser. On a coutume de faire quelques autres suppositions en faveur du mécanisme ; comme elles ne sont pas mieux fondées, il est inutîle de les rapporter.

En second lieu, je ne saurais me persuader que nos mouvements vitaux aient jamais été arbitraires, ou ce qui revient au même, que la faculté de l'âme, qui préside à nos mouvements volontaires, ait jamais dirigé nos mouvements spontanés, vitaux et naturels : car quoique nous fassions sans réflexion et sans un consentement exprès de la volonté, certains mouvements qui ont commencé par être arbitraires, quoique l'habitude et la coutume les ait rendus entièrement involontaires ; cependant lorsque nous y faisons attention, nous ne pouvons nous dissimuler que la volonté n'influe sur ces mouvements, ou qu'elle n'y ait influé originairement. Mais nous avons beau rentrer en nous mêmes, nous avons beau nous examiner attentivement, et réfléchir sur toutes les opérations de notre âme, nous ne sentons en aucune façon que le pouvoir de la volonté s'étende ou se soit jamais étendu sur nos mouvements vitaux et naturels. L'exemple du colonel Townshend, s'il est vrai que, quelque temps avant sa mort, il eut la faculté de suspendre à son gré tous les mouvements vitaux, comme le rapporte M. Cheyne dans son traité the English malady, pag. 307. cet exemple, dis-je, ne prouve autre chose, sinon que par l'habitude il avait acquis un grand empire sur les organes de la respiration, dont les mouvements sont en partie volontaires et en partie involontaires ; de sorte qu'en diminuant par degrés sa respiration, il suspendait pour quelques moments les battements alternatifs du cœur et des artères, et paraissait entièrement comme un homme mort, et qu'en reprenant peu-à-peu la respiration, il remettait en jeu tous les mouvements qui avaient été suspendus, et se rappelait de nouveau à la vie. D'ailleurs si l'on fait réflexion que pendant le sommeil, et dans toutes les affections soporeuses, les mouvements mêmes que l'habitude a rendus involontaires, sont suspendus, et que les mouvements vitaux non-seulement ne s'arrêtent point, mais augmentent même d'activité, on ne croira point que ces mouvements aient jamais été arbitraires, et qu'ils ne sont devenus nécessaires que par habitude et par coutume.

En troisième lieu, avant de discuter le sentiment de ceux qui placent la faculté vitale dans l'irritabilité des fibres des corps animés, je voudrais savoir si cette irritabilité, que je ne conteste pas, n'est qu'une propriété purement mécanique de ces fibres ; ou si elle dépend d'un principe actif, supérieur aux causes mécaniques : car l'homme n'étant composé que d'une âme et d'un corps étroitement unis ensemble par la volonté toute-puissante du Créateur, il faut nécessairement que ce qui agit en lui soit ou matière ou esprit. Si on dit que l'irritabilité n'est qu'une suite du mécanisme, mais d'un mécanisme qui agit par des lois particulières, et différentes des lois mécaniques ordinaires, et qui le rend capable d'entretenir, et même d'augmenter ou de diminuer les mouvements spontanés, sans l'intervention d'aucune intelligence créée, je demande quel est ce mécanisme si surprenant ; et jusqu'à ce qu'on m'en ait prouvé la réalité, je refuse de l'admettre, avec d'autant plus de raison que je suis persuadé que les lois mécaniques qui ne me sont pas connues, ne peuvent être diamétralement opposées à celles que je connais ; que les unes doivent nécessairement appuyer les autres, et non les renverser entièrement ; ce qu'il faudrait pourtant supposer, pour faire dépendre la faculté vitale du pur mécanisme. Si on prétend au contraire que l'irritabilité des fibres dépend d'un principe hypermécanique, c'est l'attribuer à l'âme ; et alors on retombe dans l'opinion de ceux qui rapportent les mouvements vitaux à des facultés de cet agent spirituel qui nous anime.

Revenons à notre idée ; et pour la mieux développer, prenons la chose d'un peu loin. Tâchons de découvrir s'il n'y aurait pas en nous un sens vital ou un sensorium particulier, capable de transmettre ses impressions jusqu'au sensorium principal ; et si à ce sensorium ne serait pas attachée une faculté active de l'âme, qui soit capable d'opérer les mouvements vitaux par le moyen des instruments corporels, et indépendamment de tout acte de la faculté libre et réfléchie qu'on connait sous le nom de volonté. Nous supposerons néanmoins bien des choses connues des Physiciens et des Métaphysiciens, mais qui ont été ou seront expliquées dans ce Dictionnaire. Nous observerons seulement que l'âme et le corps s'affectent mutuellement en conséquence de leur union ; et qu'étant parfaitement unis, tout le corps doit agir sur l'âme, et l'affecter réciproquement : car il ne nous parait pas naturel de penser que cette union ne soit pas parfaite, et que ce ne soit qu'à l'égard de certains organes qu'il soit vrai de dire, affecto uno afficitur alterum. Cette idée ne s'accorde point avec la sagesse et la puissance du Créateur, qui en alliant ensemble des substances qui de leur nature sont inalliables, a mis dans son ouvrage toute la perfection possible. Nous observerons aussi que cette union a dû sans-doute altérer jusqu'à un certain point les propriétés de l'âme, soit en lui occasionnant des modifications qu'elle n'aurait point, si elle n'était pas unie à un corps organisé, soit en la privant d'autres modifications qu'elle n'aurait pas si elle en était séparée.

Comme dans l'homme il n'y a que l'âme qui soit capable de sentiment, tout sentiment considéré dans l'âme, est quelque chose de spirituel ; mais comme l'âme ne sent que dépendamment du corps, nous envisagerons tous les sens comme corporels, et nous les diviserons en ceux qui n'ont leur siège que dans le cerveau, et en ceux qui sont dispersés dans tout le reste du corps. Nous ne parlerons pas ici des premiers ; mais au nombre des seconds nous mettrons non-seulement les sens reconnus de tout le monde, tels que la vue, l'ouie, l'odorat, le gout, le toucher ; les sens de la faim et de la soif, et celui d'où vient l'appétit commun aux deux sexes pour la propagation de l'espèce, mais encore le sens d'où nait le désir naturel de perpétuer les mouvements vitaux pour la conservation de l'individu : désir qui agit en nous indépendamment de notre volonté. Ce dernier sens, que j'appelle vital, est une espèce de toucher ; ou du moins il peut, comme tous les autres sens, être rapporté au toucher. Voyez TOUCHER.

Je ne parlerai point ici du siège de tous les sens, je me bornerai au sens vital, que je place dans le cœur, dans les artères et les veines, et dans tous les viscères, ou dans toutes les parties intérieures qui ont des mouvements vitaux ou spontanés. J'accorde à toutes ces parties un sensorium particulier ; car pourquoi leur refuserait-on cette prérogative ? n'ont-elles pas tout ce qui est nécessaire pour le matériel d'un sens ? leurs fibres musculeuses ou membraneuses ne sont-elles pas entrelacées de fibrilles nerveuses ? et ces fibrilles n'aboutissent-elles pas à la moèlle allongée, qui est un prolongement du cerveau et du cervelet ? c'est de quoi l'Anatomie ne nous permet pas de douter. Cela étant ainsi, et l'union du corps avec l'âme n'étant qu'une dépendance mutuelle de ces deux différentes substances, les fibrilles nerveuses du cœur, des artères, etc. ne peuvent être affectées que l'âme ne le soit aussi ; ce qui suffit pour qu'elles soient le matériel d'un sens.

On opposera peut-être que les lois de l'union de l'âme et du corps ne s'étendent pas jusqu'aux organes qui ne sont point soumis aux ordres de la volonté ; que ces lois n'ont été établies qu'à l'égard des parties sur lesquelles la volonté a quelqu'empire, et qu'ainsi l'âme n'est affectée que lorsque ces parties à l'égard desquelles l'union a lieu, sont affectées ; et que lorsque des organes sur lesquels la volonté n'influe point, sont affectés, tels que le cœur, les artères, etc. l'âme n'est point affectée ; d'où l'on conclura que ces organes ne constituent point un sensorium particulier.

J'ai prévenu ci-dessus cette objection ; mais à ce que j'ai dit je vais ajouter, 1°. que c'est bien gratuitement qu'on avance que les lois de l'union du corps avec l'âme ne s'étendent pas à toutes les parties de notre machine, et que l'âme n'est affectée que lorsque les organes à l'égard desquels l'union a lieu, sont affectés, car enfin, serait-ce parce que Dieu ne l'a pu, ou ne l'a pas voulu ? Mais quelles raisons a-t-on pour restraindre la puissance de Dieu, ou pour limiter ainsi sa volonté ? Qu'est-ce qui peut porter à croire que Dieu n'a pas donné à cette union toute la perfection dont elle peut être susceptible ? n'est-il pas au contraire plus naturel de penser que Dieu a fait cette union aussi entière et aussi parfaite que la nature des deux substances qu'il a unies a pu le permettre ? Or toutes les parties du corps humain étant également matérielles, il n'a pas été plus difficîle à Dieu d'unir le corps à l'âme par rapport à toutes ses parties, que par rapport à quelques-uns de ses organes.

Je réponds, 2°. que l'expérience nous apprend que l'imagination et les passions de l'âme influent sensiblement sur nos mouvements vitaux, et les troublent et les dérangent ; ce qui prouve évidemment que l'âme étant affectée, les organes vitaux sont affectés à leur tour : d'où je conclus que les affections de ces organes affectent aussi l'âme, car cela doit être réciproque à raison de la dépendance mutuelle des deux substances, dans laquelle consistent les lois de l'union. Nous avons donc l'expérience de notre côté, et nous sommes fondés à soutenir que, puisque l'âme par ses passions agit sensiblement sur nos organes vitaux, son union avec le corps doit avoir lieu à leur égard ; et cette union étant réciproque, il faut que ces organes agissent aussi sur l'âme, et qu'ils constituent par conséquent un sensorium particulier, ou le matériel d'un sens que nous avons appelé vital.

On opposera qu'il n'y a point de sens sans sensation, ni de sensation sans sentiment intérieur, ou sans un témoignage secret de notre conscience. Or, ajoutera-t-on, il n'y a ici ni sensation, ni sentiment intérieur d'aucune sensation ; car lorsque nous ne sommes agités d'aucune passion, nous ne sentons point que le sensorium vital affecte notre âme, ni que notre âme agisse sur ce sensorium, d'où l'on conclura qu'il n'y a point de sens vital.

Je conviens que Dieu, qui ne fait rien d'inutile, a attaché un exercice à chaque faculté, et que la sensation n'étant que l'exercice de la faculté sensitive, ou le sens réduit en acte, il ne peut y avoir aucun sens qu'il n'y ait sensation ; et que s'il n'y a pas de sensation le sensorium ou les instruments du sens vital deviennent inutiles. Mais je nie qu'il n'y ait point ici de sensation ; et après avoir observé que toutes les sensations ne sont pas également fortes et vives, qu'il y en a de faibles et d'obscures, j'ajoute, 1°. qu'outre que le pur sens intime de notre existence, qui, selon les principes de la Métaphysique, ne nous manque jamais, n'est dû dans bien des cas, dans l'apoplexie, par exemple, qu'à la sensation excitée par le sensorium vital ; c'est à ce même sensorium légèrement effleuré que nous devons la sensation faible et obscure de la bonne disposition de notre esprit et de notre corps, de notre bien-être, ou de ce plaisir que nous ressentons intérieurement lorsque tout est en nous dans l'ordre naturel, et que le sensorium vital ne reçoit de nos humeurs qu'une légère impression, un doux tremoussement ou une espèce de chatouillement. C'est encore à ce même sens, mais différemment affecté, que je rapporte les douleurs intérieures, les anxiétés, les inquiétudes, l'abattement, qui, sans cause manifeste, se font sentir lorsque quelque cause intérieure et inconnue diminue ou augmente les mouvements de nos humeurs, et dérange plus ou moins l'action organique de nos parties. Or là où il y a plaisir ou douleur, joie ou tristesse, tranquillité ou inquiétude, vigueur ou abattement spontané, là il y a sensation agréable ou desagréable, et par conséquent faculté de sentir, aussi-bien que sensorium ou organe d'un sens particulier.

J'ajoute, 2°. que quand même nous ne nous apercevrions pas de cette sensation, il ne s'ensuivrait pas que l'âme ne l'ait point, parce que nous ne connaissons pas toutes les modifications de notre âme, et qu'il y en a sans-doute qui ne se replient pas sur elles-mêmes, ou dont on n'a aucun sentiment intérieur. Mais il y a plus : si nous faisons une sérieuse attention à tout ce qui se passe dans l'intérieur de notre âme, en quelqu'état que nous nous trouvions, nous nous apercevrons bientôt, du moins confusément, qu'elle sent son existence agréable ou desagréable, dépendamment du bon ou mauvais état de nos organes intérieurs ou vitaux ; et notre conscience nous rendra un témoignage, du moins obscur, que nous avons une sensation qui dépend de ces mêmes organes, et qui nous informe de leur bonne ou mauvaise disposition.

Nous croyons avoir suffisamment établi cette sensation ou cette faculté passive de notre âme : il nous reste à faire voir qu'à cette faculté sensitive doit répondre une faculté appétitive ; c'est-à-dire que de l'impression du sensorium vital, ou de son action sur l'âme, doit naître une réaction ou puissance active de l'âme, qui, par le moyen du fluide nerveux, agisse à son tour sur les organes vitaux, qui en entretienne continuellement les mouvements alternatifs ; et qui, sans attendre les ordres de la volonté, ou même contre ses ordres, les augmente ou les diminue dans certains cas, suivant les lois qu'il a plu au Créateur d'établir. Or l'on ne révoquera point en doute cette faculté active, si l'on fait attention qu'il n'est point de sens interne particulier, dont l'action n'excite dans l'âme un appétit ; que l'action de l'estomac fait naître la faim, et celle du gosier la soif. C'est une suite de la dépendance mutuelle qui règne entre l'âme et le corps, et une suite conforme aux idées que nous avons de l'action et de la réaction de ces deux substances unies par la volonté du Créateur ; et comme ces deux substances sont différentes, et que la spirituelle n'est point soumise aux lois mécaniques, on comprend aisément d'où vient que la réaction n'est presque jamais exactement proportionnelle à l'action, et qu'ordinairement elle lui est de beaucoup supérieure. Voyez FACULTE APPETITIVE.

Mais quoique l'objet de l'appétit vital soit bien sensible, que les mouvements spontanés, ou les effets que nous leur attribuons, ne soient point contestés, bien des gens ne conviendront point de la réalité de cette puissance active ; ils opposeront, 1°. que nous ne sentons point que notre âme opère ces effets ; 2°. que notre âme n'est pas la maîtresse de les suspendre quand elle veut, ni de les varier à son gré.

Pour résoudre ces difficultés, nous avancerons, 1°. que nous n'avons pas des idées réfléchies de toutes les opérations de notre âme, de toutes ses facultés actives, et de leur exercice ; et cela parce qu'il n'a pas plu au Créateur de rendre l'âme unie au corps humain, capable de toutes ces sortes d'idées, ou, pour mieux dire, parce qu'il n'a pas jugé que les idées réfléchies de toutes ces opérations nous fussent nécessaires pour la conservation de notre individu, ou pour les besoins des deux substances dont nous sommes composés ; qu'il a jugé au contraire, que quelques-unes de ces opérations s'exerceraient mal si nous en avions des idées réfléchies, et que nous en abuserions si elles étaient soumises à notre volonté. 2°. Nous prétendons que la faculté vitale que nous reconnaissons dans l'âme unie au corps humain, est une puissance non-raisonnable, un appétit aveugle et distinct de la volonté et de la liberté, tel que les Grecs l'ont reconnu sous le nom d', qu'ils définissaient pars animi rationis expers, et dans lequel, au rapport de Cicéron, les anciens philosophes plaçaient tum motus irae, tum cupiditatis. Au moyen de cette faculté vitale, ou de cet appétit que Dieu a imprimé dans l'âme, de cette force nécessaire, non-éclairée, et assujettie aux lois qu'il lui a imposées ; il est aisé de comprendre que notre âme fait jouer nos organes vitaux, sans que nous sentions qu'elle opere, et sans que nous soyons les maîtres de gouverner leur jeu à notre gré, ou, ce qui est presque le même, sans que nous pussions abuser du pouvoir qu'a notre âme de les mettre en jeu.

On repliquera qu'une faculté non-raisonnable est incompatible avec une substance spirituelle, dont l'essence semble ne consister que dans la pensée ou dans la puissance de raisonner. A cela je réponds, 1°. que nous ne connaissons pas parfaitement l'essence de l'âme, non plus que ses différentes modifications : 2°. que l'âme unie au corps humain, a des propriétés qu'elle n'aurait pas, si elle n'était qu'un pur esprit, un esprit non uni à un corps, comme je l'ai observé plus haut ; ainsi, quoiqu'on ne conçoive pas dans un pur esprit une faculté non-raisonnable, un appétit ou une tendance tout à fait aveugle, on n'est pas en droit de nier une pareille propriété dans un esprit uni au corps humain, surtout lorsque les effets nous obligent de l'admettre, et qu'elle est nécessaire aux besoins de la substance spirituelle et de la substance corporelle unies ensemble.

Pour faire mieux comprendre comment l'âme peut avoir une faculté active non-raisonnable, un appétit différent de la volonté et de la liberté, une tendance aveugle et nécessaire, supposons, comme une chose avouée de presque tout le monde, que l'âme réside, ou, pour mieux dire, qu'elle exerce ses différentes facultés dans un de nos organes intérieurs, d'où partent tous les filets des nerfs qui se distribuent dans toutes les parties du corps : supposons encore, comme une chose incontestable, que cet organe privilégié qu'on appelle sensorium commune, a une certaine étendue, telle que l'Anatomie nous la démontre dans la substance médullaire du cerveau, du cervelet, de la moèlle allongée et épinière, où l'on place communément l'origine de tous les nerfs : supposons aussi que quoiqu'il n'y ait guère de parties qui ne reçoivent des nerfs du cerveau et du cervelet, ou de l'une et de l'autre moèlle, cependant les nerfs qui se repandent dans les organes des sens extérieurs, et dans toutes les parties qui exécutent des mouvements volontaires, viennent principalement de la substance médullaire du cerveau ou du corps calleux ; que ceux qui se distribuent dans les organes vitaux, et dans toutes les parties qui n'ont que des mouvements spontanés, ne partent la plupart que du cervelet ou de la moèlle allongée ; et qu'aux parties qui ont des mouvements sensiblement mixtes, ou en partie volontaires et en partie involontaires, il vient des nerfs du cerveau et du cervelet, ou de l'une et de l'autre moèlle : ou si l'on veut que la plupart des nerfs qui se distribuent en organes vitaux, viennent du corps calleux. Supposons que l'endroit du corps calleux d'où ils partent, est différent de celui d'où naissent les nerfs destinés aux mouvements volontaires. Supposons enfin que Dieu, en unissant l'esprit humain à un corps, a établi cette loi, que toutes les fois que l'âme aurait des perceptions claires, ferait des réflexions libres, ou exercerait des actes de volonté et de liberté, les fibres du corps calleux, ou d'une partie du corps calleux seraient affectées ; et réciproquement qu'aux affections de ces fibres répondraient des idées claires, et toutes les modifications de l'âme qui emportent avec elles un sentiment intérieur ; et que toutes les fois que l'âme aurait des sensations obscures, qu'elle ne réfléchirait point sur ses appétits, et qu'elle agirait nécessairement et aveuglément, les fibres d'une autre partie du corps calleux, du cervelet ou de la moèlle allongée, seraient affectées ; et réciproquement, que des affections de ces fibres naitraient des modifications dans l'âme, qui ne seraient suivies d'aucun sentiment intérieur.

Cela posé, on comprendra aisément la distinction des facultés de l'âme en libres et en nécessaires ; et toutes les difficultés qu'on pourrait faire contre l'appétit vital s'évanouiront.

Au reste ces suppositions ne doivent révolter personne, &, à la dernière près, il serait aisé d'en donner des preuves tirées de l'Anatomie : pour celle-ci, il nous suffit qu'elle ne répugne ni à la puissance de Dieu, ni à sa volonté, ni à la nature des deux substances unies.

Mais ce n'est pas tout : je puis encore appuyer cette dernière supposition sur des observations qui ne paraitront point suspectes ; on en trouvera deux qui ont été tirées des volumes de l'académie royale des Sciences, dans le premier tome de l'Encyclopédie, au mot AME, pages 342. et 343. Il résulte de ces observations, que de l'altération du corps calleux, ou de l'une de ses parties, s'ensuit la perte de la raison, de la connaissance, des sens extérieurs et des mouvements volontaires, mais non l'abolition des mouvements vitaux, puisque les malades dont il est question ne sont pas morts brusquement, et que l'un d'eux reprenait connaissance dès que le corps calleux cessait d'être comprimé. Il fallait donc que l'âme exerçât alors dans une partie du corps calleux non comprimée, ou dans la moèlle allongée, d'autres opérations qui ne supposent aucune idée réfléchie, aucun acte de volonté, et qui ne laissent pas d'entretenir la dépendance mutuelle du corps et de l'âme, pendant la cessation ou l'interruption de la connaissance, et de tout ce qui dépend de l'entendement et de la volonté ; opérations qui ne peuvent être autre chose que l'exercice de la faculté vitale, qui doit être continuel pendant la vie.

A ces observations j'en ajouterai une autre, rapportée dans la Physiologie de M. Fizes, imprimée à Avignon en 1750. Vitam vegetativam, dit ce professeur, in filio pauperculae mulieris septemdecim annos nato, memini me observasse. Is miser absque usu ullo sensuum, absque ullo motu artuum, colli, maxillae, omninò perfectè paralyticus undequaque septemdecim annos, velut planta à nativitate vixerat. Ejus corpus corporis infantis decem annorum vix aequabat molem, de caetero marcidum ac flaccidum : pulsus erat debilis ac languidus, respiratio lentissima : in eo nec somni nec vigiliae alternationes distingui poterant ullo signo : nulla vox, nullum signum appetitus, nullus motus unquam in oculis, qui semper clausi erant, absque tamen palpebrarum coalitu : nulli barbae pili, nulli pubi. Mater ejus alimenta masticabat, labiisque in ejus os insertis, ea in fauces insufflabat : filius ea emollita ac propulsa deglutiebat, ut et potulenta similiter impulsa : egerebat autem, ut par erat, excrementa alvina ac urinam.

Il parait que cet enfant n'avait jamais exercé, du moins depuis sa naissance, aucune des fonctions qui dépendent de l'entendement, de la connaissance et de la volonté ; mais s'ensuit-il de-là que cet enfant ait vécu pendant dix-sept ans comme une plante, et qu'il n'ait point eu une âme semblable à celle des autres hommes ? point du tout : autrement il faudrait supposer qu'un apoplectique dont les fonctions animales sont entièrement abolies pendant des trois, quatre ou cinq jours ; que le paysan cité par M. de la Peyronie, à qui on ôtait la connaissance en comprimant le corps calleux ; que l'enfant dont parle M. Littre, qui après avoir joui deux ans et demi depuis sa naissance d'une santé parfaite, souffrit ensuite pendant dix-huit mois une telle altération dans l'exercice des facultés de son âme, qu'il vint à ne donner plus aucun signe de perception ni de mémoire, pas même de gout, d'odorat, ni d'ouie, et qui ne laissa pas de vivre dans cet état pendant six autres mois : il faudrait, dis-je, supposer que tous ces malades n'ont eu, pendant tout le temps qu'ils étaient sans connaissance et sans sentiment, qu'une vie purement végétative, et que leur âme cessait alors d'être unie à leur corps : ou bien il faut reconnaître une âme dans l'enfant dont nous venons de parler, quoique cet enfant n'exerçât que les seules fonctions vitales et naturelles ; et on doit le faire avec d'autant plus de raison, que ces fonctions, comme on l'a Ve ci-dessus, ne peuvent pas dépendre de la seule disposition mécanique du corps humain. Il parait même que les lois de l'union de l'âme avec le corps n'ayant plus lieu à l'égard des fonctions animales dans les sujets où ces fonctions sont entièrement abolies, il faut, pour que l'âme ne soit pas censée avoir abandonné le corps et s'en être séparée, que ces lois aient lieu à l'égard d'autres fonctions, telles que les vitales, dont l'entière abolition emporte la cessation de la vie ou la séparation de l'âme avec le corps.

De ces observations il résulte que le siège de l'âme ne doit pas être borné au seul corps calleux, ou à la partie de ce corps où l'âme aperçoit les objets, réfléchit sur ses idées, les compare les unes aux autres, et se détermine à agir d'une façon plutôt que d'une autre ; mais qu'on doit étendre ce siège à une autre partie du corps calleux, au cervelet, à la moèlle allongée, où nous croyons que réside la faculté vitale, dont l'exercice cesse pour toujours dès que la moèlle allongée est coupée transversalement ou fortement comprimée par la luxation de la première vertèbre du cou ; ce qui favorise entièrement ma dernière supposition.

On dira que dans les foetus humains qui naissent sans tête, la vie est entretenue pendant six, sept, ou neuf mois par la nourriture que leur fournit le cordon ombilical, et qu'alors leur vie n'est pas différente de celle des plantes. Mais si ces enfants ne sont pas des masses informes, si le reste de leur corps est bien organisé, et que les mouvements vitaux s'y executent comme dans les autres enfants, leur vie n'est pas simplement végétative, elle dépend de leur âme, dont le siège dans ces cas extraordinaires s'étend jusqu'à la moèlle épinière, ou à quelque chose d'équivalent. Et quoique ces enfants n'aient jamais exercé aucune des fonctions qui caractérisent un esprit humain, on ne doit pas toutefois s'imaginer qu'ils n'eussent point d'ame ; on doit penser seulement que leur âme n'a pu exercer ces fonctions, parce qu'elle manquait des organes nécessaires à l'exercice et à la manifestation de ses principales facultés. On doit dire la même chose des enfants, dans le crane desquels on ne trouve point de cerveau après la mort, ou dont le cerveau s'est fondu ou petrifié ; car alors ou la moèlle allongée ou la moèlle épinière y suppléent.

La faculté vitale une fois établie dans le principe intelligent qui nous anime, on conçoit aisément que cette faculté excitée par les impressions que le sensorium vital transmet à la partie du sensorium commun à laquelle son exercice est attaché, détermine nécessairement l'influx du suc nerveux dans les fibres motrices des organes vitaux ; et qu'étant excitée alternativement par les impressions de ce sensorium qui se succedent continuellement pendant la vie, elle détermine un influx toujours alternatif, et tel qu'il est nécessaire pour faire contracter alternativement ces organes tant que l'homme vit. On conçoit aussi que lorsque ces impressions sont plus fortes qu'à l'ordinaire, comme il arrive lorsque les organes vitaux trouvent quelqu'obstacle à leurs mouvements, la faculté vitale est alors plus irritée, et détermine un plus grand influx pour vaincre, s'il est possible, les résistances qui lui sont opposées ; et tout cela en conséquence des lois de l'union de l'âme avec le corps. Mais comment la faculté vitale détermine-t-elle cet influx ? c'est un mystère pour nous, comme la manière dont la volonté fait couler le suc nerveux dans les organes soumis à ses ordres, est un écueil contre lequel toute la sagacité des Physiciens modernes a échoué jusqu'ici. Tout ce qu'on peut avancer, c'est que la faculté vitale a cela de commun avec la volonté, qu'à l'occasion des impressions qui lui sont transmises, elle excite des mouvements, qu'elle les augmente selon les lois qu'il a plu au Créateur de lui imposer, et que sa réaction surpasse l'action des causes qui l'ont mise en jeu, et ne suit point les lois mécaniques ordinaires ; mais qu'elle en diffère en ce que la volonté étant une faculté libre et éclairée, elle suspend ou fait continuer à son gré les mouvements qu'elle commande, au lieu que la faculté vitale étant un agent aveugle et nécessaire, elle ne peut point arrêter ou suspendre les mouvements qu'elle excite, et qu'elle est obligée d'entretenir selon les lois qui lui ont été imposées.

L'ame par sa volonté n'a aucun pouvoir immédiat sur la faculté vitale ; car comme l'âme ne peut empêcher les sensations qui sont occasionnées par les causes de la faim et de la soif, elle ne peut aussi empêcher les sensations qui lui sont communiquées par les organes vitaux, ni par conséquent suspendre l'exercice de la faculté vitale : elle n'a qu'un pouvoir éloigné sur cette faculté, qui consiste à empêcher les organes du sentiment et du mouvement volontaire de satisfaire à la faim et à la soif. Ce n'est qu'en s'abstenant volontairement de toute nourriture, et en se laissant mourir de faim, qu'on peut arrêter l'exercice de la faculté vitale ; on le peut aussi en lui opposant des obstacles invincibles. Voyez MORT.

Observons avant que de finir, que comme les sens extérieurs, principalement le gout, l'odorat, et le toucher sont subordonnés à la faculté de l'âme qui agit à l'occasion de la faim et de la soif, de même la faim et la soif sont subordonnées à l'appétit vital ou à la faculté qui dirige et entretient nos mouvements vitaux. Observons encore que comme la faim et la soif sont des sensations obscures, parce qu'elles ne sont excitées que par des causes cachées qui agissent sur nos organes intérieurs, et non par l'impression d'aucun objet que notre âme ait aperçu ; de même aussi et plus obscure encore est la sensation excitée par le sensorium vital, parce qu'elle n'est occasionnée que par des causes encore plus cachées, qui ont bien quelque liaison avec celles de la faim et de la soif, mais qui ne forment dans l'âme aucune image ; en sorte que l'idée réflechie que nous avons de nos sensations Ve toujours en diminuant de clarté, depuis l'idée des sensations causées par les objets extérieurs que nous apercevons, jusqu'à l'idée des sensations de la faim et de la soif, et de celle-ci jusqu'à l'idée de la sensation vitale, ce qui rend cette dernière idée si confuse, que nous n'en avons presqu'aucun sentiment intérieur. Il n'était pas d'ailleurs nécessaire que cette sensation fût suivie d'un sentiment intérieur bien clair ; parce que, comme il a été dit, à cette sensation sont subordonnées la faim et la soif, et à celles-ci les sensations qui viennent des organes sur lesquels les objets extérieurs agissent.

Nous avons appelé faculté vitale, ce qu'Hippocrate et plusieurs médecins anciens et modernes ont appelé nature. Voyez NATURE. Cet article est de M. BOUILLET le père.

* FACULTE, subst. f. (Histoire, Littérature) il se dit des différents corps qui composent une université. Il y a dans l'université de Paris quatre facultés : celle des Arts, celle de Médecine, celle de Jurisprudence, et celle de Theologie. Voyez les articles UNIVERSITE, NATION, DOCTEUR, BACHELIER, LICENTIE, MAITRE-ES-ARTS, GRADUE. etc.