(Métaphysique) durée infinie et incommensurable.

On envisage l'éternité ou la durée infinie, comme une ligne qui n'a ni commencement ni fin. Dans les spéculations sur l'espace infini, nous regardons le lieu où nous existons, comme un centre à l'égard de toute l'étendue qui nous environne ; dans les spéculations sur l'éternité, nous regardons le temps qui nous est présent, comme le milieu qui divise toute la ligne en deux parties égales : de-là vient que divers auteurs spirituels comparent le temps présent à un isthme qui s'élève au milieu d'un vaste océan qui n'a point de bornes, et qui l'enveloppe de deux côtés.

La philosophie scolastique partage l'éternité en deux, celle qui est passée, et celle qui est à venir ; mais tous les termes scientifiques de l'école n'apprennent rien sur cette matière. La nature de l'éternité est inconcevable à l'esprit humain : la raison nous démontre que l'éternité passée a été, mais elle ne saurait s'en former aucune idée qui ne soit remplie de contradictions. Il nous est impossible d'avoir aucune autre notion d'une durée qui a passé, si ce n'est qu'elle a été toute présente une fois ; mais tout ce qui a été une fois présent, est à une certaine distance de nous ; et tout ce qui est à une certaine distance de nous, quelqu'éloigné qu'il sait, ne peut jamais être l'éternité.

La notion même d'une durée qui a passé, emporte qu'elle a été présente une fais, puisque l'idée de celle-ci renferme actuellement l'idée de l'autre. C'est donc là un mystère impénétrable à l'esprit humain. Nous sommes assurés qu'il y a eu une éternité ; mais nous nous contredisons nous-mêmes, dès que nous voulons nous en former quelque idée.

Nos difficultés sur ce point, viennent de ce que nous ne saurions avoir d'autres idées d'aucune sorte de durée, que celle par laquelle nous existons nous-mêmes avec tous les êtres créés ; je veux dire une durée successive, formée du passé, du présent, et de l'avenir. Nous sommes persuadés qu'il doit y avoir quelque chose qui existe de toute éternité, et cependant il nous est impossible de concevoir, suivant l'idée que nous avons de l'existence, qu'aucune chose qui existe puisse être de toute éternité. Mais puisque les lumières de la raison nous dictent et nous découvrent qu'il y a quelque chose qui existe nécessairement de toute éternité, cela doit nous suffire, quoique nous ne le concevions pas.

Or, 1°. il est certain qu'aucun être n'a pu se former lui-même, puisqu'il faudrait alors qu'il eut agi avant qu'il existât, ce qui implique contradiction.

2°. Il s'ensuit de-là qu'il doit y avoir eu quelque être de toute éternité.

3°. Tout ce qui existe à la manière des êtres finis, ou suivant les notions que nous avons de l'existence, ne saurait avoir été de toute éternité.

4°. Il faut donc que cet être éternel soit le grand auteur de la nature, l'ancien des jours, qui se trouvant à une distance infinie de tous les êtres créés, à l'égard de ses perfections, existe d'une toute autre manière qu'eux, et dont ils ne sauraient avoir aucune idée. Article de M(D.J.)

On demande si l'éternité est successive, c'est-à-dire si elle est composée de parties qui coulent les unes après les autres ; ou bien si c'est une durée simple qui exclut essentiellement le passé et l'avenir. Les Scotistes soutiennent le premier sentiment, les Thomistes se sont déclarés pour le second. Chacun de ces deux partis est plus fort en objections qu'en solutions. Tous les chrétiens, disent les Scotistes, demeurent d'accord qu'il n'y a que Dieu qui ait toujours existé ; que les créatures n'ont pas toujours co-existé avec lui, que par conséquent il existait avant qu'elles existassent. Il y avait donc un avant lorsque Dieu existait seul ; il n'est donc pas vrai que la durée de Dieu soit un point indivisible : le temps a donc précédé l'existence des créatures. Par ces conséquences ils croient faire tomber en contradiction leurs adversaires : car si la durée de Dieu est indivisible, sans passé ni avenir, il faut que le temps et les créatures aient commencé ensemble ; et si cela est, comment peut-on dire que Dieu existait avant l'éxistence des créatures ?

On ne prend pas garde, continuent les Scotistes, qu'en faisant l'éternité un instant indivisible, on affoiblit l'hypothèse du commencement des créatures. Comment prouvez-vous que le monde n'a pas toujours existé ? n'est-ce pas par la raison qu'il y avait une nature infinie qui existait pendant qu'il n'existait pas ? Mais la durée de cette nature peut-elle mettre des bornes à celle du monde ? peut-elle empêcher que la durée du monde ne s'étende au-delà de tous les commencements particuliers que vous lui voudriez marquer ? Il s'en faut un point de durée indivisible, me direz-vous, que les créatures ne soient sans commencement ; car selon vous, elles n'ont été précédées que de la durée de Dieu, qui est un instant indivisible. Elles n'ont donc pas commencé, vous répondra-t-on ; car s'il ne s'en fallait qu'un point (je parle d'un point mathématique) qu'un bâton n'eut quatre pieds, il aurait certainement toute l'étendue de quatre pieds. Voilà une instance que l'on peut fonder sur la définition de Boèce, qui dit que l'éternité est interminabilis vitae tota simul et perfecta possessio ; car si l'on ne peut concevoir que tous les membres d'un homme demeurent distincts l'un de l'autre sous l'étendue d'un point mathématique, comment concevra-t-on qu'une durée qui n'a ni commencement ni fin, et qui co-existe avec la durée successive de toutes les créatures, s'est renfermée dans un instant indivisible.

Cette hypothèse fournit une autre difficulté en faveur de ceux qui soutiennent que les créatures n'ont point eu de commencement. Si le décret de la création n'enferme pas un moment particulier, il n'a jamais existé sans la créature ; car on doit concevoir ce decret sous cette phrase : je veux que le monde sait. Il est visible qu'en vertu d'un tel decret le monde a dû exister en même temps que cet acte de la volonté de Dieu. Or puisque cet acte n'a point de commencement, le monde n'en a point aussi. Disons donc que le decret fut conçu en cette manière : je veux que le monde existe en un tel moment. Mais comment pourrons-nous dire cela, si la durée de Dieu est un point indivisible ? Peut-on choisir ce moment-là ou celui-ci plutôt que tout autre, dans une telle durée ? Il semble donc que si la durée n'est point successive, le monde n'ait pu avoir de commencement.

Ce sont-là les principales raisons dont les Scotistes fortifient leur opinion. Voici celles sur lesquelles les Thomistes appuient la leur. 1°. Dans toute succession de durée, disent-ils, on peut compter par mois, années, siècles, etc. Si l'éternité est successive, elle renferme donc une infinité de siècles : or une succession infinie de siècles ne peut jamais être épuisée ni écoulée, c'est-à-dire qu'on n'en peut jamais voir la fin, parce qu'étant épuisée elle ne sera plus infinie. D'où l'on conclut que s'il y avait une éternité successive, ou une succession infinie de siècles jusqu'à ce jour, il serait impossible qu'on fût parvenu jusqu'aujourd'hui, puisque cela n'a pu se faire sans franchir une distance infinie ; et qu'une distance infinie ne peut être franchie, parce qu'elle serait infinie et ne le serait pas.

2°. L'éternité est une perfection essentielle à Dieu, or une perfection essentielle à Dieu peut-elle être successive ? Dieu ne doit-il pas toujours la posséder toute entière ? D'ailleurs, si une perfection essentielle à Dieu pouvait être successive, ou ce serait chaque partie en particulier qui serait cette perfection, ou ce serait la liaison de toutes ces parties successives : or on ne peut soutenir ni l'une ni l'autre de ces deux opinions. Dira-t-on que chaque partie en particulier est cette perfection essentielle ? non sans-doute, parce que chaque partie en particulier étant tantôt présente, tantôt passée, tantôt future, il faudrait dire qu'une perfection essentielle peut éprouver les mêmes changements. Dira-t-on que cette perfection essentielle consiste dans la liaison de toutes ces parties successives ? il faut donc accorder en même temps que Dieu, pendant toute l'éternité, est destitué d'une perfection qui lui est essentielle, parce qu'il ne possède jamais en même temps la liaison de toutes ces parties. Voyez TEMS. Article de M. FORMEY.

Nous rapportons ces objections des Thomistes et des Scotistes, 1° parce qu'elles appartiennent à l'histoire de la Philosophie, qui est l'objet de notre ouvrage : 2° parce qu'elles servent à montrer dans quel labyrinthe on se jete, quand on veut raisonner sur ce qu'on ne conçoit pas.

* ETERNITE, s. f. (Mythologie) divinité des Romains, qui n'a jamais eu de temples ni d'autels. On la représentait sous la figure d'une femme qui tient le soleil d'une main et la lune de l'autre. Elle avait encore pour symbole le phénix, le globe, et l'éléphant.