S. f. (Métaphysique) les Philosophes ont coutume d'appeler propriété d'une chose, ce qui n'est pas son essence, mais ce qui coule et est déduit de son essence. Tâchons à démêler exactement le sens de cette définition, pour y découvrir de nouveau une première vérité qui est souvent méconnue.

Ce qu'on marque dans la définition de la propriété, qu'elle est ce qui coule ou se déduit de l'essence, ne peut s'entendre de l'essence réelle et physique. Supposé, par exemple, ce qu'on dit d'ordinaire, que d'être capable d'admirer soit une propriété de l'homme, cette capacité d'admirer est aussi intime et nécessaire à l'homme dans sa constitution physique et réelle, que son essence même, qui est d'être animal raisonnable ; en sorte que réellement il n'est pas plutôt ni plus véritablement animal raisonnable, qu'il est capable d'admirer ; et autant que vous détruisez réellement de cette qualité capable d'admirer, autant à mesure détruisez-vous de celle-ci animal raisonnable : puisque réellement tout ce qui est animal raisonnable, est nécessairement capable d'admirer ; et tout ce qui est capable d'admirer, est nécessairement animal raisonnable.

La différence de la propriété d'avec l'essence, n'est donc point dans la constitution réelle des êtres, mais dans la manière dont nous concevons leurs qualités nécessaires. Celle qui se présente d'abord et la première à notre esprit, nous la regardons comme l'essence ; et celle qui ne s'y présente pas si-tôt ni si aisément, nous l'appelons propriété.

De savoir, si par divers rapports, ou du-moins par rapport à divers esprits, ce qui est regardé comme essence, ne pourrait pas être regardé comme propriété, c'est de quoi je ne voudrais pas répondre. Il se peut faire aisément que parmi diverses qualités, également nécessaires et unies ensemble dans un même être, l'une se présente la première à certains esprits, et l'autre la première à d'autres esprits. En ce cas, ce qui est essence pour les uns ne sera que propriété pour les autres ; ce qui fera dans le fond une distinction ou une dispute assez inutile. En effet, puisque la qualité qui fait la propriété, et celle qui fait l'essence, se trouvent nécessairement unies, je trouverai également, et que l'essence se conclut de la propriété, et que la propriété se conclut de l'essence ; le reste ne vaut donc pas la peine d'arrêter des esprits raisonnables : en voici un exemple.

Si l'on veut donner pour essence au diamant d'être extraordinairement dur, et pour propriété, de pouvoir résister à de violents coups de marteau, je ne m'y opposerai point : mais s'il me vient à l'esprit de lui mettre pour essence, de résister à de violents coups de marteau, et pour propriété d'être extrêmement dur, quel droit aura-t-on de s'y opposer ? On me dira que c'est qu'on conçoit la dureté dans le diamant avant la disposition de résister au marteau : et moi je dirai que j'ai expérimenté d'abord, et par conséquent que j'ai conçu en premier lieu dans le diamant, la disposition de résister aux coups de marteau ; et que par-là j'en ai conclu sa dureté, laquelle, sous ce rapport, n'est connue qu'en second lieu. Dans cette curieuse dispute, je demande qui aura plus de raison de mon adversaire ou de moi ? De part et d'autre, ce sera une dissertation qui ne peut se terminer sensément qu'en reconnaissant que la propriété est l'essence, et l'essence est la propriété ; puisque au fond être dur et être propre à résister à des coups de marteau, sont absolument la même chose sous deux regards différents.

PROPRIETE, (Droit naturel et Politique) c'est le droit que chacun des individus dont une société civîle est composée, a sur les biens qu'il a acquis légitimement.

Une des principales vues des hommes en formant des sociétés civiles, a été de s'assurer la possession tranquille des avantages qu'ils avaient acquis, ou qu'ils pouvaient acquérir ; ils ont voulu que personne ne put les troubler dans la jouissance de leurs biens ; c'est pour cela que chacun a consenti à en sacrifier une portion que l'on appelle impôts, à la conservation et au maintien de la société entière ; on a voulu par-là fournir aux chefs qu'on avait choisis les moyens de maintenir chaque particulier dans la jouissance de la portion qu'il s'était réservé. Quelque fort qu'ait pu être l'enthousiasme des hommes pour les souverains auxquels ils se soumettaient, ils n'ont jamais prétendu leur donner un pouvoir absolu et illimité sur tous leurs biens ; ils n'ont jamais compté se mettre dans la nécessité de ne travailler que pour eux. La flatterie des courtisans, à qui les principes les plus absurdes ne coutent rien, a quelquefois voulu persuader à des princes qu'ils avaient un droit absolu sur les biens de leurs sujets ; il n'y a que les despotes et les tyrants qui aient adopté des maximes si déraisonnables. Le roi de Siam prétend être propriétaire de tous les biens de ses sujets ; le fruit d'un droit si barbare, est que le premier rebelle heureux se rend propriétaire des biens du roi de Siam. Tout pouvoir qui n'est fondé que sur la force se détruit par la même voie. Dans les états où l'on suit les règles de la raison, les propriétés des particuliers sont sous la protection des lois ; le père de famille est assuré de jouir lui-même et de transmettre à sa postérité, les biens qu'il a amassés par son travail ; les bons rois ont toujours respecté les possessions de leurs sujets ; ils n'ont regardé les deniers publics qui leur ont été confiés, que comme un dépôt, qu'il ne leur était point permis de détourner pour satisfaire ni leurs passions frivoles, ni l'avidité de leurs favoris, ni la rapacité de leurs courtisans. Voyez SUJETS.