adj. (Physique) On appelle corps ferme, celui dont les parties ne se déplacent pas par le toucher. Les corps de cette espèce sont opposés aux corps fluides, dont les parties cedent à la moindre pression ; et aux corps mous, dont les parties se déplacent aisément par une force très-médiocre. Voyez FLUIDE. Les corps fermes sont appelés plus ordinairement corps solides ; cependant ce mot solide ne me parait pas exprimer aussi précisément la propriété dont il s'agit, pour plusieurs raisons : 1°. parce que le mot solide se prend encore en d'autres acceptions ; soit pour désigner les corps géométriques, c'est-à-dire l'étendue considérée avec ses trois dimensions ; soit pour désigner l'impénétrabilité des corps, et pour les distinguer de l'étendue pure et simple, auquel cas solide peut se dire également des corps fluides : 2°. parce que le mot solide se dit en général de tout corps qui n'est pas fluide ; soit que ce corps soit mou, soit qu'il soit dur ; et en ce sens on peut dire de la cire, de la glaise, qu'elle est corps solide, mais on ne dira pas qu'elle est un corps ferme. Le mot ferme me parait donc devoir être préféré dans l'acception présente ; cependant l'usage a prévalu.

La fermeté des corps n'est proprement qu'une dureté plus ou moins grande ; et par conséquent la cause en est aussi inconnue que celle de la dureté. Voyez DURETE. Il faut distinguer la fermeté des corps durs proprement dits, de celle des corps élastiques. Les premiers gardent constamment leur figure, quelque choc qu'ils éprouvent ; les seconds la changent par le choc, mais la reprennent aussi-tôt. Voyez ELASTIQUE, RESSORT, PERCUSSION, etc. (O)

FERME, s. m. (Jurisprudence) dans la basse latinité firma, est un domaine à la campagne, qui est ordinairement composé d'une certaine quantité de terres labourables, et quelquefois aussi de quelques prés, vignes, bois, et autres héritages que l'on donne à ferme ou loyer pour un certain temps, avec un logement pour le fermier, et autres bâtiments nécessaires pour l'exploitation des héritages qui en dépendent.

Quelquefois le terme de ferme est pris pour la location du domaine ; c'est en ce sens que l'on dit donner un bien à ferme, prendre un héritage ou quelque droit à ferme ; car on peut donner et prendre à ferme non-seulement des héritages, mais aussi toutes sortes de droits produisant des fruits, comme dixmes, champarts, et autres droits seigneuriaux, des amendes, un bac, un péage, etc.

Quelquefois aussi par le terme de ferme, on entend seulement l'enclos de bâtiments destinés pour le logement du fermier et l'exploitation des héritages.

Les uns pensent que ce terme ferme vient de firma, qui dans la basse latinité signifie un lieu clos ou fermé : c'est pourquoi M. Ménage observe que dans quelques provinces on appelle enclos, clôture, ou closerie, ce que dans d'autres pays on appelle ferme.

D'autres tiennent que donner à ferme, locare ad firmam, signifiait assurer au locataire la jouissance d'un domaine pendant quelque temps, à la différence d'un simple possesseur précaire, qui n'en jouit qu'autant qu'il plait au propriétaire. On disait aussi donner à main-ferme, dare ad manum firmam ; parce que le pacte firmabatur manu donatorum, c'est-à-dire des bailleurs : mais la main-ferme attribuait aux preneurs un droit plus étendu que la simple ferme, ou ferme muable. La main-ferme était à-peu-près la même chose que le bail à cens, ou bail emphitéotique. Voyez MAIN-FERME et FIEF-FERME.

Spelman et Skinner dérivent le mot ferme du saxon fearme ou feorme, c'est-à-dire victus ou provisions ; parce que les fermiers et autres habitants de la campagne payaient anciennement leurs redevances en vivres et autres denrées ou provisions. Ce ne fut que par la suite qu'elles furent converties en argent ; d'où est venue la distinction qui est encore usitée en Normandie, des simples fermes d'avec les fermes blanches. Les premières sont celles dont la redevance se paye en denrées : les autres, celles qui se paient en monnaie blanche ou argent.

Spelman fait voir que le mot firma signifiait autrefois non-seulement ce que nous appelons ferme, mais aussi un repas ou entretien de bouche que le fermier fournissait à son seigneur ou propriétaire pendant un certain temps et à un certain prix, en considération des terres et autres héritages qu'il tenait de lui.

Ainsi M. Lambard traduit le mot fearm qui se trouve dans les lois du roi Canut par victus, et ces expressions reddere firmam unius noctis, et reddebat unum diem de firma, signifient des provisions pour un jour et une nuit. Dans le temps de la conquête de l'Angleterre par le roi Guillaume, toutes les redevances qu'on se réservait étaient des provisions. On prétend que ce fut sous le règne d'Henri premier que cette coutume commença à changer.

Une ferme peut être louée verbalement ou par écrit, soit sous seing privé, ou devant notaire. Il y a aussi certaines fermes qui s'adjugent en justice, comme les baux judiciaires et les fermes du roi.

L'acte par lequel une ferme est donnée à louage, s'appelle communément bail à ferme. Ce bail ne peut être fait pour plus de neuf années ; mais on peut le renouveller quelque temps avant l'expiration d'icelui. Voyez BAIL.

Celui qui loue sa ferme s'appelle bailleur, propriétaire, ou maître : et celui qui la prend à loyer, le preneur ou fermier. La redevance que paye le fermier s'appelle fermage, pour la distinguer des loyers qui se paient pour les autres biens.

Les gentilshommes laïcs peuvent sans déroger se rendre adjudicataires ou cautions des fermes du roi. Voyez ci-après FERMES DU ROI. Ils peuvent aussi tenir à ferme les terres et seigneuries appartenantes aux princes et princesses du sang.

Mais il est défendu aux gentilshommes et à ceux qui servent dans les troupes du roi, de tenir aucune ferme, à peine de dérogeance pour ceux qui sont nobles, et d'être imposés à la taille.

Les ecclésiastiques ne peuvent aussi sans déroger à leurs privilèges, tenir aucune ferme, si ce n'est celle des dixmes, lorsqu'ils ont déjà quelque droit aux dixmes, parce qu'en ce cas on présume qu'ils n'ont pris la ferme du surplus des dixmes, que pour prévenir les difficultés qui arrivent souvent entre les co-décimateurs et leurs fermiers. Voyez DIXMES.

En Droit, le propriétaire des fermes des champs n'a point de privilège sur les meubles de son fermier appelés invecta et illata, à cause que les fruits lui servent de gage.

Mais la coutume de Paris, article 171, et quelques autres coutumes semblables, donnent au propriétaire un privilège sur les meubles pour les fermes comme pour les maisons.

Le privilège du propriétaire sur les fruits provenant de sa ferme, a lieu non-seulement pour l'année courante, mais aussi pour les arrérages précédents : néanmoins il n'est préféré aux collecteurs que pour une année.

L'héritier du propriétaire ou autre successeur à titre universel, est obligé d'entretenir le bail à ferme passé par son auteur ; le fermier, son héritier ou légataire universel, la veuve du fermier comme commune, sont aussi obligés d'entretenir le bail de leur part : ainsi le vieux proverbe français qui dit que mort et mariage rompent tout louage, est absolument faux.

La vente de l'héritage affermé rompt le bail à ferme, à moins que l'acquéreur ne se soit obligé de laisser jouir le fermier, ou qu'il n'ait approuvé tacitement le bail ; mais en cas de dépossession du fermier, il a son recours contre le propriétaire pour ses dommages et intérêts.

La contrainte par corps peut être stipulée pour les fermes des champs, mais elle ne se supplée point si elle n'y est pas exprimée ; et les femmes veuves ou filles ne peuvent point s'obliger par corps, même dans ces sortes de baux.

Un fermier n'est pas reçu à faire cession de biens, parce que c'est une espèce de larcin de sa part, de consumer les fruits qui naissent sur le fonds sans payer le propriétaire.

On peut faire résilier le bail quand le fermier est deux ans sans payer : il dépend néanmoins de la prudence du juge de donner encore quelque temps. Le fermier peut aussi être expulsé, lorsqu'il dégrade les lieux et les héritages : mais le propriétaire ne peut pas expulser le fermier pour faire valoir sa ferme par ses mains ; comme il peut expulser un locataire de maison pour occuper en personne.

Le fermier doit jouir en bon père de famille, cultiver les terres dans les temps et saisons convenables, les fumer et ensemencer, ne les point dessoler, et les entretenir en bon état, chacune selon la nature dont elles sont ; il doit pareillement faire les réparations portées par son bail.

Il ne peut pas demander de diminution sur le prix du bail, sous prétexte que la récolte n'a pas été si abondante que les autres, quand même les fruits ne suffiraient pas pour payer tout le prix du bail ; car comme il profite seul des fertilités extraordinaires, sans que le propriétaire puisse demander aucune augmentation sur le prix du bail, il doit aussi supporter les années stériles.

Il supporte pareillement seul la perte qui peut survenir sur les fruits après qu'ils ont été recueillis.

Mais si les fruits qui sont encore sur pied sont entièrement perdus par une force majeure, ou que la terre en ait produit si peu qu'ils n'excédent pas la valeur des labours et semences ; en ce cas le fermier peut demander pour cette année une diminution sur le prix de son bail, à moins que la perte qu'il souffre cette année ne puisse être compensée par l'abondance des précédentes ; ou bien, s'il reste encore plusieurs années à écouler du bail, on peut en attendre l'évenement pour voir si les fruits de ces dernières années ne le dédommageront pas de la stérilité précédente ; et en ce cas on peut suspendre le payement du prix de l'année stérile, ou du moins d'une partie, ce qui dépend de la prudence du juge et des circonstances.

S'il était dit par le bail que le fermier ne pourra prétendre aucune diminution pour quelque cause que ce sait, cela n'empêcherait pas qu'il ne put en demander pour raison des vimaires ou forces majeures ; parce qu'on présume que ce cas n'a pas été prévu par les parties : mais si le bail portait expressément que le fermier ne pourra prétendre aucune diminution, même pour force majeure et autres cas prévus ou non-prévus, alors il faudrait suivre la clause du bail.

Dans les baux à maison, c'est-à-dire où le fermier au lieu d'argent rend une certaine portion des fruits, comme la moitié ou le tiers, il ne peut prétendre de diminution sous prétexte de stérilité, n'étant tenu de donner des fruits qu'à proportion de ce qu'il en a recueilli : mais s'il était obligé de fournir une certaine quantité fixe de fruits, et qu'il n'en eut pas recueilli suffisamment pour acquitter la redevance, alors il pourrait obtenir une diminution, en observant néanmoins les mêmes règles que l'on a expliquées ci-devant par rapport aux baux en argent.

Suivant l'article 142 de l'ordonnance de 1629, les fermiers ne peuvent être recherchés pour le prix de leur ferme cinq années après le bail échu : mais cette loi est peu observée, surtout au parlement de Paris ; et il parait plus naturel de s'en tenir au principe général, que l'action personnelle résultante d'un bail à ferme dure 30 ans.

La tacite reconduction pour les baux à ferme, est ordinairement de trois ans, afin que le fermier ait le temps de recueillir de chaque espèce de fruits que doit porter chaque sole ou saison des terres ; ce qui dépend néanmoins de l'usage du pays pour la distribution des terres des fermes.

Le premier bail à ferme étant fini, la caution ne demeure point obligée, soit au nouveau bail fait au même fermier, soit pour la tacite reconduction s'il continue de jouir à ce titre. Perezius, ad. cod. de loc. cond. n. 14. Voyez au ff. le titre locati conducti, et au code celui de locato conducto ; les instit. d'Argou, tom. II. liv. III. ch. xxvij. les maximes journalières, au mot Fermier. (A)

FERME, dans quelques coutumes, signifie l'affirmation ou serment que le demandeur fait en justice pour assurer son bon droit, en touchant dans la main du baîle ou du juge ; c'est proprement juramentum calumniae praestare, affirmer la vérité de ses faits.

Le serment que le demandeur fait de sa part pour attester la vérité de sa demande, est appelé contre-ferme.

Il est parlé de ces fermes et contre-fermes dans les coutumes d'Acqs, tit. XVIe art. 3. 4. et 5. et de Saint-Sever, tit. j. art. 2. 8. 9. 10. 12. 13. 15. 18.

M. de Laurière en sa note sur le mot ferme (gloss. de Ragueau), dit que ces serments se faisaient presque dans chaque interlocutoire ; que le baîle prenait pour chaque ferme et contre-ferme 11 sous 3 den. tournois, ce qui est aboli. (A)

FERME DES AMENDES, est un bail que le Roi ou quelque seigneur ayant droit de justice, fait à quelqu'un de la perception des amendes qui peuvent être prononcées dans le courant du bail. Voyez AMENDES et FERMES DU ROI. (A)

FERME BLANCHE, alba firma ou album ; c'est une ferme dont le loyer se paye en monnaie blanche ou argent, à la différence de celles dont les fermages se paient en blé, ou autres provisions en nature, qu'on appelle simplement fermes. Cette distinction est encore usitée en Normandie.

En Angleterre, ferme blanche était une rente annuelle qui se payait au seigneur suzerain d'une gundred : on l'appelait ainsi, parce qu'elle se payait en argent ou monnaie blanche, et non pas en blé, comme d'autres rentes qu'on appelait par opposition aux premières, le denier noir, black-mail. (A)

FERME d'une, deux, ou trois charrues, est celle dont les terres ne composent que la quantité que l'on peut labourer annuellement avec une, deux, ou trois charrues. Cette quantité de terre est plus ou moins considérable, selon que les terres sont plus ou moins fortes à labourer. Voyez CHARRUE. (A)

FERME DE DROIT, juris firma ; c'était le serment décisoire que l'on déférait à l'accusé ou défendeur ; il en est parlé dans l'ancien for d'Aragon, liv. XII. fol. 16. où il est appelé firma juris, et la réception de ce serment, receptio juris firmae. (A)

FERME-FIEF ou FIEFFE. Voyez ci-après aux mots FIEF et FIEFFE. (A)

FERME GENERALE, est celle qui comprend l'universalité des terres, héritages, et droits de quelqu'un ; elle est souvent composée de plusieurs fermes particulières, et quelquefois de plusieurs sous-fermes. Voyez ci-après FERMES (Finance). (A)

FERME-MAIN, voyez au mot MAIN. (A)

FERME A MOISON, est celle dont le bail est à maison, c'est-à-dire qu'au lieu d'argent pour prix de la ferme, le fermier doit donner annuellement une certaine quantité de grains ; ou autres fruits. Voyez BAIL A MOISON et MOISON. (A)

FERME A MOITIE FRUITS, est celle dont le fermier rend au propriétaire la moitié des fruits en nature, au lieu de redevance en argent. Voyez ci-devant

FERME A MOISON, et ci-après FERME AU TIERS FRANC. (A)

FERME PARTICULIERE, est celle qui ne comprend qu'un seul objet, comme une seule métairie, ou les droits d'une seule seigneurie, ou même quelquefois seulement les droits d'une seule espèce, comme les amendes, etc. elle est opposée à ferme générale, qui comprend ordinairement l'exploitation de tous les héritages ou droits de quelqu'un, du moins dans une certaine étendue de pays. (A)

FERME, (SOUS-) est un bail que le fermier fait à une autre personne, soit de la totalité de ce qui est compris au premier bail, ou de quelqu'un des objets qui en font partie. Voyez ci-apr. FERMES DU ROI. (A)

FERME AU TIERS FRANC, est celle pour laquelle le fermier rend au propriétaire, au lieu de loyer en argent, le tiers des fruits en nature franc de tous frais de labour, semence, récolte, et autres frais d'exploitation. Voyez ci-dev. FERME A MOITIE FRUITS. (A)

FERMES GENERALES DES POSTES et MESSAGERIES DE FRANCE. Voyez au mot POSTES.

FERME, (Economie rustique) Ce mot désigne un assemblage de terres labourables, de prés, etc. unis à une maison composée de tous les bâtiments nécessaires pour le labourage. On donne aussi le nom de ferme à la maison des champs, indépendamment des terres qui y sont attachées.

C'est le dégoût des soins pénibles de l'Agriculture qui a rendu ce mot synonyme avec celui de maison rustique. Presque toutes nos terres sont affermées ; et cette sorte d'abandon vaut encore mieux que les soins peu suivis, et les demi-connaissances que pourraient y apporter la plupart des propriétaires. Les détails de la culture doivent être réservés à ceux qui en font leur unique occupation. L'habitude seule apprend à sentir toutes les convenances particulières ; mais il y en a de générales dont il est également honnête et avantageux au propriétaire d'être instruit. Qui peut avec plus d'intérêt décider de la proportion qui doit être entre les bâtiments et les terres de la ferme, rassembler ou séparer ces terres, choisir un fermier, mesurer le degré de confiance et les égards qu'il mérite ? L'ignorance sur tous ces points expose à être grossièrement trompé, ou même à devenir injuste. Voyez FERMIER.

On n'est que très-rarement dans le cas de bâtir une ferme entière ; les terres que l'on acquiert sont presque toujours attachées à quelques bâtiments déjà faits. Cependant il peut arriver qu'il n'y en ait point, ou qu'ils tombent en ruine, et que l'on soit contraint à une nouvelle construction. Alors la place naturelle de la maison est au milieu des terres qui en dépendent ; leur éloignement augmente les dépenses de la culture ; il y a plus de fatigue et de temps perdu. Cette position n'est cependant à rechercher que dans une plaine où il y a peu d'inégalités. Si les terres sont disposées en coteaux, la maison doit être placée au bas, afin que les voitures chargées de la récolte n'aient qu'à descendre pour arriver aux granges.

Il faut proscrire tout ce qui est inutîle dans les bâtiments d'une ferme, mais se garder encore plus de rien retrancher qui soit nécessaire. Si les granges ne peuvent pas contenir toute la récolte ; s'il n'y a pas assez d'étables pour la quantité de bétail que les terres peuvent nourrir ; si l'on manque de greniers où l'on puisse conserver le grain, lorsqu'il est à vil prix, un bon laboureur ne se chargera pas d'une ferme dans laquelle son industrie serait contrainte. On n'établira cette proportion entre les bâtiments et les terres, qu'en s'instruisant parfaitement de la nature et de la quantité des récoltes qui varient dans les différents pays. Ce qui est nécessaire par-tout, c'est une cour spacieuse, et dans cette cour un lieu destiné au dépôt des fumiers. C'est-là que se prépare la fécondité des terres et la richesse du laboureur.

Il est essentiel que la cour d'une ferme soit défendue des brigands et enfermée de murs ; mais il ne l'est pas moins que les différents bâtiments dont elle est composée soient isolés entr'eux, pour empêcher la communication du feu, en cas d'accident. Cette crainte de l'incendie, et beaucoup d'autres raisons d'utilité doivent engager à placer une maison rustique dans un lieu voisin de l'eau. Il y a même peu d'autres avantages, qui ne doivent être sacrifiés à celui-là.

Chaisir un fermier, serait une chose assez difficile, s'il fallait entrer dans le détail des connaissances qui lui sont nécessaires ; mais il y a des traits marqués auxquels on peut reconnaître celui qui est bon : par exemple, la richesse. Elle dépose en faveur des talents d'un laboureur, et elle répond d'une culture, qui sans elle ne peut être qu'imparfaite.

On regarde assez généralement l'Agriculture comme un art seulement pénible, qui peut être exercé par quiconque a du courage et des forces. On ferait plus de cas des laboureurs, Ve le respect qu'on a pour l'opulence, si l'on savait qu'ils ne peuvent rien sans elle. Pour s'en convaincre, on n'a qu'à regarder ce qu'un homme qui se charge d'une ferme est contraint de dépenser avant de recueillir.

Qu'on prenne pour exemple une ferme de cinq cent arpens de terres labourables. Il faut d'abord monter la ferme en chevaux, en bestiaux, en instruments, et en équipages ; et voici ce qu'il en doit couter.

Nous ne parlons ici que du nécessaire le plus exact. Sans ce préalable la culture serait impossible, ou tout à fait infructueuse. Après cela, voici le détail des frais annuels. Il s'en faut de beaucoup que nous les portions au prix auquel on fixe ordinairement les labours, les fumiers, etc. Nous les évaluons sur les facilités qu'a un fermier de nourrir ses chevaux et son bétail. On sait que les terres se divisent en trois soles égales. Voyez AGRICULTURE.

Il faut donc au moins 27000 liv. d'argent dépensé dans une ferme, telle que nous l'avons dite, avant la première récolte, et elle n'arrive que dix-huit mois après le premier labour ; souvent même elle ne répond pas aux soins du fermier. Quelque habileté qu'ait un laboureur, il n'apprend à exciter toute la fécondité de ses terres, qu'en se familiarisant avec elles. Ainsi il ne doit pas attendre d'abord un dédommagement proportionné à ses avances ; et il ne peut raisonnablement l'espérer, qu'après de nouvelles dépenses et de nouveaux soins.

On voit que le labourage est une entreprise qui demande une fortune déjà commencée. Si le fermier n'est pas assez riche, il deviendra plus pauvre d'année en année, et ses terres s'appauvriront avec lui. Que le propriétaire examine donc quelle est la fortune du fermier qui se présente ; mais qu'il ne néglige pas non plus de s'assurer de ses talents. Il est essentiel qu'ils soient proportionnés à l'étendue de la ferme dont on lui remet le soin.

Un homme ordinaire peut être chargé sans embarras de l'emploi de quatre voitures. Une voiture suffit à cent vingt-cinq arpens de terre d'une qualité moyenne ; et la voiture est composée pour ces terres de trois ou quatre chevaux, selon les circonstances, et la profondeur qu'on veut donner au labour. Nous parlerons ailleurs de la culture à laquelle on emploie des bœufs. Voyez LABOUR.

Une ferme qui n'est composée que de terres labourables, peut souvent tromper, ou du moins ne pas remplir entièrement les espérances de fermier. Il est très-avantageux d'y joindre des prés, des pâturages, des arbres fruitiers, de ces bois plantés dans les haies, dont on élague les branches ; le fourrage et les fruits peuvent servir de dédommagement dans les années médiocres. Le produit des haies dispense le laboureur d'acheter du bois ; et pour le plus grand nombre d'entr'eux, épargner, c'est plus que gagner. Une ferme de cette étendue, et ainsi composée, fournit à un homme intelligent les moyens de développer une industrie qui est toujours plus active en grand, parce qu'elle est plus intéressée. Il résulte delà, que si l'on a deux petites fermes, dont les terres soient contiguës, il est toujours avantageux de les réunir. Elles auront ensemble plus de valeur ; il y aura moins de bâtiments à entretenir, et un fermier vivra seul avec aisance, où deux se seraient peut-être ruinés.

Pour fixer le prix d'une ferme, il faut qu'un propriétaire connaisse bien la nature de ses terres, et qu'il juge des avantages ou des désavantages qui peuvent résulter de leur quantité combinée avec leur mélange. On regarde ordinairement comme une chose fâcheuse d'avoir une telle quantité de terres, qu'elle ne soit pas entièrement proportionnée à un certain nombre de voitures : par exemple, d'en avoir plus que trois voitures n'en peuvent cultiver, et pas assez pour en occuper quatre. Et moi je dis, heureux le bon laboureur qui est dans ce cas-là ! Il aura quatre voitures ; ses labours, ses semailles, le transport de ses fumiers, tout sera fait plus promptement. Si quelques-uns de ses chevaux deviennent malades, rien n'en sera retardé ; et la nécessité le rendant industrieux, il trouvera mille moyens avantageux d'employer le temps superflu de sa voiture.

La nature et l'assemblage des terres ne sont pas les seules choses à considérer avant de se décider sur le prix. Il varie encore dans les différents lieux en proportion de la rareté de l'argent, de la consommation des denrées, de la commodité des chemins, et de l'incertitude des récoltes qui n'est pas égale par-tout. Nous ne pouvons donc rien dire de précis là-dessus, et nous devons nous borner à montrer les objets sur lesquels il faut être attentif.

Les redevances en denrées sont celles qui coutent le moins à la plupart des fermiers. Ils sont plus attachés à l'argent, parce qu'ils en ont moins, que tous les jours ils sont dans le cas d'en dépenser nécessairement, et que d'ailleurs cette sorte de richesse n'est point embarrassante. Les autres réalisent leur argent ; pour eux acquérir de l'argent, c'est réaliser.

Si le propriétaire est en doute sur la valeur juste de ses terres, il est de son intérêt de laisser l'avantage du côté du fermier. L'avarice la plus sujette à manquer son but, est celle qui fait outrer le prix d'une ferme. Elle expose à ne trouver pour fermiers que de ces malheureux qui risquent tout, parce qu'ils n'ont rien à perdre, qui épuisent les terres par de mauvaises récoltes, et sont contraints de les abandonner, après les avoir perdues. L'Agriculture est trop pénible, pour que ceux qui la professent, ne retirent pas un profit honnête de leur attention suivie et de leurs travaux constants. Aussi les fermiers habiles et déjà riches ne se chargent-ils pas d'un emploi sans une espèce de certitude d'y amasser de quoi établir leur famille, et s'assurer une retraite dans la vieillesse. Il n'y a guère que les imprudents auxquels l'agriculture ne procure pas cet avantage, à moins que des accidents extraordinaires et répétés n'altèrent considérablement les récoltes : telles sont une grêle, une rouille généralement répandue sur les blés, etc. C'est alors que le propriétaire est contraint de partager la perte avec son fermier ; mais pour remplir à cet égard ce qu'on doit aux autres et à soi-même, il est nécessaire de bien distinguer ce qu'on ne peut attribuer qu'au malheur d'avec ce qui pourrait venir de la négligence. Il faut des lumières pour être juste et bon. Il est des fermiers pour qui une indulgence poussée trop loin deviendrait ruineuse, sur qui la crainte d'être forcés au payement est plus puissante que l'intérêt même ; race lâche et paresseuse, une exigence dure les oblige à des efforts qui les mènent quelquefois à la fortune.

Il n'est que trop vrai, que dans toute convention faite avec des hommes, on a besoin de précautions contre l'avidité et la mauvaise foi ; il faut donc que le propriétaire prévienne dans les clauses d'un bail, et empêche pendant sa durée l'abus qu'on pourrait faire de sa confiance. Par exemple, dans les lieux où la marne est en usage, le fermier s'oblige ordinairement à marner chaque année un certain nombre d'arpens de terre ; mais si l'on n'y veille pas, il épargnera peut-être sur la quantité de cet engrais durable, et la terre n'en recevra qu'une fécondation momentanée. On stipule souvent, et avec raison, que les pailles ne soient point vendues, mais qu'elles soient consommées par les bestiaux, et au profit des fumiers. Cela s'exécute sans difficulté dans tous les lieux éloignés des villes ; mais par-tout où la paille se vend cher, c'est une convention que le plus grand nombre des fermiers cherche à éluder. Ce n'est pas qu'il n'y ait réellement un plus grand avantage à multiplier les engrais, sans lesquels on ne doit point attendre de grandes récoltes ; mais l'avarice est aveugle, on ne voit que ce qui est près d'elle. La vente actuelle des pailles touche plus ces laboureurs, que l'espérance bien fondée d'une suite de bonnes récoltes. Il faut donc qu'un propriétaire ait toujours les yeux ouverts sur cet objet : il n'en est point de plus intéressant pour lui, puisque la conservation du fonds même de sa terre en dépend ; cependant dans les années et dans les lieux où la paille est à un très-haut prix, on peut procurer à son fermier l'avantage d'en vendre ; mais il faut exiger que la voiture qui porte ce fourrage à la ville, revienne à la ferme chargée de fumier. Cette condition est une de celles sur lesquelles on ne doit jamais se relâcher.

On voit par-là qu'un propriétaire qui a donné ses terres à bail, serait imprudent s'il les regardait comme passées dans des mains étrangères. Une distraction totale l'exposerait à les retrouver après quelques années dans une dégradation ruineuse. L'attention devient moins nécessaire, lorsqu'on a pu s'assurer d'un fermier riche et intelligent ; alors son intérêt répond de ses soins. La mauvaise foi, en Agriculture, est presque toujours un effet de la pauvreté ou du défaut de lumières. Cet homme étant trouvé, on ne peut le conserver avec trop de soin ; ni le mettre trop-tôt dans le cas de compter sur un long fermage ; en prolongeant ses espérances, on lui inspire presque le goût de propriété ; goût plus actif que tout autre, parce qu'il unit la vanité à l'intérêt.

Il ne faut que connaître l'effet naturel de l'habitude, pour sentir qu'une ferme devient chère à un laboureur, à proportion du temps qu'il en jouit, et de ce qu'elle s'améliore entre ses mains. On s'attache à ses propres soins, à ses inquiétudes, aux dépenses qu'on a faites. Tout ce qui a été pour nous l'objet d'une occupation constante, devient celui d'un intérêt vif. Lorsque par toutes ces raisons une ferme est devenue en quelque sorte le patrimoine d'un laboureur, il est certain que le propriétaire pourrait en attendre des augmentations considérables, s'il voulait user tyranniquement de son droit ; mais outre qu'il serait mal d'abuser d'un sentiment honnête imprimé par la nature, on doit encore par intérêt être très-réservé sur les augmentations. Quoique le fermier paraisse se prêter à ce qu'on exige, il est à craindre qu'il ne se décourage ; sa langueur amenerait la ruine de la ferme. Le véritable intérêt se trouve ici d'accord avec l'équité naturelle ; peut-être ce concours est-il plus fréquent qu'on ne croit.

Loin de décourager un fermier par des augmentations rigoureuses, un propriétaire éclairé doit entrer dans des vues d'amélioration, et ne point se refuser aux dépenses qui y contribuent. S'il voit, par exemple, que son fermier veuille augmenter son bétail, qu'il n'hésite pas à lui en faciliter les moyens. C'est ainsi qu'il pourra acquérir le droit d'exiger dans la suite des augmentations qui ne seront point onéreuses au fermier, et qui seront même offertes par lui.

Nous ne saurions trop le répéter, l'Agriculture ne peut avoir des succès étendus, et généralement intéressants, que par la multiplication des bestiaux. Ce qu'ils rendent à la terre par l'engrais, est infiniment au-dessus de ce qu'elle leur fournit pour leur subsistance.

J'ai actuellement sous les yeux une ferme, dont les terres sont bonnes, sans être du premier ordre. Elles étaient il y a quatre ans entre les mains d'un fermier qui les labourait assez bien, mais qui les fumait très-mal, parce qu'il vendait ses pailles, et nourrissait peu de bétail. Ces terres ne rapportaient que trois à quatre septiers de blé par arpent dans les meilleures années. Il s'est ruiné, et on l'a contraint de remettre sa ferme à un cultivateur plus industrieux. Tout a changé de face ; la dépense n'a point été épargnée ; les terres encore mieux labourées qu'elles n'étaient, ont de plus été couvertes de troupeaux et de fumier. En deux ans elles ont été améliorées au point de rapporter dix septiers de blé par arpent, et d'en faire espérer plus encore pour la suite. Ce succès sera répété toutes les fois qu'il sera tenté. Multiplions nos troupeaux, nous doublerons presque nos récoltes en tout genre. Puisse cette utîle persuasion frapper également les fermiers et les propriétaires ! Si elle devenait active et générale, si elle était encouragée, nous verrions bien-tôt l'Agriculture faire des progrès rapides ; nous lui devrions l'abondance avec tous ses effets. On verrait la matière du Commerce augmentée, le paysan plus robuste et plus courageux, la population rétablie, les impôts payés sans peine, l'état plus riche, et le peuple plus heureux. Cet article est de M. LE ROY, lieutenant des chasses du parc de Versailles.

FERMES DU ROI, (Bail des) Finances. En général, une ferme est un bail ou louage que l'on fait d'un fonds, d'un héritage, d'un droit quelconque, moyennant un certain prix, une certaine redevance que l'on paye tous les ans au propriétaire, qui, pour éviter le danger de recevoir beaucoup moins, abandonne l'espérance de toucher davantage, préférant, par une compensation qui s'accorde aussi bien avec la justice qu'avec la raison, une somme fixe et bornée, mais dégagée de tout embarras, à des sommes plus considérables achetées par les soins de la manutention, et par l'incertitude des événements.

Il ne s'agit dans cet article que des droits du Roi, que l'on est dans l'usage d'affermer ; et sur ce sujet on a souvent demandé laquelle des deux méthodes est préférable, d'affermer les revenus publics, ou de les mettre en Régie : le célèbre auteur de l'esprit des lois en a même fait un chapitre de son ouvrage ; et quoiqu'il ait eu la modestie de le mettre en question, on n'aperçoit pas moins de quel côté panche l'affirmative par les principes qu'il pose en faveur de la régie. On Ve les reprendre ici successivement, pour se mettre en état de s'en convaincre ou de s'en éloigner ; et si l'on se permet de les combattre, ce ne sera qu'avec tout le respect que l'on doit au sentiment d'un si grand homme : un philosophe n'est point subjugué par les grandes réputations, mais il honore les génies sublimes et les vrais talents.

Premier principe de M. le président de Montesquieu.

" La régie est l'administration d'un bon père de famille, qui lève lui-même avec économie et avec ordre ses revenus ".

Observations. Tout se réduit à savoir si dans la régie il en coute moins au peuple que dans la ferme ; et si le peuple payant tout autant d'une façon que de l'autre, le prince reçoit autant des régisseurs que des fermiers : car s'il arrive dans l'un ou dans l'autre cas (quoique par un inconvénient différent) que le peuple soit surchargé, poursuivi, tourmenté, sans que le souverain reçoive plus dans une hypothèse que dans l'autre ; si le régisseur fait perdre par sa négligence, ce que l'on prétend que le fermier gagne par exaction, la ferme et la régie ne seront-elles pas également propres à produire l'avantage de l'état, dès que l'on voudra et que l'on saura bien les gouverner ? Peut-être néanmoins pourrait-on penser avec quelque fondement, que dans le cas d'une bonne administration il serait plus facîle encore d'arrêter la vivacité du fermier, que de hâter la lenteur de ceux qui régissent, c'est-à-dire qui prennent soin des intérêts d'autrui.

Quant à l'ordre et à l'économie, ne peut-on pas avec raison imaginer qu'ils sont moins bien observés dans les régies que dans les fermes, puisqu'ils sont confiés, savoir, l'ordre à des gens qui n'ont aucun intérêt de le garder dans la perception ; l'économie à ceux qui n'ont aucune raison personnelle d'épargner les frais du recouvrement : c'est une vérité dont l'expérience a fourni plus d'une fois la démonstration.

Le souverain qui pourrait percevoir par lui-même, serait sans contredit un bon père de famille, puisqu'en exigeant ce qui lui serait dû. il serait bien sur de ne prendre rien de trop. Mais cette perception, praticable pour un simple particulier et pour un domaine de peu d'étendue, est impossible pour un roi ; et dès qu'il agit, comme il y est obligé, par un tiers, intermédiaire entre le peuple et lui, ce tiers, quel qu'il sait, régisseur ou fermier, peut intervertir l'ordre admirable dont on vient de parler, et les grands principes du gouvernement peuvent seuls le rétablir et le réhabiliter. Mais ce bon ordre qui dépend de la bonne administration, ne peut-il pas avoir lieu pour la ferme comme pour la régie, en réformant dans l'une et dans l'autre les abus dont chacune est susceptible en particulier ?

Second principe de M. de Montesquieu.

" Par la régie le prince est le maître de presser ou de retarder la levée des tributs, ou suivant ses besoins, ou suivant ceux de ses peuples ".

Observations. Il l'est également quand ses revenus sont affermés, lorsque par l'amélioration de certaines parties de la recette, et par la diminution de la dépense, il se met en état ou de se relâcher du prix de bail convenu, ou d'accorder des indemnités. Les sacrifices qu'il fait alors en faveur de l'Agriculture, du Commerce et de l'industrie, se retrouvent dans un produit plus considérable des droits d'une autre espèce. Mais ces louables opérations ne sont ni particulières à la régie, ni étrangères à la ferme ; elles dépendent, dans l'un et dans l'autre cas, d'une administration qui mette à portée de soulager le peuple et d'encourager la nation. Et n'a-t-on pas Ve dans des temps d'ailleurs difficiles en France, où les principaux revenus du Roi sont affermés, sacrifier au bien du commerce et de l'état, le produit des droits d'entrée sur les matières premières, et de sortie sur les choses fabriquées ?

Traisième principe de M. de Montesquieu.

" Par la régie le prince épargne à l'état les profits immenses des fermiers, qui l'appauvrissent d'une infinité de manières ".

Observations. Ce que la ferme absorbe en profits, la régie le perd en frais ; en sorte que ce que l'état dans le dernier cas gagne d'un côté, il le perd de l'autre. Qui ne voit un objet que sous un seul aspect, n'a pas tout vu, n'a pas bien Ve ; il faut l'envisager sous toutes les faces. On verra que le fermier n'exigera trop, que parce qu'il ne sera pas surveillé ; que le régisseur ne fera des frais immenses, que parce qu'il ne sera point arrêté : mais l'un ne peut-il pas être excité ? ne peut-on pas contenir l'autre ? C'est aux hommes d'état à juger des obstacles et des facilités, des inconvénients et des avantages qui peuvent se trouver dans l'une et dans l'autre de ces opérations ; mais on ne voit point les raisons de se décider en faveur de la régie, aussi promptement, aussi positivement que le fait l'auteur de l'esprit des lais.

Quatrième principe de M. de Montesquieu.

" Par la régie le prince épargne au peuple un spectacle de fortunes subites qui l'affligent ".

Observations. C'est moins le spectacle de la fortune de quelques particuliers qu'il faut épargner au peuple, que l'appauvrissement de provinces entières ; ce sont moins aussi les fortunes subites qui frappent le peuple, qui l'étonnent et qui l'affligent, que les moyens d'y parvenir, et les abus que l'on en fait. Le gouvernement peut en purifier les moyens, et l'on est puni des abus par le ridicule auquel ils exposent, souvent même par une chute qui tient moins du malheur que de l'humiliation. Ce ne sont pas là des raisons de louer ou de blâmer, de rejeter ou d'admettre la régie ni la ferme. Une intelligence, une industrie active, mais louable, et renfermée dans les bornes de la justice et de l'humanité, peut donner au fermier des produits honnêtes, quoique considérables. La négligence et le défaut d'économie rendent le régisseur d'autant plus coupable de l'affoiblissement de la recette et de l'augmentation de la dépense, que l'on ne peut alors remplir le vide de l'une et pourvoir à l'excédent de l'autre, qu'en chargeant le peuple de nouvelles impositions ; au lieu que l'enrichissement des fermiers laisse au moins la ressource de mettre à contribution leur opulence et leur crédit.

Cinquième principe de M. de Montesquieu.

" Par la régie l'argent levé passe par peu de mains ; il Ve directement au prince ; et par conséquent revient plus promptement au peuple ".

Observations. L'auteur de l'esprit des lois appuie tout ce qu'il dit, sur la supposition que le régisseur, qui n'est que trop communément avare de peines et prodigue de frais, gagne et produit à l'état autant que le fermier, qu'un intérêt personnel et des engagements considérables excitent sans-cesse à suivre de près la perception. Mais cette présomption est-elle bien fondée ? est-elle bien conforme à la connaissance que l'on a du cœur et de l'esprit humain, et de tout ce qui détermine les hommes ? Est-il bien vrai d'ailleurs que les grandes fortunes des fermiers interceptent la circulation ? tout ne prouve-t-il pas le contraire ?

Sixième principe de M. de Montesquieu.

" Par la régie le prince épargne au peuple une infinité de mauvaises lois qu'exige toujours de lui l'avarice importune des fermiers, qui montrent un avantage présent pour des règlements funestes pour l'avenir. ".

Observations. On ne connait en finances, comme en d'autres matières, que deux sortes de lais, les lois faites et les lois à faire ; il faut être exact à faire exécuter les unes, il faut être réservé pour accorder les autres. Ces principes sont incontestables ; mais conviennent-ils à la régie plus qu'à la ferme ? Le fermier, dit-on, Ve trop loin sur les lois à faire ; mais le régisseur ne se relâche-t-il pas trop sur les lois qui sont faites ? On craint que l'ennemi ne s'introduise par la breche, et l'on ne s'aperçoit pas que l'on a laissé la porte ouverte.

Septième principe de M. de Montesquieu.

" Comme celui qui a l'argent est toujours le maître de l'autre, le traitant se rend despotique sur le prince même ; il n'est pas législateur, mais il le force à donner des lois ".

Observations. Le prince a tout l'argent qu'il doit avoir, quand il fait un bail raisonnable et bien entendu : il laissera sans-doute aux fermiers qui se chargent d'une somme considérable, fixe, indépendante des événements par rapport au Roi, un profit proportionné aux fruits qu'ils doivent équitablement attendre et recueillir de leurs frais, de leurs avances, de leurs risques et leurs travaux.

Le prétendu despotisme du fermier n'a point de réalité. La dénomination de traitant manque de justesse : on s'est fait illusion sur l'espèce de crédit dont il jouit effectivement ; il a celui des ressources, et le gouvernement sait en profiter. Il ne sera jamais despotique quand il sera question de faire des lois ; mais il reconnaitra toujours un maître, quand il s'agira de venir au secours de la nation avec la fortune même qu'il aura acquise légitimement.

Huitième principe de M. de Montesquieu.

" Dans les républiques, les revenus de l'état sont presque toujours en régie : l'établissement contraire fut un grand vice du gouvernement de Rome. Dans les états despotiques où la régie est établie, les peuples sont infiniment plus heureux, témoin la Perse et la Chine. Les plus malheureux sont ceux où le prince donne à ferme ses ports de mer et ses villes de commerce. L'histoire des monarchies est pleine de maux faits par les traitants ".

Observations. Ce serait un examen fort long, très-difficile, et peut-être assez inutîle à faire dans l'espèce présente, que de discuter et d'approfondir la question de savoir ce qui convient le mieux de la ferme ou de la régie, relativement aux différentes sortes de gouvernements. Il est certain qu'en tout temps, en tous lieux, et chez toutes les nations, il faudra dans l'établissement des impositions, se tenir extrêmement en réserve sur les nouveautés ; et qu'il faudra veiller dans la perception, à ce que tout rentre exactement dans le trésor public, ou, si l'on veut, dans celui du souverain.

Reste à savoir quel est le moyen le plus convenable, de la ferme ou de la régie, de procurer le plus surement et le plus doucement le plus d'argent. C'est sur quoi l'on pourrait ajouter bien des réflexions à celles que l'on vient de faire ; et c'est aussi sur quoi les sentiments peuvent être partagés, sans blesser en aucune façon la gloire ou les intérêts de l'état. Mais ce que l'on ne peut faire sans les compromettre, ce serait d'imaginer que l'on put tirer d'une régie tous les avantages apparents qu'elle présente, sans la suivre et la surveiller avec la plus grande attention ; et certainement le même degré d'attention mis en usage pour les fermes, aurait la même utilité présente, sans compter, pour certaines conjonctures, la ressource toujours prête que l'on trouve, et souvent à peu de frais, dans l'opulence et le crédit des citoyens enrichis.

Neuvième réflexion de M. de Montesquieu.

" Néron indigné des vexations des publicains, forma le projet impossible et magnanime d'abolir les impôts. Il n'imagina point la régie : il fit quatre ordonnances ; que les lois faites contre les publicains, qui avaient été jusque-là tenues secrètes, seraient publiées ; qu'ils ne pourraient plus exiger ce qu'ils avaient négligé de demander dans l'année ; qu'il y aurait un préteur établi pour juger leurs prétentions, sans formalité ; que les marchands ne payeraient rien pour les navires. Voilà les beaux jours de cet empereur ".

Observations. Il parait par ce trait de Néron, que cet empereur avait dans ses beaux jours le fanatisme des vertus, comme il est depuis tombé dans l'excès des vices.

L'idée de l'entière abolition des impôts n'a jamais pu entrer dans une tête bien saine, dans quelques circonstances qu'on la suppose, de temps, d'hommes, et de lieux.

Les quatre ordonnances qu'il substitua sagement à cette magnanime extravagance, approchaient du moins des bons principes de l'administration. Nous avons sur les mêmes objets plusieurs lois rendues dans le même esprit, et que l'on pourrait comparer à celles-là. S'il arrive souvent que les règlements deviennent illusoires, et que les abus leur résistent, c'est que le sort de la sagesse humaine est de pécher par le principe, par le moyen, par l'objet, ou par l'évenement. Article de M. PESSELIER.

L'impartialité dont nous faisons profession, et le désir que nous avons d'occasionner la discussion et l'éclaircissement d'une question importante, nous a engagés à insérer ici cet article. L'Encyclopédie ayant pour but principal l'utilité et l'instruction publiques, nous insérerons à l'article REGIE, sans prendre aucun parti, toutes les raisons pour et contre qu'on voudra nous faire parvenir sur l'objet de cet article, pourvu qu'elles soient exposées avec la sagesse et la modération convenables.

FERMES, (Cinq grosses), Finances. Lorsque M. Colbert eut formé le projet, bien digne d'un aussi grand génie, et d'un ministre aussi bien intentionné pour le Commerce, d'affranchir l'intérieur du royaume de tous les droits locaux qui donnent des entraves à la circulation, et de porter sur les frontières tout ce qui devait charger ou favoriser, étendre ou restreindre, accélérer ou retarder le commerce avec l'étranger, il trouva dans un plan aussi grand, aussi beau, aussi bien conçu, les obstacles que rencontrent ordinairement dans leur exécution, les entreprises qui contredisent les opinions reçues ; &, ce qui n'est pas moins ordinaire dans ces sortes de cas, il eut à surmonter les oppositions de ceux même qu'il voulait favoriser le plus, en les débarrassant par l'uniformité du droit et par la simplicité de la perception, de tout ce qui peut retarder le progrès d'un commerce fait pour les enrichir, par la facilité de leur communication avec les autres nations.

La plupart des provinces frontières successivement réunies à la couronne, voulurent garder leurs anciennes lois sur l'article des douannes, comme sur plusieurs autres objets. Leurs anciens tarifs, tout embarrassants, tout compliqués, tout arbitraires qu'ils sont, leur devinrent chers dès que l'on voulut les anéantir : elles ne voulurent point recevoir celui qui leur fut proposé ; et par une condescendance aussi sage que tout le reste, M. Colbert ne voulut rien forcer, parce qu'il espérait tout gagner par degrés.

Le tarif de 1664 n'eut donc lieu que dans les provinces de l'intérieur, qui consentirent à l'admettre d'autant plus volontiers, qu'étant de tous les temps sous notre domination, elles tenaient moins à des opinions étrangères au plan général de l'administration.

Ces provinces que l'on désigne et que l'on connait en finances sous la dénomination de provinces de cinq grosses fermes, sont la Normandie, la Picardie, la Champagne, la Bourgogne, la Bresse, le Poitou, le pays d'Aunis, le Berri, le Bourbonnais, l'Anjou, le Maine, Thouars et la châtellenie de Chantoceaux, et leurs dépendances.

On perçait, tant à l'entrée de ces provinces qu'à la sortie, 1°. les droits du tarif de 1664, général pour toutes les marchandises : 2°. ceux du tarif de 1667, qui portent sur certains objets dans lesquels on a cru devoir, depuis le tarif de 1664, faire différents changements ; et les règlements postérieurs, qui ont confirmé, ou interpreté, ou détruit les dispositions des premières lais.

Aux provinces de cinq grosses fermes on oppose celles qui sont connues sous le nom de provinces réputées étrangères, parce qu'en effet elles le sont par rapport aux droits dont il s'agit dans ces articles, quoique d'ailleurs soumises au même souverain.

Ces provinces sont la Bretagne, la Saintonge, la Guienne, la Gascogne, le Languedoc, la Provence, le Dauphiné, le Lyonnais, la Franche-Comté, la Flandre, le Hainault, et les lieux en dépendants.

Dans ces provinces on perçait les droits, 1°. des tarifs propres à chacune en particulier ; car toutes en ont un, quoique la dénomination et la quotité du droit varient, ainsi que la forme de la perception : 2°. les droits du tarif de 1667, qui portent sur des objets si intéressants pour notre commerce, que M. Colbert, lors même qu'il déféra sur tout le reste aux préjugés de ces provinces pour leurs anciens tarifs, ne jugea pas à-propos de les laisser libres sur les articles dont il s'agit dans le tarif de 1667, et dans les règlements qui sont intervenus dans le même esprit.

En faisant topographiquement la comparaison des provinces de cinq grosses fermes et de celles réputées étrangères, on s'apercevra que celles de cinq grosses fermes forment dans l'intérieur du royaume une presqu'île dont les provinces réputées étrangères sont le continent ; et que sans la Normandie, qui a reçu le tarif de 1664, elles formeraient une île toute entière isolée par rapport aux droits du Roi, quoique comprise sous la même dénomination. Voyez TRAITES, où cette matière se trouvera développée d'une façon plus détaillée. Article de M. PESSELIER.

FERME, (à l'Opera) c'est la partie de la décoration qui ferme le théâtre, et c'est de-là qu'elle a pris son nom. La ferme au théâtre de l'opéra de Paris, se place pour l'ordinaire après le sixième châssis : elle est partagée en deux. On pousse à la main chacune de ses deux parties sur deux chevrons de bois qui ont une rainure, et qui sont placés horizontalement sur un plancher du théâtre. Des cordes qui sont attachées à l'un des côtés du mur, et qu'on bande par le moyen d'un tourniquet qui est placé du côté opposé, soutiennent la ferme par en-haut. On donne à ces cordes le nom de bandage.

Cette manière de soutenir la ferme, qui a d'abord paru facile, entraîne plusieurs inconvéniens, et ôte une partie du plaisir que ferait le spectacle. 1°. Les cordes d'un changement à l'autre sont jetées à la main, et troublent presque toujours la représentation. 2°. Elles restent quelquefois après que la ferme a été retirée, et cette vue coupe la perspective et ôte l'illusion. 3°. Le bandage étant d'une très-grande longueur, il ne saurait jamais être assez fort pour que la ferme soit bien stable ; en sorte que pour peu qu'on la touche en passant, elle remue, et parait prête à tomber. Il serait très-aisé de remédier à tous ces inconvéniens, et les moyens sont trouvés depuis longtemps. Une multitude de petites parties de cette espèce trop négligées, diminuent beaucoup le charme du spectacle ; mieux soignées, elles le rendraient infiniment plus agréable. La beauté d'un ensemble dépend toujours de l'attention qu'on donne à ses moindres parties. Voyez MACHINE, DECORATION, etc. (B)

FERME-A-FERME, (Manège) expression par laquelle nous désignons l'action d'un cheval qui manie ou qui saute en une seule même place ; ainsi nous disons, demi-air de ferme-à-ferme, ballotades de ferme-à-ferme, cabrioles de ferme-à-ferme, etc. (e)

FERME, (Charpenterie) est un assemblage de plusieurs pièces de bois, dont les principales sont les arbalêtriers, le poinçon, les esseliers et antraits ; elle fait partie du comble des édifices. Voyez la figure, Planche du Charpentier.

FERME, jeu de la ferme avec des dés, (Jeu de hasard). On se sert dans ce jeu de six dés, dont chacun n'est marqué que d'un côté, depuis un point jusqu'à six ; en sorte que le plus grand coup qu'on puisse faire après avoir jeté les six dés dehors du cornet, est de vingt-un points. Chaque joueur met d'abord son enjeu, ce qui forme une poule ou masse plus ou moins grosse, suivant la volonté des joueurs, dont le nombre n'est point fixé. Ensuite on tire au sort à qui aura le dé, qui passe successivement aux autres joueurs, en commençant à la droite de celui qui a joué le premier, et de-là en-avant. On tire autant de jetons qu'on a amené de points, mais il faut pour cela que la poule les puisse fournir ; car s'il y en a moins que le joueur n'en a amené, il est obligé de suppléer ce qui manque. Si, par exemple, il amène six, et qu'il n'y en ait que deux à la poule, il faut qu'il y en mette quatre, c'est pourquoi il est avantageux de jouer des premiers, quand la poule est bien grasse. Si on fait un coup-blanc, c'est-à-dire si aucun des six dés ne marque, ce qui est assez ordinaire, on met un jeton à la masse, et le dé passe au voisin à droite. Le jeu finit lorsqu'on amène autant de points qu'il y a de jetons à la poule. Quelque rare que soit le coup de vingt-un, je ne laisserai pas d'observer qu'il ferait gagner toute la poule à celui qui aurait eu assez de bonheur pour le faire. Il y a d'autres manières de jouer ce jeu, comme quand un des joueurs devient fermier, c'est-à-dire se charge de la ferme ou poule, qui est pour lors à part. Trév. dict. Mais pour savoir quel est le nombre qu'il y a le plus à parier qu'on amenera avec les six dés, appliquez ici les principes de calcul exposés au mot DE (analyse des hasards). Voyez aussi RAFLE. Article de M(D.J.)

FERME, (Jeu) jeu de cartes qui se joue jusqu'à dix ou douze personnes, et avec le jeu complet de 52 cartes, excepté qu'on en ôte les huit et les six, à la réserve du six de cœur, à cause que par les huit et les six on ferait trop facilement seize, qui est le nombre fatal par lequel on gagne le prix de la ferme, et l'on dépossède le fermier. Le six de cœur qui reste, s'appelle le brillant, par excellence, et gagne par préférence à cartes égales, tous les autres joueurs, et même celui qui a la primauté. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.