S. f. (Physique) terme dont les Philosophes se servent pour exprimer la qualité qui rend un corps opaque, c'est-à-dire impénétrable aux rayons de lumière. Voyez LUMIERE.

Le mot opacité est opposé à DIAPHANEITE. Voyez ce mot.

Qui peut causer l'opacité des corps ? cette question est embarrassante. On a de la peine à comprendre comment un corps aussi dur que le diamant, est tout ouvert à la lumière. Mais on comprend bien moins comment un bois aussi poreux qu'est le liege, n'est pas mille fois plus transparent que le crystal. On n'est pas moins embarrassé à rendre raison pourquoi l'eau et l'huile, qui sont transparentes l'une et l'autre prises à part, perdent leur transparence quand on les bat ensemble : pourquoi le vin de Champagne, qui est brillant comme le diamant, perd son éclat quand les bulles d'air s'y dilatent, et s'y amassent en mousse : pourquoi le papier est opaque quand il n'a dans ses pores que de l'air, qui est naturellement si transparent ; et pourquoi le même papier devient transparent quand on en bouche les pores avec de l'eau ou avec de l'huile. Presque tous les hommes, et bien des philosophes, comme le peuple, sont dans le préjugé qu'un corps opaque est ténébreux, parce qu'il n'admet point la lumière dans ses pores, et que cette lumière paraitrait si elle y passait de part en part : c'est une erreur. Si l'on excepte les premiers éléments dont les corps sont composés, il n'y a peut-être point de corps dans la nature qui ne soit accessible et pénétrable à la lumière. Elle traverse l'eau et les autres liqueurs simples : elle pénètre les petites lames d'or, d'argent et de cuivre désunies, et devenues assez minces pour être en équilibre avec les liquides corrosifs où on les met en dissolution. Les corps qui nous paraissent les plus simples, comme le sable et le sel, sont transparents. Les corps même quelque peu composés, admettent aisément la lumière, à proportion de l'uniformité et du repos de leurs parties. Le verre, le crystal, et surtout le diamant, ne sont guère composés que de beaux sables et de quelques sels plus ou moins fins ; aussi n'apportent-ils pas beaucoup d'obstacles au passage de la lumière. Il n'en est pas de même d'une éponge, d'une ardoise, d'un morceau de marbre. Tous ces corps, que nous appelons opaques, placés entre le soleil et nos yeux, reçoivent à la vérité la lumière comme des cribles ; mais ils la déroutent, ils l'émoussent, et l'empêchent d'arriver sensiblement jusqu'à l'oeil. C'est ce qui Ve être expliqué dans la suite de cet article.

L'opacité d'un corps vient, selon les Cartésiens, de ce que les pores de ce corps ne sont pas droits, ou directement situés les uns au bout des autres, ou plutôt de ce qu'ils ne sont pas perméables partout.

Mais cette opinion n'est pas exempte de difficultés. En effet, quoiqu'on doive accorder que pour qu'un corps soit transparent, il faut que ses pores soient droits, ou au moins perméables dans toute sa longueur ; cependant comment peut-il se faire que non-seulement les verres et les diamants, mais encore l'eau, dont les parties sont si faciles à mettre en mouvement, aient toujours tous leurs pores droits et perméables en tout sens, tandis que le papier et les feuilles d'or sont impénétrables à la lumière, et par conséquent, selon les Cartésiens, doivent manquer de pores droits ? Il faut donc chercher une autre cause de l'opacité.

Tous les corps ont beaucoup plus de pores et de vides qu'il n'est nécessaire pour qu'une infinité de rayons puissent les traverser en ligne droite, sans rencontrer aucune de leurs parties solides. En effet, l'eau est dix-neuf fois plus légère, c'est-à-dire, plus rare que l'or ; et cependant l'or lui-même est si rare que les émanations magnétiques le traversent sans aucune difficulté ; et que le mercure pénètre aisément ses pores, que l'eau même les pénètre par compression : donc il s'ensuit que l'or a plus de pores que de parties solides ; et à plus forte raison l'eau. Voyez PORES.

Ainsi la cause de l'opacité d'un corps ne parait point venir de ce qu'il manque d'un nombre suffisant de pores droits ; mais elle vient, selon les philosophes newtoniens, ou de la densité inégale des parties, ou de la grandeur des pores, qui sont ou vides ou remplis d'une matière différente de celle du corps ; ce qui fait que les rayons de lumière sont arrêtés dans leur passage par une quantité innombrable de réflexions et de réfractions, jusqu'à ce que tombant enfin sur quelque partie solide, ils s'éteignent et s'absorbent. Voyez REFRACTION.

C'est pour cela, selon ces philosophes, que le liege, le papier, le bois, etc. sont opaques, et que les verres et les diamants sont transparents : car dans les confins ou endroits où se joignent les parties semblables en densité, comme sont celles de l'eau, du verre, des diamants, il n'y a ni réflexion, ni réfraction, à cause de l'action égale en tout sens ; mais quand les parties sont inégales en densité, non-seulement entr'elles, mais encore par rapport à l'air, ou au vide qui est dans leurs pores, l'attraction n'étant pas la même en tout sens, les rayons doivent souffrir dans ces pores des réflexions et des réfractions considérables : ainsi ils ne peuvent traverser les corps étant continuellement détournés de leur chemin, et obligés à la fin de s'éteindre.

Si donc un corps n'est composé, comme l'eau ou le diamant, que de parties toujours uniformes, la portion de lumière qui est admise, roule uniformément dans l'épaisseur de ce corps. Mêmes parties par-tout : même arrangement de pores. Ce pli sera le même jusqu'à l'autre extrémité, d'où la lumière pourra sortir sensiblement. Mais si le corps où la lumière entre, est composé de parties fort dissemblables, comme de lames de sable, de limon, d'huile, de feu, de sel et d'air, les ballons et les lames de ces éléments étant de différente densité et de différentes situations, la lumière s'y réfléchit et s'y plie fort diversement. Elle se détourne de la perpendiculaire en entrant dans une parcelle d'air : elle s'approche vers la perpendiculaire en entrant dans une lame de sel. Les différentes obliquittés des surfaces où elle entre de moment en moment, sont une nouvelle source de tortuosité et d'affoiblissement. Il suffit même qu'un corps soit percé d'une grande quantité de trous en tout sens, pour cesser d'être transparent. Les pierres perdent leur transparence à un grand feu qui les crible, parce que la lumière y souffre trop de réflexions et de détours sur tant de nouvelles surfaces toutes différemment inclinées, d'où il arrive qu'elle ne peut passer uniformément au travers, et parvenir à l'oeil du spectateur.

La multiplicité des lames élémentaires qui composent les corps, est la seconde cause de l'opacité, par la diversité des plis qu'elle fait naître dans la lumière. Toutes ces lames prises séparément sont transparentes : mais mêlangées, elles courbent si différemment la lumière, qu'elles en éteignent la direction et le sentiment. C'est ce qui arrive à l'huîle et à l'eau battues ensemble. C'est ce qu'on voit dans le vin de Champagne : lorsqu'on le tire de la cave, et que l'air froid ou comprimé qu'il renferme vient à sentir la chaleur et la communication de l'air extérieur, il se dilate, et soutient la liqueur sur ses ballons élargis, en sorte que la lumière se pliant sans cesse, et tout différemment dans les lames de vin et dans les bulles d'air, elle ne peut plus se faire apercevoir au-travers de la liqueur. C'est tout ensemble la diversité des inclinaisons des surfaces, et la diversité des réfractions qui causent l'opacité dans le papier sec et dans le verre pilé. Il résulte de tous ces exemples, qu'il n'y a point de corps qui ne soit naturellement transparent, et il ne cesse de le paraitre qu'au moment que la lumière s'y déroute et s'y altère, ou dans l'irrégularité des pores, dans la variété des parties, et surtout des fluides qui la plient tout différemment. Cet article est de M. FORMEY, qui l'a tiré en partie du Spectacle de la nature, tome IV.

L'interruption et la discontinuité des parties est donc, selon M. Newton, la cause de l'opacité : c'est pour cela, selon lui, qu'un corps commence à devenir transparent, lorsqu'on remplit ses pores d'une matière ou pareille à celle de ses parties, ou au moins d'une densité égale. Ainsi le papier devient un peu transparent lorsqu'il est imbibé d'eau ou d'huile, la pierre appelée oculus mundi, lorsqu'elle est trempée dans l'eau, etc. Il en est de même de plusieurs autres corps lorsqu'on les trempe dans des fluides qui peuvent pénétrer intimement leurs plus petits pores.

Au contraire les corps les plus transparents peuvent être rendus opaques en vuidant leurs pores, ou en divisant ou séparant les parties qui les composent. Ainsi le papier et l'oculus mundi deviennent opaques en les laissant sécher ; la corne, en la grattant ; le verre, en le pulvérisant, ou en y laissant des pailles ; l'eau-même, quand on y excite des bouteilles ou de l'écume.

A la vérité, pour rendre les corps opaques et colorés, il faut que les interstices de leurs parties ne soient pas moindres que d'une certaine grandeur donnée ; car les corps les plus opaques deviennent transparents, lorsque leurs parties sont considérablement diminuées, comme il arrive aux métaux dissous par les acides. Voyez COULEURS et Chambers.