S. f. (Teinturier) l'orseille est une pâte molle, d'un rouge foncé, qui étant simplement délayée dans l'eau chaude, fournit un grand nombre de nuances : il y en a de deux sortes ; l'une se fabrique en Auvergne ; elle est la moins belle, et se nomme orseille de terre ou d'Auvergne ; l'autre qui est la plus belle, se tire des îles Canaries, ou de celles du cap Verd ; on la nomme orseille d'herbe. Elle est préférable à celle d'Auvergne en ce qu'elle donne tant sur la laine que sur la soie, une couleur beaucoup plus belle et plus vive, résiste mieux aux épreuves du débouilli, contient plus de matière colorante, et faisonne davantage.

L'orseille d'Auvergne, qu'on nomme aussi perelle, se fait avec une espèce de lichen ou mousse très-commune sur les rochers de cette province ; celle des Canaries est le lichen graecus polypoïdes, tinctorius, saxatilis, ou le fucus verrucosus tinctorius de J. Bauhin. L'une et l'autre de ces plantes se préparent avec la chaux et l'urine fermentée, avec lesquelles on les mêle après les avoir pulvérisées : ce mélange prend au bout de quelque temps, par la fermentation, une couleur rouge foncée, et pour lors elle est en état de servir à la teinture. D'autres lichens ou mousses, peuvent être employés aussi avec succès à faire de l'orseille, et M. Hellot enseigne les moyens de reconnaître facilement ceux qui sont propres à cet usage.

L'une et l'autre orseille s'emploient en les délayant dans de l'eau tiede ; on augmente ensuite la chaleur jusqu'à ce que le bain soit prêt à bouillir, et on y plonge l'étoffe, sans autre préparation que d'y tenir plus longtemps celle à laquelle on veut donner une nuance plus foncée. La couleur naturelle de l'orseille est un beau gris-de-lin tirant sur le violet ; mais en donnant précédemment à l'étoffe une couleur bleue plus ou moins foncée, on en tire la couleur de pensée, d'amaranthe, de violet, et de quelques autres semblables. Ces couleurs sont belles, mais elles n'ont aucune solidité ; on tenterait même inutilement de les assurer, en préparant l'étoffe dans le bouillon de tartre et d'alun. Il est vrai qu'on peut tirer de l'orseille une couleur presqu'aussi solide que celles du bon teint, en l'employant comme on fait la cochenille, avec la dissolution d'étain par l'esprit de nitre régalisé ; mais cette couleur ne sera plus celle de l'orseille ; au lieu du gris-de-lin, on aura une couleur semblable à la demi-écarlate ; la chaux d'étain, blanche par elle-même, s'est mêlée avec la matière colorante, et en a éclairci la nuance.

L'orseille des Canaries simplement délayée dans l'eau, et appliquée à froid sur le marbre blanc, lui communique une belle couleur bleue plus ou moins foncée, en la laissant plus ou moins de temps sur le marbre, et en y en remettant à mesure qu'elle se séche ; la couleur devient très-belle en moins de 24 heures, et pénètre très-avant.

Si l'on se sert de l'orseille d'herbe ou des Canaries préparée à l'ordinaire, c'est-à-dire avec la chaux et l'urine, ou quelques autres ingrédiens semblables, la couleur sera plutôt violette que bleue ; mais pour avoir un vrai bleu, il faut qu'elle soit préparée avec du jus de citron, et il n'y a point à craindre que cet acide endommage le marbre, parce qu'il est entièrement émoussé et absorbé, lorsqu'il a été travaillé avec l'orseille assez longtemps pour la faire venir en couleur.

Pour employer cette couleur, il faut que le marbre soit entièrement froid ; on la met avec le pinceau ; mais comme elle s'étend beaucoup, on ne la peut employer qu'à faire de grandes veines qui ne sont pas bien exactement terminées, à-moins qu'elles ne touchent immédiatement des parties colorées avec le sang de dragon ou la gomme gutte ; auquel cas elle s'arrête. On la contient aussi avec la cire, soit colorée, si l'on veut les veines colorées, soit blanche, si l'on veut que les veines demeurent blanches ; ce qui se peut exécuter avec assez de précision.

Si cette couleur a l'inconvénient de s'étendre plus qu'on ne veut, elle a deux avantages très-considérables ; le premier est qu'elle est d'une grande beauté, et même au-dessus de tout ce qui se peut rencontrer naturellement dans le marbre ; l'autre est qu'on peut la passer sur les veines de rouge, de brun, et de jaune, sans qu'elle les endommage, et qu'ainsi elle est extrêmement facîle à employer. Il semble qu'on pourrait soupçonner cette couleur de n'être pas des plus solides, parce que le tournesol et l'orseille changent fort vite, et pâlissent à l'air ; cependant M. du Fay a Ve des morceaux de marbre teints de la sorte depuis plus de deux ans, sans qu'ils aient souffert aucune altération sensible ; au lieu que le safran, le rocou, et quelques autres matières, perdaient en peu de jours une grande partie de leur couleur ; d'où l'on peut conclure, que si cette teinture n'est pas aussi solide que le rouge et le jaune ; elle ne laissera pas de conserver fort longtemps sa beauté et son éclat.

M. du Fay fait encore une observation, c'est que cette couleur qui pénètre extraordinairement le marbre, et quelquefois de plus d'un pouce, le rend un peu plus tendre et plus friable qu'il n'était auparavant, lorsqu'on se sert de la lessive de chaux et d'urine. Cet inconvénient ne mérite aucune attention, lorsqu'on ne veut faire que des taches ou quelques veines bleues ; mais si l'on voulait teindre toute une table de cette couleur, et la rendre extrêmement foncée, en y remettant plusieurs couches, il serait à craindre qu'on ne la rendit par-là plus facîle à rompre en la chargeant ; car il semble à l'expérience que le marbre extrêmement pénétré de cette teinture, se casse plus facilement qu'auparavant : mais cela ne peut arriver dans des pièces solides, comme des cheminées, ou lorsqu'on ne voudra pas les teindre entièrement de cette couleur, ou lorsqu'on n'emploiera que l'orseille simplement dissoute avec l'eau commune. (D.J.)