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Catégorie parente: Arts & métiers
Catégorie : Manufacture en laine
S. f. (Arts, Manufactures, Commerce) poil de beliers, brebis, agneaux et moutons, qui de-là sont appelés bêtes à laine, et quand ce poil coupé de dessus leur corps n'a point encore reçu d'apprêt, il se nomme taison.

La laine est de toutes les matières la plus abondante, et la plus souple ; elle joint à la solidité le ressort et la mobilité. Elle nous procure la plus sure défense contre les injures de l'air. Elle est pour les royaumes florissants le plus grand objet de leurs manufactures et de leur commerce. Tout nous engage à le traiter cet objet, avec l'étendue qu'il mérite.

Les poils qui composent la laine, offrent des filets très-déliés, flexibles et moèlleux. Vus au microscope, ils sont autant de tiges implantées dans la peau, par des radicules : ces petites racines qui vont en divergeant, forment autant de canaux qui leur portent un suc nourricier, que la circulation dépose dans des folécules ovales, composées de deux membranes, l'une est externe, d'un tissu assez ferme, et comme tendineux ; l'autre est interne, enveloppant la bulbe. Dans ces capsules bulbeuses, on aperçoit les racines des poils baignées d'une liqueur qui s'y filtre continuellement, outre une substance moèlleuse qui fournit apparemment la nourriture. Comme ces poils tiennent aux houpes nerveuses, ils sont vasculeux, et prennent dans des pores tortueux la configuration frisée que nous leur voyons sur l'animal.

Mais tandis que le physicien ne considère que la structure des poils qui composent la laine, leur origine, et leur accroissement, les peuples ne sont touchés que des commodités qu'ils en retirent. Ce sentiment est tout naturel. La laine fournit à l'homme la matière d'un habillement qui joint la souplesse à la solidité, et dont le tissu varié selon les saisons, le garantit successivement du souffle glacé des aquilons, et des traits enflammés de la canicule. Ces précieuses couvertures qui croissent avec la même proportion que le froid, deviennent pour les animaux qui les portent, un poids incommode, à mesure que la belle saison s'avance. L'été qui mûrit pour ainsi dire les taisons, ainsi que les moissons, est le terme ordinaire de la récolte des laines.

Les gens du métier distinguent dans chaque taison trois qualités de laine. 1°. La laine mère, qui est celle du dos et du cou. 2°. La laine des queues et des cuisses. 3°. Celle de la gorge, de dessous le ventre et des autres endroits du corps.

Il est des classes de laines, dont l'emploi doit être défendu dans les manufactures ; les laines dites pelades, les laines cottisées ou sallies, les morelles ou laines de moutons morts de maladies ; enfin les peignons et les bourres (on nomme ainsi la laine qui reste au fond des peignes, et celle qui tombe sous la claie). On donne à toutes ces laines le nom commun de jetices et de rebut. S'il est des mégissiers qui ne souscrivent pas à cette liste de laines rejetables, il ne faut pas les écouter.

Il y a des laines de diverses couleurs, de blanches, de jaunes, de rougeâtres et de noires. Autrefois presque toutes les bêtes à laine d'Espagne, excepté celles de la Bétique (l'Andalousie), étaient noires. Les naturels préféraient cette couleur à la blanche, qui est aujourd'hui la seule estimée dans l'Europe, parce qu'elle reçoit à la teinture des couleurs plus vives, plus variées, et plus foncées que celles qui sont naturellement colorées.

Le soin des bêtes à laine n'est pas une institution de mode ou de caprice ; l'histoire en fait remonter l'époque jusqu'au premier âge du monde. La richesse principale des anciens habitants de la terre consistait en troupeaux de brebis. Les Romains regardèrent cette branche d'agriculture, comme la plus essentielle. Numa voulant donner cours à la monnaie dont il fut l'inventeur, y fit marquer l'empreinte d'une brebis, en signe de son utilité, pecunia à pecude, dit Varron.

Quelle preuve plus authentique du cas qu'on faisait à Rome des bêtes à laine, que l'attachement avec lequel on y veillait à leur conservation ? Plus de six siècles après Numa, la direction de tous les troupeaux de bêtes blanches appartenait encore aux censeurs, ces magistrats suprêmes, à qui la charge donnait le droit d'inspection sur la conduite et sur les mœurs de chaque citoyen. Ils condamnaient à de fortes amendes ceux qui négligeaient leurs troupeaux, et accordaient des récompenses avec le titre honorable d'ovinus, aux personnes qui faisaient preuve de quelque industrie, en concourant à l'amélioration de leurs laines. Elles servaient chez eux, comme parmi nous, aux vêtements de toute espèce. Curieux de celles qui surpassaient les autres en soie, en finesse, en mollesse, et en longueur, ils tiraient leurs belles taisons de la Galatie, de la Pouille, surtout de Tarente, de l'Attique et de Milet. Virgile célèbre ces dernières laines dans ses Géorgiques, et leurs teintures étaient fort estimées.

Milesia vellera nymphae

Carpebant.

Pline et Columelle vantent aussi les taisons de la Gaule. L'Espagne et l'Angleterre n'avaient encore rien en ce genre qui put balancer le choix des autres contrées soumises aux conquérants du monde ; mais les Espagnols et les Anglais sont parvenus depuis à établir chez eux des races de bêtes à laine, dont les taisons sont d'un prix bien supérieur à tout ce que l'ancienne Europe a eu de plus parfait.

La qualité de la laine d'Espagne est d'être douce, soyeuse, fine, déliée, et molle au toucher. On ne peut s'en passer, quoiqu'elle soit dans un état affreux de mal-propreté, lorsqu'elle arrive de Castille. On la dégage de ces impuretés en la lavant dans un bain composé d'un tiers d'urine, et de deux tiers d'eau. Cette opération y donne un éclat solide, mais elle coute un déchet de 53 pour cent. Cette laine a le défaut de fouler beaucoup plus que les autres, sur la longueur et sur la largeur des draps, dans la fabrique desquels elle entre toute seule. Quand on la mêle, ce doit être avec précaution, parce qu'étant sujette à se retirer plus que les autres, elle forme dans les étoffes de petits creux, et des inégalités très-apparentes.

Les belles laines d'Espagne se tirent principalement d'Andalousie, de Valence, de Castille, d'Aragon et de Biscaye. Les environs de Sarragosse pour l'Aragon, et le voisinage de Ségovie pour la Castille, fournissent les laines espagnoles les plus estimées. Parmi les plus fines de ces deux royaumes, on distingue la pîle de l'Escurial, celles de Munos, de Mondajos, d'Orléga, de Torre, de Paular, la pîle des Chartreux, celle des Jésuites, la grille et le refin de Ségovie ; mais on met la pîle de l'Escurial au-dessus de toutes.

La laine est le plus grand objet du commerce particulier des Espagnols ; et non-seulement les François en emploient une partie considérable dans la fabrique de leurs draps fins, mais les Anglais eux-mêmes, qui ont des laines si fines et si précieuses, en font un fréquent usage dans la fabrique de leurs plus belles étoffes. On donne des noms aux laines d'Espagne, selon les lieux d'où on les envoie, ou selon leur qualité. Par exemple, on donne le nom commun de Ségovie aux laines de Portugal, de Roussillon et de Léon, parce qu'elles sont de pareille qualité.

La laine de Portugal a pourtant ceci de particulier, qu'elle foule sur la longueur, et non pas sur la largeur des draps où on l'emploie.

Les autres noms de laines d'Espagne, ou réputées d'Espagne, sont l'albarazin grand et petit, les ségéveuses de Moline, les sories ségovianes, et les sories communes. Les laines moliennes qu'on tire de Barcelone, les fleuretonnes communes de Navarre et d'Aragon, les cabésas d'Estramadoure, les petits campos de Séville : toutes ces laines font autant de classes différentes ; les ouvriers connaissent la propriété de chacune.

Les Espagnols séparent leurs laines en fines, moyennes et inférieures. Ils donnent à la plus fine le nom de prime ; celle qui suit s'appelle seconde ; la troisième porte le nom de tierce. Ces noms servent à distinguer la qualité des laines de chaque canton ; et pour cela l'on a soin d'ajouter à ces dénominations le nom des lieux d'où elles viennent ; ainsi l'on dit prime de Ségovie, pour désigner la plus belle laine de ce canton, celle de Portugal, de Roussillon, etc. On nomme seconde ou refleuret de Ségovie, celle de la seconde qualité ; on appelle tierce de Ségovie les laines de la moindre espèce.

L'Angleterre, je comprends même sous ce nom l'Ecosse et l'Irlande, est après l'Espagne le pays le plus abondant en magnifiques laines.

La laine choisie d'Angleterre, est moins fine et moins douce au toucher, mais plus longue et plus luisante que la laine d'Espagne. Sa blancheur et son éclat naturel la rendent plus propre qu'aucune autre à recevoir les belles teintures.

Les deux genres de laines dont nous venons de parler, les laines d'Angleterre et d'Espagne, sont les plus précieuses que la France emploie dans ses manufactures, en les mélangeant avec celles de son cru ; mais ce ne sont pas les seules dont elle ait besoin pour son commerce et sa consommation. Elle est obligée d'en tirer quantité du Levant et des pays du Nord, quelques inférieures en qualité que soient ces dernières laines.

Celles du Levant lui arrivent par la voie de Marseille ; on préfère aux autres celles qui viennent en droiture de Constantinople et de Smyrne ; mais comme les Grecs et les Turcs emploient la meilleure à leurs usages, la bonne parvient difficilement jusqu'à nous. Les Turcs sachant que les François sont friands de leurs laines, fardent et déguisent autant qu'ils peuvent, ce qu'ils ont de plus commun, et le vendent aux Négociants pour de véritables laines de Constantinople et de Smyrne. Celles des environs d'Alexandrie, d'Alep, de l'île de Chypre et de la Morée sont passables ; faute d'autres, on les prend pour ce qu'elles valent, et nos marchands sont souvent trompés, dans l'obligation d'en accaparer un certain nombre de balles pour faire leur charge.

Les laines du Nord, les plus estimées dans nos manufactures, sont celles du duché de Weymar. On en tire aussi d'assez bonnes de la Lorraine et des environs du Rhin. Enfin nos fabriques usent des laines de Hollande et de Flandre, suivant leurs qualités.

Mais il est temps de parler des laines du cru du royaume, de leurs différentes qualités, de leur emploi, et du mélange qu'on en fait dans nos manufactures, avec des laines étrangères.

Les meilleures laines de France sont celles du Roussillon, de Languedoc, du Berry, de Valogne, du Cotentin, et de toute la basse-Normandie. La Picardie et la Champagne n'en fournissent que d'inférieures à celles des autres provinces.

Les taisons du Roussillon, du Languedoc, et de la basse-Normandie, sont sans difficulté les plus riches et les plus précieuses qu'on recueille en France, quoiqu'elles ne soient pas les seules employées. Le Dauphiné, le Limousin, la Bourgogne et le Poitou fournissent aussi de bonnes taisons.

Le Berry et le Beauvaisis sont de tout le royaume les lieux les plus garnis de bêtes à laines ; mais les taisons qui viennent de ces deux pays, différent totalement en qualité. Les laines de Sologne et de Berry sont courtes et douces à manier, au lieu que celles de Beauvais ont beaucoup de rudesse et de longueur ; heureusement elles s'adoucissent au lavage.

On tire encore beaucoup de laines de la Gascogne et de l'Auvergne : Bayonne en produit de deux sortes. La laine qui croit sur les moutons du pays, est plus semblable à de longs poils, qu'à de véritables taisons. La race des brebis flandrines qu'on y a établie depuis près d'un siècle, y a passablement réussi. Elles fournissent des taisons qui surpassent en bonté celles qui nous viennent du Poitou et des marais de Charante.

Toutes ces laines trouvent leur usage dans nos manufactures, à raison de leur qualité. La laine de Roussillon entre dans la fabrique de nos plus beaux draps, sous le nom de Ségovie. Celles du Languedoc décorées du même titre par les facteurs des Fabriquans, servent au même usage. La laine du Berry entre dans la fabrique des draps de Valogne et de Vire ; et c'est aussi avec ces laines que l'on fait les draps qui portent le nom de Berry, de même que les droguets d'Ambaise, en y mêlant un peu de laine d'Espagne. Les laines de Valogne et du Cotentin s'emploient en draps de Valogne et de Cherbourg, et en serges tant finettes que razs de S. Lo. On assortit ces laines avec les belles d'Angleterre.

Les laines de Caux, apprêtées comme il convient, sont propres aux pinchinats de Champagne, que l'on fabrique avec les laines de cette province. L'on en fait des couvertures et des chaînes pour plusieurs sortes d'étoffes, et entr'autres pour les marchandises de Rheims et d'Amiens. Les grosses laines de Bayonne servent aux lisières des draps noirs, en y mêlant quelques poils d'autruche et de chameau.

L'on voit déjà que toutes les qualités de laines ont leur usage, à raison du mérite de chacune. Celles que le bonnetier ou le drapier rejettent comme trop fortes ou trop grossières, le tapissier les assortit pour ses ouvrages particuliers. Dévoilons donc cet emploi de toutes sortes de laines dans nos différentes manufactures.

On peut partager en trois classes les fabriquans qui consument les laines dans leurs ateliers ; ce sont des drapiers drapans, des bonnetiers, et des tapissiers.

La draperie est, comme l'on sait, l'art d'ourdir les étoffes de laine. On range sous cette classe les serges, les étoffes croisées et les couvertures. Le drap est de tous les tissus le plus fécond en commodités, le plus propre à satisfaire le goût et les besoins des nations : aussi consomme-t-il les laines les plus belles et les plus précieuses.

Les ouvrages de bonnetterie s'exécutent sur le métier ou au tricot. Cette dernière façon est la moins couteuse ; elle donne à l'homme une couverture très parfaite, qui forme un tout sans assemblage et sans couture.

Les Tapissiers font servir la laine à mille ouvrages divers ; ils l'emploient en tapisseries soit au métier, soit à l'aiguille, en matelats, en fauteuils, en moètes, etc. On en fait du fil à coudre, des chapeaux, des jarretières, et cent sortes de marchandises qu'il serait trop long d'énoncer ici.

La laine d'Espagne entre dans la fabrique de nos plus beaux draps en usant de grandes précautions pour l'assortir aux laines qui sont du cru de la France. J'ai déjà dit que la laine d'Espagne la plus recherchée, est celle qui vient en droiture de l'Escurial : on l'emploie presque sans mélange avec succès dans la manufacture des Gobelins. La prime de Ségovie et de Villecassin, sert pour l'ordinaire à faire des draps des ratines, et autres semblables étoffes façon d'Angleterre et de Hollande. La ségoviane ou refleuret sert à fabriquer des draps d'Elbœuf ou autres de pareille qualité. La tierce n'entre que dans les draps communs, comme dans ceux de Rouen ou de Darnetal. Les couvertures et les bas de Ségovie ont beaucoup de débit, parce qu'ils sont moèlleux, doux au toucher, et d'un excellent usé.

Cette laine néanmoins malgré son extrême finesse, n'est pas propre à toutes sortes d'ouvrages. Il en est qui demandent de la longueur dans la laine ; par exemple, il serait imprudent d'employer la magnifique laine d'Espagne à former les chaînes des tapisseries que l'on fabrique aux Gobelins : la perfection de l'ouvrage exige que les chaînes avec beaucoup de portée soient fortement tendues, et que leur tissu, sans être épais, soit assez ferme, assez élastique pour résister aux coups et au maniement des ouvriers qui sans-cesse les tirent, les frappent et les allongent.

La laine d'Angleterre est donc la seule que sa longueur rende propre à cet usage. Quel effet ne fait point sur nos yeux l'éclat de sa blancheur ? Elle est la seule qui par sa propreté reçoive parfaitement les couleurs de feu et les nuances les plus vives. On assortit très-bien la laine d'Angleterre à la laine de Valogne et du Cotentin. Elle entre dans la fabrique des draps de Valogne, serges façon de londres, etc. On en fait en bonnetterie des bas de bouchons, et de très-belles couvertures : on la carde rarement ; peignée et filée, elle sert à toutes sortes d'ouvrages à l'aiguille et sur le cannevas.

La plupart des laines du levant ne vaudraient pas le transport si l'on se donnait la peine de les voiturer jusqu'à Paris. On les emploie dans les manufactures de Languedoc et de Provence, à raison de leurs qualités. On fait usage des laines du nord avec la même réserve. Les meilleures taisons de Weymar et les laines d'été de Pologne, servent à la fabrique des petites étoffes de Rheims et de Champagne.

En un mot il n'est aucune espèce de laines étrangères ou françaises que nos ouvriers ne mettent en œuvre, depuis le drap de Julienne, de Van Robais, de Pagnon, de Rousseau, et le beau camelot de Lille en Flandres, jusqu'aux draps de tricot et de Poulangis, et jusqu'au gros bouracan de Rouen. Il n'est point de qualité de laines que nous n'employons et n'apprêtions avec une variété infinie, en étamine, en serge, en voile, en espagnolette, et en ouvrages de tout genre.

Mais, dira quelqu'un, cet étalage pompeux et mercantîle que vous venez de nous faire de l'emploi de toutes sortes de laines, n'est pas une chose bien merveilleuse dans une monarchie où tout se débite ; le bon, le médiocre, le mauvais et le très-mauvais. Il vaudrait bien mieux nous apprendre si l'on ne pourrait pas se passer dans notre royaume des laines étrangères, notamment de celles d'Espagne et d'Angleterre, en perfectionnant la qualité et en augmentant la quantité de nos laines en France. Voilà des objets de discussion qui seraient dignes d'un Encyclopédiste. Eh bien, sans perdre le temps en discours superflus, je vais examiner par des faits si les causes qui procurent aux Espagnols et aux Anglais des laines supérieures en qualité, sont particulières à leur pays, et exclusives pour tout autre.

L'Espagne eut le sort des contrées soumises aux armes romaines, de nombreuses colonies y introduisirent le goût du travail et de l'agriculture. Un riche métayer de Cadix, Marc Columelle (oncle du célèbre écrivain de ce nom), qui vivait comme lui sous l'empire de Claude, et qui faisait ses délices des douceurs de la vie champêtre, fut frappé de la blancheur éclatante des laines qu'il vit sur des moutons sauvages que des marchands d'Afrique débarquaient pour les spectacles. Sur-le-champ il prit la résolution de tenter s'il serait possible d'apprivoiser ces bêtes, et d'en établir la race dans les environs de Cadix. Il l'essaya avec succès ; et portant plus loin ses expériences, il accoupla des béliers africains avec des brebis communes. Les moutons qui en vinrent avaient, avec la délicatesse de la mère, la blancheur et la qualité de la laine du père.

Cependant cet établissement ingénieux n'eut point de suite, parce que sans la protection des souverains, les tentatives les mieux conçues des particuliers sont presque toujours des spéculations stériles.

Plus de treize siècles s'écoulèrent depuis cette époque, sans que personne se soit avisé en Espagne de renouveller l'expérience de Columelle. Les Goths, peuple barbare, usurpateurs de ce royaume, n'étaient pas faits pour y songer, encore moins les Musulmants d'Afrique qui leur succedèrent. Ensuite les Chrétiens d'Espagne ne perfectionnèrent pas l'Agriculture, en faisant perpétuellement la guerre aux Maures et aux Mahométans, ou en se la faisant malheureusement entr'eux.

Dom Pedre IV. qui monta sur le trône de Castille en 1350, fut le premier depuis Columelle, qui tenta d'augmenter et d'améliorer les laines de son pays. Informé du profit que les brebis de Barbarie donnaient à leurs propriétaires, il résolut d'en établir la race dans ses états. Pour cet effet il profita des bonnes volontés d'un prince Maure, duquel il obtint la permission de transporter de Barbarie en Espagne un grand nombre de béliers et de brebis de la plus belle espèce. Il voulut, par cette démarche, s'attacher l'affection des Castillans, afin qu'ils le soutinssent sur le trône contre le parti de ses frères bâtards, et contre Eleonore leur mère.

Selon les règles de l'économie la plus exacte, et selon les lois de la nature, le projet judicieux de Dom Pedre, taillé dans le grand et soutenu de sa puissance, ne pouvait manquer de réussir. Il était naturel de penser qu'en transplantant d'un lieu défavorable une race de bêtes mal nourries, dans des pâturages d'herbes fines et succulentes, où le soleil est moins ardent, les abris plus fréquents, et les eaux plus salutaires, les bêtes transplantées produiraient de nombreux troupeaux couverts de laines fines, soyeuses et abondantes. Ce prince ne se trompa point dans ses conjectures, et la Castille acquit au quatorzième siècle un genre de richesses qui y était auparavant inconnu.

Le cardinal Ximenès, devenu premier ministre d'Espagne au commencement du seizième siècle, marcha sur les traces heureuses de Dom Pedre, et à son exemple, profita de quelques avantages que les troupes de Ferdinand avaient eu sur les côtes de Barbarie, pour en exporter des brebis et des béliers de la plus belle espèce. Il les établit principalement aux environs de Ségovie, où croit encore la plus précieuse laine du royaume. Venons à l'Angleterre.

Non-seulement la culture des laines y est d'une plus grande ancienneté qu'en Espagne, mais elle y a été portée, encouragée, maintenue et perfectionnée avec une toute autre attention.

Si l'Angleterre doit à la température de son climat et à la nature de son sol l'excellente qualité de ses laines, elle commença à être redevable de leur abondance au partage accidentel de ses terres, fait en 830 ; partage qui invita naturellement ses habitants à nourrir de grands troupeaux de toutes sortes de bestiaux. Ils n'avaient d'autre moyen que celui-là pour jouir de leur droit de communes, perpétué jusqu'à nos jours, et ce droit fut longtemps le seul objet de l'industrie de la nation. Ce grand terrain, destiné au paturage, s'augmenta par l'étendue des parcs que les seigneurs s'étaient réservés pour leur chasse, leurs daims et leurs propres bestiaux.

Les Anglais ne connurent pas d'abord toute l'étendue de la richesse qu'ils possédaient. Ils ne savaient dans le onzième et douzième siècle que se nourrir de la chair de leurs troupeaux ; et se couvrir de la taison de leurs moutons ; mais bientôt après ils apprirent le mérite de leurs laines par la demande des Flamands, qui seuls alors avaient des manufactures. Un auteur anglais, M. Daniel Foc, fort instruit des choses de son pays, dit que sous Edouard III. entre 1327 et 1377, c'est-à-dire dans l'espace de 50 ans, l'exportation des laines d'Angleterre monta à plus dix millions de livres sterling, valeur présente 230 millions tournois.

Dans cet intervalle de 1327 et 1377, Jean Kemp, flamand, porta le premier dans la Grande-Bretagne l'art de travailler des draps fins ; et cet art fit des progrès si rapides, par l'affluence des ouvriers des Pays-bas, persécutés dans leur patrie, qu'Edouard IV. étant monté sur le trône en 1461, n'hésita pas de défendre l'entrée des draps étrangers dans son royaume. Richard III. prohiba les apprêts et mauvaises façons qui pouvaient faire tomber le débit des draps anglais, en altérant leur qualité. L'esprit de commerce vint à se développer encore davantage sous Henri VII. et son fils Henri VIII. continua de protéger, de toute sa puissance, les manufactures de son royaume, qui lui doivent infiniment.

C'est lui qui pour procurer à ses sujets les laines précieuses de Castille, dont ils étaient si curieux pour leurs fabriques, obtint de Charles-Quint l'exportation de trois mille bêtes blanches. Ces animaux réussirent parfaitement bien en Angleterre, et s'y multiplièrent en peu de temps, par les soins qu'on mit en œuvre pour élever et conserver cette race précieuse. Il n'est pas inutîle de savoir comment on s'y prit.

On établit une commission pour présider à l'entretien et à la propagation de cette espèce. La commission fut composée de personnes intelligentes et d'une exacte probité. La répartition des bêtes nouvellement arrivées de Castille, leur fut assignée ; et l'événement justifia l'attente du souverain, qui avait mis en eux sa confiance.

D'abord ils envoyèrent deux de ces brebis castillanes, avec un bélier de même race, dans chacune des paroisses dont la température et les paturages parurent favorables à ces bêtes. On fit en même temps les plus sérieuses défenses de tuer ni de mutiler aucun de ces animaux pendant l'espace de sept années. La garde de ces trois bêtes fut confiée à peu-près comme celle de nos chevaux-étalons, à un gentleman ou au plus notable fermier du lieu, attachant à ce soin des exemptions de subsides, quelque droit honorifique ou utile.

Mais afin de tirer des conjonctures tout l'avantage possible, on fit saillir des béliers espagnols sur des brebis communes. Les agneaux qui provinrent de cet accouplement, tenaient de la force et de la fécondité du père à un tiers près. Cette pratique ingénieuse, dont on trouve des exemples dans Columelle, fut habilement renouvellée. Elle fit en Angleterre quantité de bâtards espagnols, dont les mâles communiquèrent leur fécondité aux brebis communes. C'est par cette raison qu'il y a actuellement dans la Grande-Bretagne trois sortes précieuses de bêtes à laine.

Voilà comme Henri VIII. a contribué à préparer la gloire dont Elisabeth s'est couronnée, en frayant à la nation anglaise le chemin qui l'a conduite à la richesse dont elle jouit aujourd'hui. Cette reine considérant l'importance d'assurer à son pays la possession exclusive de ses laines, imposa les peines les plus rigoureuses à l'exportation de tout bélier, brebis ou agneau vivant. Il s'agit dans ses statuts de la confiscation des biens, de la prison d'un an, et de la main coupée pour la première contravention ; en cas de récidive, le coupable est puni de mort.

Ainsi le temps ouvrit les yeux des Anglais sur toutes les utilités qu'ils pouvaient retirer de leurs taisons. Les Arts produisirent l'industrie : on défricha les terres communes. On se mit à enclorre plusieurs endroits pour en tirer un plus grand profit. On les échauffa et on les engraissa, en tenant dessus des bêtes à laine. Ainsi le paturage fut porté à un point d'amélioration inconnu jusqu'alors ; l'espèce même des moutons se perfectionna par l'étude de la nourriture qui leur était la plus propre, et par le mélange des races. Enfin la laine devint la taison d'or des habitants de la Grande-Bretagne.

Les successeurs d'Elisabeth ont continué de faire des règlements très-détaillés sur la police des manufactures de laines, soit pour en prévenir la dégradation, soit pour en avancer les progrès ; mais on dit qu'on ne conserve aujourd'hui ces règlements que par forme d'instruction, et que les Anglais, qui se regardent comme les plus habiles fabriquans du monde, et les plus soutenus par la seule émulation, laissent beaucoup de liberté à leurs manufactures, sans avoir lieu de s'apercevoir encore que leur commerce en soit diminué.

Le seul point sur lequel ils soient un peu sévères, c'est sur le mélange des laines d'une mauvaise qualité dans la tissure des draps larges. Du reste, le gouvernement, pour encourager les manufactures, a affranchi de droits de sortie les draps et les étoffes de lainage. Tout ce qui est destiné pour l'apprêt des laines, a été déchargé sous la reine Anne d'une partie des impositions qui pouvaient renchérir cette marchandise. En même temps le parlement a défendu l'exportation des instruments qui servent dans la fabrique des étoffes de lainerie.

Ces détails prouvent combien le gouvernement peut favoriser les fabriques, combien l'industrie peut perfectionner les productions de la nature ; mais cette industrie ne peut changer leur essence. Je n'ignore pas que la nature est libérale à ceux qui la cultivent, que c'est aux hommes à l'étudier, à la suivre et à l'embellir ; mais ils doivent savoir jusqu'à quel point ils peuvent l'enrichir. On se préserve des traits enflammés du soleil, on prévient la disette, et on remédie aux stérilités des années ; on peut même, à force de travaux, détourner le cours et le lit des fleuves. Mais qui fera croitre le thim et le romarin sur les coteaux de Laponie, qui ne produisent que de la mousse ? Qui peut donner aux eaux des fleuves des qualités médicinales et bienfaisantes qu'elles n'ont pas ?

L'Espagne et l'Angleterre jouissent de cet avantage sur les autres contrées du monde, qu'indépendamment des races de leurs brebis, le climat, les paturages et les eaux y sont très-salutaires aux bêtes à laine. La température et les aliments font sur les animaux le même effet qu'une bonne terre fait sur un arbre qu'on vient d'arracher d'un mauvais terrain, et de transplanter dans un sol favorable : il prospere à vue d'oeil, et produit abondamment de bons fruits.

On éprouve en Espagne, et surtout en Castille, des chaleurs bien moins considérables qu'en Afrique ; le climat y est plus tempéré. Les montagnes de Castille sont tellement disposées, qu'on y jouit d'un air pur et modérement chaud. Les exhalaisons qui montent des vallées, émoussent les rayons du soleil ; et l'hiver n'a point de rigueur qui oblige à renfermer les troupeaux pendant les trois mois de sa durée.

Où trouve-t-on des paturages aussi parfaits que ceux de la Castille et de Léon ? Les herbes fines et odoriférantes, communiquent au sang de l'animal un suc précieux, qui fait germer sur sa peau une infinité de filets, aussi moèlleux, aussi doux au toucher, qu'ils flattent agréablement la vue par leur blancheur, quand la malpropreté ne les a pas encore salies. Ce n'est pas exagérer de dire que l'Espagne a des eaux d'une qualité presque unique. On y voit des ruisseaux et des rivières, dont l'eau opère visiblement la guérison des maladies, auxquelles les moutons sont sujets. Les voyageurs et les Géographes citent entr'autres le Xenil et le Daro, qui tous deux tirent leur source de la Sierra-Nevada, montagne de Grenade. Leurs eaux ont une vertu incisive, qui purifie la laine, et rend la santé aux animaux languissants ; c'est pour cela que dans le pays on nomme ces deux fleuves, le bain salutaire des brebis.

L'Angleterre réunit ces mêmes avantages dans un degré très-éminent. Sa température y est aussi salutaire aux brebis, que l'est celle de l'Espagne ; et on y est bien moins sujet qu'en France, aux vicissitudes des saisons. Comme les abris sont fréquents en Angleterre, et que le froid y est généralement doux, on laisse d'ordinaire les bêtes à laine pâturer nuit et jour dans les plaines ; leurs taisons ne contractent aucune saleté, et ne sont point gâtées par la fiente, ni l'air épais des étables. Les Espagnols ni les François ne sauraient en plusieurs lieux imiter les Anglais dans cette partie à cause des loups ; la race de ces animaux voraces, une fois extirpée de l'Angleterre, ne peut plus y rentrer : ils y étaient le fléau des laboureurs et des bergers, lorsque le roi Edgard, l'an 961, vint à bout de les détruire en trois ans de temps, sans qu'il en soit resté un seul dans les trois royaumes.

Leurs habitants n'ont plus besoin de l'avis de l'auteur des Géorgiques pour la garde de leurs troupeaux.

Nec tibi cura canum fuerit postrema, sed unâ

Veloces Spartae catulo, acremque molossum

Pasce sero pingui ; nunquam custodibus illis

Incursus luporum horrebis.

Les Anglais distinguent autant de sortes de pâturages, qu'ils ont d'espèces de bêtes à laine ; chaque classe de moutons a pour ainsi dire son lot et son domaine. Les herbes fines et succulentes que l'on trouve abondamment sur un grand nombre de coteaux et sur les landes, conviennent aux moutons de la première espèce. N'allez point les conduire dans les grands pâturages, ou la qualité de la laine changerait, ou l'animal périrait ; c'est ici pour eux le cas de suivre le conseil que donnait Virgile aux bergers de la Pouille et de Tarente ; " Fuyez les paturages trop abondants : Fuge pabula laeta. "

Les Anglais ont encore la bonne habitude d'ensemencer de faux seigle les terres qui ne sont propres à aucune autre production ; cette herbe plus délicate que celle des prairies communes, est pour les moutons une nourriture exquise ; elle est l'aliment ordinaire de cette seconde espèce, à qui j'ai donné ci-dessus le nom de bâtards espagnols.

L'ancienne race des bêtes à laine s'est perpétuée en Angleterre ; leur nourriture demande moins de soin et moins de précaution que celle des autres. Les prés et les bords des rivières leur fournissent des pâturages excellents ; leur laine, quoique plus grossière, trouve son emploi, et la chair de ces animaux est d'un grand débit parmi le peuple.

C'est en faveur de cette race, et pour ménager le soin des prairies, qu'on introduisit au commencement de ce siècle l'usage de nourrir ce bétail de navets ou turnipes ; on les seme à peu-près comme le gros seigle dans les friches, et ces moutons naturellement forts, en mangent jusqu'à la racine, et fertilisent les landes sur lesquelles on les tient.

Les eaux en Angleterre ont assez la même vertu que celles d'Espagne ; mais elles y produisent un effet bien plus marqué. Les Anglais jaloux de donner à leurs laines toute la blancheur possible, sont dans la louable coutume de les laver sur pied, c'est-à-dire sur le dos de l'animal. Cette pratique leur vaut un double profit ; les laines tondues sont plus aisées à laver, elles deviennent plus éclatantes, et ne souffrent presque point de déchet au lavage. Voyez LAINE, apprêt des.

Enfin la grande-Bretagne baignée de la mer de toutes parts, jouit d'un air très-favorable aux brebis, et qui diffère à leur avantage de celui qu'elles éprouvent dans le continent. Les paturages qu'elles mangent, et l'air qui les environne, imprégnés des vapeurs salines que les vents y charrient sans-cesse, de quelque part qu'ils soufflent, font passer aux poumons et au sang des bêtes blanches, un acide qui leur est salutaire ; elles trouvent naturellement dans ce climat tout ce que Virgile recommande qu'on leur donne, quand il dit à ses bergers :

At cui lactis amor, cytisum, lotosque frequentes,

Ipse manu, salsasque ferat praesepibus herbas ;

Hinc et amant fluvios magis, et magis ubera tendunt,

Et salis occultum referunt in lacte saporem.

Georg. liv. III. Ve 392.

Il est donc vrai que le climat tempéré d'Angleterre, les races de ses brebis, les excellents paturages où l'on les tient toute l'année, les eaux dont on les lave et dont on les abreuve, l'air enfin qu'elles respirent, favorisent exclusivement aux autres peuples la beauté et la quantité de leurs bêtes à laine.

Pour donner en passant une idée de la multitude surprenante et indéterminée qu'on en élève dans les trois royaumes, M. de Foé assure que les 605, 520 livres que l'on tire par année des moutons de Rumney-marsh, ne forment que la deux-centième partie de la récolte du royaume. Les moutons de la grande espèce fournissent depuis cinq jusqu'à huit livres de laine par taison ; les béliers de ces troupeaux ont été achetés jusqu'à douze guinées. Les laines du sud des marais de Lincoln et de Leicester doivent le cas qu'on en fait à leur longueur, leur finesse, leur douceur et leur brillant : les plus belles laines courtes, sont celles des montagnes de Cotswold en Glocester-Shire.

En un mot, l'Angleterre par plusieurs causes réunies, possède en abondance les laines les plus propres pour la fabrication de toutes sortes d'étoffes, si l'on en excepte seulement les draps superfins, qu'elle ne peut fabriquer sans le secours des taisons d'Espagne. Ses ouvriers savent faire en laine depuis le drap le plus fort ou le plus chaud, jusqu'à l'étoffe la plus mince et la plus légère. Ils en fabriquent à raies et à fleurs qui peuvent tenir lieu d'étoffes de soie, par leur légéreté et la vivacité de leurs couleurs. Ils font aussi des dentelles de laine fort jolies, des rubans, des chemises de flanelle, des fichus et des coèffes de crêpes blancs. Enfin ils vendent de leur lainerie à l'étranger, selon les uns, pour deux ou trois millions, et selon d'autres pour cinq millions sterlings.

Mais sans m'arrêter davantage à ces idées accessoires, qui ne nous intéressent qu'indirectement, et sans m'étendre plus au long sur l'objet principal, je crois qu'il résulte avec évidence de la discussion dans laquelle je suis entré au sujet des laines d'Espagne et d'Angleterre, que trois choses concourent à leur procurer des qualités supérieures qu'on ne peut obtenir ailleurs, la race, les paturages et le climat. J'ajoute même pour surcrait de preuves, que les moutons de Castille et d'Andalousie, transportés dans les belles plaines de Salisbury, n'y donnent pas des laines aussi précieuses, quas baeticus adjuvat aèr.

Je conclus donc avec les personnes les plus éclairées de ce royaume, qu'il est tout à fait impossible à la France de se passer des laines étrangères, et que sans le secours des riches taisons qui lui viennent des îles Britanniques et d'Espagne, les manufactures des Gobelins, d'Abbeville et de Sedan, tomberaient bientôt dans le discrédit, et ne pourraient pas même subsister.

Je suis cependant bien éloigné de penser qu'on ne soit maître en France de perfectionner la qualité, et d'augmenter la quantité des laines qu'on y recueille ; mais ce temps heureux n'est pas près de nous, et trop d'obstacles s'opposent à nous flatter de l'espérance de le voir encore arriver. (D.J.)

LAINES, apprêt des (Economie rustique et Manufactures) ce sont les différentes façons qu'on donne aux laines.

Les laines avant que d'être employées reçoivent bien des façons, et passent par bien des mains. Après que la laine a été tondue, on la lave, on la trie, on l'épluche, on la drousse, on la carde, ou on la peigne suivant sa qualité ; ensuite on la mêle, et on la file. Expliquons toutes ces façons ; j'ai lu d'excellents mémoires qui m'en ont instruit.

1°. Tonte. Les anciens arrachaient leurs laines, ils ne la tondaient pas ; vellus à vellendo. Ils prenaient pour cette opération le temps où la laine se sépare du corps de l'animal ; et comme toute la taison ne quitte pas à la fais, ils couvraient de peaux pendant quelques semaines chaque bête à laine, jusqu'à ce que toute la taison fût parvenue au degré de maturité qu'il fallait, pour ne pas causer à ces bêtes des douleurs trop cuisantes. Cette coutume prévalait encore sous Vespasien dans plusieurs provinces de l'empire ; aujourd'hui elle est avec raison totalement abandonnée.

Quand le temps est venu de décharger les moutons du poids incommode de leur laine, on prend les mesures suivantes. Les laboureurs intelligens préviennent cette opération, en faisant laver plusieurs fois sur pied la laine avant que de l'abattre.

Cette manière était pratiquée chez les anciens ; elle est passée en méthode parmi les Anglais, qui doivent principalement à ce soin l'éclat et la blancheur de leurs laines. Débarrassée du suin et des matières graisseuses qui enveloppaient ses filets, elle recouvre le ressort et la flexibilité qui lui est propre. Les poils detenus jusques-là dans la prison de leur surge, s'élancent avec facilité, se fortifient en peu de jours, prennent du corps, et se rétablissent dans leur état naturel ; au lieu que le lavage qui succede à la coupe, dégage seulement la laine de ses saletés, sans lui rendre sa première qualité et son ancienne consistance.

Pour empêcher que le tempérament de l'animal ne s'altère par le dépouillement de son vêtement, on a soin d'augmenter sa nourriture, à mesure qu'on approche du terme de sa tonte.

Quand l'année a été pluvieuse, il suffit que chaque mouton ait été lavé quelques jours consécutifs, avant celui où on le décharge de sa laine ; mais si l'année a été seche, il faut disposer chaque bête à cette opération, en la lavant quinze jours, un mois auparavant. Cette pratique prévient le déchet de la laine qui est très-considérable, lorsque l'année a été trop seche. On doit préférer l'eau de la mer à l'eau douce, l'eau de pluie à l'eau de rivière ; dans les lieux où l'on manque absolument de ces secours, on mêle du sel dans l'eau qu'on fait servir à ce lavage.

La laine, comme les fruits, a son point de maturité ; on tond les brebis suivant les saisons et selon le climat. Dans le Piémont on tond trois fois l'année, en Mai, en Juillet et en Novembre ; dans les lieux où l'on tond deux fois l'an, la première coupe des laines se fait en Mars, la seconde en Aout ; les taisons de la seconde coupe sont toujours inférieures en qualité à celles de la première. En France on ne fait communément qu'une tonte par an, en Mai ou en Juin ; on tond les agneaux en Juillet.

Si dans le grand nombre il se rencontre quelque bête qui soit attaquée de maladie, il faut bien se garder de la dégarnir, la laine en serait défectueuse, et l'on exposerait la vie de l'animal.

Après avoir pris toutes les mesures que je viens d'exposer, il serait imprudent de fixer tellement un jour pour abattre les laines, qu'on ne fût plus maître de différer l'opération, supposé qu'il survint quelque intempérie ; il faut en général choisir un temps chaud, un ciel serein, qui semble promettre plusieurs belles journées consécutives. N'épargnez rien pour avoir un tondeur habîle ; c'est un abus commun à bien des laboureurs de faire tondre leurs bêtes par leurs bergers, et cela pour éviter une légère dépense, qu'il importe ici de savoir sacrifier, même dans l'état de pauvreté.

C'est une bonne coutume que l'on néglige dans bien des endroits, de couvrir d'un drap l'aire où l'on tond la laine ; il faut que le lieu soit bien sec et bien nettoyé. Chaque robe de laine abattue doit être repliée séparément, et déposée dans un endroit fort aéré. On laisse la laine en pîle le moins de temps qu'il est possible ; il convient de la porter sur le champ au lavage, de peur que la graisse et les matières hétérogènes dont elle est imprégnée, ne viennent à rancir et àmoisir, ce qui ne manquerait pas d'altérer considérablement sa qualité.

Une tonte bien faite est une préparation à une pousse plus abondante. On lave les moutons qu'on a tondus ; afin de donner à la nouvelle laine un essor plus facîle ; alors comme avant la tonte, l'eau de la mer est préférable à l'eau douce pour les laver, l'eau de pluie et l'eau salée, à l'eau commune des ruisseaux et des fleuves.

Les forces, en séparant les filets de leurs tiges, laissent à chaque tuyau comme autant de petites blessures, que l'eau salée referme subitement. Les anciens au lieu de laver leurs bêtes après la tonte, les frottaient de lie d'huîle ou de vin, de vieux-oint, de soufre, ou de quelqu'autre liniment semblable ; et je crois qu'ils faisaient mal, parce qu'ils arrêtaient la transpiration.

La première façon que l'on donne à la taison qui vient d'être abattue, c'est de l'émécher ; c'est-à-dire de couper avec les forces l'extrémité de certains filets, qui surpassent le niveau de la taison ; la qualité de ces filets excédents, est d'être beaucoup plus grossiers, plus durs et plus secs que les autres ; leur mélange serait capable de dégrader toute la taison.

2°. Lavage. La laine en surge porte avec elle un germe de corruption dans cette crasse, qu'on nomme aesipe, quand elle est détachée de la laine. Elle provient d'une humeur onctueuse, qui en sortant des pores de l'animal, facilite l'entrée du suc nourricier dans les filets de la taison ; sans cette matière huileuse qui se reproduit continuellement, le soleil dessécherait le vêtement de la brebis, comme il seche les moissons ; et la pluie qui ne tient pas contre cette huîle séjournant dans la taison, pourrirait bientôt la racine de la laine.

Cette secrétion continuelle des parties graisseuses forme à la longue un sédiment, et de petites croutes qui gâtent la laine, surtout pendant les temps chauds.

On lave les laines depuis le mois de Juin jusqu'à la fin d'Aout ; c'est le temps le plus favorable de toute l'année, outre qu'il suit immédiatement l'opération de la tonte, il a encore cet avantage, que l'eau adoucie et attiédie en quelque sorte par la chaleur des rayons du soleil, détache et emporte plus facilement les malpropretés qui sont comme adhérentes à la laine.

Plus on diffère le lavage des laines ; plus le déchet est considérable ; il est souvent de moitié ; les laines de Castille perdent cinquante-trois pour cent. Ce déchet suit cependant un peu les années ; l'altération est plus forte quand il n'a pas plu vers le temps de la coupe, que quand la saison a été pluvieuse. Le moyen le plus sur d'éviter le déchet, où de le diminuer beaucoup lorsque la saison a été séche, c'est de laver la laine à dos plusieurs semaines ; et même des mois entiers avant le temps de la tonte.

Je ne puis ici passer sous silence deux abus qui intéressent la qualité de nos laines ; l'un regarde les laboureurs, l'autre concerne les bouchers.

C'est une nécessité indispensable aux premiers de distinguer leurs moutons par quelque marque. Deux troupeaux peuvent se rencontrer et se mêler ; on peut enlever un ou plusieurs moutons ; la marque décele le larcin ; enfin les pâturages de chaque ferme ont des limites, et cette marque est une condamnation manifeste pour le berger qui conduit son troupeau dans un territoire étranger. Ce caractère est donc nécessaire, l'abus ne consiste que dans la manière de l'appliquer. Nos laboureurs de l'Ile de France et de la Picardie, plaquent ordinairement sans choix des couleurs trempées dans l'huile, sur la partie la plus précieuse de la taison, sur le dos ou sur les flancs ; ces marques ne s'en vont point au lavage ; elles restent ordinairement collées et adhérentes à la taison, et souvent les éplucheurs négligent de séparer de la laine les croutes qu'elles forment, parce que cette opération demande trop de temps. Que suit-il de-là ? Ces croutes passant dans le fil et dans les étoffes qu'on en fabrique, les rendent tout à fait défectueuses ; il est un moyen fort simple d'obvier à cet abus. On peut marquer les moutons à l'oreille par une marque latérale, perpendiculaire ou transversale, et ces marques peuvent varier à l'infini, en prenant l'oreille gauche ou l'oreille droite, ou les deux oreilles, etc.

Si cependant la nature du lieu demandait un signe plus apparent, on pourrait marquer les moutons à la tête comme on fait en Berri ; la taison par ce moyen ne souffre aucun dommage.

L'autre abus ne concerne que les pélades, mais il ne mérite pas moins notre attention. Les bouchers, au lieu de ménager les taisons des peaux qu'ils abattent, semblent mettre tout en œuvre pour les salir ; ils les couvrent de graisse et de tout ce qu'il y a de plus infect. Il est d'autres détails qu'il ne serait pas amusant de lire ni d'exposer, et que la police pourrait facilement proscrire, sans nuire à ces sortes ne gens, qui d'ailleurs sont les derniers de la lie des hommes ; l'on épargnerait par-là de la peine aux mégissiers, et cette laine dans son espèce, serait d'une meilleure qualité.

On lave la laine par tas dans l'eau dormante, à la manne dans l'eau courante, et dans des cuves pleines d'eau de rivière. Les laines trop malpropres et difficiles à décrasser (comme celles d'Espagne) se dégorgent dans un bain composé d'un tiers d'urine, et de deux tiers d'eau ; ce serait je pense la meilleure méthode pour toutes nos laines.

Toutes les rivières ne sont pas également propres au lavage. Les eaux de Beauvais ont une qualité excellente, on pourrait en tirer parti mieux qu'on ne fait, en établissant dans cette ville une espèce de buanderie générale pour les laines du pays. Quand la laine a passé par le lavage, on la met égoutter sur des claies.

Les manufacturiers doivent se précautionner, s'il est possible, contre un grand nombre de supercheries frauduleuses. Par exemple, quand l'année a été séche. les Laboureurs ou les Marchands qui tiennent les laines de la première main, les font mal laver, afin d'éprouver moins de déchet. Qu'arrive-t-il alors ? Pour empêcher la graisse et les ordures de paraitre, ils fardent les taisons qu'ils blanchissent avec de la craye, ou d'autres ingrédiens qu'ils imaginent. Les suites de cette manœuvre ne peuvent être que très-funestes, soit au fabriquant, soit au public. Si l'on emploie la laine comme on l'achète, l'étoffe n'en vaut rien, les vers et les mites s'y mettent au bout de peu de temps, et l'acheteur perd son drap. Si le fabriquant veut rendre à la laine sa qualité par un second lavage, il lui en coute sa façon et un nouveau déchet. Il serait à souhaiter qu'on travaillât sérieusement à la suppression de ces abus.

3°. Triage. Après que la laine a été lavée, on la trie, on l'épluche, on la drousse, on la peigne, ou on la corde suivant sa longueur, on la mêle et on la file.

Le triage des laines consiste à distinguer les différentes qualités, à séparer la mere-laine, qui est celle du dos, d'avec celle des cuisses et du ventre, qui ne sont pas également propres à toutes sortes d'ouvrages. On peut encore entendre par ce terme, le partage du bon d'avec le moindre, et du médiocre d'avec le mauvais.

Les Marchands qui achetent les laines de la première main, se chargent ordinairement du soin de les trier, après les avoir fait laver. Les laines lavées, qui ne sont pas triées, se vendent par taisons ; celles qui sont triées, ne se vendent plus qu'au poids. Les bons fabriquans pensent qu'il y a plus d'avantages à acheter les laines toutes triées qu'en taison ; mais cette opinion n'est fondée que sur la mauvaise foi des vendeurs, qui fardent leurs taisons, en roulant le plus fin par-dessus, et en renfermant au-dedans le plus mauvais.

Les Espagnols ont une pratique contraire, surtout les Hyéronimites, possesseurs de la fameuse pîle de l'Escurial. Ces religieux vendent leur pile, non seulement sans séparer la qualité des taisons, mais ils y joignent aussi ce qu'ils nomment laine des agreges ; qui viennent des lieux circonvoisins de l'Escurial.

La bonne foi et la sûreté du commerce étant rétablies, ce dernier parti me paraitrait préférable à celui que prennent nos fabriquans ; et le public et le chef de manufacture y gagneraient pareillement ; celui-ci serait plus maître de l'assortiment de ses laines, et le public aurait des étoffes plus durables.

Il y aurait ici cent choses à observer au sujet des fraudes et des ruses, qui se perpétuent journellement, tant dans le lavage, que dans le triage des laines ; mais le sordide amour du gain n'est-il pas capable de tout ?

4°. Epluchement. La négligence des éplucheurs occasionne les nœuds et les grosseurs qui se rencontrent dans les étoffes.

Les corps étrangers que l'on sépare de la laine en l'épluchant, sont, ou des ordures qui s'insinuent dans la taison, pendant qu'elle est encore sur le dos de l'animal, ou des molécules de suin qui se durcissent, ou enfin des paillettes, et diverses petites matières qui s'attachent aux taisons lavées, lorsqu'on les étend au soleil pour les faire sécher sans drap dessous, sans soin et sans attention.

Cette façon comprend encore ce que l'on appelle écharpir, ou écharper la laine, ce qui consiste à déchirer et à étendre les flocons de laine qui sont trop compactes. Cette méthode a l'avantage de dévoiler les imperfections de la portion qu'on épluche, et de préparer la laine à être plus facilement droussée.

5°. Le Droussage. Drousser, ou trousser la laine, c'est l'huiler, l'imbiber d'huîle d'olive ou de navette, pour la carder. Je ne puis m'étendre autant que je le voudrais sur les moyens qui sont les plus expédiens pour bien huiler la laine ; je dirai seulement en passant, qu'il est plus à propos d'asperger la laine, que de l'arroser ; de l'huiler par petites portions, que par tas et en monceau.

6°. Cardage et peignage. La longue laine se peigne, la courte se carde. Les cardeurs ont deux excès à éviter ; l'un de trop carder, l'autre de carder moins qu'il ne faut.

Ceux qui cardent trop légérement laissent dans la portion de la laine qu'ils façonnent, de petits flocons plus durs que le reste de la cardée. La laine ainsi préparée, donne un fil inégal et vicieux. Les cardeurs qui ont la main pesante, brisent la laine ; les filets ou coupés ou brisés, ne donnent plus une trême de même consistance, l'étoffe a moins de force. Cette façon, qui est des plus essentielles, est fort négligée dans nos manufactures ; la paye modique qu'on donne aux ouvriers, leur fait préferer la méthode la plus expéditive à la meilleure.

7°. Mélange. Mêler, assortir, ou rompre la laine, c'est faire le mélange des laines de différentes qualités, que l'on veut employer à la fabrique des draps. Nos fabriquans français étant obligés depuis longtemps d'employer toutes sortes de laines pour fournir à la consommation, ont acquis une grande habileté dans l'art de mêler et d'allier les laines du royaume avec celles de leurs voisins.

8°. Filage. Filer la laine c'est réduire en fil les portions que le cardeur ou le peigneur ont disposées à s'étendre et à s'unir ensemble, pour ne former qu'un seul tissu long, étroit, et délié. Le fileur doit se précautionner contre deux défauts bien communs ; l'un de trop tordre son fil, ce qui lui ôte de sa force, et fait fouler le drap ; l'autre de donner un fil inégal, en le filant plus gros dans un endroit que dans l'autre. Il semble qu'on ne peut éviter ces deux défauts que par l'invention de machines qui tordent le fil au point qu'on le désire en le filant également. Voyez l'article suivant sur la main-d'œuvre de toutes ces opérations. (D.J.)

LAINE, (Matière médicale) laine de bélier ou de brebis. La laine sale, grasse, imprégnée de la sueur de l'animal, ou d'oesipe (voyez OESIPE), était d'un grand usage chez les anciens. Hippocrate la faisait appliquer sur les tumeurs après l'avoir fait carder, tremper dans de l'huîle et dans du vin. Celse et Dioscoride célebrent aussi beaucoup de pareilles applications, et même pour des maladies internes, telles que l'inflammation de l'estomac, les douleurs de tête, etc.

Dioscoride préfère celle du cou et des cuisses, comme étant plus chargée d'oesipe.

Dioscoride décrit aussi fort au long une espèce de calcination fort mal entendue de la laine, et surtout de la laine teinte en couleur de pourpre, qu'il prétend être un excellent ophtalmique après avoir essuyé cette calcination.

Heureusement la laine et ses préparations ne grossissent plus la liste des inutilités pharmaceutiques assez énormes sans cela ; car on ne compte pour rien l'action de la laine dans l'application des flanelles imbibées de différentes liqueurs, qui est en usage aujourd'hui. Il est évident qu'elle ne fait proprement dans ce cas que la fonction de vaisseau, c'est-à-dire d'instrument retenant le remède sur la partie affectée.

Les vêtements de laine, et même ceux qu'on applique immédiatement sur la peau (ce qui est une pratique fort salutaire dans bien des cas, voyez TRANSPIRATION), ne doivent aussi leurs effets qu'à la propriété très-commune de couvrir le corps mollement et exactement, et par conséquent ces effets ne dépendent point de la laine comme telle, c'est-à-dire de ses qualités spécifiques. Voyez VETEMENT. (b)

LAINE, MANUFACTURE EN LAINE, ou DRAPERIE, (Art mécanique) la laine habille tous les hommes policés. Les hommes sauvages sont nuds, ou couverts de la peau des animaux. Ils regardent en pitié les peines que nous prenons pour obtenir de notre industrie un secours moins sur et moins prompt que celui que la bonté de la nature leur offre contre l'inclémence des saisons. Ils nous diraient volontiers : Tu as apporté en naissant le vêtement qu'il te faut en été, et tu as sous ta main celui qui t'est nécessaire en hiver. Laisse à la brebis sa taison. Vais-tu cet animal fourré. Prend ta flèche, tue-le, sa chair te nourrira, et sa peau te vêtira sans apprêt. On raconte qu'un sauvage transporté de son pays dans le nôtre, et promené dans nos ateliers, regarda avec assez d'indifférence tous nos travaux. Nos manufactures de couvertures en laine parurent seules arrêter un moment son attention. Il sourit à la vue de cette sorte d'ouvrage. Il prit une couverture, il la jeta sur ses épaules, fit quelques tours ; et rendant avec dédain cette enveloppe artificielle au manufacturier : en vérité, lui dit-il, cela est presqu'aussi bon qu'une peau de bête.

Les manufactures en laine, si superflues à l'homme de la nature, sont les plus importantes à l'homme policé. Aucunes substances, pas même l'or, l'argent et les pierreries, n'occupent autant de bras que la laine. Quelle quantité d'étoffes différentes n'en fabriquons-nous pas ! nous lui associons le duvet du castor, le ploc de l'autruche, le poil du chameau, celui de la chèvre, etc.

Quoique la plupart de ces poils soient très-liants, on n'en forme point une étoffe sans mélange ; ils fouleraient mal.

Si l'on unit la vigogne et le duvet du castor dans une étoffe, elle en aura l'oeil plus brillant. On appelle vigogne la laine de la brebis du Pérou.

Le ploc de l'autruche, le poil du chameau, celui de la chèvre, sont des matières fines, mais dures ; elles n'entrent que dans des étoffes qu'on n'envoie point à la foule, telles que les camelots et autres dont nous faisons nos vêtements d'été. Ces matières ne fournissent donc qu'une très-petite partie de ce qu'on appelle étoffe de laine.

La laine de la brebis commune est seule l'objet du travail le plus étendu, et du commerce le plus considérable.

Entre les laines, on place au premier rang celles d'Espagne ; après celles-ci, on nomme les laines d'Angleterre ; les laines de France sont les dernières. La Hollande en produit aussi d'assez belles ; mais on ne les emploie qu'en étoffes légères, parce qu'elles ne foulent pas.

On distingue trois qualités dans les laines d'Espagne ; les léonaises, ou sorices ou ségovies ; les belchites ou campos di Riziedos, et les navarraises.

On divise les deux premières sortes seulement en trois qualités, qu'on appelle prime, seconde et tierce.

Dans les laines d'Angleterre et de Hollande, il y a le bouchon et la laine commune. Ces bouchons ne vont qu'au peigne, le reste passe à la carde.

Les meilleures laines de France sont celles du Berry. On nomme ensuite les laines du Languedoc. Quelques autres provinces fournissent encore des laines fines. Le reste est commun, et ne se travaille qu'en étoffes grossières.

Travail préliminaire de la laine. Toutes les laines en général doivent être lavées et dégraissées de leur suin. On appelle suin, cette crasse onctueuse qu'elles rapportent de dessus la brebis. Il est si nécessaire d'en purger la laine, qu'on ne fabriquera jamais un beau drap sans cette précaution, à laquelle on n'est pas assez attentif parmi nous, parce qu'elle cause un déchet de trente à quarante pour cent au moins. Cependant il est impossible de dégraisser un drap comme il convient, si la laine dont on l'a manufacturé, n'a pas été bien débarrassée de son suin.

Du lavage des laines. La laine ne se lave pas bien dans l'eau froide. C'est cependant l'usage du Berry et des autres provinces de France, malgré les ordonnances qui enjoignent de se servir de l'eau chaude. C'est toujours la raison d'intérêt qui prévaut. Il est défendu par arrêt du 4 Septembre 1714, de vendre ni exposer en vente aucunes laines, qu'elles n'aient été lavées de manière à pouvoir être employées en étoffe sans être relavées, et ce à peine de trente livres d'amende pour chaque balle, tant contre le vendeur que contre l'acheteur. On n'excepte que les laines d'Espagne qui auront été lavées sur les lieux, et qui pourront être vendues d'après le lavage d'Espagne.

Cependant les laines d'Espagne qu'on emploie dans les bonnes manufactures sont toutes lavées ou relavées avec de l'eau tiede et de l'urine. Ce dernier ingrédient est absolument nécessaire pour en écarter les parties qui ont été rapprochées et serrées dans l'emballage, de manière qu'elles feutreraient, si on n'employait au lavage que l'eau.

La première opération du lavage à l'eau chaude se fait dans les baquets ou cuves disposées à cet effet. Il faut observer que l'eau ne soit pas trop chaude, le trop de chaleur amollissant les parties les plus déliées, les rapprocherait et ferait feutrer. Que l'eau soit seulement tiede. Lorsque l'ouvrier l'aura bien serrée, pressée entre ses mains, il la mettra dans une grande corbeille d'osier, ensuite on la portera dans une eau courante pour la faire dégorger. Pour cet effet, la corbeille étant plongée dans l'eau, qui la pénétrera par-tout, on la relevera, pressera, remuera. Cette manœuvre lui ôtera la mauvaise odeur qu'elle aura contractée au premier lavage, et achevera de la nettoyer. Voyez ce travail dans nos Planches de Draperie, fig. 1. A est la cuve pour laver les laines dans leur suin. B, le laveur. C, la laine dans la cuve. D, la rivière où l'on rinse et dégorge la laine. E, la manne ou corbeille qui contient la laine qu'on fait dégorger. F, le laveur. G, un petit banc portatif qui soutient le laveur sur les bords du courant.

Une observation qui n'est pas à négliger, c'est que plus l'eau des baquets destinés au lavage des laines est chargée de suin, plus le lavage s'exécute parfaitement. Ainsi le lavage se fait d'autant mieux, qu'il a déjà passé plus de laine dans un baquet avant celle qu'on y met.

Du pilotage des laines. Outre cette première opération, il est encore une façon de relaver les laines, et de leur donner une blancheur qui convient au genre d'étoffe que le fabriquant se propose de faire. C'est le pilotage.

Le pilotage n'a lieu que sur la laine à employer en étoffes légères, telles que les flanelles, les molletons fins, etc. dont le dégrais avec la terre glaise altérerait la qualité, lorsqu'on les ferait passer au moulin comme les draps et autres étoffes qui ont plus de résistance et de corps.

Pour piloter les laines on se sert du savon fondu dans de l'eau un peu chaude. On en remplit les cuves ou baquets semblables au premier lavage. On y ajoute de l'eau de suin, ou du premier lavage ; et deux hommes qui ont des espèces de pilons, l'agitent et la remuent avec la laine qui en prend la blancheur qu'on désire. On voit cette opération fig. 2. A, la cuve B, les lissoires, ou bâtons à remuer la laine dans de l'eau de savon. C, les ouvriers qui pilotent.

Après que la laine a été pilotée, on la porte à la rivière pour la rinser et la faire dégorger.

De l'étendage des laines. Lorsque les laines ont été lavées, on les fait sécher ; l'usage dans les campagnes est de les étendre sur les prés, et quelquefois sur la terre ; mais cet usage est mauvais. Les laines se chargent ainsi de poussière, ou même ramassent de la terre qui s'y attache ; en sorte qu'un manufacturier entendu, lorsqu'il achète des laines qui ont été séchées de cette manière, et que la proximité des lieux le lui permet, a soin de la faire secouer par les emballeurs, à mesure qu'ils la mettent dans les sacs. On en séparera ainsi la poussière et les autres ordures qui causeraient un déchet considérable.

Dans les manufactures réglées, on fait sécher les laines sur des perches posées dans des greniers. Il en est de même des laines teintes destinées à des draps et autres étoffes, lorsqu'elles ont besoin de sécher avant que d'être transmises à d'autres opérations relatives à la fabrication. Voyez fig. 3. la disposition des perches sur lesquelles on étend et l'on fait sécher les laines teintes ou en blanc, A, A, A, etc. B, B, B, les perches.

Du triage des laines. Lorsque les laines sont seches, on en fait un triage, c'est-à-dire qu'on divise les laines d'Espagne de la première qualité, en prime, seconde et tierce. Pour celle de Navarre et de France et autres plus communes, on sépare seulement les inférieures des autres.

La finesse du drap est proportionnée à la qualité de la laine ; il faut pour les draps d'Abbeville et de Sedan des laines plus belles que pour ceux de Louviers et de d'Arnetat. Les laines qu'on emploie aux draps d'Elbœuf, sont inférieures à celles du drap de Louvier. On exige dans la fabrication des ouvrages dont nous venons de parler, l'emploi des laines d'Espagne seules.

Après le premier triage des laines communes de Navarre et de France, on en fait un second qui consiste à séparer les laines les plus longues des plus courtes. Les premières sont destinées aux chaînes des étoffes, les secondes aux trames. Il faut encore que le trieur soit attentif à en rejeter les ordures qu'il rencontre sous ses mains. Voyez fig. iv. cette opération. A est la claie sur laquelle la laine est posée ; B, la laine ; C, le trieur.

Le manufacturier donne le nom de haute laine à la laine longue, et celui de basse laine à la laine courte. On emploie la haute laine aux chaînes, parce que le fil en aura plus de consistance, et que le travail de l'ourdisseur en sera facilité. On ne distingue point de haute et basse laine dans celles d'Espagne, et l'on n'en fait point de triage.

Le triage et le choix ont lieu pour toutes les autres, quelle que soit leur destination ; qu'elles doivent aller à la carde ou au peigne. Nous allons suivre la main-d'œuvre sur celles qui passeront à la carde, et dont on fabrique les draps. Nous reviendrons ensuite à celles qui vont au peigne, et nous exposerons leur usage.

Du battage des laines. Lorsque les laines ont été triées, et que la séparation en a été faite, on les porte par petites portions sur une espèce de claie, formée de cordes tendues où on les frappe à coups de baguette, comme on voit, fig. Ve A est la claie de corde à battre les laines ; les ouvriers B, B sont deux batteurs.

Cette manœuvre a deux objets. Le premier d'ouvrir la laine ou d'en écarter les brins les uns des autres ; le second d'en chasser la poussière. Si la poussière restait dans la laine, et si ces brins n'étaient pas divisés, l'huîle qu'on lui donnerait dans la suite ne s'étendrait pas partout, et elle ne manquerait pas de former une espèce de camboui qui la gâterait.

Mais l'opération du battage n'expulsant que la poussière, et laissant après elle les pailles et autres ordures, il faut y faire succéder l'épluchage.

De l'épluchage des laines. L'éplucheur sépare de la laine toute l'ordure qui a échappé à la vigilance du trieur, soit qu'il se soit négligé dans son travail, soit que la laine n'étant pas assez ouverte, il n'eut pu y discerner ce qu'il en fallait rejetter. Pour cette opération, on la remet entre les mains d'enfants ou autres personnes qui la manient brin par brin ; évitant toutefois de la rompre.

Quelques auteurs, entre lesquels on peut, je crois, compter celui du spectacle de la nature, ont avancé que le mélange des laines d'Espagne avec celles de France contribuait à la fabrication des draps plus fins et plus beaux. Ils n'ont pas conçu que les unes foulant moins que les autres, ils en deviendraient au contraire ce que les ouvriers appellent creux, et que la qualité en serait très-imparfaite. Ils n'ont qu'à consulter là-dessus les ordonnances et règlements du mois d'Aout 1669, registrés en parlement le 13 du même mois.

Ce qu'on pourrait tenter de mieux ; ce serait d'employer une qualité de laine à la chaîne, mais sans aucun mélange, et une autre qualité de laine à la trame, mais aussi sans aucun mélange. Cependant cette manière de fabriquer n'est pas même celle qu'il faut préférer.

Des draps mélangés et des étoffes simples et blanches. Tous les draps mélangés ont été fabriqués avec des laines teintes de différentes couleurs. Les bleus et les verts, quoique sans mélange, ont été faits de laines teintes avant la fabrication. Les draps ainsi fabriqués sont plus chers, mais la couleur en est aussi plus durable.

Pour les draps mélangés, on a soin de prendre une certaine quantité des laines diversement colorées qu'on pese chacune séparément. On les brise et carde ensemble, par ce moyen toutes sont effacées et se fondent en une couleur nouvelle, telle que le fabriquant se proposait de l'avoir. Il s'en assure par un échantillon qu'on nomme le feutre ; le feutre contient des laines différentes une quantité proportionnée au tout, et sert de guide pour le reste.

Il y a des teintures qui, comme le noir, mordent la laine si rudement, que le travail en deviendrait presqu'impossible, si l'on commençait par les teindre. Il y en a d'éclatantes qui, comme le rouge de la cochenille, perdraient leur éclat en passant par un grand nombre de manœuvres, et surtout à celle du foulon où l'on emploie la terre à dégraisser et le savon qui ne manqueraient point de déteindre.

Pour prévenir ces inconvéniens, on fabrique l'étoffe en blanc, et c'est en blanc qu'on la livre au teinturier. L'expérience du rapport du profit à la perte, du bien au mieux, a réglé toutes ces choses.

Il résulte de ce qui précède qu'il ne se fabrique que des draps blancs et des draps mélangés ; jamais ou du moins rarement des draps ont la laine teinte.

Les manufacturiers qui travaillent en blanc font peu d'étoffes mélangées, de même que ceux qui fabriquent des draps mélangés en font peu de blancs.

Lorsque les laines ont été lavées, pilotées, séchées, battues, épluchées, et réépluchées, il s'agit de les carder.

Du carder des laines. On ne carde les laines d'Espagne que deux fais. Il faut carder jusqu'à trois fois les laines plus communes ou moins fines.

Mais avant que d'en venir à cette opération, on les arrose ou humecte avec l'huîle d'olive. On emploie sur la livre de laine qui doit être mise en trame, un quart de livre d'huile, et un huitième sur la livre de laine qui doit être mise en chaîne pour les draps fins. Quant aux draps grossiers depuis sept et huit jusqu'à neuf francs l'aune, la quantité d'huîle est la même pour la trame que pour la chaîne, c'est-à-dire qu'on emploie communément trois livres et demie d'huîle ou à peu près sur vingt livres de laine.

L'huîle la meilleure qu'on puisse donner à la laine destinée à la carde et à la fabrication des draps fins, est sans contredit celle d'olive. On lui substitue cependant celle de navette, lorsqu'il s'agit des draps les plus grossiers, parce qu'elle coute moins ; mais aussi il en faut davantage, cette huîle ne s'étendant ni autant ni aussi facilement, parce qu'elle est moins tenue.

La raison pour laquelle on emploie plus d'huîle sur la laine destinée à la trame que sur la laine destinée à la chaîne, c'est que la trame n'étant tordue qu'autant qu'elle a besoin de l'être pour acquérir une consistance, et que s'il était possible de l'employer sans la filer, le drap en serait plus parfait, il est nécessaire de l'humecter davantage : il n'en est pas ainsi de la chaîne qui a besoin d'un tors considérable pour supporter la fatigue de la fabrication, les coups du battant ou de la chasse dont l'ouvrage est frappé, la violence de l'extension dans la levée continuelle des fils, etc.

Les cardes sont des planchettes de bois couvertes d'un cuir de basanne, hérissées de pointes de fer, petites et un peu recourbées. Elles rompent la laine qui passe entr'elles, en parcelles très-menues.

Les hautes et les basses laines ne se cardent pas différemment. L'intention du travail est de préparer une manière touffue, lâche et propre à former un fil peu dur dont les poils fassent ressort en tous sens les uns contre les autres, et cherchent à s'échapper de toute part. Or les menus poils qui ont passé entre les cardes, étant mêlés d'une infinité de manières possibles, ne peuvent se tordre ou être pliés sans tendre continuellement à se redresser et à se désunir. Le fil qui en est formé en doit être hérissé, surtout s'il est peu tors. Il fournit donc pour la trame une matière propre à gonfler l'étoffe et à la faire draper, en élançant en dehors des poils engagés du reste par quelque endroit de leur longueur dans le corps de la pièce.

La laine se carde à diverses reprises où l'on emploie successivement des instruments plus fins et des dents plus courtes.

La laine d'Espagne n'est cardée que deux fois ; sa finesse ne pourrait résister à trois opérations de cette espèce que la laine grossière soutient ; elle se briserait en se divisant.

Au contraire plus la laine commune est cardée, plus elle s'emploie facilement. Cependant on ne la passe et repasse que trois fois ; deux fois avec la grande carde au chevalet, et une fois avec la petite carde sur les genoux.

A cette dernière opération elle sort de dessous la carde en forme de petits rouleaux d'un pouce, plus ou moins de diamètre, sur environ douze pouces de long.

Ces rouleaux de laine veules se nomment loquets, ploques ou saucissons, suivant l'usage du pays, et se filent au grand rouet sans le secours de la quenouille. On voit dans nos Planches, fig. VIe A le chevalet, fig. VIIe b, b, les grandes cardes ; fig. VIIIe c, c, les petites cardes ; e, fig. VIe la carde posée sur le chevalet ; f, même fig. la boète à renfermer la laine que l'ouvrier veut travailler,

Du filage de la laine. L'ouvrier présente de la main gauche l'extrémité du loquet à la broche de la fusée du rouet ; de la droite, il met la roue, la corde et la fusée en mouvement. La laine saisie par le bout de la broche qui tourne, se tortille dans le même sens. L'ouvrier éloigne sa main et allonge de trois ou quatre pieds le loquet, qui en s'amincissant et prenant d'un bout à l'autre le mouvement de la fusée, devient un fil assez tors pour avoir quelque résistance, et assez lâche pour laisser en dehors les extrémités de ses poils dégagés.

D'une secousse de revers donnée brusquement à la roue, l'ouvrier détache son fil de la broche et l'enroule aussi-tôt sur la fusée en redonnant à la roue son mouvement ordinaire. Il approche ensuite un nouveau loquet à l'extrémité du fil formé et enroulé ; il applique le point d'union du loquet qui commence au fil formé du loquet précédent ; il continue d'opérer, et il met en fil ce second loquet qu'il enroule comme le précédent.

En accumulant de cette manière plusieurs saucissons ou loquets filés, il garnit tellement le fond de la fusée diminuant de plus en plus les volumes de l'enroulement jusqu'au bout de la broche, qu'en conséquence le fil se range en cône. Ce cône est vide au centre ; ce vide y est formé par la broche qui le traverse. On l'enlève de dessus la broche sans l'ébouler.

L'huîle ou la simple humidité dont la laine a été pénétrée, suffit pour en assouplir le ressort, et l'on transporte sans risque le cône de la laine filée sur une autre broche.

Remis sur cette broche, il se distribue sur le devidoir où on l'unit par un nœud léger avec le fil d'une autre fusée ; et le tout se forme ensuite en écheveaux, à l'aide d'un devidoir qui régle plutôt l'ouvrier que l'ouvrier ne le régle. On voit fig. ix. le grand rouet. A, son banc ; b, marionette ou soutien des fraseaux ; C, roue du grand rouet ; D, moyeu de la roue ; e, broche sur laquelle s'assemble le fil en manière de cône ; f, esquive qui arrête le volume du fil sur la fusée ; g, fraseaux qui sont deux cordons de natte doubles et ouverts pour recevoir et laisser jouer la broche ; H, arbre ou montant qui supporte la roue.

Du dévidage de la laine. On donne à la cage du dévidoir l'étendue que l'on veut, en écartant ou rapprochant ses barres. Veut-on ensuite que l'écheveau soit formé, par exemple de trois cent tours de fil ? il faut que l'essieu engraine par un pignon de quatre dents sur une roue qui en ait vingt-quatre, et que l'essieu de celle-ci, dont le pignon en a également quatre, engraine par ce pignon dans une grande roue de quarante. Chaque dent du dévidoir emportant une dent de la petite roue, le devidoir fera six tours pour épuiser les quatre fois six dents ou les vingt-quatre dents de la petite roue. Celle-ci fera de même autant de tours que son pignon qui tournera dix fois pour emporter les quarante dents de la grande roue. Ainsi pendant que la grande roue fait un tour, la petite en fait dix, et le devidoir soixante. Il faut donc cinq tours de la grande roue pour avoir cinq fois soixante tours de devidoir. Un petit marteau dont la queue est emportée par une cheville de détente fixée à la grande roue, frappe cinq coups, par cinq chutes, après les cinq tours de la grande roue. C'est-là ce qui fait donner le nom de sons aux soixante fils qui font partie de l'écheveau, qui dans son total est appelé écheveau de cinq sons.

La grande roue est encore traversée d'un essieu qui enroule une corde fine, à laquelle un petit poids est suspendu. Or ce poids se trouvant arrêté après le cinquième tour, avertit l'ouvrier qu'il a trois cent fils sur son devidoir, puisque le devidoir a fait cinq fois soixante ou trois cent tours.

Les écheveaux formés par une quantité fixe et connue de fils, soit trame soit chaîne, sont assemblés de manière que tous ont leurs bouts réunis à un même point d'attache, afin d'être retrouvés sans peine.

Cette façon de devider le fil, soit chaîne, soit trame, est d'une telle utilité qu'il est impossible de conduire surement une manufacture sans l'usage de cette ingénieuse machine.

Elle a deux objets principaux ; le premier de fournir au manufacturier le moyen de connaître parfaitement la qualité du fil qu'il doit employer à l'étoffe qu'il se propose de faire ; le fil devant être plus ou moins gros, selon la finesse de la laine et celle du drap, ce qu'il découvrira facilement par le poids de l'écheveau dont la longueur est donnée. La différence des poids le réglera. Il ordonnera à sa volonté de filer un écheveau, soit chaîne, soit trame, à tant de poids chaque son ou à tant de sons pour tel poids.

Le second a rapport au payement du fileur et du tisseur qui ne sont payés qu'à tant la longueur de fil et non à tant la livre de poids. Si l'ouvrier était payé au poids, celui qui filerait gros gagnerait plus que celui qui filerait fin. Il a fallu régler le prix du filage à un poids fixe pour chaque écheveau d'une longueur déterminée.

Il faut en user de même avec les tisseurs, et les payer tant par écheveau, et non pas tant par pièce, comme il se pratique dans les manufactures mal dirigées. Il s'ensuit de cette dernière manière de payer, qu'un ouvrier fait entrer plus ou moins de trame dans son étoffe sans gagner ni plus ni moins. Une chaîne cependant qui ne sera par hasard pas aussi pesante qu'une autre, doit prendre plus de trame pour que l'étoffe soit parfaite. Il est donc juste que celui-ci soit plus payé. Payez-le par pièce, et il fournira sa pièce le moins qu'il pourra, et conséquemment son ouvrage sera faible et défectueux.

Voyez, dans nos Planches, figures 10 et 11, le devidoir. A, banc ou selle du devidoir. b, b, b, montants. c c, c c, c c, etc. bras du devidoir ; son arbre d d tournant et engrénant par sa petite lanterne e de quatre cannelures dans les dents de la roue D. F, autre roue que la supérieure emporte par un pignon également de quatre dents. G, marteau dont le manche est abaissé par une cheville h de détente attachée à la roue inférieure F, et dont la tête vient frapper après la détente sur le tasseau l ; i, corde qui s'enroule sur l'essieu de la roue inférieure F, et qui soutient un poids K. Ses tours sur l'essieu indiquent ceux du devidoire, et terminent la longueur de l'écheveau. La figure 11 montre le même tour, Ve de profil.

Mais avant que d'aller plus loin, il est à propos de parler d'une précaution, légère en apparence, mais qui n'est pas au fond sans quelque importance ; c'est relativement au tors qu'on donne au fil. Ce tors peut contribuer beaucoup à l'éclat des étoffes légères, et au moelleux des étoffes drapées. Il faut filer et tordre du même sens la chaîne et la trame destinées à la fabrication d'une étoffe luisante, comme l'étamine et le camelot dont nous parlerons dans la suite, et filer et tordre en sens contraire la trame et la chaîne des draps.

Il ne s'agit pas ici du mouvement des doigts, qui est toujours le même, mais de la corde du rouet qu'on peut tenir ouverte ou croisée. La corde ouverte qui enveloppe le tour de la roue, et qui assujettit à son mouvement la fusée et le fil, ira comme la roue, verticalement de bas en haut, et fera pareillement aller tous les tours du fil, en montant verticalement et de bas en haut. Au lieu que si la corde qui embrasse la roue se croise avant que de passer sur la noix de la fusée où le fil s'assemble, elle emportera nécessairement la fusée dans un sens contraire au précédent, verticalement, mais de haut en bas.

Tous les brins de laine qui se tortillent les uns sur les autres, soit au petit rouet, soit au grand, dans le sens qui leur est imprimé par la broche de la fusée, se plieront donc en un sens, quand on fîle à corde ouverte ; et dans un sens contraire, quand on fîle à corde croisée.

Mais quel intérêt peut-on prendre à ce que l'un des deux fils soit par rapport à l'autre un fil de rebours, pour parler le langage des ouvriers ? C'est ce que nous expliquerons à l'article de la FOULE DES ÉTOFFES. Nous remarquerons seulement ici que tous les fils destinés pour la chaîne des draps sont filés à corde ouverte, et ceux pour la trame à corde croisée, et que l'auteur du spectacle de la nature s'est trompé sur ce point.

La raison de cette différence de filer est que le fil de la chaîne ayant besoin d'être plus tors et plus parfait que celui de la trame, et la corde croisée étant sujette à plus de variation dans son mouvement que la corde ouverte, le fil filé de cette façon acquiert plus de perfection que celui qui l'est à corde croisée. Il est filé plus également.

De l'ourdissage des chaînes. Lorsque les fils sont ainsi disposés, il s'agit d'ourdir les chaînes destinées à être montées sur les métiers. Pour cet effet, on assemble plusieurs bobines sur lesquelles sont dévidés les fils qui ont été filés pour chaîne. On les distribue ensuite sur des machines garnies de pointes de fil de fer de cinq à six pouces de longueur, en deux rangées différentes, au nombre de huit, plus ou moins, par chaque rangée. Une corde sépare ces deux rangées, dont l'une est plus élevée que l'autre. On prend tous les fils ensemble, tant de la rangée de bobines de dessus que de celles de dessous, avec la main gauche. Après quoi, pour commencer l'ourdissage, l'ouvrier les croise séparément sur ses doigts avec la main droite, et les porte à la cheville de l'ourdissoir où il arrête la poignée de fils, ayant soin de passer deux autres chevilles dans les croisures formées par ses doigts, ce qui s'appelle croisure ou envergeure. On prend cette précaution, et elle est absolument nécessaire, pour que les fils ne soient point dérangés de leur place, lorsqu'il faut monter le métier, et que l'ouvrier puisse prendre chaque fil de suite, lorsqu'il sera question de les passer dans les lames ou lisses.

Cette première poignée de fils étant arrêtée et envergée dans le haut de l'ourdissoir qui est fait en forme de devidoire ou de tour posé debout, et que la main fait tourner, la poignée de fils en se dévidant sur sa surface, forme une spirale depuis le haut jusqu'au bas, où elle arrive après un certain nombre de tours, fixés d'après la longueur que l'ouvrier s'est proposée. Il s'arrête-là à une autre cheville, et passant sa poignée dessous une seconde cheville éloignée de la première de quatre à cinq pouces, il fait le retour et remonte sur la même poignée de fils, qu'il remet sur la cheville d'en haut, observant de croiser les fils par l'insertion de ses doigts, et de passer la croisière dans les deux chevilles éloignées de celle où ils sont arrêtés, d'un pied et demi ou environ, afin de descendre comme il a commencé ; il observe dans le nombre des fils et dans les longueurs un ordre et des mesures qui varient d'une manufacture à l'autre.

Nous ne donnons point ici la figure et la description de cet ourdissoir, nous aurons occasion d'en parler à l'article SOIERIE, et à plusieurs articles de PASSEMENTERIE.

Il y a une autre manière d'ourdir par un ourdissoir composé de deux barres de bois qui sont posées parallèlement et un peu en talud contre une muraille. Elles sont hérissées de chevilles, en deux rangées ; et c'est sur ces chevilles que les fils sont reçus.

Quand on porte les fils sur ces ourdissoirs plats et inclinés contre la muraille, on les réunit tous sur la première cheville d'une des deux barres ; et après les avoir croisés ou envergés sur les deux autres chevilles qui en sont éloignées, comme on a fait sur l'ourdissoir tournant, on les conduit de-là tous ensemble d'une barre à l'autre, et successivement d'une cheville à l'autre, jusqu'à ce qu'on ait la longueur qu'on se proposait. Alors on les arrête ; et en faisant le retour, on les reporte à contre-sens sur la première en-haut, en observant de les croiser comme dans l'ourdissoir tournant.

Nous ne donnons pas la représentation de cette manière d'ourdir, parce que l'ourdissoir tournant est beaucoup plus sur et d'un usage plus commun, et que l'ourdissoir tournant bien entendu, on concevra l'ourdissoir plat qui n'en est qu'un développement.

La poignée de fils conduite par l'ouvrier sur les ourdissoirs est appelée demi-branche ou portée, et n'est appelée portée entière ou branche que lorsque le retour en est fait. Il faut donc que l'ouvrier ait soin, lorsqu'il est au bas de l'ourdissoir, de faire passer la demi-branche sur les deux chevilles, de manière qu'elle puisse, par sa croisière, être séparée, qu'on en connaisse la quantité, et que le nombre des fils ourdis soit compté. De même que les fils ourdis sont croisés dans le haut de l'ourdissoir à pouvoir être distingués un par un, les branches ou portées sont croisées dans le bas à pouvoir être comptées une par une.

C'est la totalité de ces parties qui forme la poignée de fils à laquelle on donne le nom de chaîne.

Pour rendre cette poignée de longs fils portative et maniable, l'ouvrier en arrondit le bout en une grande boucle, dans laquelle il passe son bras, un amène à lui la poignée de fils. Il en forme ainsi un second chainon ; puis au-travers de celui-là, un troisième, et au-travers du troisième, un quatrième, et ainsi de suite.

Ces longs assemblages de fils ainsi bouclés et raccourcis en un petit espace, s'appellent chaînes. On leur conserve le même nom, étendus sur le métier, pour le monter, et y passer la trame ou fil de traverse. Il faut deux de ces chaînes pour former la monture d'un drap, attendu que l'ourdissoir ne pourrait contenir la chaîne entière ; elle a trop de volume. On donne à chacun aussi le nom de chainons.

Du collage des chaînes. Lorsque les chaines sont ourdies pour les monter sur le métier, il s'agit d'abord de les coller. Cette préparation est nécessaire pour donner au fil la consistance dont il a besoin pour être travaillé en étoffe.

Pour cet effet, on fait bouillir une quantité de peaux de lapin, ou de rognures de gants, ou de la colle forte, ou quelqu'autre matière qui fasse colle. On la met dans un baquet ou autre ustensîle disposé à cette manœuvre. L'ouvrier y fait tremper la chaîne, tandis qu'elle est chaude. La retirant ensuite par un bout, il la tord poignée par poignée, et la serre entre ses mains d'une force proportionnée à la quantité de colle qu'il veut lui laisser. Voyez fig. 12, un ouvrier occupé à cette manœuvre ; A, la cuve ; B, la chaîne ; C, la colle ; D, l'ouvrier qui tord la chaîne pour n'y laisser que la quantité de colle qu'elle demande.

De l'étendage des chaînes. Après que la chaîne a été tirée de la colle, on la porte à l'air pour la faire sécher. L'ouvrier passe une branche assez forte d'un bois poli dans la boucle qui a servi à former le premier chainon d'un côté ; et l'étendant dans toute sa longueur sur des perches posées horizontalement, et soutenus sur des pieux verticaux, il passe à l'autre extrémité une autre perche, et lui donne une certaine extension, afin de pouvoir disposer les portées sur un espace assez large ; opération qui est facilitée par le moyen des cordes que l'ourdisseur a eu l'attention de passer dans les croisières avant que de lever les chaines de dessus l'ourdissoir. Voyez fig. 13, l'étendoir ; A, ses piliers ; B, ses traverses ; C, une chaîne.

Du montage du métier. Lorsque la chaîne est seche, l'ouvrier la ramasse en chainon, de la même manière qu'elle a été levée de dessus l'ourdissoir, pour la disposer à être montée sur le métier.

Il faut pour cela se servir d'un rateau, dont les dents sont placées à distance les unes des autres d'un demi-pouce plus ou moins, suivant la largeur que doit avoir la chaîne. Nous renverrons pour cette opération et pour la figure de l'instrument, aux Planches du Gazier, à celles du Passementier, et à l'article SOIERIE.

On place une portée dans chaque dent du rateau. L'ouverture du rateau étant couverte, les portées arrêtent avec une longue baguette qui les traverse et les enfile, cette première brasse de longs fils étendus, et passant sur une traverse du métier qu'on arrondit pour cet effet, on fait entrer la baguette et les portées dans une cannelure pratiquée à un grand rouleau, ou à une ensuple sur laquelle les fils sont reçus et enveloppés à l'aide de deux hommes, dont l'un tourne l'ensuple, tandis que l'autre tire la chaîne, la tend, et la conduit de manière qu'elle s'enroule juste et ferme.

Dans cette opération toute la chaîne se trouve chargée sur le rouleau jusqu'à la première croisière des fils simples.

Lorsque l'ouvrier est arrivé à cette croisade ou croisière, qui est fixée par les cordes que l'ourdisseur a eu soin d'y laisser ; il y passe deux baguettes polies et minces, d'une longueur convenable, pour avoir la facilité de choisir les fils qui, en conséquence de la croisière, se trouvent rangés sur les baguettes, alternativement un dessus, l'autre dessous, et dans l'ordre même qu'on a observé en ourdissant, de manière qu'un fil premier ne peut passer devant un fil second, ni celui-ci devant le troisième ; qu'on ne saurait les brouiller ; qu'ils se succedent exactement, et qu'ils sont pris de suite pour etre passés et mis dans les lames ou lisses.

De la rentrure des fils dans les lames et le rot. Les lames ou lisses sont un composé de ficelles, lesquelles passées sur deux fortes baguettes appelées liets ou lisserons forment une petite boucle dans le milieu de leur longueur où chaque fil de la chaîne est passé. Chaque boucle est appelée maille, et a un pouce environ d'ouverture. La longueur de la ficelle est de quinze ou seize ; c'est la distance d'un lisseron à l'autre. Nous expliquerons ailleurs la manière de faire les lisses. Voyez les Planches de Passementier, leur explication, et l'article SOIERIE.

Tous les draps en général ne portent que deux lisses, dont l'une en baissant au moyen d'une pedale, appelée par les artistes manche, fait lever celle qui lui est opposée, les deux lames étant attachées à une seule corde dont une des extrémités répond à l'une des lames, et l'autre extrémité, après avoir passé sur une poulie, Ve se rendre à l'autre.

Du peigne ou rot. Les fils étant passés dans les mailles ou boucles des lisses, il faut les passer dans le rot ou peigne.

Le rot est un composé de petits morceaux minces de roseaux ; ce qui l'a fait appeler rot. Il tient le nom de peigne de sa figure. Les dents en sont liées ou tenues verticales en dessus et en dessous par deux baguettes légères, qu'on nomme jumelles. Les jumelles sont plates ; elles ont un demi-pouce de large ; un fil gaudronné ou paissé les revêtit : ce fil laisse entre chaque dent l'intervalle qui convient pour passer les fils.

Tous les draps en général ont deux fils par chaque dent de peigne, qui doit être de la largeur des lames, qui est la même que la largeur de la chaîne roulée sur l'ensuple. Tout se correspond également, et le frottement du fil dans les lames et le rot est le moins sensible qu'il est possible, et le cassement des fils très-rare.

De l'arrêt de la chaîne, ou de son extension pour commencer le travail. Lorsque les fils sont passés dans les lames ou dans le rot, on les noue par petites parties ; ensuite on les enfîle sur une baguette, dont la longueur est égale à la longueur du drap. Au milieu des fils de chaque partie nouée, on attache la baguette en plusieurs endroits avec des cordes arrêtées à l'ensoupleau. L'ensoupleau est un cylindre de bois couché devant l'ouvrier sous le jeu de la navette. L'ouvrage s'enveloppe sur ce rouleau pendant la fabrication. On donne l'extension convenable à la chaîne, en tournant l'ensoupleau, dont une des extrémités est garnie d'une roue semblable à une roue à crochet, qui est fixée par un fer recourbé, que les ouvriers appellent chien.

La chaine ainsi tendue, l'ensuple est sur l'ensoupleau, le drap est prêt à être fabriqué. Mais pour vous former des idées justes de la fabrication, voyez figure 14, le métier du tisseur tout monté. A, A, A, A, sont les montants du métier ; b, b, les traverses ; c, c, la chasse qui sert à frapper et à serrer plus ou moins le fil de trame ; d, d, le dessus de la chasse ou longue barre que l'ouvrier empoigne des deux mains ; e, e, le dessous de la chasse, contenant le rot ou le peigne ; F, F, planche sur laquelle reposent les fils qui baissent pour donner passage à la navette anglaise montée sur ce métier. Nous expliquerons en détail plus bas le mécanisme de cette navette. g, tringle de fer qui soutient l'équerre ou crosse qui chasse la navette d'un côté à l'autre ; h, l'équerre ou crosse ; i, petite pièce de bois qui retient la navette entre la planche attachée au battant et la pièce même ; k, la navette, l, l, corde qui répond de chacune de ses extrémités à l'équerre que l'ouvrier tire pour faire partir la navette ; m, rot ou peigne. M, planchette de bois alignée avec le peigne ou rot ; n, n, aiguille de la chasse ; o, o, o, porte-lame ou pièce à laquelle est suspendue la poulie sur laquelle roule la corde qui tient à deux lames ; p, p, la couloire ou pièce de bois plate et équarrie, où l'on a pratiqué une ouverture par laquelle l'étoffe fabriquée se rend sur l'ensoupleau ; q, l'ensuple ou rouleau qui porte le fil de chaîne au derrière du métier ; r, r, liais ou longues baguettes qui soutiennent les lisses qu'on voit ; R R, les lisses ; s s, poulie sur laquelle roule la corde qui est attachée aux deux lames t, t, t, t, la marionette, c'est la corde qui Ve d'une lame à l'autre, après avoir passé pardessus la poulie s, et qui montant et descendant, fait hausser et baisser les lames ; Ve v, moufle ou chape dans laquelle la poulie tourne ; Xe x, Xe le banc de l'ouvrier ; y, y, les marches ; z, z, l'ensoupleau ; &, &, la roue à rochet avec son chien. Le reste de la figure s'entend de lui-même. On voit que la chasse c, est suspendue à vis 1 et à écrou 2 sur les traverses b, b, et que ces traverses sont garnies de cramaillées à dents 33, qui fixent la chasse au point où l'ouvrier la veut.

Ce métier est Ve de face. On aurait pu le montrer de côté ; alors on aurait aperçu la chaîne et d'autres parties ; mais les métiers d'ourdissage ont presque toutes leurs parties communes, et l'on en trouvera dans nos Planches sous toutes sortes d'aspect.

De la fabrication du drap et autres étoffes en laine Quoique le drap soit prêt à être commencé, il est bon néanmoins d'observer qu'encore que les fils soient disposés avec beaucoup d'ordre et d'exactitude sur le métier, il est d'usage de placer sur les deux bords de la largeur un nombre déterminé de fils, ou d'une matière ou d'une couleur différente de la chaîne ; ce qui sert à caractériser les différentes sortes d'étoffes. Il y a des règlements qui fixent la largeur et la longueur de la chaîne, la matière et la couleur des lisières, en un mot, ce qui constitue chaque espèce de tissu, afin qu'on sache ce qu'on achète.

Lorsqu'il s'agit de commencer le drap, on devide en dernier lieu le fil de trame des écheveaux sur de petits roseaux de trois pouces de long, et qu'on nomme épolets, espolets, époulins ou espoulins.

Dans les bonnes manufactures on a soin de mouiller l'écheveau de trame avant que de la devider sur les petits roseaux, afin que le fil de la chaîne, dur par la colle dont il a été enduit, devienne plus flexible dans la partie où la duite se joint, et la fasse entrer plus aisément ; ce qui s'appelle travailler à trame mouillée. On ne peut donner le nom de bonnes manufactures à celles qui travaillent à trame seche.

L'espolin chargé de fil, est embroché d'une verge de fer qui se nomme fuserole, puis couché et arrêté par les deux bouts de la fuserole dans la poche de la navette, d'où le fil s'échappe par une ouverture latérale. Ce fil arrêté sur la première lisière de la chaîne, se prête et se devide de dessus l'espolin à mesure que la navette court et s'échappe par l'autre lisière. Les fils de chaîne se haussent par moitié, puis s'abaissent tour-à-tour, tandis que les autres remontent, saisissent et embrassent chaque duite ou chaque jet de fil de trame ; de sorte que c'est proprement la chaîne qui fait l'appui et la force du tissu, au lieu que la trame en fait la fourniture.

De la manière de frapper le drap. Le rot ou le peigne sert à joindre chaque duite ou jet de trame contre celui qui a été lancé précédemment, par le moyen de la chasse ou battant dans lequel il est arrêté. Le battant suspendu de manière qu'il puisse avancer et reculer, est amené par les deux ouvriers tisseurs contre la duite ; et c'est par les différents coups qu'il donne, que le drap se trouve plus ou moins frappé. Les draps communs sont frappés à quatre coups ; les fins à neuf ; les doubles broches à quinze et pas davantage.

Largeur des draps en toile. En général tous les draps doivent avoir depuis sept quarts de large sur le métier, jusqu'à deux aunes et un tiers. Cette largeur doit être proportionnée à celle qu'ils doivent avoir au retour du foulon : toutes ces dimensions sont fixées par les règlements.

Il y a cependant des draps forts qui n'ont qu'une aune de large sur le métier ; mais ces sortes de draps doivent être réduits à demi-aune seulement au retour du foulon, et sont appelés draps au petit large. Quant aux grands larges, ils sont ordinairement réduits à une aune, une aune et un quart, ou une aune et un tiers, et rien de plus, toujours en raison de la largeur qu'ils ont sur le métier.

La largeur du drap sur le métier a exigé pendant longtemps le concours de deux ouvriers pour fabriquer l'étoffe, lesquels se jetant la navette ou la lançant tour-à-tour, la reçoivent et se la renvaient après qu'ils ont frappé sur la duite le nombre de coups nécessaires pour la perfection de l'ouvrage, un seul ouvrier n'ayant pas dans ses bras l'étendue propre pour recevoir la navette d'un côté quand il l'a poussée de l'autre. Un anglais, nommé Jean Kay, a trouvé les moyens de faire travailler les étoffes les plus larges à un seul ouvrier, qui les fabrique aussi-bien, et n'emploie pas plus de temps que deux. Ce mécanisme a commencé à paraitre sur la fin de l'année 1737, et a valu à son auteur toute la reconnaissance du Conseil ; reconnaissance proportionnée au mérite de l'invention, qui est déjà établie en plusieurs manufactures du royaume.

De la navette anglaise, ou de la fabrique du drap par un homme seul. L'usage de cette navette ne dérange en aucune manière l'ancienne méthode de monter les métiers ; elle consiste seulement à se servir d'une navette qui est soutenue sur deux doubles roulettes, outre deux autres roulettes simples placées sur le côté, qui lors du travail, se trouvent adossées au rot ou peigne. Cette navette devide ou lance avec plus d'activité et en même-temps plus de facilité la duite ou le fil qui fournit l'étoffe, au moyen d'un petit cone ou tambour tournant sur lequel elle passe, afin d'éviter le frottement qu'elle souffrirait en s'échappant par l'ouverture latérale. Elle contient encore plus de trame, et n'a pas besoin d'être chargée aussi souvent que la trame ordinaire. Elle ne comporte point de nœuds, et fabrique par conséquent une étoffe plus unie. Une petite planche de bois bien taillée en forme de lame de couteau, de trois pouces et demi de large, de trois lignes d'épaisseur du côté du battant auquel elle est attachée, et de dix lignes de l'autre côté, de la longueur du large du métier, est placée de niveau à la cannelure du battant, dans son dessous, et à la hauteur de l'ouverture inférieure de la dent du peigne.

Lorsque l'ouvrier foule la marche, afin d'ouvrir la chaîne pour y lancer la navette, la portion des fils qui baissent appuie sur cette planchette, de façon que la navette à roulette ne trouve en passant ni flexibilité ni irrégularités qui la retiennent, et Ve rapidement d'une lisière à l'autre sans être arrêtée.

Une pièce de bois de deux lignes environ de hauteur, et d'un pied et demi plus ou moins de longueur, posée sur la planche de chaque côté du battant, contient la navette et la dirige, soit en entrant, soit en sortant ; car alors elle se trouve entre la lame du battant et cette petite pièce.

Pour donner le mouvement à la navette, une espèce de main de bois recourbée à angles droits, dont la partie supérieure est garnie de deux crochets de fil de fer ; dans lesquels entre une petite tringle de fer de la longueur de la navette, à laquelle est attachée une corde que l'ouvrier tient entre ses mains, au milieu du métier, meut une plaque de bois ou crosse qui chasse la navette.

Mais l'inspection de nos figures achevera de rendre tout ce mécanisme intelligible. Voyez donc la figure 15. C'est une partie du rot et de la chasse, avec la navette anglaise en place. Il faut imaginer le côté A de cette figure semblable à l'autre côté. c, partie de la chasse ; D, dessus de la chasse, ou la barre que l'ouvrier tient à la main pour frapper l'étoffe ; e, e, la rangée des dents du rot ou peigne ; f, f, la tringle qui soutient la crosse. Cette tringle est attachée à la chasse ; g, la crosse avec ses anneaux, dans lesquels la tringle passe ; h, la navette anglaise posée sur la planchette i, i ; k, k, petite pièce de bois posée sur la planchette i ; imaginez au milieu du carré de la planchette ou crosse g, une corde qui aille jusqu'à l'ouvrier, et qui s'étende jusqu'à l'autre bout du métier e, où il faut supposer une pareille crosse, au milieu de laquelle soit aussi attachée l'autre extrémité de la même corde.

Qu'arrivera-t-il après que l'ouvrier aura baissé une marche ? Le voici.

La moitié des fils de la chaîne sera appliquée sur la planchette i ; l'autre sera haussée ; il y aura entre les deux une ouverture pour passer la navette. L'ouvrier tirera sa corde de gauche à droite ; la crosse g glissant sur la tringle de fer, poussera la navette ; la navette poussée coulera sur la planchette et sur les fils de chaîne baissés, et s'en ira à l'autre bout du métier, appuyée dans sa course contre la jumelle d'em-bas du peigne ou rot. Un pareil mouvement de corde, après que l'étoffe aura été frappée, la fera passer, à l'aide d'une pareille crosse, placée au côté où elle est, de ce côté à celui d'où elle est venue, et ainsi de suite.

Mais une pièce très-ingénieusement imaginée, et sur laquelle il faut fixer son attention, c'est la petite pièce de bois k, k ; elle est taillée en dedans en s, et percée de deux trous m, n. Le trou m est un peu plus grand que le trou n. Il y a dans chacun une pointe de fer fixée dans la jumelle d'em-bas, ou plutôt dans la planchette sur laquelle la navette est posée.

Qu'arrive-t-il de-là ? Lorsque la navette se présente en k pour entrer, elle arrive jusqu'en n sans effort ; en n elle presse la pièce, qui a là un peu plus de hauteur ou de saillie qu'ailleurs ; mais le trou m étant un peu plus grand que le trou n, et ce trou m n'étant pas rempli exactement par sa goupille, la pièce cede un peu, et la quantité dont elle cede est égale précisément à la différence du diamètre du trou m, et du diamètre de la goupille qui y passe. Cela suffit pour laisser entrer la navette qui se trouve alors enfermée ; car la pièce k, k ne peut pas se déplacer, passé le point ou trou m, qu'elle ne se déplace de la même quantité passé le trou n ; ainsi la navette ne peut ni toucher, ni avancer, ni reculer. Elle s'arrête contre la crosse ; et poussée ensuite par la crosse, elle a, au sortir de l'espace terminé par la petite pièce k, k, une espèce d'échappement qui lui donne de la vitesse. Ajoutez à cela que la planchette sur laquelle elle est posée, est un peu en talud vers le rot ou peigne.

On voit, fig. 16. la navette en dessus, et fig. 17, la navette en dessous ; a a est sa longueur ; b b, la poche ; c, la bobine dont le fil Ve passer sur le petit cylindre ou tambour t, et sortir par l'ouverture latérale l. e e sont deux roulettes horizontales, fixées dans son épaisseur, et qui facilitent son mouvement contre la jumelle inférieure du rot ; ff, ff en font quatre verticales prises aussi dans son épaisseur, mais verticalement et qui facilitent son mouvement sur la planchette qui la soutient.

La figure 18 montre la bobine séparée de la navette, et prête à être mise dans sa poche.

Avec le secours d'une navette semblable, un seul ouvrier peut fabriquer des draps larges, des étoffes larges, des toiles larges, des couvertures, et généralement toutes les étoffes auxquelles on emploie deux ou trois hommes à la fais.

On assure qu'expérience faite avec cet instrument, le travail d'un homme équivaut au travail de quatre autres avec la navette ordinaire.

Quoique la navette anglaise convienne particulièrement aux étoffes larges, on l'a essayée sur les étoffes étroites, comme de trois quarts ou d'une aune, et l'on a trouvé qu'elle ne réussissait pas moins bien.

Passer le drap à la perche. Lorsque le drap est fabriqué, le maître de la manufacture le fait passer à la perche pour reconnaître les fautes des tisseurs ; delà il passe à l'épinseur. L'épinseur en tire toutes les pailles et autres ordures. De l'épinsage il est envoyé au foulon.

De l'épinsage des draps. On voit figure 19, la table de l'épinseur. A, le drap en toîle ; b b, la table ; c c, les tréteaux qui la soutiennent ; d, tréteaux mobiles pour incliner plus ou moins la table à discrétion.

Il faut avoir grand soin de mettre le drap épinsé sur des perches, si on ne l'envoie pas tout de suite au foulon, parce que le mélange de l'huîle de la carde, de la colle et de l'eau qui a servi à humecter les trames, le ferait échauffer et pourrir, si on ne l'étendait pas pour le faire sécher.

Du dégrais et du foulage des draps. Dans les bonnes manufactures il y a un moulin à dégraisser et un moulin à fouler. C'est le moulin à dégraisser qu'on voit figure 20, et le moulin à fouler qu'on voit figure 21. Dans le premier, les branches ou manches des maillets sont posés horizontalement, et les auges ou vaisseaux toujours ouverts. Dans le second, les branches sont perpendiculaires, et les vaisseaux toujours fermés, afin que le drap n'ayant point d'air, s'échauffe plus vite et foule plus facilement. Ces derniers moulins sont appelés façon de Hollande, parce que c'est de-là qu'ils nous viennent. Celui de l'hôpital de Paris, situé à Essonne, sur la rivière d'Etampes, est très-bien fait.

Quand on veut qu'un drap soit garni et plus ou moins drappé, on lui donne plus ou moins de largeur sur le métier, et on le réduit à la même au foulage. C'est le foulon qui donne, à proprement parler, aux draperies leur consistance, l'effet principal des coups de maillets étant d'ajouter le mérite du feutre à la régularité du tissu. C'est par une suite de ce principe que les étoffes lisses reçoivent leur dernier lustre sans passer par la foulerie, ou que, si quelques-unes y sont portées, c'est pour être bien dégorgées, et non pour être battues à sec : elles perdraient en s'étoffant la légèreté et le brillant qui les caractérisent.

Les étoffes qu'on y portera pour y prendre la consistance de drap, y gagneront beaucoup, si elles ont eu leur chaîne et leur trame de laine cardée ou du moins leur trame faite de fil lâche, et leur chaîne filée de rebours. Plusieurs personnes qui couraient d'un même côté, iraient loin sans se rencontrer ; mais elles ne tarderaient pas à se heurter et à se croiser en marchant en sens contraires. Il n'y a pas non-plus beaucoup d'union à attendre des poils de deux fils lâches, s'ils ont été filés au rouet dans le même sens. Mais si l'un des deux fils a été fait à corde ouverte et l'autre à corde croisée ? si les poils de la chaine sont couchés dans un sens, et ceux de la trame dans un autre, l'insertion et le mélange des poils se fera mieux. Quand les maillets battent et retournent l'étoffe dans la pîle du foulon, il n'y a point de poils qui ne s'ébranlent à chaque coup. Les poils qui sous un coup formeront une chambrette en se courbant ou en se séparant des poils voisins, s'affaissent ou s'allongent sous un autre coup qui aura tourné l'étoffe d'un nouveau sens, le propre du maillet et la façon dont la pîle est creusée, étant de faire tourner le drap à chaque coup qu'il reçoit. Si donc les poils de la chaîne et de la trame ont été filés en sens contraires, et qu'ils se hérissent, les uns en tendant à droite, et les autres en tendant à gauche, ils formeront déjà un commencement de mélange, qui s'achevera sous l'impression des maillets. Mais l'engrenage en sera d'autant plus prompt, si les deux fils sont d'une laine rompue à la carde, comme il se pratique pour les draps.

Toute autre étoffe à fil de trame sur étaim, se drappera suffisamment par la simple précaution du fil de rebours, et acquérera au point désiré la contention et la solidité du feutre. On dit jusqu'au point désiré ; car si l'étoffe, soit drap, soit serge, devenait vraiment feutre, par une suite de son renflement, elle se retirerait trop sur sa largeur et sur sa longueur ; elle se dissoudrait même si on la poussait trop à la foulerie.

Mais, dira-t-on, ne pourrait-on pas aussi-bien files les chaînes à corde croisée, et les trames à corde ouverte, que les chaînes à corde ouverte, et les trames à corde croisée ?

On peut répondre que toutes les matières, soit fil de chanvre, soit lin, coton ou soie, filées au petit rouet, ne pouvant l'être qu'à corde ouverte, on a observé la même chose pour les fils filés au grand rouet. Filés au fuseau, ou filés à corde ouverte, c'est la même chose.

L'effet des fouleries est double. Premièrement, l'étoffe est dégraissée à fond. Secondement, elle y est plus ou moins feutrée. On y bat à la terre, ou l'on y bat à sec. On y bat l'étoffe enduite de terre glaise bien délayée dans de l'eau : cette matière s'unit à tous les sucs onctueux. Cette opération dure deux heures : c'est ce qu'on appelle le dégrais.

Lorsque le drap parait suffisamment dégraissé, on lâche un robinet d'eau dans la pîle qui est percée en deux ou trois endroits par le fond. On a eu soin de tenir ces trous bouchés pendant le battage du dégrais. Lorsque leurs bouchons sont ôtés, on continue de faire battre, afin que l'étoffe dégorge, et que l'eau qui entre continuellement dans la pile, et qui en sort à mesure, emporte avec elle la terre unie à l'huile, aux autres sucs graisseux, les impuretés de la teinture, s'il y a des laines teintes, et la colle dont les fils de chaînes ont été couverts. On ne tire le drap de ce moulin que quand l'eau est, au sortir de la pile, aussi claire qu'en y entrant ; ce qui s'aperçoit aisément,

Voyez, fig. 20, le moulin à dégraisser. A, A, le beffroi ; B, B, la traverse ; c, c, c, les manches des maillets ; d, d, les maillets ; e, le vaisseau ou la pîle ; f, f, f, les geolières qui retiennent les maillets et empêchent qu'ils ne vacillent ; g, l'arbre ; h, h, h, h, les levées ou éminences qui font lever les maillets ; i, la selle ; k, le tourillon. Ce mécanisme est simple, et ne demande qu'un coup d'oeil.

Lorsque le drap est dégraissé, on le remet une seconde fois entre les mains de l'énoueuse ou épinceuse, qui le reprend d'un bout à l'autre, et emporte de nouveau les corps terreux ou autres qui seraient capables d'en altérer la couleur ou d'en rendre l'épaisseur inégale. Voyez, figure 22, l'épinsage des draps fins après le dégrais ; a, le drap ; b, b, faudets à grille dans lesquels le drap est placé ; c, l'intervalle entre les deux portions du drap, où se place l'épinceuse pour travailler, en regardant l'étoffe au jour ; d, d, pièces de bois qui tiennent l'étoffe étendue ; f, f, porte-perche. Figure 23, pince de l'épinceuse.

L'étoffe, après cette seconde visite, qui n'est pratiquée que pour les draps fins, retourne à la foulerie.

Les ordonnances qui assujettissent les fabriquans de différentes manufactures à ne donner qu'une certaine longueur aux draps à l'ourdissage, sont faites relativement au vaisseau du foulon, qui doit contenir une quantité d'étoffe proportionnée à sa profondeur ou largeur. Un drap qui remplit trop la pile, n'est pas frappé si fort, le maillet n'ayant pas assez de chute. Il en est de même de celui qui ne la remplit pas assez, la chute n'ayant qu'une certaine étendue déterminée.

Remise au foulon, l'étoffe y est battue non à l'eau froide, mais à l'eau chaude et au savon, jusqu'à ce qu'elle soit réduite à une largeur déterminée ; après quoi on la fait dégorger à l'eau froide, et on la tient dans la pîle jusqu'à ce que l'eau en sorte aussi claire qu'elle y est entrée : alors on ferme le robinet, qui ne fournissant plus d'eau dans la pile, la laisse un peu dessécher ; cela fait, on la retire sur le champ.

Tous les manufacturiers ne foulent pas le drap avec du savon, surtout ceux qui ne sont pas fins. Les uns emploient la terre glaise et l'eau chaude, ce qui les rend rudes et terreux ; les autres l'eau chaude seulement. Les draps foulés de cette manière perdent de leur qualité, parce qu'ils demeurent plus longtemps à la foule, et que la grande quantité de coups de maillets qu'ils reçoivent, les vide et les altère. Le mieux est donc de se servir du savon ; il abrège le temps de la foule, et rend le drap plus doux.

Il faut avoir l'attention de tirer le drap de la pîle toutes les deux heures, tant pour en effacer les plis, que pour arrêter le rétrécissement.

Plus les draps sont fins, plus promptement ils sont foulés. Ceux-ci foulent en 8 ou 10 heures : ceux de la qualité suivante en 14 heures : les plus gros vont jusqu'à 18 ou 20 heures. Les coups de maillets sont réglés comme les battements d'une pendule à secondes.

Pour placer les draps dans le vaisseau ou la pile, on les plie tous en deux ; on jette le savon fondu sur le milieu de la largeur du drap ; on le plie selon sa longueur ; on joint les deux lisières, qui en se croisant de 5 à 6 pouces, enferment le savon dans le pli du drap ; de façon que le maillet ne frappe que sur son côté qui fera l'envers ? c'est la raison pour laquelle on aperçoit toujours à l'étoffe foulée, au sortir de la pile, un côté plus beau que l'autre, quoiqu'elle n'ait reçu aucun apprêt.

Quelques manufacturiers ont essayé de substituer l'urine au savon, ce qui a très-bien réussi ; mais la mauvaise odeur du drap qui s'échauffe en foulant, y a fait renoncer.

Les foulonniers qui veulent conserver aux draps leur longueur à la foule, ont soin de les tordre sur eux-mêmes, lorsqu'ils les placent dans la pile, par portion d'une aune et plus, cette quantité à droite, et la même à gauche, et ainsi de suite, jusqu'à ce que la pièce soit empilée. On appelle cette manière de fouler, fouler sur le large. Au contraire, si c'est la largeur qu'ils veulent conserver, ils empilent double, et par plis ordinaires, ce qui s'appelle fouler en pied.

On ne foule en pied que dans le cas où le drap foulé dans sa largeur ordinaire, ne serait pas assez fort, ou lorsqu'il n'est pas bien droit, et qu'il faut le redresser.

Voyez figure 21, le moulin à foulon ; a a, la grande roue appelée le hérisson ; b, la lanterne ; c c, l'arbre ; e e e, les levées ou parties saillantes qui font hausser les pelotes ; f f, les tourillons ; g g, les frettes qui lient l'arbre ; h h, les queues des pilons ; i, les pilons ; l l l, les geolières ; m, les vaisseaux ou piles ; n n, les moises ; o, l'arbre de l'hérisson auquel s'engrene la grande roue qui reçoit de l'eau son mouvement.

Du lainage des draps. Lorsque les draps sont foulés, il est question de les lainer ou garnir : pour cet effet, deux vigoureux ouvriers s'arment de doubles croix de fer ou de chardon, dont chaque petite feuille regardée au microscope, se voit terminée par un crochet très-aigu. Après avoir mouillé l'étoffe en pleine eau, ils la tiennent étalée ou suspendue sur une perche, et la lainent en la chardonnant, c'est-à-dire qu'ils en font sortir le poil en la brossant à plusieurs reprises devant et derrière, le drap étant doublé, ce qui fait un brossage à poil et à contre-poil ; d'abord à chardon mort ou qui a servi, puis à chardon vif ou qu'on emploie pour la première fais. On procede d'abord à trait modéré, ensuite à trait plus appuyé, qu'on appelle voies. La grande précaution à prendre, c'est de ne pas effondrer l'étoffe, à force de chercher à garnir et velouter le dehors.

Le lainage la rend plus belle et plus chaude. Il enlève au drap tous les poils grossiers qui n'ont pu être foulés ; on les appelle le jars ; il emporte peu de la laine fine qui reste comprise dans le corps du drap.

On voit ce travail fig. 24. a, porte-perche ; b, les perches ; c c, croix et le drap montés, et ouvriers qui s'en servent ; f, faudets ; fig. 25, croix montée.

Les figures 27 et 28 montrent les faudets séparés. Ce sont des appuis à claires voies, pour recevoir le drap, soit qu'on le tire, soit qu'on le descende en travaillant.

La figure 26 est un instrument ou peigne qui sert à nettoyer les chardons. Ses dents sont de fer, et son manche, de bois. Fig. 27 et 28, faudets.

De la tonte du drap. La tonte du drap succede au lainage ; c'est aux forces ou ciseaux du tondeur, à réparer les irrégularités du chardonnier ; il passe ses ciseaux sur toute la surface. Cela s'appelle travailler en première voie. Cela fait, il renvoye l'étoffe aux laineurs : ceux-ci la chardonnent de nouveau. Des laineurs elle revient au tondeur qui la travaille en reparage ; elle repasse encore aux laineurs, d'où elle est transmise en dernier lieu au tondeur qui finit par l'affinage.

Ces mots, première voie, repassage, affinage, n'expriment donc que les différents instants d'une même manœuvre. L'étoffe passe donc successivement des chardons aux forces, et des forces aux chardons, jusqu'à quatre ou cinq différentes fais, plus ou moins, sans parler des tontures et façons de l'envers.

Il y a des manufactures où l'on renvoie le drap à la foulerie, après le premier lainage.

L'étoffe ne soutient pas tant d'attaques réitérées, ni l'approche d'un si grand nombre d'outils tranchans, sans courir quelque risque. Mais il n'est pas de soin qu'on ne prenne pour rentraire imperceptiblement, et dérober les endroits affoiblis ou percés.

Dans les bonnes manufactures, les tondeurs sont chargés d'attacher un bout de ficelle à la lisière d'un drap qui a quelque défaut. On l'appelle tare. La tare empêche que l'acheteur ne soit trompé.

Voyez figures 29, 30, 31, 32, et 33, les instruments du lainage et de la tonte ou tonture. La fig. 29 montre les forces ; A, les lames ou taillans des forces ; b, c, le manche ; il sert à rapprocher les lames, en bandant une courroie qui les embrasse.

On voit ce manche séparé, fig. 30. c est un tasseau avec sa vis d ; il y a une plaque de plomb qui affermit la lame dormante ; e, billette ou pièce de bois que l'ouvrier empoigne de la main droite, pendant que la gauche fait jouer les fers par le continuel bandement et débandement de la courroie de la manivelle.

L'instrument qu'on voit fig. 31, s'appelle une rebrousse. On s'en sert pour faire sortir le poil.

Les figures 32, sont des cardinaux ou petites cardes de fer pour coucher le poil ; b, vue en-dessus ; a, vue en-dessous.

Les figures 33, 34 sont des crochets qui tiennent le drap à tondre étendu dans sa largeur sur la table.

La fig. 35 est une table avec son coussin, ses supports et son marche-pié. C'est sur cette table que le drap s'étend pour être tondu.

De la rame. Après les longues manœuvres des fouleries, du lainage et de la tonture, manœuvres qui varient selon la qualité de l'étoffe ou l'usage des lieux, soit pour le nombre, soit pour l'ordre ; les draps lustrés d'un premier coup de brosse, sont mouillés et étendus sur la rame.

La rame est un long châssis ou un très-grand assemblage de bois aussi large et aussi long que les plus grandes pièces de drap. On tient ce châssis debout, et arrêté en terre. On y attache l'étoffe sur de longues enfilades de crochets dont ses bords sont garnis, par ce moyen elle est distendue en tout sens.

La partie qui la tire en large et l'arrête em-bas sur une partie transversale mobile, s'appelle larget ; celle qui la saisit par des crochets, à son chef, s'appelle templet.

Il s'agit d'effacer les plis que l'étoffe peut avoir pris dans les pots des foulons, de la tenir d'équerre, et de l'amener sans violence à sa juste largeur : d'ailleurs en cet état on la brosse, on la lustre mieux, on la peut plier plus carrément ; le ramage n'a pas d'autre fin dans les bonnes manufactures.

L'intention de certains fabriquans dans le tiraillement du drap sur la rame, est quelquefois un peu différente. Ils se proposent de gagner avec la bonne largeur, un rallongement de plusieurs aulnes sur la pièce : mais cet effort relâche l'étoffe, l'amollit, et détruit d'un bout à l'autre le plus grand avantage que la foulerie ait produit. C'est inutilement qu'on a eu la précaution de rendre par la carde le fil de chaîne fort, et celui de trame, velu, de les filer de rebours, et de fouler le drap en fort pour le liaisonner comme un feutre, si on l'étonne à force de le distendre, si on en resout l'assemblage par une violence qui le porte de vingt aulnes à vingt-quatre. C'est ce qu'on a fait aux draps effondrés, mollasses et sans consistance.

On a souvent porté des plaintes au Conseil, contre la rame, et elle y a toujours trouvé des défenseurs. Les derniers règlements en ont arrêté les principaux abus, en décernant la confiscation de toute étoffe qui à la rame aurait été allongée au-delà de la demi-aulne sur vingt-aulnes, ou qui s'est prêtée de plus d'un seizième sur sa largeur. La mouillure en ramenant tout d'un coup le drap à sa mesure naturelle, éclaircit l'infidélité, s'il y en a. Le rapport du poids à la longueur et largeur, produirait le même renseignement.

La figure 36 représente la rame a a, où l'on étend des pièces entières de drap ; b b, sa traverse d'en-haut où le drap s'attache sur une rangée de clous à crochets, espacés de trois pouces ; c c, la traverse d'em-bas qui se déplace et peut monter à coulisse ; d, montants ou piliers. Fig. 37 e larget ou diable, comme les ouvriers l'appelent. C'est une espèce de levier qui sert à abaisser les traverses d'embas, quand on veut élargir le drap ; f, templet garni de deux crochets auxquels on attache la tête ou la queue de la pièce ; il sert à l'allonger au moyen d'une corde attachée à un pilier plus éloigné, et qui passe sur la poulie g.

De la brosse et de la tuile. Le drap est ensuite brossé de nouveau, et toujours du même sens, afin de disposer les poils à prendre un pli uniforme. On aide le lustre et l'uniformité du pli des poils, en tuilant le drap, c'est-à-dire, en y appliquant une planche de sapin qu'on appelle la tuile. Voyez fig. 38 la tuile.

Cette planche, du côté qui touche l'étoffe, est enduite d'un mastic de résine, de grais pilé, et de limaille passés au sas. Les paillettes et les résidus des tontures qui altéreraient la couleur par leur déplacement, s'y attachent, ou sont poussés enavant, et déchargent l'étoffe et la couleur qui en a l'oeil plus beau. On acheve de perfectionner le lustre par le cati.

Du cati, du feuilletage, et des cartons. Catir le drap ou toute autre étoffe, c'est le mettre en plis carrés, quelquefois gommer chaque pli, puis feuilleter toute la pièce, c'est-à-dire, insérer un carton entre un pli et un autre, jusqu'au dernier qu'on couvre d'un ais carré qu'on nomme le tableau, et tenir le paquet ainsi quelque temps sous une presse.

Pour qu'une étoffe soit bien lustrée et bien catie, ce n'est point assez que les poils en soient tous couchés du même sens, ce qui toutefois produit sur toute l'étendue de la pièce, la même réflexion de lumière : il faut de plus qu'ils aient entièrement perdu leur ressort au point où ils sont pliés ; sans quoi ils se releveront inégalement. La première goutte de pluie qui tombera sur l'étoffe, venant à sécher, les poils qu'elle aura touchés, reprendront quelqu'élasticité, se redresseront, et montreront une tache où il n'y a en effet qu'une lumière réfléchie en cet endroit, autrement qu'ailleurs.

On essaie de prévenir cet inconvénient par l'égalité de la presse, on réitère le feuilletage, en substituant aux premiers cartons d'autres cartons ou vélins plus lisses et plus fins ; en y ajoutant de loin en loin des plaques de fer ou de cuivre bien chaudes. Malgré cela, il est presqu'impossible de briser entièrement le ressort des poils, et de les fixer couchés si parfaitement d'un coté, que quoiqu'il puisse arriver, ils ne se relèvent plus.

Quoique la matière dont on fabrique les draps, soit mêlée, soit blancs, vienne d'être exposée avec assez d'exactitude et d'étendue, et qu'elle semble devoir former la partie principale de cet article, cependant on fabrique avec la laine peignée une si grande quantité d'étoffes, que ce qui nous en reste à dire, comparé avec ce que nous avons dit des ouvrages faits avec de la laine cardée ; ne paraitra ni moins curieux, ni moins important, c'est l'objet de ce qui Ve suivre.

Du travail du peigne. Tous les tissus en général pourraient être compris sous le nom d'étoffes, il y aurait les étoffes en soie, en laine, en poil, en or, en argent, etc. Les draps n'ont qu'une même façon de travail et d'apprêt. Les uns exigent plus de main-d'œuvre, les autres moins ; mais l'espèce ne change point malgré la diversité des noms, relative à la qualité, aux prix, aux lieux, aux manufactures, etc.

Les longues broches de fer qui forment le peigne, rangées à deux étages sur une pièce de bois avec laquelle une autre de corne s'assemble, et qui les soutient, de la longueur de sept pouces ou environ ; la première rangée à vingt-trois broches ; la seconde à vingt-deux un peu moins longues, et posées de manière que les unes correspondent sur leur rangée, aux intervalles qui séparent les autres sur la leur, servent d'abord à dégager les poils, et à diviser les longs filaments qu'on y passe de tout ce qui s'y trouve de grossier, d'inégal et d'étranger.

Si la pointe de quelqu'une de ces dents vient à s'émousser à la rencontre de quelque matière dure qui cede avec peine, on l'aiguise avec une lime douce ; et si le corps de la dent se courbe sous une filasse trop embarrassée, on la redresse avec un petit canon de fer ou de cuivre.

L'application d'un peigne sur un autre, dont les dents s'engagent dans le premier ; l'insertion des fils entre ces deux peignes ; l'attention de l'ouvrier à passer sa matière entre les dents des peignes en des sens différents, démêlent parfaitement les poils dont chaque peigne a été également chargé.

Ce travail réitéré range le plus grand nombre de poils en longueur, les uns à côté des autres, en couche nécessairement plusieurs sur l'intervalle qui sépare les extrémités des poils voisins, les uns plus hauts, les autres plus bas, dans toute la poignée, selon l'étage des dents qui les saisissent.

Lorsque la laine parait suffisamment peignée, l'ouvrier accroche le peigne au pilier, pour tirer la plus belle matière dans une seule longueur, à laquelle il donne le nom de barre ; quant à la partie de laine qui demeure attachée au peigne, on l'appelle retiron, parce qu'étant mêlée avec de la laine nouvelle, elle est retirée une seconde fais. A cette seconde manœuvre, celle qui reste dans le peigne est appelée peignon, et ne peut être que mêlée avec la trame destinée aux étoffes grossières. Les règlements ont défendu de la faire entrer dans la fabrication des draps.

On dispose par ce préparatif les poils de la laine peignée, à se tordre les uns sur les autres sans se quitter, quand des mains adroites les tireront sous un volume toujours égal, et les feront rouler uniment sous l'impression circulaire d'un rouet ou d'un fuseau.

Voyez figure 39, le travail du peigne. a, a, a, le fourneau pour chauffer les peignes ; b, b, l'ouverture pour faire chauffer les peignes ; c, plaque de fer qui couvre l'entrée du fourneau, et conserve sa chaleur. C'est par le même endroit qu'on renouvelle le charbon ; d, piliers qui soutiennent les crochets ; e, fig. 42, crochet ou chèvre ; f, fig. 40, le peigne ; g, fig. 39, ouvrier qui peigne ; h, ouvrier qui tire la barre quand la laine est peignée ; i, petite cuve dans laquelle l'ouvrier teint la laine huilée ou humectée par le savon ; K, K, banc sur lequel l'ouvrier est assis en travaillant, et dans la capacité duquel il met le peignon ; Fig. 41, canon ou tuyau de fer ou de laiton, pour redresser les broches du peigne, quand elles sont courbées.

Il y a des manufacturiers qui sont dans l'usage de faire teindre les laines avant que de les passer au peigne. D'autres aiment mieux les travailler en blanc, et ne les mettre en teinture qu'en fils ou même en étoffe.

La méthode de teindre en fils est impraticable dans certaines étoffes, telles que les mélangées et les façonnées, etc.

Si l'on teint le fil quand il est filé, les écheveaux ne prendront pas la même couleur ; la teinture agira diversement sur les fils bien tordus et sur ceux qui le sont trop ou trop peu. Il y a des couleurs qui exigent une eau bouillante, dans laquelle les fils se colleront ensemble ; on ne pourra les devider, et moins encore les mettre en œuvre.

La laine quelque déliée qu'elle sait, est susceptible de plusieurs nuances dans une même couleur.

Mais tout s'égalisera parfaitement par le mélange du peigne et l'attention de l'ouvrier.

Il vaut donc mieux pour la perfection des étoffes fabriquées avec la laine peignée, de faire teindre la matière avant que de la préparer, à moins qu'on ne se propose d'avoir des étoffes en blanc qu'on teindra d'une seule couleur, ou noir, ou bleu, ou écarlate, etc.

Les laines teintes seront lavées ; les blanches seront pilotées, puis battues sur les claies et ouvertes-là à grands coups de baguettes.

Ces manœuvres préliminaires que nous avons expliquées plus haut, auront lieu, soit qu'on veuille les peigner, ou à l'huîle ou à l'eau.

Les étoffes fabriquées avec des laines teintes peignées, vont rarement au foulon ; conséquemment il faut les peigner à l'eau ; pour les laines blanches et destinées à la fabrication d'étoffes sujettes au foulon, on les peignera à l'huile.

Les laines blanches ou de couleur qui seront peignées sans huile, seront après avoir été battues, trempées dans une cuvette où l'on aura délayé du savon blanc ou autre.

La laine retirée par poignée sera attachée d'une part au crochet dormant du dégraissoir, et de l'autre au crochet mobile, qui tourné sur lui-même, à l'aide des branches du moulinet, la tord et la dégorge.

Voyez fig. 43. le dégraissoir que les ouvriers appellent aussi verin. A, A, les montants. B, crochet fixe ou dormant. C, le moulinet. D, crochet mobile. E, fig. 44, roue de retenue. f, même fig. le chien. G, fig. 43, la cuvette.

Toute la pesée de laine est conservée en tas dans une corbeille pour être peignée plus aisément à l'aide de cette humidité.

Si elle doit être tissée en blanc, elle passe de-là au soufroir, qui est une étuve où on la tient sans air, et exposée sur des perches à la vapeur du soufre qui brule. Le soufre qui macule sans ressource la plupart des couleurs, dégage efficacement la laine qui n'est pas teinte de toutes ses impuretés, et lui donne la blancheur la plus éclatante. C'est l'effet de l'acide sulfureux volatil qui attaque les choses grasses et onctueuses.

Les laines de Hollande, de Nort-Hollande, d'Est-Frise, du Texel, sont les plus propres à être peignées. On peut y ajouter celles d'Angleterre ; mais il y a des lois sévères qui en défendent l'exportation, et qui nous empêchent de prononcer sur sa qualité. Les laines du Nord de la France, vont aussi fort bien au peigne : mais elles n'ont pas la finesse de celles de Hollande et d'Angleterre. Les laines d'Espagne, du Berry, de Languedoc, se peigneraient aussi, mais elles sont très-basses ; elles feutrent facilement à la teinture chaude, et elles souffrent un déchet au-moins de cinquante par cent ; ce qui ne permet guère de les employer de cette manière.

La longue laine qui a passé par les peignes, est celle qu'on destine à faire le fil d'étaim qui est le premier fonds de la plupart des petites étoffes de laine, tant fines que communes ; on en fait aussi des bas d'estame, des ouvrages de Bonnetterie à mailles fortes, et qu'on ne veut pas draper. Nous en avons dit la raison en parlant des laines qui se rompent sous la carde.

Pour disposer la laine peignée et conservée dans une juste longueur à prendre un lustre qui imite celui de la soie, il faut que cette laine soit filée au petit rouet ou au fuseau, et le plus tors qu'il est possible. Si ce fil est serré, il ne laisse échapper que très-peu de poils en-dehors ; d'où il arrive que la réflexion de la lumière se fait plus également et en plus grande masse, que si elle tombait sur des poils hérissés en tout sens, qui la briseraient et l'éparpilleraient.

Voyez fig. 45, le petit rouet pour la laine peignée. a, a, a, a, les piliers du banc du rouet. b, les montants. c, la roue. d, sa circonférence large. e, la manivelle. f, la pédale ou marche pour faire tourner la roue. g, la corde qui répond de l'extrémité de la marche à la manivelle. h, la corde du rouet. i, les marionettes soutenant les fraseaux. l, les fraseaux ou morceaux de feutre ou de natte percée, pour recevoir ou laisser jouer la broche. m, la broche. n, la bobine. o, le banc soutenu par les par les piliers a. Le fil d'étaim se dévide de dessus les fuseaux ou de dessus les canelles du petit rouet sur des bobines, ou sur des pelotes, au nombre nécessaire pour l'ourdissage.

Toutes les particules de ce fil ont une roideur ou un ressort qui les dispose à une rétraction perpétuelle ; ce qui à la première liberté qu'on lui donnerait, cordellerait un fil avec l'autre. On amortit ce ressort en pénétrant les pelotes ou bobines de la vapeur d'une eau bouillante.

Cela fait, on distribue les pelotes dans autant de cassetins ou de petites loges, comme on la pratique au fil de la toile. On les tire de-là en les menant par un pareil nombre d'anneaux qu'il y a de pelotes, ou sans anneaux sur un ourdissoir ; cet ourdissoir où se prépare la chaîne est le même qu'aux draps ; et l'ourdissage n'est pas différent.

Dans les lieux où se fabriquent les petites étoffes, comme à Aumale pour les serges ; il est d'usage de mener vingt fils sur les chevilles de l'ourdissoir. L'allée sur toutes les chevilles et le repli au retour sur ces chevilles ou sur l'ourdissoir tournant, produiront un premier assemblage de quarante fils ; c'est ce qu'on nomme une portée. Il faut trente-huit de ces portées, en conformité des règlements, pour former la totalité de la poignée qu'on appelle chaine. Il y a donc à la chaîne 1520 fils, qui multipliés par la longueur que les règlements ont enjointe, donnent 97280 aunes de fils, à soixante-quatre aulnes d'attache ou d'ourdissage.

Les apprêts de la laine peignée, filée et ourdie, sont pour une infinité de villages dispersés autour des grandes manufactures, un fonds aussi fécond presque que la propriété des terres. Cependant le laboureur n'y devrait être employé que quand il n'y a point de friche, et que la culture a toute la valeur qu'on en peut attendre. Ces travaux toutefois font revenir sur les lieux une sorte d'équivalent qui remplit ce que les propriétaires en emportent sans retour.

On donne à toutes les étoffes dont la chaîne est d'étaim, des lisières semblables à celles du drap ; mais elles ne sont pas si larges ni si épaisses : la lisière est ordonnée dans quelques-unes pour les distinguer.

De l'étoffe de deux étaims ou de l'étamine. Il y a des étoffes dont la trame n'est point velue, mais faite de fil d'étaim ou de laine peignée, ainsi que la chaîne ; ce qui fabrique une étoffe lisse, qui eu égard à l'égalité ou presque égalité de ses deux fils, se nommera étamine, ou étoffe à deux étaims. Au contraire, on appellera étoffe sur étaim, celle dont la chaîne est de laine peignée, et la trame ou fourniture, ou enflure de fil lâche, ou de laine cardée.

De la distinction des étoffes. C'est de ces premiers préparatifs du fil provenu de matières qui ont passé ou par les peignes, ou par les cardes, que nait la différence d'une simple toile, dont la chaîne et la trame sont d'un chainon également tors, à une futaine qui est toute de coton, mais à chaîne lisse et à trame velue ; du drap, à une étamine rase. Le drap est fabriqué d'une chaîne et d'une trame qui ont été également cardées, quoique de la plus longue et de la plus haute laine ; au lieu que la belle étamine est faite d'étaim sur étaim, c'est-à-dire d'une chaîne et d'une trame également lisses, l'une et l'autre également serrées, et d'une fine et longue laine qui a passé par le peigne pour être mieux torse et rendue plus luisante. De la serge ou de l'étoffe drapée dont la trame est lâche et velue, aux burats, aux voiles, et aux autres étoffes fines dont le fil de longueur et celui de traverse, sont d'une laine très-fine, l'une et l'autre peignées, et l'une et l'autre presque également serrées au petit rouet. C'est cette égalité ou presque égalité des deux fils et la suppression de tout poil élancé au-dehors, qui, avec la finesse de la laine, donne aux petites étoffes de Rheims, du Mans, et de Châlons sur-Marne, le brillant de la soie.

L'étamine change et prend un nouveau nom avec une forme nouvelle, si seulement on a filé fort doux la laine destinée à la trame, quoiqu'elle ait été peignée comme celle de la chaîne.

Ce ne sera plus une étamine, mais une serge façon d'Aumale, si la trame est de laine peignée et filée lâche au petit rouet, et que la chaîne soit haussée et abaissée par quatre marches au lieu de deux, et que l'entrelas des fils soit doublement croisé.

Si au contraire la trame est grosse et filée au grand rouet, ce sera une serge façon de tricot.

Si la trame est fine, ce sera une serge façon de Saint-Lo, ou Londres ou façon de Londres.

Si la chaîne est filée au grand rouet et la trame de même, comme pour les draps, ce sera une ratine ou serge forte.

A ces premières combinaisons, il s'en joint d'autres qui naissent ou simplement des degrés du plus au moins, ou des changements alternatifs soit de couleur, soit de grosseur dans les fils de la chaîne, ou du frapper de l'étoffe sur le métier.

Une étoffe fine d'étaim sur étaim à deux marches, et serrée au métier, fera l'étamine du Mans.

La même frappée moins fort, ou laissée à claire voie, fera du voile.

La trame est elle filée de laine fine, mais cardée ? c'est un beau maroc.

Est-elle un peu grosse ? ce sera une baguette ou une sempiterne, pourvu qu'elle ait de largeur une aune et demie ou deux aunes.

Y a-t-on employé ce qu'il y a de pire en laine ? c'est une revesche.

La chaîne est-elle haussée et baissée par quatre marches, et la trame très-fine ? c'est un maroc double croisé.

La trame est-elle de laine un peu grosse sans croisure ? c'est une dauphine.

La trame est-elle de Ségovie cardée sur étaim fin ? c'est l'espagnolette de Rheims.

Est-elle double croisée ? c'est la flanelle.

La chaîne est-elle d'étaim double et retordu ? c'est le camelot.

Est-elle sur cinq lisses ou lames avec autant de marches ? c'est la calemande de Lisle.

Trame de Berri sur étaim croisé ? c'est le moleton, en le tirant au chardon des deux côtés.

Grosse trame de laine du pays, mêlée avec du peignon, sur chaîne de chanvre ? c'est la tiretaine de Baucamp ou le droguet du Berri et de Poitou.

La serge bien drappée, n'est que le pinchina de Toulon ou de Châlons-sur-Marne.

La serge de grosse laine bien foulée, est le pinchina de Berri.

On remplirait cent pages des noms qui sont donnés aux étoffes d'une même espèce, et qui n'ont de différence que les lieux où elles sont fabriquées.

En un mot, toutes les étoffes unies de laine, sous quelque dénomination qu'elles puissent être, ne se fabriquent que de deux façons, ou à simple croisure ou à double. Tout ce qui est fabriqué à simple croisure est de la nature du drap quand il foule ; tels sont les draps londrins, les soies ou draps façon de Venise, destinés pour le commerce du Levant, auxquels on donne des noms extraordinaires, comme aboucouchou, etc. et quand il ne foule pas, il est de la nature de la toile. Tout ce qui est fabriqué à double croisure est serge, soit qu'il foule ou qu'il ne foule pas. De façon que la Draperie en général, n'est que de drap ou de serge, excepté néanmoins les calemandes qui ont cinq lisses et cinq marches, et qui ne lèvent qu'une lisse à chaque coup de navette ; ce qui leur donne un envers et un endroit, quoique sans apprêt.

On appelle croisé simple, une étoffe à deux lisses et à deux marches dont les fils parfaitement croisés haussent et baissent alternativement à chaque coup de navette.

On appelle double croisé, une étoffe à quatre lisses et à quatre marches, dont le premier et le second fil lèvent au premier coup de navette ; le second et le troisième au second coup de navette ; le troisième et le quatrième au troisième coup de navette ; le quatrième et le premier, au quatrième coup, et ainsi de suite ; de manière qu'un même fil hausse et baisse deux fois pour chaque duite, au lieu qu'il ne hausse et ne baisse qu'une fois au drap.

Après les étoffes de laine viennent les étoffes mélangées de laine et poil.

Des étoffes mélangées de laine et de poil. Tel est le camelot poil qui ne diffère du camelot ordinaire, qu'en ce que la chaîne qui est d'un fil d'étaim bien fin est filée et retordue avec un fil de poil de chameau également fin, et la trame d'un fil d'étaim simple.

Les étamines et les camelots en soie, ou étamines jaspées et camelots jaspés, sont fabriqués pour la chaîne d'un fil de soie et d'un fil d'étaim, comme les camelots poil, mais frappés moins fort.

Le camelot et l'étamine jaspée ont la chaîne d'un fil d'étaim et d'un fil de soie de différentes couleurs, et c'est ce qui fait la jaspure.

Le cannelé, façon de Bruxelles, a la moitié de la chaîne d'une couleur, et l'autre moitié d'une autre ; il se travaille avec deux navettes, dont l'une chargée de grosse laine, et l'autre d'étaim fin, des deux mêmes couleurs que la chaîne qui est également retordue à deux fils, pour donner plus de consistance à l'étoffe, et la liberté de la frapper avec plus de force, et avec les battants les plus pesans.

Le drap, façon de Silésie, a sa chaîne et sa trame filées au grand rouet. Quoique cette étoffe soit réellement drap, néanmoins elle n'est pas travaillée à deux marches comme les draps ordinaires. C'est le dessein qui détermine la distribution des fils qui doivent lever et demeurer baissés ; de manière que le fabriquant est assujetti à composer un dessein qui convienne à l'étoffe, dont la fabrication deviendrait impossible, si le dessein était autrement entendu.

Il ne faut pas oublier les camelots fleuris ou droguets façonnés d'Amiens. Ils ont la chaîne composée d'un fil de soie tordu avec un fil d'étaim très-fin, pour leur donner plus de consistance. Cette union du fil de soie et du fil d'étaim devient nécessaire ; car ces étoffes étant travaillées à la marche, la chaîne fatigue davantage.

On avait entrepris à la manufacture de l'Hôpital de faire des droguets de cette espèce tout laine ; ils ont eu quelque succès. Ces étoffes se fabriquaient à la tire ou au bouton, comme les draps de Silésie ; par ce moyen la chaîne était moins fatiguée.

Les droguets de Rheims soie et laine, ont la trame d'une laine extrêmement fine.

Ces étoffes qui sont fabriquées de deux matières différentes, et qui ne foulent point, sont montées avec deux chaînes, dont l'une exécute la figure, et l'autre fournit au corps de l'étoffe ; ce qui ne pourrait se faire avec de la laine ; la grosseur du fil d'étaim, de quelque manière qu'il soit filé, étant beaucoup plus considérable que celle de la soie, et la quantité qu'il en faudrait employer pour la fabrication dans les deux chaînes, étant d'un volume à ne pouvoir plus passer dans les lisses.

Après ces étoffes viennent les calemandes façonnées, ou à grandes fleurs.

Des calemandes façonnées ou à grandes fleurs. La composition de ces étoffes est semblable à celle des satins tout soie. La tire en est aussi la même ; il n'y a de différence que dans le nombre des fils, qui n'est pas si considerable à la chaîne, où ceux-là sont retordus et doubles.

Des pluches unies et façonnées. Les pluches unies ont été fabriquées à l'imitation des velours. La chaîne est également de fil d'étaim double et retordu, et le poil qui fait la seconde chaîne de la pluche, de poil de chameau tordu et doublé, à deux brins de fil pour les simples, à trois pour les moyennes, et à quatre pour les plus belles. Les pluches ciselées sont fabriquées comme les velours de cette espèce ; les unes avec la marche, lorsque le dessein est peint ; les autres à la tire, lorsque le dessein est plus grand.

Il y a des pluches dont le poil est de soie, qu'on appelle pluches mi-soie ; elles ont la trame et la chaîne à l'ordinaire.

On rompait plus efficacement le ressort du poil de la laine, et l'on donnait aux étoffes un lustre plus net et plus durable, autrefois qu'on était dans l'usage de les passer à la calandre ; mais on s'est aperçu que celles qui étaient foulées n'acquéraient point la fermeté qu'elles devaient avoir, en ne prenant point le cati ; ce qui a conduit à l'emploi de la presse. La presse aidée des plaques de fer ou de cuivre extrêmement échauffées, donne la consistance qu'on exige.

Les ordonnances qui défendent de presser à chaud, sont des années 1508, 1560, 1601, et du 3 Décembre 1697 ; il faut s'y soumettre au moins pour les draps d'écarlate et rouge de garence, dont la chaleur éteint l'éclat. Mais pour éviter cet inconvénient, on tombe dans un autre, et ces étoffes non pressées à chaud, n'offrent jamais une qualité égale aux draps qui ont subi cette manœuvre.

Les fabriquans contraints d'opter, ont négligé les ordonnances sur la presse à chaud ; ils la donnent même aux couleurs qui la craignent, et ils n'en font pas mieux.

Les étamines et les serges, soit celles qui étant fort lisses ne vont pas à la foulerie, soit celles qui n'ont été que dégraissées ou battues à l'eau, soit celles qui ont été non-seulement dégraissées et dégorgées, mais foulées à sec pour être drapées, doivent toutes être rinsées et aérées. On les retire de la perche pour leur donner les derniers apprêts, dont le but principal est d'achever de détruire les causes de rétraction et de ressort qui troublent l'égalité du tissu, d'incliner d'un même sens tous les poils d'un côté, d'en former l'endroit, et d'établir ainsi une sorte d'harmonie dans l'étoffe entière, par la suppression des dérangements et tiraillements des fibres extérieures, et l'uniformité de la réflexion de la lumière au-dehors.

C'est ce que l'on observe en faisant passer au bruisage les étamines délicates, et au retendoir ou bien à la calandre, toutes les étoffes foulées.

Du bruisage. Bruir des pièces d'étoffes, c'est les étendre proprement chacune à part, sur un petit rouleau ; et coucher tous ces rouleaux ensemble dans une grande chaudière de cuivre rouge et de forme carrée, sur un plancher criblé de trous, et élevé à quelque distance du vrai fond de la chaudière.

On remplit d'eau l'intervalle du vrai fond, ou faux fond percé de trous ; on fait chauffer, on tient la chaudière bien couverte. La vapeur qui s'élève et qui passe par les trous du faux fond, est renvoyée par le couvercle de toutes parts sur les étoffes, les pénètre peu-à-peu, et assouplit tout ce qui est de roide et d'élastique ; la presse acheve de détruire ce qui reste.

Du retendoir. Il en est de même du retendoir. Après avoir aspergé d'une eau gommée tout l'envers de l'étoffe, et l'avoir mise sur un grand rouleau, on en applanit plus efficacement encore tous les plis et toute l'inégalité des tensions, en dévidant lentement l'étoffe de dessus son rouleau, et la faisant passer sur une barre de fer poli, qui la tient en état au-dessus d'un grand brasier capable d'en agiter jusqu'aux moindres fibres, et en la portant de-là sur un autre rouleau qui l'entraîne uniment à l'aide d'une roue, d'une chèvre ou d'un moulinet. L'étoffe Ve et vient de la sorte à diverses reprises d'un rouleau à l'autre ; c'est l'intelligence de l'apprêteur qui règle la machine et la manœuvre.

Voyez figure 46. le retendoir. A A A A, le banc ; b b, le rouleau ; c c c, les traverses, dessus et dessous lesquelles passe l'étoffe ; d d d, l'étoffe ; e e, la poêle à mettre un brasier, qu'on glisse sous l'étoffe près du rouleau.

Enfin l'étoffe soit bruisée, soit retendue, est plissée, feuilletée, mise à la presse, ou même calandrée, puis empointée, ou empaquetée avec des ficelles qui saisissent tous les plis par les lisières.

Il y a encore quelques apprêts qui diffèrent des précédents ; telle est la gaufre. Voyez l'article GAUFRER.

Il y a des étoffes gaufrées et qui portent ce nom, parce qu'on y a imprimé des fleurons, ou compartiments avec des fers figurés. Il y a des serges peintes qui se fabriquent et s'impriment à Caudebec en Normandie. Le débit en est d'autant plus considérable, que tout dépend du bon goût du fabriquant, du dessein et de la beauté des couleurs.

Il y a des étoffes tabisées ou ondées comme le gros taffetas qu'on nomme tabis, parce qu'ayant été inégalement, et par des méthodes différentes de l'ordinaire, pressées sous la calandre, le cylindre quoique parfaitement uni, a plié une longue enfilade de poils en un sens, et une autre enfilade de poils sur une ligne ou pression différente ; ce qui donne à la soie ou à la laine ces différents effets de lumière ou sillons de lustre, qui semblent se succéder comme des ondes, et qui se conservent assez longtemps ; parce que ce sont les impressions d'un poids énorme, qui dans ses différentes allées et venues, a plutôt écrasé que plié les poils et le grain de l'étoffe.

On fit il y a plusieurs années à la manufacture de Saint-Denis des expériences sur une nouvelle méthode de fabriquer les étoffes de laine, sans les coller après qu'elles sont ourdies, comme c'est l'usage.

Il s'agit de préparer les fils d'une façon, qui leur donne toute la consistance nécessaire.

Nous ne savons ce que cela est devenu.

Nous finirons cet article en rassemblant sous un même point de vue quelques arts assez différents, qui semblent avoir un but commun, et presque les mêmes manœuvres ; ces arts sont ceux du Chapelier, du Perruquier, du Tabletier-Cornetier, du Faiseur de tabatières en écaille, et du Drapier. Ils emploient tous, les uns les poils des animaux, les autres l'écaille, les cheveux, et tous leurs procédés consistent à les amollir par la chaleur, à les appliquer fortement, et à les lier.

LAINE HACHEE, TAPISSERIE EN LAINE HACHEE, (Art mécanique) Comme nous ne fabriquons point ici de ces sortes d'ouvrages, voici ce que nous en avons pu recueillir.

1. Préparez un mélange d'huîle de noix, de blanc de céruse et de litharge ; employez ce mélange chaud.

2. Que votre toîle soit bien étendue sur un métier.

3. Prenez un pinceau ; répandez par-tout de votre laine hachée, et que cette laine soit de la couleur dont vous voulez que soit votre tapisserie.

4. Si vous voulez varier de dessein coloré votre tapisserie ; lorsque votre laine hachée tiendra à la toile, peignez toute sa surface comme on peint les toiles peintes : ayez des planches.

5. Si vous voulez qu'il y ait des parties enfoncées et des parties saillantes, et que le dessein soit exécuté par ces parties saillantes et enfoncées, ayez un rouleau gravé avec une presse, comme pour le gaufrer des velours. Un ouvrier enduira le rouleau de couleurs avec des balles ; un autre ouvrier tournera le moulinet ; l'étoffe passera sur le rouleau, sera pressée et mise en tapisserie.




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