S. f. (Littérature) est le langage ordinaire des hommes, qui n'est point gêné par les mesures et les rimes que demande la poésie ; elle est opposée au vers. Voyez VERS. Ce mot vient du latin prosa, que quelques-uns prétendent dérivé de l'hébreu poras, qui signifie expendit ; d'autres le dérivent de prorsa ou prorsus, qui Ve en avant, par opposition à versa, qui retourne en arrière, ce qu'il est nécessaire de faire lorsqu'on écrit en vers.

Quoique la prose ait des liaisons qui la soutiennent, et une structure qui la rend nombreuse ; elle doit paraitre fort libre, et n'avoir rien qui sente la gêne. Voyez STYLE, CADENCE, etc.

Il est rare que les poètes écrivent bien en prose, ils se sentent toujours de la contrainte à laquelle ils sont accoutumés.

Saint-Evremont compare les écrivains en prose aux gens de pied, qui marchent plus tranquillement et avec moins de bruit.

Quoique la prose ait toujours été, comme elle l'est aujourd'hui, le langage ordinaire des hommes, elle n'a pas d'abord été consacrée aux ouvrages d'esprit ni même à conserver la mémoire des événements comme la poésie. Phérécyde de Scyros qui vivait au siècle de Cyrus, écrivit un ouvrage de philosophie, et c'était le premier ouvrage en prose qu'on eut Ve parmi les Grecs, si l'on en croit Pline, qui dit de ce Phérécyde, prosam primus condere instituit. Mais ce passage de Pline signifie que cet auteur fut le premier qui traita en prose des matières philosophiques, ou qui s'appliqua à donner à la prose cette espèce de cadence, qui lui est propre dans les langues dont les syllabes reçoivent des accens sensiblement variés, telle qu'est la langue grecque, et c'est ce qu'insinue le mot condere, qui signifie proprement arranger, disposer. Il ne s'ensuit nullement de-là que Phérécyde ait été le premier écrivain en prose qu'aient eu les Grecs. Car Pausanias parle d'une histoire de Corinthe écrite en prose, et attribuée à un certain Rumelus, que la chronique d'Eusebe place à la onzième olympiade ou vers l'an 740 avant Jesus-Christ, c'est-à-dire deux cent ans avant Phérécyde et le siècle de Cyrus. Il en a presque été de même parmi toutes les autres nations. Dans les monuments publics, les chroniques, les lais, la philosophie même, les vers ont été en usage avant la prose. Ainsi, parmi nous, il a été un temps où l'on ne croyait pas que la prose française méritât d'être transmise à la postérité. A peine avons-nous un ou deux ouvrages de prose antérieurs à Villehardouin et à Joinville, tandis que nos bibliothèques sont encore pleines de poèmes historiques, allégoriques, moraux, etc. composés dans des temps très-reculés. Mémoires de l'académie des Belles-Lettres, tome VI.

M. de la Mothe et d'autres ont soutenu qu'il pouvait y avoir des poèmes en prose. Mais on leur a répondu, comme il est vrai, que la prose et la poésie ont eu de tout temps des caractères distingués, que la traduction en prose d'un poème n'est à ce poème que ce qu'une estampe est à un tableau, elle en rend bien le dessein, mais elle n'en exprime pas le coloris, et c'est ce que madame Dacier elle-même pensait de sa traduction d'Homère. Le consentement unanime des nations appuie encore ce sentiment. Apulée et Lucien, quoique tous deux fertiles en fictions et en ornements poétiques, n'ont jamais été comptés parmi les poètes. La fable de Psyché aurait été appelée poème, s'il y avait des poèmes en prose. Le songe de Scipion, quoique fiction très-noble, écrite en style poétique, ne fera jamais mettre le nom de Cicéron parmi ceux des poètes latins, de même que parmi ceux de nos poètes français nous ne mettons point celui de Fénelon. D'ailleurs l'éloquence et la poésie ont chacune leur harmonie, mais si opposées que ce qui embellit l'une défigure l'autre. L'oreille est choquée de la mesure du vers quand elle le trouve dans la prose, et tout vers prosaïque déplait dans la poésie. La prose emploie à la vérité les mêmes figures et les mêmes images que la poésie, mais le style est différent, et la cadence est toute contraire. Dans la poésie même chaque espèce a sa cadence propre ; autre est le ton de l'épopée, autre est celui de la tragédie ; le genre lyrique n'est ni épique, ni dramatique, et ainsi des autres. Comment la prose, dont la marche est uniforme, pourrait-elle ainsi diversifier ses accords ? La prétention de M. de la Mothe a eu le sort des paradoxes mal fondés, on en a montré le faux, et l'on a continué à faire de beaux vers et à les admirer.

PROSE, (Histoire ecclésiastique) nom qu'on a donné dans les derniers siècles à certaines hymnes composées de vers sans mesure, mais de certain nombre de syllabes avec des rimes, qui se chantent après le graduel, d'où on les a aussi appelées séquence, sequentia, c'est-à-dire qui suit après le graduel.

L'usage des proses a commencé au plus tard au ix. siècle. Notker, moine de S. Gal, qui écrivit vers l'an 880, et qui est regardé comme le premier auteur que l'on connaisse en fait de proses, dit, dans la préface du livre où il en parle, qu'il en avait Ve dans un antiphonier de l'abbaye de Jumieges, laquelle fut brulée par les Normands en 841. Nous avons quatre proses principales, le Veni sancte Spiritus pour la Pentecôte, que Durand attribue au roi Robert, mais qui est plus probablement de Hermannus contractus ; c'est la prose Sancti Spiritus adsit nobis gratia qui est du roi Robert, selon quelques anciens, et entr'autres Brompton, plus ancien que Durand. Le Lauda Sion salvatorem, pour la fête du S. Sacrement, qui est de S. Thomas d'Aquin. Le Victimae paschali laudes, dont on ignore l'auteur ; c'est la prose du temps de Pâques. Le Dies irae, dies illa, que l'on chante aux services des morts. On l'attribue mal à propos à S. Gregoire ou à S. Bernard, ou à Humbert, général des dominicains. Cette prose est du cardinal Frangipani, dit Malabranca, docteur de Paris de l'ordre des dominicains, qui mourut à Perouse en 1294.

A l'imitation de ces proses, on en a composé beaucoup d'autres pour les fêtes locales, et parmi ces proses, la plupart mal composées, on en trouve beaucoup de ridicules. C'est par cette raison que l'on en a retranché un grand nombre dans les dernières réformes des offices divins, et l'on pourrait, ajoute l'auteur de qui nous empruntons cet article, sans scrupule pousser ce retranchement beaucoup plus loin. Parmi celles qu'on y a substituées, il y en a plusieurs qui méritent d'être estimées. Supplément de Moréri, tome II. p. 118 et 119. N'en déplaise à l'auteur du supplément de Moréri, les proses qu'on a mises dans le nouveau missel de Paris, sont certainement plus que supportables.