S. f. (Belles Lettres) transposition des lettres d'un nom avec un arrangement ou combinaison de ces mêmes lettres, d'où il résulte un sens avantageux ou désavantageux à la personne à qui appartient ce nom. Voyez NOM.

Ce mot est formé du grec ἀνὰ, en arrière, et de γράμμα, lettre, c’est-à-dire, lettre transposée ou prise à rebours.

Ainsi l'anagramme de logica est caligo, celle de Lorraine, alérion, et l'on dit que c'est pour cela que la maison de Lorraine porte des alérions dans ses armes. Calvin à la tête de ses institutions imprimées à Strasbourg en 1539, prit le nom d'Alcuinus, qui est l'anagramme de Calvinus, et le nom d'Alcuin, cet anglais qui se rendit si célèbre en France par sa doctrine sous le règne de Charlemagne.

Ceux qui s'attachent scrupuleusement aux règles dans l'anagramme, prétendent qu'il n'est pas permis de changer une lettre en une autre, et n'en exceptent que la lettre aspirée h. D'autres moins timides prennent plus de licence, et croient qu'on peut quelquefois employer e pour ae, v pour w, s pour z, c pour k, et réciproquement ; enfin qu'il est permis d'omettre ou de changer une ou deux lettres en d'autres à volonté, et l'on sent qu'avec tous ces adoucissements on peut trouver dans un mot tout ce qu'on veut.

L’anagramme n’est pas fort ancienne chez les Modernes ; on prétend que Daurat poète français, du temps de Charles IX, en fut l’inventeur : mais comme on vient de le dire, Calvin l’avait précédé à cet égard ; et l’on trouve dans Rabelais, qui écrivait sous François I. et sous Henri II, plusieurs anagrammes. On croit aussi que les Anciens s’appliquaient peu à ces bagatelles ; cependant Lycophron qui vivait du temps de Ptolomée Philadelphe, environ 280 ans avant la naissance de Jesus-Christ, avait fait preuve de ses talents à cet égard, en trouvant dans le nom de Ptolomée Πτολέμαιος, ces mots ἀπὸ μελίτος, du miel, pour marquer la douceur du caractère de ce Prince ; et dans celui de la Reine Arsinoé, Αρσινοὴ, ceux-ci ἴον ἡρᾶς, violette de Junon. Ces découvertes étaient bien dignes de l’auteur le plus obscur et le plus entortillé de toute l’antiquité.

Les Cabalistes, parmi les Juifs, font aussi usage de l'anagramme : la troisième partie de leur art qu'ils appellent themura, c'est-à-dire changement, n'est que l'art de faire des anagrammes, et de trouver par-là dans les noms des sens cachés et mystérieux. Ce qu'ils exécutent, en changeant, transportant ou combinant différemment les lettres de ces noms. Ainsi de , qui sont les lettres du nom de Noé, ils font , qui signifie grâce ; et dans , le Messie, ils trouvent ces mots , il se réjouira.

Il y a deux manières principales de faire des anagrammes : la première consiste à diviser un simple mot en plusieurs ; ainsi sustineamus contient sus-tinea-mus. C'est ce qu'on appelle autrement rebus ou logogryphe. Voyez LOGOGRYPHE.

La seconde, est de changer l'ordre et la situation des lettres, comme dans Roma, on trouve amor, mora, et maro. Pour trouver toutes les anagrammes que chaque nom peut admettre par Algèbre, voyez l'article COMBINAISON.

On ne peut nier qu'il n'y ait des anagrammes heureuses et fort justes : mais elles sont extrêmement rares ; telle est celle qu'on a mise en réponse à la question que fit Pilate à Jesus-Christ, Quid est veritas ? rendue lettre pour lettre par cette anagramme, Est vir qui adest, qui convenait parfaitement à celui qui avait dit de lui-même, ego sum via, veritas, etc. Telle est encore celle qu'on a imaginée sur le meurtrier d'Henri III. frère Jacques Clément, et qui porte, c'est l'enfer qui m'a créé.

Outre les anciennes espèces d'anagrammes, on en a inventé de nouvelles, comme l'anagramme mathématique imaginée en 1680, par laquelle l'abbé Catelan trouva que les huit lettres de Louis XIV. faisaient vrai héros.

On a encore une espèce d'anagramme numérale, nommée plus proprement chronogramme, où les lettres numérales, c'est-à-dire celles qui dans l'arithmétique romaine tenaient lieu de nombre, prises ensemble selon leur valeur numérale, expriment quelque époque : tel est ce distique de Godart sur la naissance de Louis XIV. en 1638, dans un jour où l'aigle se trouvait en conjonction avec le cœur du lion.

EXorIens DeLphIn aqVILa CorDIsqVe LeonIs CongressV gaLLos spe LaetItIâqVe refeCIt,

dont toutes les lettres majuscules rassemblées forment en chiffre romain, M DC XXXVIII. ou 1638.