S. m. (Arts antiques) écriture en peinture ; c'est la première méthode qu'on a trouvée de peindre les idées par des figures. Cette invention imparfaite, défectueuse, propre aux siècles d'ignorance, était de même espèce que celle des Mexiquains qui se sont servi de cet expédient, faute de connaître ce que nous nommons des lettres ou des caractères.

Plusieurs anciens et presque tous les modernes ont cru que les prêtres d'Egypte inventèrent les hiéroglyphes, afin de cacher au peuple les profonds secrets de leur science. Le P. Kircher en particulier a fait de cette erreur le fondement de son grand théâtre hiéroglyphique, ouvrage dans lequel il n'a cessé de courir après l'ombre d'un songe. Tant s'en faut que les hiéroglyphes aient été imaginés par les prêtres égyptiens dans des vues mystérieuses, qu'au contraire c'est la pure nécessité qui leur a donné naissance pour l'utilité publique ; M. Warburthon l'a démontré par des preuves évidentes, où l'érudition et la philosophie marchent d'un pas égal.

Les hiéroglyphes ont été d'usage chez toutes les nations pour conserver les pensées par des figures, et leur donner un être qui les transmit à la postérité. Un concours universel ne peut jamais être regardé comme une suite, soit de l'imitation, soit du hazard ou de quelque événement imprévu. Il doit être sans-doute considéré comme la voix uniforme de la nature, parlant aux conceptions grossières des humains. Les Chinois dans l'orient, les Mexiquains dans l'occident, les Scythes dans le nord, les Indiens, les Phéniciens, les Ethiopiens, les Etruriens ont tous suivi la même manière d'écrire, par peinture et par hiéroglyphes ; et les Egyptiens n'ont pas eu vraisemblablement une pratique différente des autres peuples.

En effet, ils employèrent leurs hiéroglyphes à dévoiler nuement leurs lois, leurs règlements, leurs usages, leur histoire, en un mot tout ce qui avait du rapport aux matières civiles. C'est ce qui parait par les obélisques, par le témoignage de Proclus, et par le détail qu'en fait Tacite dans ses Annales, liv. II. ch. lx. au sujet du voyage de Germanicus en Egypte. C'est ce que prouve encore la fameuse inscription du temple de Minerve à Saïs, dont il est tant parlé dans l'antiquité. Un enfant, un vieillard, un faucon, un poisson, un cheval marin, servaient à exprimer cette sentence morale : " Vous tous qui entrez dans le monde et qui en sortez, sachez que les dieux haïssent l'impudence ". Ce hiéroglyphe était dans le vestibule d'un temple public ; tout le monde le lisait, et l'entendait à merveille.

Il nous reste quelques monuments de ces premiers essais grossiers des caractères égyptiens dans les hiéroglyphes d'Horapollo. Cet auteur nous dit entr'autres faits, que ce peuple peignait les deux pieds d'un homme dans l'eau, pour signifier un foulon, et une fumée qui s'élevait dans les airs, pour désigner du feu.

Ainsi les besoins secondés de l'industrie imaginèrent l'art de s'exprimer : ils prirent en main le crayon ou le ciseau, et traçant sur le bois ou les pierres des figures auxquelles furent attachées des significations particulières, ils donnèrent en quelque façon la vie à ce bois, à ces pierres, et parurent les avoir doués du don de la parole. La représentation d'un enfant, d'un vieillard, d'un animal, d'une plante, de la fumée ; celle d'un serpent replié en cercle, un oeil, une main, quelqu'autre partie du corps, un instrument propre à la guerre ou aux arts, devinrent autant d'expressions, d'images, ou, si l'on veut, autant de mots qui, mis à la suite l'un de l'autre, formèrent un discours suivi.

Bien-tôt les Egyptiens prodiguèrent par-tout les hiéroglyphes : leurs colonnes, leurs obélisques, les murs de leurs temples, de leurs palais, et de leurs sépultures, en furent surchargés. S'ils érigeaient une statue à un homme illustre, des symboles tels que nous les avons indiqués, ou qui leur étaient analogues, taillés sur la statue même, en traçaient l'histoire. De semblables caractères peints sur les momies, mettaient chaque famille en état de reconnaître le corps de ses ancêtres ; tant de monuments devinrent les dépositaires des connaissances des Egyptiens.

Ils employèrent la méthode hiéroglyphique de deux façons, ou en mettant la partie pour le tout, ou en substituant une chose qui avait des qualités semblables, à la place d'une autre. La première espèce forma l'hiéroglyphe curiologique, et la seconde, l'hiéroglyphe tropique : la lune, par exemple, était quelquefois représentée par un demi-cercle, et quelquefois par un cynocéphale. Le premier hiéroglyphe est curiologique, et le second tropique ; ces sortes de hiéroglyphes étaient d'usage pour divulguer ; presque tout le monde en connaissait la signification dès la tendre enfance.

La méthode d'exprimer les hiéroglyphes tropiques par des propriétés similaires, produisit des hiéroglyphes symboliques, qui devinrent à la longue plus ou moins cachés, et plus ou moins difficiles à comprendre. Ainsi l'on représenta l'Egypte par un crocodile, et par un encensoir allumé, avec un cœur dessus. La simplicité de la première représentation donne un hiéroglyphe symbolique assez clair ; le raffinement de la dernière offre un hiéroglyphe symbolique vraiment énigmatique.

Mais aussi-tôt que par de nouvelles recherches, on s'avisa de composer les hiéroglyphes d'un mystérieux assemblage de choses différentes, ou de leurs propriétés les moins connues, alors l'énigme devint inintelligible à la plus grande partie de la nation. Aussi quand on eut inventé l'art de l'écriture, l'usage des hiéroglyphes se perdit dans la société, au point que le public en oublia la signification. Cependant les prêtres en cultivèrent précieusement la connaissance, parce que toute la science des Egyptiens se trouvait confiée à cette sorte d'écriture. Les savants n'eurent pas de peine à la faire regarder comme propre à embellir les monuments publics, où l'on continua de l'employer ; et les prêtres virent avec plaisir, qu'insensiblement ils resteraient seuls dépositaires d'une écriture qui conservait les secrets de la religion.

Voilà comme les hiéroglyphes, qui devaient leur naissance à la nécessité, et dont tout le monde avait l'intelligence dans les commencements, se changèrent en une étude pénible, que le peuple abandonna pour l'écriture, tandis que les prêtres la cultivèrent avec soin, et finirent par la rendre sacrée. Voyez les articles ÉCRITURE, et ÉCRITURE des Egyptiens.

Mais je n'ai pas tout dit ; les hiéroglyphes furent la source du culte que les Egyptiens rendirent aux animaux, et cette source jeta ce peuple dans une espèce d'idolatrie. L'histoire de leurs grandes divinités, celle de leurs rais, et de leurs législateurs, se trouvait peinte en hiéroglyphes, par des figures d'animaux, et autres représentations ; le symbole de chaque dieu était bien connu par les peintures et les sculptures que l'on voyait dans les temples, et sur les monuments consacrés à la religion. Un pareil symbole présentant donc à l'esprit l'idée du dieu, et cette idée excitant des sentiments religieux, il fallait naturellement que les Egyptiens dans leurs prières, se tournassent du côté de la marque qui servait à le représenter.

Cela dut surtout arriver, depuis que les prêtres égyptiens eurent attribué aux caractères hiéroglyphiques, une origine divine, afin de les rendre encore plus respectables. Ce préjugé qu'ils inculquèrent dans les âmes, introduisit nécessairement une dévotion relative pour ces figures symboliques ; et cette dévotion ne manqua pas de se changer en adoration directe, aussi-tôt que le culte de l'animal vivant eut été reçu. Ne doutons pas que les prêtres n'aient eux-mêmes favorisé cette idolatrie.

Enfin, quand les caractères hiéroglyphiques furent devenus sacrés, les gens superstitieux les firent graver sur des pierres précieuses, et les portèrent en façon d'amulete et de charmes. Cet abus n'est guère plus ancien que le culte du dieu Sérapis, établi sous les Ptolomées : certains chrétiens natifs d'Egypte, qui avaient mêlé plusieurs superstitions payennes avec le Christianisme, sont les premiers qui firent principalement connaître ces sortes de pierres, qu'on appelle abraxas ; il s'en trouve dans les cabinets des curieux, et on y voit toutes sortes de caractères hiéroglyphiques.

Aux abraxas ont succedé les talismants, espèce de charmes, auxquels on attribue la même efficace, et pour lesquels on a aujourd'hui la plus grande estime dans tous les pays soumis à l'empire du grand-seigneur, parce qu'on y a joint comme aux abraxas, les rêveries de l'Astrologie judiciaire.

Nous venons de parcourir avec rapidité tous les changements arrivés aux hiéroglyphes depuis leur origine jusqu'à leur dernier emploi ; c'est un sujet bien intéressant pour un philosophe. Du substantif hiéroglyphe, on a fait l'adjectif hiéroglyphique. (D.J.)