(Littérature grecque) Les jeux isthmiens, ou si l'on aime mieux, les jeux isthmiques, étaient un des quatre jeux sacrés de la Grèce, si fameux dans l'antiquité.

Ces jeux se nommèrent isthmiens, parce qu'on les donnait dans l'isthme de Corinthe ; car lorsque les Grecs disent simplement l'isthme, ils entendent l'isthme de Corinthe, du nom de cette ville située dans le passage qui joignait le Péloponnèse au reste de la Grèce, ou pour parler avec les géographes modernes, qui sépare les golfes de Lépante et d'Engia, et joint la Morée à la Livadie. Neptune avait dans cet isthme un superbe temple, à côté duquel se trouvait un bois de pins qui lui était consacré ; et c'est près de ce bois qu'on célébrait les jeux isthmiques.

Ils furent d'abord institués par Sisiphe roi de Corinthe, en l'honneur de Mélicerte, environ 1350 ans avant J. C. et voici quelle en fut l'occasion.

Ino femme d'Athamas, roi d'Orchomène en Béotie, pour éviter la juste vengeance de son mari qu'elle n'avait que trop méritée, se précipita dans la mer avec son fils Mélicerte. Neptune, dit la fable, à la prière de Vénus dont Ino était petite fille, les reçut l'un et l'autre au nombre des divinités de son empire ; il nomma la mère Leucothoé, et le fils Palémon ; cependant le corps de Mélicerte ayant été porté par un dauphin, ou pour parler plus simplement, ayant été jeté par les flots sur le rivage de l'isthme, Sisyphe le trouva et l'ensevelit.

Quelques années après le pays fut affligé d'une cruelle peste, sur laquelle l'oracle ayant été consulté, fit réponse que ce mal ne cesserait que par la célébration de jeux funèbres en l'honneur de Mélicerte. Comme les Corinthiens s'acquittaient de ce devoir avec assez de négligence, la contagion recommença. Sisyphe recourut une seconde fois à l'oracle qui lui prescrivit d'établir des jeux perpétuels en l'honneur de Mélicerte. Alors il institua les jeux isthmiques qu'on donna d'abord pendant la nuit, et qui ressemblaient moins à des spectacles qu'à des mystères nocturnes. On fut même obligé de les interrompre, à cause des vols et des meurtres qui se commettaient dans le temps de leur célébration, sur les grands chemins de l'isthme.

Thesée, onzième roi d'Athènes, fut le restaurateur de ces jeux, et purgea le pays des infames brigands qui l'infestaient ; mais leur chef nommé Sinnis existait encore ; ce scélérat non content de piller les passants, les crucifiait de la manière la plus barbare ; il les attachait aux branches de deux pins qu'il courbait avec violence, et qu'il abandonnait ensuite à leur ressort naturel. Thesée le poursuivit, le prit, et le fit périr par le même supplice.

Au retour de cette expédition il rétablit les jeux isthmiques avec tant d'éclat qu'on peut en quelque sorte le regarder comme le premier instituteur de ces jeux. Il voulut qu'on les célébrât pendant le jour, et les consacra solennellement à Neptune dont il se vantait d'être fils, comme au Dieu qui présidait particulièrement sur l'isthme.

Suivant Pline et Solin les jeux isthmiques se renouvellaient tous les cinq ans, c'est-à-dire au bout de quatre années révolues, et au commencement de la cinquième année ; mais Pindare qui sur cette matière est plus croyable que Pline et Solin, marque expressément qu'on les donnait tous les trois ans. Nous ignorons dans quel temps de l'année, et nous conjecturons seulement que c'était en automne, sur ce qu'Hésychius et Suidas disent qu'on les célébrait dans la saison où les maladies règnent davantage.

On y disputait comme aux jeux olympiques les prix de la lutte, de la course, du saut, du disque et du javelot. Il parait par un passage de Plutarque, et par un autre de l'empereur Julien, que les combats de musique et de poésie y furent encore admis.

Le concours de peuple était si grand à ces jeux, qu'il n'y avait que les principaux membres des villes de la Grèce, qui pussent y être placés. Quoiqu' Athènes y tint le premier rang, elle ne pouvait occuper d'espace qu'autant que la voîle du navire qu'elle envoyait à l'isthme, en pouvait couvrir.

Les Eléens étaient les seuls de tous les Grecs qui ne se trouvaient point aux jeux isthmiques, pour éviter les malheurs des imprécations que Molione femme d'Actor avait faites contre tous ceux de l'Elide qui oseraient jamais y assister.

Mais les Romains qui y furent reçus après leurs victoires, élevèrent la magnificence de ces jeux au plus haut degré de splendeur. Alors outre les exercices ordinaires du pentathle, de la musique, et de la poésie, on y donnait le spectacle de la chasse, dans laquelle on faisait paraitre les animaux les plus rares, qu'on y conduisait à grands frais de toutes les parties du monde connu. Enfin, ce qui augmenta le lustre de ces jeux, c'est qu'ils servirent d'époque aux Corinthiens, et aux habitants de l'isthme.

Au milieu de cette pompe qui attirait une si prodigieuse multitude de spectateurs et de combattants, quels prix, me direz-vous, quelle récompense recevaient donc les vainqueurs ? Une simple couronne d'abord de feuille de pin, ensuite de persil, selon Archias et le scoliaste de Pindare, mais selon la plus commune opinion et celle de Pindare lui-même, d'ache seche de marais, parce que cette herbe aquatique était consacrée à Neptune, et que de plus on s'en servait dans les funérailles. Or les jeux isthmiques n'étaient dans leur institution qu'une cérémonie funèbre ; leur éclat se ternit quand les Romains joignirent les plus riches présents à cette couronne d'honneur.

Cependant ces jeux furent toujours réputés si sacrés dans l'esprit des peuples, qu'on n'osa pas les discontinuer quand Mummius eut pris Corinthe, 144 ans avant l'ère chrétienne. Le sénat de Rome se contenta d'ôter aux Corinthiens le droit qu'ils avaient d'en être les juges : mais dès que leur ville fut rétablie dans ses prérogatives, ils rentrèrent dans leur ancienne possession.

Ce fut peu de temps après cet événement, et dans la célébration des jeux isthmiques, que les Romains portant au plus loin leur générosité, dirai-je mieux, leur sage politique, rendirent authentiquement la liberté à toute la Grèce. Voici de quelle manière ce fait à jamais mémorable est rapporté dans Tite-Live.

Il était venu, dit-il, aux jeux de l'isthme, une multitude innombrable de peuples, soit par la passion naturelle que les Grecs ont pour ce spectacle où l'on propose toutes sortes de combats d'adresse, de force et d'agilité, soit à cause de la situation du lieu qui est placé entre deux mers, ce qui fait qu'on peut aisément s'y rendre de toutes parts.

Les Romains ayant pris leur place dans l'assemblée, le héraut accompagné d'un trompette selon la coutume, s'avance au milieu de l'arène, et ayant fait faire silence à son de trompe, prononce ces mots à haute voix : " Le sénat, le peuple romain, et le général Titus Quintius Flaminius, après avoir vaincu le roi de Macédoine, déclarent qu'à l'avenir les Corinthiens, les Phocéens, les Locriens, l'île d'Eubée, les Magnésiens, les Thessaliens, les Perrhébiens, les Achéens, les Phthiotes, et tous les peuples ci-devant soumis à la domination de Philippe, jouiront dès-à-présent de leur liberté, de leurs immunités, de leurs privilèges, et se gouverneront suivant leurs lois ".

Cette proclamation causa un ravissement de joie que toute la multitude d'hommes qui se trouvaient présents, ne put contenir. Ils doutent s'ils ont bien entendu ; pleins d'étonnement il se regardent les uns les autres, et prennent pour un songe ce qui se passe à leurs yeux ; ils n'osent s'en fier à leurs oreilles.

On redemande, on fait paraitre le héraut une seconde fois ; tous se pressent, non-seulement pour entendre, mais encore pour voir le proclamateur de leur liberté. Le héraut répète la même formule : alors on se livre aux transports d'allégresse avec toute assurance, et les acclamations furent si grandes, et tant de fois réitérées, qu'il fut aisé de reconnaître qu'au jugement de l'univers la liberté est le plus précieux de tous les biens. On célébra les jeux à la hâte, car ni les esprits ni les yeux de personne ne furent attentifs au spectacle, tant la joie qu'on ressentait, avait ôté le goût de tous les autres plaisirs. Ce grand événement arriva 194 ans avant J. C.

Au bout de 260 ans on sait que Néron renouvella la même protestation, et dans la même assemblée. Il fut le propre héraut de la grâce qu'il accordait. Il fit plus : il donna le droit de bourgeoisie romaine aux juges des jeux Isthmiques, et les combla de ses présents.

Cependant les peuples de la Grèce accablés du joug de Rome, et des malheurs qu'ils éprouvaient depuis plus d'un siècle, n'espérant plus de retour de leurs beaux jours, ne sentirent aucun des transports de joie qui les avait saisis du temps de Flaminius, et comptant encore moins sur les faveurs d'un Néron, ils ne répondirent à ses promesses que par de faibles acclamations.

Leurs conjectures ne furent point fausses, les préteurs d'Achaie continuèrent à les accabler ; insensiblement tous leurs jeux perdirent leur éclat, et ceux de l'isthme vinrent à cesser entièrement sous l'empire d'Adrien, c'est-à-dire vers l'an 130 de l'ère chrétienne.

Il ne resta dans le monde, pour en perpétuer le souvenir, que les belles odes de Pindare, à la louange des vainqueurs, auxquels il a fait un présent plus considérable que s'il leur eut élevé cent statues, centum potiore signis munere donavit.

Ces odes ont passé jusqu'à nous, et leur quatrième livre est intitulé les isthmiques. (D.J.)