S. f. (Poésie) c'est une vive représentation de l'objet dans l'esprit, et une émotion du cœur proportionnée à cet objet ; moment heureux pour le génie du poète, où son âme enflammée, comme d'un feu divin, se représente avec vivacité ce qu'il veut peindre, et répand sur son tableau cet esprit de vie qui l'anime, et ces traits touchants qui nous séduisent et nous ravissent.

Cette situation de l'âme n'est pas facîle à définir ; et les idées qu'en donnent la plupart des auteurs, paraissent plutôt sortir d'une imagination échauffée que d'un esprit réfléchi. A les en croire, tantôt c'est une vision céleste, une influence divine, un esprit prophétique : tantôt c'est une ivresse, une extase, une joie mêlée de trouble et d'admiration, en présence de la divinité. Ont-ils dessein par ce langage emphatique de relever les arts et de dérober aux prophanes les mystères des muses ? Pour nous, écartant ce faste allégorique qui nous offusque, considérons la verve telle qu'elle est réellement.

La divinité qui inspire les poètes quand ils composent, est semblable à celle qui anime les héros : dans ceux-ci, c'est l'audace, l'intrépidité naturelle animée par la présence même du danger ; dans les autres c'est un grand fond de génie, une justesse d'esprit exquise, une imagination féconde, et surtout un cœur plein d'un feu noble, et qui s'allume aisément à la vue des objets. Ces âmes privilégiées prennent fortement l'empreinte des choses qu'elles conçoivent, et ne manquent jamais de les reproduire avec un nouveau caractère d'agrément et de force qu'elles leur communiquent. Voilà la source de la verve ou de l'enthousiasme. Ses effets sont faciles à comprendre, si l'on se rappelle qu'un artiste observateur puise dans la nature tous les traits dont ses imitations peuvent être composées ; il les tire de la foule, les assemble, et s'en remplit. Bientôt son feu s'allume à la vue de l'objet ; il s'oublie ; son âme passe dans les choses qu'il crée ; il est tour-à-tour Cinna, Auguste, Phèdre, Hippolyte : et si c'est la Fontaine, il est le loup et l'agneau, le chêne et le roseau. C'est dans ces transports qu'Homère voit les chars et les coursiers des dieux : que Virgile entend les cris affreux de Phlégias dans les ténèbres infernales : et qu'ils trouvent l'un et l'autre des choses qui ne sont nulle part, et qui cependant sont vraies.

Poeta cùm tabulas cepit sibi,

Quaerit quod nusquam est gentium, reperit tamen.

Voilà la verve : voilà l'enthousiasme : voilà le dieu qui fait les vrais peintres, les musiciens et les poètes. (D.J.)