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Catégorie : Poésie
S. m. et plus souvent f. (Littérature, Poésie) c'était chez les anciens une sentence mystérieuse, une proposition qu'on donnait à deviner, mais qu'on cachait sous des termes obscurs, et le plus souvent contradictoires en apparence. L'énigme parmi les modernes, est un petit ouvrage ordinairement en vers, où sans nommer une chose, on la décrit par ses causes, ses effets et ses propriétés, mais sous des termes et des idées équivoques pour exciter l'esprit à la découvrir.

Souvent l'énigme est une suite de comparaisons qui caractérisent une chose, par des noms tirés de plusieurs sujets différents entr'eux, qui ressemblent à celui de l'énigme chacun à sa manière, et par des rapports particuliers. Quelquefois pour la rendre plus difficîle à deviner, on l'embarrasse, en mêlant le style simple au style figuré, en empruntant des métaphores, ou en personnifiant exprès le sujet de l'énigme afin de donner le change.

En général, pour constituer la bonté de nos énigmes modernes, il faut que les traits employés ne puissent s'appliquer tous ensemble qu'à une seule chose, quoique séparément ils conviennent à plusieurs.

Je ne m'arrêterai pas à rapporter les autres règles qu'on prescrit dans ce jeu littéraire, parce que mon dessein est bien moins d'engager les gens de Lettres à y donner leurs veilles, qu'à les détourner de semblables puérilités. Qu'on ne dise point en faveur des énigmes, que leur invention est des plus anciennes, et que les rois d'Orient se sont fait très-longtemps un honneur d'en composer et d'en résoudre, je répondrais que cette ancienneté même n'est ni à la gloire des énigmes, ni à celle des rois orientaux.

Dans la première origine des langues, les hommes furent obligés de joindre le langage d'action à celui des sons articulés, et de ne parler qu'avec des images sensibles. Les connaissances aujourd'hui les plus communes étaient si subtiles pour eux, qu'elles ne pouvaient se trouver à leur portée qu'autant qu'elles se rapprochaient des sens. Ensuite, quand on étudia les propriétés des êtres pour en tirer des allusions, on vit paraitre les paraboles et les énigmes, qui devinrent d'autant plus à la mode, que les sages ou ceux qui se donnaient pour tels, crurent devoir cacher au vulgaire une partie de leurs connaissances. Par-là, le langage imaginé pour la clarté fut changé en mystères : le style dans lequel ces prétendus sages renfermaient leurs instructions, était obscur et énigmatique, peut-être par la difficulté de s'exprimer clairement ; peut-être aussi à dessein de rendre les connaissances d'autant plus estimables qu'elles seraient moins communes.

On vit donc les rois d'Orient mettre leur gloire dans les propositions obscures, et se faire un mérite de composer et de résoudre des énigmes. Leur sagesse consistait en grande partie dans ce genre d'étude. Un homme intelligent, dit Salomon, parviendra à comprendre un proverbe, à pénétrer les paroles des sages et leurs sentences obscures. C'était chez eux l'usage pour éprouver leur sagacité, de se présenter ou de s'envoyer les uns aux autres des énigmes, et d'y attacher des peines et des récompenses.

Entre plusieurs exemples que je pourrais alléguer, je n'en rapporterai qu'un seul, tiré de l'Ecriture-sainte, et je me servirai de la traduction des théologiens de Louvain, quoiqu'en vieux langage, parce que je n'ai présentement que cette traduction sous les yeux. Voici les propres paroles du Texte sacré, chap. XIe du livre des Juges, vers. 12 et suivants.

Samson dit : Je vous proposerai quelques propositions : que si vous me baillez la solution dedans les sept jours du convive, je vous donnerai trente fines chemises, et autant de robes.

Vers. 13. Mais si vous ne pouvez me bailler la solution, vous me donnerez trente fines chemises, et autant de robes. Lesquels lui répondirent : Propose ta proposition, afin que l'oyons.

Vers. 14. Et il leur dit : De celui qui mangeait est sorti la viande, et du fort est venu la douceur. Et ne purent par trois jours donner la solution de la proposition.

Vers. 15. Et quand le septième jour fut venu ; ils dirent à la femme de Samson : Flatte ton mari, et lui persuade qu'il te déclare quelle chose signifie la proposition.

Vers. 17. Et ainsi tous les jours du convive, elle pleurait devant lui ; et finalement au septième jour, comme elle le molestait, il lui exposa : laquelle incontinent le fit savoir à ceux de son peuple.

Vers. 18. Et iceux lui dirent au septième jour devant le soleil couchant : Quelle chose est plus douce que le miel, et quelle chose est plus forte que le lion ? Lors Samson leur dit : Si vous n'eussiez labouré avec ma génisse, vous n'eussiez point trouvé ma proposition.

Un savant Jurisconsulte met cet énigme au rang des gageures, en matière de jeux d'esprit ; et il pourrait bien avoir raison, car il y a une stipulation de part et d'autre, de trente fines chemises, et autant de robes. Cependant les Philistins agirent de mauvaise foi, en obligeant la femme de Samson de tirer de la bouche de son mari l'explication de l'énigme, et à la leur apprendre, au lieu de la deviner par eux mêmes.

Au reste, dans notre siècle, l'énigme proposée par Samson ne serait point dans les règles, parce qu'elle ne roulait pas sur une chose ordinaire, ou un événement commun, mais sur un fait particulier ; c'est à-dire sur un de ces cas qu'il est ordinairement presque impossible de deviner.

Quoi qu'il en sait, dans ce temps-là on n'était pas si scrupuleux ; on ne cherchait qu'à attraper ceux à qui on présentait des énigmes à expliquer : et c'est un fait si vrai, que l'intelligence des énigmes, ou des sentences obscures, devint un proverbe parmi les Hébreux, pour signifier l'adresse à tromper, comme on le peut conclure du portrait que Daniel fait d'Antiochus Epiphanes. " Lorsque les iniquittés se seront accrues, dit-il, il s'élevera un roi qui aura l'impudence sur le front, et qui comprendra les sentences obscures ".

Le voîle mystérieux de cette sorte de sagesse la rendit, comme il arrivera toujours, le plus estimé de tous les talents : c'est pourquoi dans un pseaume, où il s'agit d'exciter fortement l'attention, le psalmiste débute en ces termes : " Vous peuples, écoutez ce que je vais dire. Que tous les habitants de la terre, grands et petits, riches et pauvres, prêtent l'oreille ; ma bouche publiera la sagesse.... je découvrirai sur la harpe mon énigme ".

Outre les causes que nous avons rapportées, qui contribuèrent à conserver longtemps les énigmes en vogue, je croirais volontiers que l'usage des hiéroglyphes y concourut aussi pour beaucoup : en effet, quand on vint à oublier la signification des hiéroglyphes, on perdit peu-à-peu, quoique très-lentement, l'usage des énigmes.

Enfin elles disparurent, lorsqu'on devait le moins s'y attendre ; je veux dire, dans le XVIIe siècle : et ce n'est pas, ce me semble, par cet endroit qu'il mérite le plus qu'on le vante. Il est vrai qu'on habilla pour lors en Europe les énigmes avec plus d'art, de finesse et de gout, qu'elles ne l'avaient été dans l'Asie : on les soumit, comme tous les autres poèmes, à des lois et à des règles étroites, dont le père Menestrier même a publié un traité particulier. Mais quelque décoration qu'on ait donnée aux énigmes, elles ne seront presque jamais que de folles dépenses d'esprit, des jeux de mots, des écarts dans le langage et dans les idées.

Les gens de lettres un peu distingués du siècle passé, qui ont eu la faiblesse de donner dans cette mode, et de se laisser entraîner au torrent, seraient bien honteux aujourd'hui de lire leurs noms dans la liste de toutes sortes de gens aisifs, et de voir qu'un temps a été qu'ils se faisaient un honneur de deviner des énigmes ; et plus encore d'annoncer à la France, qu'ils avaient eu assez d'esprit pour exprimer, sous un certain verbiage, sous un jargon mystérieux et des termes équivoques, une flute, une flèche, un éventail, une horloge.

Mais il faut bien se garder de confondre de telles inepties, avec les énigmes d'un autre genre ; j'entends ces fameux problèmes de la Géométrie transcendante, qui, sur la fin du même siècle, exercèrent des génies d'un ordre supérieur. La solution de ces dernières sortes d'énigmes peut avoir de grands usages ; elle demande du moins beaucoup de sagacité, et prouve qu'on s'est rendu familière la connaissance de cette Géométrie sublime, dont Newton a la gloire d'être le premier inventeur. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.




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