ou JAGANAT, (Géographie) lieu des Indes, situé à 45 milles de Ganjam, sur l'une des embouchures du Gange ; c'est-là où le grand brahmane, c'est-à-dire le grand-prêtre des Indiens, fait sa résidence, à cause du pagode qu'on y a bâti, et dont nous allons parler. Long. 103d. 45'. 30''. lat. 19. 50.

L'édifice de ce temple indien, le plus célèbre d'Asie, est extrêmement élevé, et renferme une vaste enceinte. Il donne son nom à la ville qui l'environne, et à toute la province ; mais la grande idole qui est sur l'autel, en fait la gloire et la richesse : cette idole, nommée Késora, a deux diamants à la place des yeux ; un troisième diamant, attaché à son cou, lui descend sur l'estomac ; le moindre de ces diamants est d'environ 40 karats, au rapport de Tavernier ; les bras de l'idole étendus et tronçonnés un peu plus bas que le coude, sont entourés de bracelets, tantôt de perles, tantôt de rubis ; elle est couverte, depuis les épaules jusqu'aux pieds, d'un grand manteau de brocard d'or ou d'argent, selon les occasions ; ses mains sont faites de petites perles, appelées perles à l'once ; sa tête et son corps sont de bois de santal.

Ce dieu, car ç'en est un dans l'esprit des Indiens, quoiqu'il soit assez semblable à un singe, est continuellement frotté avec des huiles odoriférantes qui l'ont entièrement noirci ; il a sa sœur à sa main droite, et son frère à sa gauche, tous deux vêtus et debout ; devant lui parait sa femme, qui est d'or massif : ces quatre idoles sont sur une espèce d'autel, entouré de grilles, et personne ne peut les toucher que certains brahmanes destinés à cet honneur. Autour du dôme qui est fort élevé, et sous lequel cette famille est placée, ce ne sont, depuis le bas jusqu'au haut, que des niches remplies d'autres idoles, dont la plupart représentent des monstres hideux, faits de pierres de différentes couleurs ; derrière la déesse Késora, est le tombeau d'un des prophetes indiens, à qui l'on rend aussi des adorations.

Il y a dans le même temple une foule d'autres idoles, où les pélerins vont faire leurs moindres offrandes ; et ceux qui dans leurs maladies, ou dans de grands événements, se sont voués à quelque dieu, en apportent la ressemblance dans ce lieu-là, pour reconnaître le secours qu'ils craient en avoir reçu.

Le temple de Jagrenate qui possède toutes ces idoles, est le plus fréquenté de l'Asie, à quoi contribue beaucoup sa situation sur le Gange, dont les eaux lavent de toutes souillures ; on y aborde de toutes parts, et le revenu en est si considérable, par les taxes et les aumônes, qu'il pourrait suffire à nourrir dix milles personne chaque jour : l'argent que produit le culte que l'on y vient rendre aux idoles, est un des plus grands revenus du raja de Jagrenate, qui est prince souverain, quoiqu'en apparence tributaire du grand-mogol.

En entrant dans la ville, il faut payer trois roupies, c'est pour le raja ; avant même que de mettre le pied dans le temple, il faut payer une roupie pour les brahmanes, et c'est la taxe des plus pauvres pélerins, car les riches donnent magnifiquement. Le grand-prêtre, qui dispose seul des revenus du temple, a soin, avant que d'accorder la permission aux pélerins de se raser, de se laver dans le Gange, et de faire les autres choses nécessaires pour s'acquitter de leurs vœux, de taxer chacun selon ses moyens, dont il s'est exactement informé ; le tout est appliqué à l'entretien du pagode, à celui des dieux du temple, à la nourriture des pauvres, et à celle des prêtres qui doivent vivre de l'autel.

Mais on a beau payer cher l'entrée du temple, et les dévotions aux idoles, le concours du monde qui y aborde de toutes les parties de l'Inde, soit en-deçà, soit en-delà du Gange, n'en est que plus grand et plus fréquent.

Il y a des pélerins qui pour être dignes d'entrer dans le temple font des deux cent lieues, en se prosternant sans-cesse sur la route, jusqu'à la fin de leur pélerinage, qui dure quelquefois plusieurs années. D'autres trainent par mortification de longues et pesantes chaînes attachées à leur ceinture ; quelques-uns marchent jour et nuit les épaules chargées d'une cage de fer, dans laquelle leur tête est enfermée : on a Ve des Indiens se précipiter sous les roues du char qui portait l'idole de Jagrenate, et se faire briser les os par piété.

Enfin, la superstition réunissant tous les contraires, on a Ve d'un côté les prêtres de la grande idole amener tous les ans une fille à leur dieu, pour être honorée du titre de son épouse, comme on en présentait une quelquefois en Egypte au dieu Anubis ; et d'un autre côté, on conduisait au bucher de jeunes veuves, qui se jetaient gaiement dans les flammes sur les corps de leurs maris. (D.J.)