(Art militaire) se dit de l'action d'enflammer la poudre dans les armes : on dit, mettre le feu à un canon, à un mortier, et faire feu d'un fusil, d'un pistolet ; on dit d'un feu de mousqueterie, qu'il est vif, plein, bien suivi ; lorsqu'on commande à une troupe de tirer, on se sert du mot feu.

Dans le dernier siècle, le feu ne faisait pas comme à présent, la plus grande force de l'infanterie exercée à tirer ; les armes à feu n'étaient pas si faciles à manier, et peut-être ne sont-elles pas encore à la perfection où elles seront portées. Voyez la fin du VIIIe chap. de l'art de la guerre, p. 1. La force des ordres de bataille suppressés des anciens était, selon Végece, parce qu'un plus grand nombre pouvait lancer ses traits en un endroit, quia à pluribus in unum locum tela mittuntur. C'est le même principe qui a établi l'axiome reçu à présent, que le plus grand feu fait taire l'autre ; en effet, de deux troupes d'infanterie de même nombre, sur un égal front, également découvertes, et qui sont feu l'une sur l'autre, sans se joindre, celle-là perdra davantage, par conséquent sera battue, qui essuyera plus de coups de fusil qu'elle n'en pourra faire essuyer à celle qui lui est opposée.

Ce n'est pas dans les auteurs anciens que l'on peut espérer de trouver quelques éclaircissements sur l'usage qu'on doit faire des armes à feu, elles leur étaient inconnues ; au commencement de ce siècle, et même jusqu'au temps où M. le chev. Folard a écrit, l'usage n'en était pas aussi facile, et aussi commun qu'il l'est devenu ; presque tous ceux qui depuis ce temps ont donné des ouvrages sur la guerre (qui sont presque tous copiés les uns sur les autres), n'ont rapporté que des faits peu détaillés, ou bien ils ont donné pour axiomes certains des maximes qu'ils avaient adoptées ; mais ils n'en ont pas démontré l'évidence, et ne sont point entré dans aucune discussion sur le meilleur emploi de telle façon de tirer, plutôt que de telle autre, dans telle ou telle occasion. Le maréchal de Puisegur est le premier qui parait discuter sans prévention l'avantage ou le désavantage que l'on peut trouver dans l'usage des armes à feu, ou des halebardes. Voyez chap. VIIe et article iv. du XIe chap. première partie. Néanmoins il n'entre point encore dans l'explication des moyens de pratiquer tel feu, plutôt que tel autre, il n'entreprend pas non plus de donner aucune solution sur l'effet qui doit résulter de tel ou tel feu.

Pour savoir l'emploi que l'on doit faire des armes à feu, le militaire n'a donc que 1°. les réflexions que chacun peut faire sur les faits dont il a eu connaissance ; 2°. les instructions qu'il peut trouver dans les exercices qui sont ordonnés ; mais ces exercices sont bornés à donner l'habitude aux soldats de faire feu de différentes façons, et n'entrent pas dans la discussion des raisons qui doivent faire préférer telle façon à telle autre ; il ne reste donc pour se décider que l'instruction que chaque militaire peut tirer des faits qui sont venus à sa connaissance, et il leur manque une théorie démontrée de l'effet qui doit résulter de tel feu, plutôt que de tel autre, dans telle ou telle occasion.

Je vais rapporter différents faits connus de l'usage des armes à feu, sans m'ingérer d'en déduire quelles règles on en doit tirer ; j'essayerai ensuite d'analyser et expliquer les différents feux, et les effets qui en doivent résulter, ainsi que les moyens de faire des expériences qui puissent constater ces résultats ; au-reste je ferai les calculs, en supposant pour leur facilité, que la division par files puisse subsister ailleurs comme dans les exercices.

Faits. Des portions de lignes d'infanterie se sont trouvées en présence séparées par une chaussée bordée d'un ou de deux fossés secs ou pleins d'eau, mais qui pouvaient se traverser sans danger, ces troupes ont fait feu l'une sur l'autre pendant des demi-heures ou trois quarts-d'heure, une heure même ; elles ne se sont point détruites, elles n'ont pas perdu un quart, compris les blessés, elles ne se sont point dépostées, ni l'une ni l'autre n'a pas pu dire avoir vaincu ; l'événement, dans une autre partie de la ligne, ou la nuit, a déterminé la retraite de l'une des deux.

Des troupes d'infanterie ont marché en plaine contre d'autres qui les attendaient de pied ferme et sans tirer, elles se sont approchées assez pour que les officiers de chaque côté pussent parler ensemble ; quelques-uns même ont croisé l'esponton, d'autres se sont poussé des bottes l'épée à la main ; ces troupes ont été arrêtées quelques moments dans cette proximité, l'infanterie d'un côté a fait feu, l'autre a marché, et culbuté sans résistance celle qui venait de faire feu.

Différentes fois l'infanterie qui avait marché sans tirer, avait essuyé deux ou trois décharges de celle qui l'attendait de pied ferme, elle s'en était approchée plus par une droite ou par une gauche que par l'autre extrémité ; elle a hésité pour charger, l'autre a fait un mouvement irrégulier (peut-être de crainte) et a fait encore une fois feu ; celle qui avait marché jusqu'alors et sans tirer, était déjà en fuite, elle a été suivie et chargée dans sa fuite.

Des troupes d'infanterie ont marché en plaine contre d'autres, jusqu'à trente pas, et sans tirer ; d'un côté les unes ont fait feu, puis se sont enfuies, les autres les ont poursuivies.

D'autres fois dans la même position, d'un côté les troupes ont fait feu, et des deux côtés elles se sont enfuies, les unes sans aucunes pertes, et les autres avec un trentième au plus ; une des deux troupes est peut-être revenue ensuite sur son champ de bataille.

Deux corps d'infanterie ont marché en plaine, l'un contre l'autre, sans faire feu ; à quarante pas l'un a fait feu de son premier rang seulement, et a mis hors de combat tous les officiers de l'ennemi qui se trouvaient tous au premier rang ; ces deux corps ont continué de marcher, celui-ci qui avait perdu ses officiers a été enfoncé sans résistance.

De ces mêmes corps, l'un a marché contre l'autre qui l'attendait de pied ferme, et faisant un feu par lequel il avait mis hors de combat près d'un quart du corps qui marchait, celui-ci s'est arrêté lorsqu'il s'est trouvé à quarante pas, a fait feu de son premier rang, a continué sa marche, et quoi qu'ayant détruit presque tous les officiers ennemis, il ne l'a enfoncé qu'après une vigoureuse résistance, et par la force de ses armes de main.

L'infanterie d'une ligne a fait un feu lent par pelotons (Voyez ci-après feu par section, par pelotons) sur son ennemi éloigné de près de cinq cent taises, elle l'a continué et rendu plus vif, jusqu'à ce qu'il fût à cent taises ou environ, elle a fait alors le feu plein, (Voyez ci-après feu plein) l'ennemi y a répondu aussi-tôt par un pareil, et après quatre ou cinq décharges de part et d'autre, les armes de l'infanterie qui tirait depuis longtemps, n'ont plus été toutes en état de tirer, son feu a langui, elle avait alors mis hors de combat un sixième de ses ennemis, et n'avait pas un douzième de perte ; en un moment elle s'est trouvée plus d'un tiers de perte, l'ennemi s'est mis en marche pour l'attaquer à l'arme blanche, et elle a fui.

De l'infanterie a marché de front contre d'autre qui était placée derrière des haies coupées à quatre pieds de hauteur, elle s'est avancée jusqu'à cinquante pas, sans avoir essuyé aucun feu, alors elle a essuyé une décharge générale, toute cette infanterie est tombée à terre, presqu'un tiers a été tué, un tiers blessé, et un tiers qui s'est relevé petit-à-petit, s'est enfui à mesure, sans avoir été atteint par le feu que l'infanterie retranchée avait continué de faire.

L'infanterie a marché contre d'autre qui était couverte par des retranchements, de laquelle elle essuyait le feu depuis longtemps ; à cinquante pas, elle s'est arrêtée dans sa marche, elle a fait feu ; après quatre ou cinq décharges, elle s'est avancée contre le retranchement, et celle qui le défendait s'est enfuie.

Une autre fois l'infanterie qui défendait le retranchement a monté sur le parapet, a fait feu sur l'infanterie qui descendait dans le fossé, ou qui y était déjà ; celle-ci s'est enfuie, et a été presque toute détruite dans sa retraite par l'infanterie retranchée.

On peut sans doute de ces faits et d'autres aussi diversifiés conclure qu'il est possible que le feu de l'infanterie soit plus ou moins meurtrier, mais tous les faits rapportés ici ne sont point encore des expériences. Pour bien faire une expérience, il faut tant de considérations, dont plusieurs paraissent d'abord des minuties, qu'il n'est presque jamais possible d'en faire sur certaines choses, mais surtout lorsqu'on ne pourrait y procéder que par la destruction de l'humanité, et elles seraient presque impossibles à faire dans une action de guerre ; le danger auquel l'observateur se trouverait exposé, détournerait aisément son attention des circonstances qui paraissent au premier coup-d'oeil les moins importantes : ce n'est que dans la solitude et la tranquillité de la retraite que les curieux observateurs de la nature, après avoir étudié à fond la composition de l'objet de leurs recherches, parviennent enfin à découvrir ses propriété par le concours de diverses expériences qu'ils suivent en différents temps, en différents lieux, et relativement à toutes les positions possibles. Ce n'est point à la guerre qu'il est possible de faire de semblables expériences ; ce n'est point à des militaires qui ne se sont point fait une étude particulière de l'art d'observer, qu'il faut en demander de semblables. Les génies heureux, qui savent allier l'étude de toutes les sciences et des arts au grand art de la guerre dont ils font profession, sont occupés pour le bien de l'état, d'objets trop variés et trop importants pour croire qu'on doive attendre d'eux qu'ils fassent part aux autres des lumières qu'ils ont acquises sur les circonstances militaires qu'ils ont observées ; trop heureux d'entendre leurs décisions, on doit se contenter de ce qu'ils prescrivent de faire, sans les obliger de rendre de leurs décisions un compte à la portée des esprits ordinaires ; il faut seulement espérer qu'ils voudront bien concourir à la perfection de la théorie de leur art, par les objections raisonnées que leur expérience réfléchie pourra leur fournir contre les calculs et les démonstrations que le zèle d'un esprit géométrique peut ici leur fournir. Cette science de la guerre ne peut se perpétuer, et s'établir solidement sans une étude réfléchie.... Ce n'est que par des gens de lettres aidés des lumières des officiers habiles.... qu'on peut espérer de la transmettre à la postérité, art. 5. dern. chap. de l'art de la guerre, du maréchal de Puységur.

Différentes façons dont l'infanterie fait ou peut faire feu. 1°. Feu roulant par rang successif, il ne part qu'un coup de fusil à la fais, et chaque soldat du même rang tire successivement d'une extrémité à l'autre, et le feu se continue par l'extrémité d'un autre rang du même côté, où le premier qui a tiré a fini de faire feu.

2°. Feu roulant par rangs, c'est le même feu que le précédent, mais exécuté par tous les rangs à-la-fais ; et chaque fîle tirant successivement, il part autant de coups de fusil à-la-fais qu'il y a de rangs.

3°. Feu par rangs. Tous les rangs font feu successivement l'un après l'autre, et les premiers mettent genou en terre quand les derniers font feu, il part à-la-fais autant de coups de fusil qu'il y a d'hommes dans chaque rang que l'on fait tirer. Les soldats des premiers rangs ne peuvent charger leurs fusils dans le temps que les derniers rangs font feu ; ou s'ils les chargent à genoux, ils sont plus longtemps à les charger que s'ils étaient debout. Ces feux ne s'exécutent que de pié-ferme.

4°. Feu roulant par files. Il part autant de coups de fusil qu'il y a de couples de files, et chaque soldat fait feu lorsqu'il se trouve au premier rang. Voyez au mot MARCHE contre-marche par files, et les ordonnances et instructions de 1753 et 1754. Ce feu peut être le plus suivi, c'est-à-dire durer le plus longtemps, il s'exécute ou en avançant, ou en reculant, ou sans changer de terrain.

5°. Feu de rempart se prend quelquefois pour ce que j'appelle ici feu roulant par files sans quitter son terrain, il vaudrait mieux entendre par feu de rempart un feu qui ne doit s'exécuter exactement que derrière un rempart ; c'est de faire faire feu au premier rang avec tous les fusils de chaque fîle ; il peut partir par ce feu autant de coups de fusil à-la-fais qu'il y a de files, ou du-moins autant qu'il y a de creneaux ou meurtrières d'où l'on peut faire feu ; ce feu doit s'exécuter, surtout lorsque l'on ne peut derrière un parapet ou muraille crenelée exécuter le feu roulant par files, à cause de l'irrégularité de la construction des remparts ou banquettes.

6°. Feu de chaussée par rangs. On peut tirer par ce feu autant de coups de fusil à-la-fais qu'il peut contenir de files de front sur la chaussée à deux pieds, si le rang qui a fait feu défîle à côté des autres ; et alors plus le front est étendu, moins le feu est vif, parce qu'il faut que le rang qui a fait feu défîle devant le rang qui Ve tirer.

7°. Feu de chaussée par division. Ce feu peut s'exécuter par un front de vingt-quatre hommes sur une chaussée à contenir trente-deux hommes de front, alors les divisions qui ont fait feu, soit sur trois, soit sur quatre rangs, défilent par le vide des quatre files qui sont sur les flancs ; toutes les divisions font feu successivement ; et moins le front est étendu, plus le feu est vif : mais pour que le nombre des coups de fusil soit en proportion avec la vitesse avec laquelle la division peut défiler, il faut faire un calcul selon cette vitesse et le front de la division. Voyez ci-après.

8°. Feu par sections, pelotons, divisions, marches, voyez ces mots. Ce feu, soit qu'il se fasse avec trois ou quatre rangs, est plus ou moins vif, selon qu'il y a une plus grande partie de front, qui tire en même-temps jusqu'au nombre de division qui se trouve en proportion avec la vitesse avec laquelle tout soldat peut tirer, et ce nombre est celui des coups de fusil que chaque soldat peut tirer dans une minute. Ces trois derniers feux peuvent s'exécuter en avançant, ou reculant, ou faisant retraite, et sans changer de terrain.

9°. Feu de tout le bataillon. Ce feu pourrait s'appeler feu plein ; c'est le feu qui peut le plus facilement être le plus vif, et en même-temps le plus nourri sur un terrain uni. Ce feu ne peut s'exécuter que de pié-ferme.

10°. Feu de bille-baude, appelé aussi feu à la française, parce que la nation n'en exécutait pas d'autre ; c'est lorsque chaque soldat tire le plus vite qu'il peut, et sans en recevoir l'ordre à chaque coup de fusil ; ce feu peut être aussi vif que le feu plein, mais il ne peut l'être davantage ; il ne pourrait être pratiquable par préférence que lorsqu'une troupe se trouverait postée en amphithéâtre, comme sur des marches d'escalier, alors huit, dix rangs, et plus même peuvent faire feu en même-temps ; on pourrait donc le nommer feu d'amphithéâtre. C'est le feu qui peut être le plus plein, parce qu'il se peut faire avec plus de rangs. Ce feu ne peut s'exécuter que de pié-ferme.

Pour connaître l'usage qu'il convient de faire des différents feux, il faudrait déterminer les questions ci-après.

Quelle est la plus grande vitesse dont peut marcher une troupe d'infanterie pour charger l'ennemi, dont elle essuie un feu vif, et tire de pié-ferme ? Voyez MARCHE.

Quelle étendue peut parcourir une troupe avec le plus de vitesse qu'il est possible ? Voyez MARCHE et PAS.

A quelle distance une troupe commence-t-elle à perdre du monde par un feu vif qu'elle essuie ? 1°. Etant sur un terrain uni, 2°. sous une hauteur, 3°. plus élevée que celle qui fait feu. Voyez FUSIL, sa portée.

En terrain uni, en plaine, combien porte-il de coups de fusil sur l'ennemi à telle distance ; combien à telle autre, etc. combien dans les différentes positions ; combien derrière un retranchement ? Voyez FUSIL, moyens de faire des épreuves sur les différentes façons de faire feu.

A combien de rangs peut-on faire faire feu à-la-fais ?

A l'égard du nombre des rangs qui peuvent tirer à-la-fais sur un terrain uni, il ne peut être de plus de quatre avec les armes qui sont en usage ; il n'est pas douteux qu'il peut être de ce nombre dans les exercices, l'expérience en a été souvent faite en tirant à la vérité sans balles ; ce qui pourrait empêcher que l'infanterie ne fit ce feu devant l'ennemi, c'est que des soldats des derniers rangs qui ne seraient pas bien exercés, pourraient blesser ceux des premiers, surtout si les premiers ne mettaient pas les genoux en terre ; si l'on ne peut faire que quatre rangs, desquels les deux premiers ou un seul mettrait genoux en terre, tirent aussi vite que trois rangs debout ; le feu de quatre rangs serait dès le premier moment un quart plus plein que celui fait par trois rangs, par conséquent l'avantage augmenterait à mesure que le feu durerait, et il viendrait à être double ; puisque la troupe sur quatre rangs ne perdrait pas tant de monde que si le feu ennemi était égal au sien, et que l'ennemi perdrait davantage que s'il essuyait seulement un feu égal. Si le feu sur quatre rangs s'exécutait avec un quart moins de vitesse que le feu sur trois, les deux feux seraient égaux, la perte en nombre serait égale, mais moindre en proportion du côté de la troupe qui serait sur quatre rangs : donc s'il est possible de faire tirer les quatre rangs à la fais, de façon que la différence de la vitesse du feu des quatre rangs soit moindre que le quart de la vitesse qu'emploieraient les trois rangs ; il est nécessaire de faire feu sur quatre rangs, autrement dit à quatre de hauteur.

Quelle est la plus grande vitesse avec laquelle l'infanterie peut faire feu, et combien peut-elle tirer de coups de suite ? Le fusil s'échauffe au point de n'être point maniable quelquefois avant le douzième coup de fusil. Si l'on a tiré ces douze coups de fusil en trois ou quatre minutes, il ne s'échauffe pas davantage ; quand ces douze coups sont tirés dans deux minutes, quand on a fait feu vingt-cinq ou trente fais, il arrive assez souvent que l'intérieur du canon de fusil est sale, gras, et que la cartouche ne peut plus y descendre ; ou si elle y descend, elle pousse vers la culasse assez de suie ou de crasse pour boucher la lumière.

Supposant que l'on tire quatre coups par minute, une troupe qui ferait le feu plein sur une autre, ne pourrait pas le continuer plus de trois minutes ; si une troupe ne parcourt que quatre pieds par seconde, (voyez ordonnances et instructions de 1713 et 1714) elle sera trois minutes à parcourir cent vingt taises, distance à laquelle tout le monde convient qu'elle peut perdre du monde. Voyez ci-après fusil, sa portée. Donc la troupe qui se mettra en marche pour aller charger l'ennemi à l'arme blanche, essuiera tout le feu qu'il est possible, et cela sans avoir riposté d'un seul ; en sorte que sans rien faire perdre à son ennemi, elle aura perdu autant que cet ennemi aurait perdu lui-même, si elle avait répondu par un feu égal.

Supposant que de cent coups de fusil, un porte, elle aura perdu plus d'un huitième ; et par conséquent, (l'attaquant dans un ordre semblable) elle aura un désavantage à l'arme blanche, de la même proportion ; mais ce désavantage sera-t-il compensé par l'audace qu'aura pu lui inspirer la marche qu'elle a fait pour attaquer ?

Il parait certain qu'à ordre semblable, courage ou valeur égale, position égale de terrain, et persuasion égale de la force de leurs ordres, la troupe plus nombreuse d'un huitième, et qui n'a pas perdu aucun officier, doit repousser et battre celle qui n'a point fait feu ; donc en faisant le feu le plus vif, et plein, dès que l'ennemi marche à vous pour charger à l'arme blanche, on doit être sur de le battre.

Si le feu au lieu d'être de douze coups par homme dans trois minutes, a été de dix-huit, l'avantage sera de plus d'un tiers.

Si la troupe qui a marché a employé plus de trois minutes à parcourir les cent vingt taises, l'avantage sera encore plus grand ; mais si elle a employé quatre minutes ou quatre minutes et demie, elle aura perdu la moitié de son monde ou plus, l'autre ayant pu tirer vingt-quatre ou vingt-sept coups.

Mais comment faire tirer vingt-quatre coups de suite, les fusils n'en pouvant tirer que douze ? C'est en faisant remplacer les rangs qui auraient tiré douze coups par un même nombre d'autres rangs ; les fusils auraient alors autant de temps à se rafraichir, qu'on aurait été de temps à s'en servir, et successivement le feu serait continuel, jusqu'à ce que les fusils fussent trop sales.

Les fusils ne sont sales qu'après avoir tiré vingt-cinq coups ; il se trouverait donc que l'ennemi pourrait en essuyer cinquante de suite ; mais si de cent coups un seulement porte, il faut que l'ennemi en ait essuyé cent pour être détruit ; donc il faudrait que les troupes qui sont placées dans des endroits où elles ne peuvent se défendre qu'à coups de feu, pussent être remplacées par un nombre égal, après qu'elles ont tiré vingt-cinq fois : pour cela il faudrait un ordre ou ordonnance sur quatre fois plus de hauteur qu'on ne peut faire tirer de rangs à-la-fais ; si trois sur douze ; si quatre sur seize.

Si de cent coups un porte ; si l'on peut tirer six coups par minute, en quatre minutes un rang ennemi sera détruit ; en huit deux rangs ; en seize quatre rangs ; en vingt-quatre minutes six rangs.

Si de cinquante coups un porte, il faut la moitié moins de temps ; si de vingt-cinq un porte, c'est un quart : en six minutes de feu six rangs seraient détruits, quelque ordre ou ordonnance que prennent les six rangs. Voyez ordre ou ordonnances de bataille.

Mais plus la marche est précipitée, moins l'on perd de monde ; si une troupe parcourait tout l'espace pendant lequel elle est exposée dans le temps qu'elle ne pourrait essuyer que sept ou huit coups de fusil, elle ne perdrait environ qu'un seizième ; ce qui ne ferait pas une différence assez sensible pour perdre nécessairement l'égalité à l'arme blanche ; mais je suppose ici que la troupe qui marche pour charger, Ve jusqu'au terrain qu'occupe celle qui fait le feu le plus vif et le plus plein, et que celle-ci ne le cesse qu'au moment où elle est jointe par l'autre.

Celle qui a marché se trouve alors ses armes chargées et présentées ; elle arrive avec beaucoup de vitesse contre l'autre qui peut-être est encore occupée d'achever de charger ses armes : cette dernière aurait peut-être encore un désavantage de n'avoir pas été mise en mouvement en-avant auparavant de recevoir le choc.

Il faut donc reconnaître quel est le temps nécessaire pour faire charger les fusils, et s'ébranler en-avant de dix ou douze pas. Cette étendue doit suffire pour recevoir le choc, et contre-balancer toute la marche de l'ennemi, lequel n'acquiert pas de force ni n'en perd par la longueur de sa course ou marche.

A quatre coups par minute, il faut pour charger le fusil quinze secondes, pour le commandement cessez le feu deux ; pour celui marchez en-avant, pas pour le choc, deux ; total dix-neuf secondes ou un tiers de minute : donc le feu doit cesser lorsque l'ennemi a encore à parcourir l'espace de terrain qu'il lui est possible de parcourir en moins d'une demi-minute, ou moins encore, si on charge le fusil en dix secondes, au lieu que nous le supposons ici en quinze.

Supposant des troupes d'infanterie de nombre égal, marchant l'une contre l'autre en plaine unie, dès que l'une des deux après s'être arrêtée, commence à faire feu, et qu'elle est à portée de faire perdre du monde à l'autre, elle a un avantage sur celle qui marche encore ; soit que cette dernière tire en marchant, ou ne tire pas.

Il semble donc que si-tôt que cette dernière voit qu'elle perd quelques hommes, il faut qu'elle arrête et fasse feu de pied ferme ; et si le feu de part et d'autre est aussi vif, et aussi plein, et aussi-bien dirigé, sa partie redevient égale.

Dès que l'une des deux s'aperçoit que le feu qu'elle fait est moins vif, moins plein, ou moins bien dirigé que celui qu'elle essuie, il faut qu'elle marche de la plus grande vitesse qu'il lui est possible, pour aller charger à l'arme blanche : quand celle qui ne marche pas voit marcher l'autre, elle doit faire toujours le feu le plus vif qu'il lui est possible, jusqu'à ce que l'autre n'ait plus que pour une demi-minute environ de terrain à parcourir ; celle qui n'a pas marché doit alors charger ses armes, et aller en-avant.

Dès que celle qui a marché la première voit cesser le feu à cette distance, il est peut-être nécessaire (comme César fit à Pharsale) qu'elle s'arrête pour reprendre haleine, et se remettre en ordre, en remplaçant dans ses rangs la perte qu'elle a soufferte.

Avant que d'un côté l'on ait remarqué que le feu a cessé, et de l'autre que l'ennemi s'est arrêté, il y a presque une demi-minute de temps passé, et la troupe qui a fait feu jusque alors est à la distance d'une demi-minute de chemin de l'autre, ou bien à un quart seulement, si cette troupe qui a fait feu et a cessé de tirer, a pris son parti de marcher en-avant aussi-tôt qu'elle a eu rechargé ses armes ; il faut alors que celle qui a arrêté sa marche et repris haleine, se remette en marche ; elles se rencontreront toutes deux à un quart de minute dans un premier cas, à un huitième dans le second.

La troupe qui a marché n'a pris ce parti qu'à cause de l'infériorité de son feu ; elle aurait été obligée de céder, si elle n'avait pas marché en-avant. Voyez ci-dessus pag. précéd. Elle se trouve en présence pour combattre à l'arme blanche ; elle n'a d'infériorité que la perte des hommes qu'elle a essuyée ; cette infériorité peut se réparer à arme blanche et ordre égal, par l'adresse, la force, et la valeur ; la force et la valeur ne peuvent rien à-présent contre l'arme à feu : donc la troupe qui réunit l'adresse, la force, et la valeur (toutes les fois qu'elle n'a pas la supériorité du feu), doit nécessairement charger à l'arme blanche, ou se retirer si quelque obstacle insurmontable l'empêche de joindre l'ennemi.

Il n'est pas unanimement reconnu qu'une troupe puisse tirer six coups par minute ; l'avantage qui pourrait résulter de cette vitesse parait même problématique à plusieurs ; parce qu'ils voient souvent dans les exercices que plus on fait un feu vif, plus il y a de fusils qui cessent de faire feu ; en sorte qu'il est arrivé quelquefois qu'à la sixième décharge, il n'y avait peut-être pas la moitié des fusils qui tirassent ; mais une expérience bien faite pourrait constater ou détruire ce problême ; on connait mieux le fusil, les moyens de le manier aisément ; on tire beaucoup plus vite à-présent qu'on ne faisait il y a trente ans ; peut-être n'est-on pas encore dans toute l'Europe au point de la perfection ; et telle nation n'en est peut-être pas aussi près qu'elle se flatte de l'être ; mais on peut faire des épreuves.

Les troupes dont les fusils n'ont pas fait feu dans toutes les décharges, avaient peut-être des armes défectueuses ; voyez POUDRE A TIRER ; leurs cartouches étaient peut-être mal-faites ; de papier trop fort, ou trop collé ; leur poudre était trop humide, ou leurs fusils étaient peut-être sales depuis longtemps ; mais surtout ces troupes manquaient peut-être d'adresse et d'habitude ; et quand même il serait arrivé une fois qu'une troupe d'infanterie eut fait feu sur l'ennemi, et qu'il se trouvât après un certain temps une grande quantité de poudre, de bales, ou de cartouches répandues devant elle, ce ne pourrait être encore-là une expérience constatée. 1°. Si cette troupe a fait plus de douze décharges de suite, les soldats n'ont pu manier leurs fusils, par conséquent le charger comme il faut ; si le canon des fusils était léger et mince, ils n'étaient peut-être plus maniables au huitième ou au dixième. 2°. Si cette troupe n'était pas persuadée intimement et parfaitement que son feu pouvait la rendre victorieuse, et la garantir surement de sa perte, les soldats ont pu être troublés par la crainte du danger. La nécessité démontrée et connue de tout le monde de tenir tel ordre, de se défendre par tel moyen, dans telle position, peut seule donner cette confiance ; l'incertitude universelle de l'ordre qu'on doit tenir et des moyens de défenses, fait qu'on la perd nécessairement.

A-propos du feu de chaussée par divisions, j'ai dit qu'il fallait faire un calcul suivant la vitesse avec laquelle on pouvait tirer, et l'étendue du front de la division ; j'ai dit ci-devant que pour faire un feu continuel, il fallait quatre fois plus de rangs qu'on n'en peut faire tirer à la fais, l'explication du feu de chaussée plein peut éclaircir ces deux propositions.

En supposant une chaussée de 64 pieds de large, elle pourrait contenir trente-deux files, estimant pour ce calcul chaque soldat occuper deux pieds. Pour le feu de chaussée, n °. 7. (voyez ci-devant), il faudrait laisser à la droite et à la gauche huit pieds pour laisser défiler quatre rangs, resterait dont 24 files à placer de front, dont la moitié est douze, qui doivent parcourir le front de la division qui suit, lorsqu'ils auront cessé de faire feu. En suivant le commandement il faut deux secondes, pour qu'un à droite et un à gauche soient exécutés, et une seconde pour parcourir quatre pieds ; ainsi il faut au premier tiers, composé de quatre hommes de front et quatre de hauteur, quatre secondes pour quitter son terrain, après lesquelles il en faut deux, pour que les quatre files du milieu occupent la place que les premières ont quittée ; il en faut à celles-ci deux pour l'abandonner, et deux secondes après, il est rempli par les quatre dernières files de ces douze, ce qui fait en tout dix secondes, la division qui suit peut alors faire feu en laissant perdre le terrain qu'occupait la première, et supposant que l'on tire six coups par minutes, ce qui fait un par dix secondes ; de ce calcul que le feu est continuel et sans retard, par un front de 24 hommes sur une chaussée à contenir un front de 32, et qu'il serait plus vif d'une seconde à chaque changement de divisions autant de fois que l'on le diminuerait de quatre files, puisqu'il faut une seconde pour parcourir le front de deux files, mais une seconde n'est point une augmentation de vitesse sensible, et le nombre de quatre files est le sixième du feu que l'on perdrait. Si la chaussée était de 72 pieds, on pourrait avoir quatre files de plus, le feu ne serait plus lent que d'une minute à chaque changement de division, et il serait plus fourni d'un sixième en sus.

Mais dans les 64 pieds, on pourrait faire un feu qui ne serait que d'un vingt-quatre, même d'un vingt-septième plus lent, et qui serait d'un tiers en sus plus nombreux, c'est ce que je nommerai feu plein de chaussée ; pour faire ce feu sur une chaussée de 64 pieds, il faut quatre divisions de trente-deux hommes de front chacune placée l'une derrière l'autre avec quelqu'intervalle, il faut que ces divisions soient partagées en deux demi ; pendant que les deux premières demi-divisions font feu, les trois divisions entières qui suivent la première, doivent aussi se partager en demi-divisions de seize hommes de front ; de chacune de ces demi-divisions, il faut que les quatre files de droite et de gauche doublent en arrière sur les huit files du centre de leurs demi-divisions, ce qui formera des carrés pleins (si les troupes sont à quatre de hauteur) : lorsque les deux premières demi-divisions ont tiré douze coups, elles doivent défiler par leur droite, et leur gauche pour aller se reformer, après la dernière division ; lorsqu'elles ont abandonné leur terrain, les deux demi-divisions qui les doivent remplacer se mettent en mouvement, les huit files du centre marchant en avant quatre pas, et les quatre files de leur droite, et leur gauche qui avait doublé, vont en dédoublant par le pas oblique reprendre leurs places, et ainsi successivement de division en division. Pour que la division qui a fait feu quitte son terrain, les quatre files de la droite et de la gauche de chaque demi-division font demi-tour à droite, et marchent douze grands pas en avant ; pendant leur demi-tour à droite, les huit files du centre restent en face, ce qui dure deux secondes de temps ; ensuite la moitié de ces huit files du centre fait à droite, et l'autre à gauche, pour cela encore deux secondes, elles font après quatre pas, et le front des huit filles des demi-divisions qui suivaient celles-ci, est découvert ; pour ces quatre pas, deux secondes, donc jusqu'à ce moment en total six secondes : les huit files du centre de cette première division (déjà mises en marche) font, après ces six secondes de temps, encore un à droit, ou un à gauche, pour cela c'est deux secondes, elles suivent ensuite les files qu'elles avaient à leurs flancs ; et font huit pas pour les joindre, pour cela il leur faut quatre secondes, qui, avec les deux ci-devant, font six, et ces six, avec les six comptées encore ci-devant, font en tout douze ; alors les quatre files de droite et de gauche des divisions secondes à faire feu, ont déjà commencé à occuper le terrain abandonné sur leur flanc, et à se dédoubler 1°. par le pas oblique ; pour ce pas, quatre secondes, ensuite par les pas en avant, elles en font quatre, et sont à les faire deux secondes, total six, ce qui joint aux douze ci-dessus fait en tout dix-huit secondes ; la décharge que cette division seconde à tirer pourrait faire alors, serait donc retardée de huit secondes, mais c'est la douze et treizième décharge, donc ce ne serait qu'un quinzième de retard sur les douze, ce qui est peu de chose, et le feu au-lieu d'être de vingt-quatre de front, serait de trente-deux, donc d'un tiers en sus plus nombreux, ce qui est beaucoup : mais après six minutes le front des huit files du centre de chaque demi-division seconde à tirer est découvert, il lui faut deux minutes pour aller occuper le terrain abandonné, alors ces huit files peuvent faire feu huit secondes après la dernière décharge de la première division ; ce qui loin de faire un retard dans la vivacité du feu, fait une vitesse d'un soixantième en sus ; mais cette treizième décharge est de la moitié moins fournie que les autres ; par conséquent ce n'est plus qu'un vingt-septième de diminution sur la quotité du feu ; cette ordonnance sur seize de hauteur peut donc faire un feu continuel, et la division qui a fait feu, peut avoir quatre ou cinq minutes pour rajuster ses armes.

Si les fusils trop courts étaient un inconvénient pour faire feu des quatre rangs, ne pourrait-il pas être réparé en plaçant les plus grands hommes au dernier rang ? Ne pourrait-on pas encore leur donner des fusils plus longs ? Quand un quatrième rang de soldats mettraient à charger les fusils long le double du temps que mettent les autres, son feu n'augmenterait-il pas d'un sixième en sus le feu de la troupe sur deux décharges ; les quatre rangs tireraient sans que les deux premiers missent genou en terre, et qu'il y eut un quatrième et cinquième rangs armés de fusils longs, ne pourrait-on pas faire alors feu des cinq rangs ? Si trois rangs mettaient genou en terre, ne pourrait-on pas faire feu de six ? La moitié de la troupe serait armée de fusils longs, et même de fort longues bayonnettes. Voyez FUSIL, ARMES A FEU, Moyen de les perfectionner.

Feu de cavalerie contre cavalerie. Si le feu de l'infanterie peut-être très-meurtrier, il n'en est pas de même de celui de la cavalerie ; mais une question que je ne vois pas décidée par de bonnes épreuves, c'est de savoir s'il convient oui ou non que la cavalerie fasse feu avant de charger, il parait bien impossible que le second rang d'un escadron puisse faire feu de son mousqueton ; il semble donc que si, comme nous avons supposé, de cent coups un seul porte, en faisant la même évaluation dans la cavalerie, son feu ne mettrait pas par chaque escadron un seul homme hors de combat, 1°. parce qu'elle ne peut faire qu'une décharge, à cause qu'il faut plus de temps à cheval pour charger un mousqueton, que pour un fusil à pied ; 2°. qu'il passe pour constant que le feu du mousqueton doit être fait de plus près pour faire un feu égal à celui du fusil ; 3°. une troupe à cheval parcourt l'espace qui la sépare de l'ennemi plus vite qu'une troupe à pied ; 4°. S'il est avantageux à une troupe d'infanterie de s'ébranler en avant pour recevoir et donner le choc, il l'est indubitablement davantage à la cavalerie ; 5°. il faut une espace pour se mettre au trot, peut-être même au galop, sa troupe ne pouvant être assez parfaitement dressée pour partir de l'arrêt au grand trot ; 6°. la cavalerie qui a fait feu avant le choc se trouve dégarnie du feu de son mousqueton lors de la poursuite, si elle a battu, ou de sa retraite, si elle a plié ; on ne peut pas donner pour raison de ne pas faire faire feu à la cavalerie ; la frayeur qu'a causé quelquefois aux chevaux de leurs troupes le feu que des escadrons ont faits. Voyez façon de dresser les chevaux au feu, et institutions militaires de M. de la Poterie.

Si l'infanterie présente un but de cinq pieds et demi de haut, la cavalerie en présente un tiers plus élevé, et par conséquent plus de moitié plus aisé à atteindre, donc on devrait en même proportion estimer que de cinquante coups un portera ; la cavalerie tire de plus près, cela compense la difficulté qu'elle a de tirer juste : un cheval du premier rang ne peut culbuter celui ou ceux qui le suivent, et si ces premiers ne culbutent pas, ils causent peut-être plus de désordre encore dans l'escadron ; le feu du mousqueton ne doit point servir après la défaite, parce qu'alors étant mêlés, on ne doit tirer qu'à bout touchant, et le pistolet suffit pour cela, le mousqueton est inutîle dans la retraite ; il est nécessaire qu'un escadron s'ébranle avant de recevoir le choc, et prenne la même vitesse que son ennemi, non-seulement pour avoir la même force, mais pour que cette vitesse cause aux chevaux de son ennemi la même frayeur que la vitesse de cet ennemi cause aux siens (il est très-nécessaire de s'appliquer dans les exercices à diminuer dans les chevaux cette frayeur causée par l'approche d'un escadron, et même d'un bataillon). L'espace pour mettre un escadron en train au grand trop ou galop est d'environ dix taises pour toute cavalerie ; douze à quinze taises que l'ennemi peut parcourir pendant ce même temps, font vingt-cinq ou trente ; donc un escadron peut encore faire feu de son mousqueton lorsque son ennemi n'est plus qu'à vingt-cinq ou trente taises de lui : or à cette distance le feu doit être mieux ajusté, et l'on pourrait compter peut-être que de huit ou dix coups un portera.

Sur un front de cinquante maîtres qui fait feu sur un pareil front, ce sont cinq maîtres de l'escadron ennemi qui sont frappés, sans compter ceux que la chute de ceux-ci peut faire culbuter ; mais enfin il semble au-moins que le feu que peut faire une troupe bien exercée ne peut pas lui nuire ; voilà à-peu-près les raisons pour et contre. Pour des autorités en faveur du feu, voyez art de la guerre, p.... c'est le seul auteur qui l'ait approuvé.

Feu de l'infanterie contre la cavalerie. Le feu de l'infanterie peut atteindre la cavalerie de plus loin qu'il n'atteint d'autre infanterie, puisque la cavalerie présente un plus grand but (voyez FUSIL, sa portée), quelque vitesse que la cavalerie mette à parcourir cet espace, elle ne peut le faire en moins de huit minutes ; or elle essuyera au moins huit décharges à quatre par minute, deux files de cavalerie occupant au-moins un front égal à trois files de soldats à quatre de hauteur, c'est quarante-huit coups de fusil pour chaque fîle de cavalier, si des quarante-huit deux coups portent, que l'escadron soit sur deux rangs, il n'arrivera pas un seul cavalier sur l'infanterie ; mais s'il ne portait que deux coups des quarante-huit qui seraient tirés, et que l'escadron fût sur trois rangs, il resterait un tiers ; si ce tiers arrivait sur les bayonnettes (fussent-elles larges comme les pertuisanes de M. le chevalier Folard), il enfoncerait l'infanterie sans être quasi arrêté, mais il serait pied à terre en partie ou culbuté à cinquante pas de-là ; l'infanterie perdrait ici de sa force à s'ébranler en avant contre le choc de cette cavalerie, non-seulement parce qu'elle pourrait perdre la forme de son ordre, mais parce qu'elle diminuerait la force de stabilité que lui donne l'union adhérente de ses parties, et que la force et la vitesse du choc de la cavalerie a une supériorité incommensurable sur la force et la vitesse de l'infanterie, non-seulement à raison de la masse et de la vitesse des corps, mais encore par leur étendue, leurs ressorts et leur forme différente.

Nous avons supposé que si de trois rangs un seul arrivait sur l'infanterie, il la renverserait, c'est-à-dire la traverserait, que ce tiers serait mis pied à terre, et cela parce que chaque cheval emporterait au travers du corps quelques bayonnettes ou autres armes.

Mais des soldats aguerris ne pourraient-ils pas se remettre en ordre, et seraient-ils donc nécessairement battus par des cavaliers en partie démontés et culbutés en nombre aussi inégal, puisque les soldats seraient huit contre un cavalier ? leur dernier rang seul pourrait, leur faisant face, se trouver le double plus nombreux.

Une seconde attaque à cette infanterie, serait plus redoutable que la première ; elle aurait un quart moins de feu pour s'y opposer, et il arriverait un plus grand nombre de cavaliers sur elle ; quand elle ne serait pas encore battue par cette seconde charge, vraisemblablement elle le serait par une troisième.

Il semble donc qu'on doit conclure de-là que la cavalerie doit battre l'infanterie : on suppose qu'une portion de ligne d'infanterie est attaquée par un front de cavalerie égal au sien ; que l'infanterie est à quatre de hauteur, et la cavalerie à trois ; il se trouve alors qu'à la seconde charge, l'infanterie aura été attaquée par un nombre de gens de cheval égal au sien ; et à la troisième par un qui serait la moitié plus nombreux, il y aurait peu de soldats blessés d'armes à feu, quelques-uns le seraient par les pieds des chevaux, et vraisemblablement les vainqueurs seraient après leurs victoires moins nombreux que les vaincus ; que peut faire cette cavalerie à de tels vaincus, si ceux-ci ne jettent leurs armes à terre, et ne demandent grâce ? mais c'est à quoi le désordre et la frayeur (suite nécessaire du désordre), les obligeront infailliblement. La frayeur est contagieuse ; quelquefois elle se communique d'un coup d'oeil, d'un bruit, d'un mot ; elle devient elle-même cause du désordre qui la redouble toujours. Si donc un front d'infanterie était pénétré dans une partie par la cavalerie, il est très-possible que le manque de confiance en la force de son ordre, mette le reste de la ligne en désordre, qu'il prenne l'épouvante, qu'il jette ses armes, et qu'il se rende.

Si l'infanterie détruit une grande partie de la cavalerie qui vient l'attaquer, c'est par son feu ; avantage qu'elle n'avait pas quand elle était armée de piques, tous les rangs à la vérité présentaient par échelons, en avant de son premier, le fer des piques incliné à la hauteur du poitrail des chevaux, et le talon des piques était arbouté contre terre, et retenu par le pied droit du piquier ; il passait alors pour certain que la cavalerie ne pouvait enfoncer l'infanterie, cependant il était arrivé assez souvent le contraire : on disait pourtant comme aujourd'hui, si l'infanterie connaissait sa force, jamais la cavalerie ne l'enfoncerait. Si cet axiome a jamais été vrai, ne le serait-il plus ?

L'infanterie a deux moyens de se défendre ; ses armes et son ordre ; si par ses armes, et par tel ou tel ordre, elle n'a pu ni dû résister ; il n'est pas dit que avec ces mêmes armes, et tel autre ordre, elle ne le puisse faire ; il est certain que si la cavalerie ne vient pas heurter les armes de l'infanterie, jamais elle ne l'abattra, car ce n'est que par son choc que la cavalerie peut la vaincre ; puisque elle ne peut contre cette infanterie se servir d'aucunes armes de près ou de loin ; le but que l'infanterie doit se proposer pour résister à la cavalerie, est donc de détruire le plus qu'il est possible par son feu, et d'éviter son choc par l'ordre qu'elle doit tenir. Voyez ordre ou ordonnance, infanterie contre la cavalerie.

Feu du canon. Il n'est pas nécessaire d'avoir recours aux chroniques chinoises, pour se persuader que le nombre des pièces de canon de campagne, peut devenir très-considérable, l'expérience des dernières années de la guerre, peut en convaincre ; l'artillerie de campagne, à la fin du siècle précédent, n'allait pas au-delà de cinquante à soixante bouches à feu, et on mettait ordinairement à la suite de chaque armée, autant de pièces de canon qu'il y avait de milliers d'hommes de pied.

Les équipages de campagne qui ont été mis sur pied dans les Pays-bas, pendant les dernières campagnes de 1747 et 1748, étaient de cent cinquante pièces de canons, dont 14 de seize, 16 de douze, 30 de huit, 80 de quatre longues ordinaires, et 10 à la suédoise ; chaque pièce approvisionnée pour tirer deux cent coups ; cinquante caissons d'infanterie, portant chacun quatorze mille quatre cent cartouches, et douze cent pierres à fusil ; soixante et dix pontons de cuivre, et trente de fer blanc ; les haquets de rechange, et agrets nécessaires à leur suite. Le tout ainsi, les forces, ce qu'on appelle le petit parc, (Voyez ce mot), les outils, menus achats, cent coups d'approvisionnement par chaque pièce, et quatre-vingt de cent pontons, attelés avec trois mille chevaux d'artillerie ; les cent autres coups par pièce, ainsi que sept cent vingt mille cartouches d'infanterie, deux cent mille pierres à fusils, trois mille outils à pionniers, vingt milliers de plomb, et vingtquatre de poudre ; des meches et artifices portés sur quatre à cinq cent chariots du pays ; on ajoutait encore deux cent chevaux du pays pour atteler vingt des pontons de fer blanc, et mettre deux chevaux en avant de l'attelage de chacun des autres.

On a joint à ces équipages, dans la dernière campagne, quelques obus, espèce de bouche à feu dont l'usage a été reconnu assez utîle pour croire qu'il pouvait être ordonné par la suite qu'il y en ait un certain nombre fixé aux équipages de sieges et de campagne ; il est assez vraisemblable qu'il sera aussi ordonné en France d'avoir, outre ce nombre de canons, encore deux pièces attachées à chaque bataillon, à l'imitation de quelques autres puissances.

Le service du canon est au moins autant perfectionné que le maniement du fusil, les écoles d'artillerie dont le but a été principalement d'instruire sur l'usage que l'on en doit faire pour l'attaque et la défense des places, ne se sont point bornées à ce seul objet ; et quoique le service de campagne ne demande pas tant de soins, de frais, d'attirails, de précautions, ni de théorie, il a cependant toujours fait dans ces écoles une partie qu'on ne peut négliger, et non seulement l'étude de l'artillerie par rapport aux sieges, mais encore celle de la guerre de campagne en a formé également l'objet.

Ce qu'on appelle pour une armée artillerie de campagne, est séparé de celle que l'on fait joindre pour les sieges ; elle a des officiers nommés pour y servir, des entrepreneurs, des chevaux, un détachement du régiment et corps royal de l'artillerie et du génie, indépendamment de ceux qu'on y attache, tirés de l'infanterie de l'armée.

Le commandant en chef de l'artillerie d'une armée, l'est également de celle de siege et de celle de campagne ; mais il envoie un officier supérieur, qui lui est subordonné, pour commander celle de campagne dans les endroits où le général de l'armée ne juge pas sa présence nécessaire.

Toutes les différentes parties de l'attirail de l'artillerie, sont séparées et reparties par brigades, pour la commodité du service.

Le major de ce corps prend le mot du maréchal de camp de jour, mais n'est point dispensé d'aller ou d'envoyer tous les jours un officier major au détail de l'infanterie, chez le major général, pour l'exécution des ordres qui s'y donnent relatives à l'artillerie, soit pour marche, détachements, escorte, distribution de bouche, ou de munitions, ou fourrages.

Dans les détachements un peu considérables en infanterie, on envoie assez souvent jusqu'à deux brigades du canon de quatre livres de balles, et même quelquefois une du calibre de huit, aux arrières gardes d'armées, ainsi qu'aux campements on en envoie selon le besoin ; un jour d'affaire on distribue le canon le long du front de la ligne, mais par préférence devant l'infanterie à portée de défendre le canon qui peut n'avoir pas la facilité de se retirer aussi vite que la cavalerie peut être contrainte de le faire.

Quoiqu'on ait jusqu'à la fin de la dernière guerre négligé d'instruire l'infanterie française de se servir de son feu le plus vivement qu'il est possible, sous le prétexte que le génie de la nation est d'attaquer avec les armes blanches, et que le feu ne pouvait pas faire gagner les batailles ; l'expérience faite dans certains cas, a prouvé le contraire, assez pour engager à ne point négliger d'instruire les troupes au feu ; et il est à croire que l'on cessera également de dire par la suite que le feu du canon est peu de chose, qu'il faille être prédestiné pour en être frappé, et qu'il ne peut causer aucun dérangement aux manœuvres des troupes aguerries ; qu'enfin on n'y doit point avoir égard.

Cent pièces de canons peuvent être portées au front d'une première ligne, si l'infanterie de cette ligne est de quarante bataillons partagés en dix brigades, il peut y avoir dix batteries sur cette étendue ; elles peuvent être supposées de huit pièces, il en resterait encore vingt pour répartir aux extrémités des ailes, où l'on a souvent placé de l'infanterie ; ce serait donc huit pièces vis-à-vis quatre bataillons ; ces huit pièces tireraient dès que l'ennemi serait à cinq cent taises, et comme les bataillons seraient par le pas redoublé de l'ordonnance dix minutes un quart à parcourir cet espace, les canons tireront bien mirés et ajustés, cinq coups par chaque minute ; c'est donc cinquante coups par pièce, et quatre cent pour les huit : si un quart des coups porte, il frappera chaque fois quatre hommes au moins, donc ce sera quatre cent hommes hors du combat, ce qui fait un sixième sur quatre bataillons supposés de six cent hommes chaque.

Mais est-il nécessaire de mirer contre l'infanterie, dans une plaine bien unie ? ne suffit-il pas d'arrêter le canon sur son affut, de façon que la pièce reste toujours horizontale ? le but sur lequel il doit tirer ne varie pas, il est toujours de 5 à 6 pieds de haut, et de 200 taises de large. Le canon peut être servi assez promptement pour faire feu plus de dix fois par minute sur un pareil but : ce but avance toujours et devient d'autant plus aisé à attraper.

D'ailleurs presque tous les coups qui frappent à terre au-devant du but sont aussi meurtriers que les autres, l'angle d'incidence n'étant pas assez ouvert, et la résistance de la terre ordinairement pas assez forte pour occasionner une réflexion ou resaut par-dessus la hauteur du but. On pourrait compter que le quart des coups porterait, chaque canon en tirera 100 coups, c'est pour les 8 pièces 200 coups qui portent. De plus, dès que l'ennemi n'est plus qu'à 50 taises, le canon sera tiré à cartouches, et chaque coup frappera 12 ou 15 hommes ; supposé seulement par canon, douze ou treize coups à boulets portants, c'est cinquante hommes par chaque canon hors de combat, et six coups à cartouches, c'est 180 autres ; ce qui fait 130 par chaque pièce, et pour les 8 plus de mille hommes ; nous avons calculé que les coups de fusils pourraient en détruire un sixième, cela ferait 400, et il ne resterait donc qu'un peu plus d'un tiers. Le canon opposé aurait fait de l'autre côté une destruction égale, et la troupe qui se serait avancée aurait sur celle qui serait restée à faire feu, une infériorité en nombre d'un tiers environ.

Si l'on calculait l'effet qui devrait résulter du feu des deux pièces de canon que l'on peut donner de plus à chaque bataillon, il se trouverait que le feu détruirait une troupe dans l'espace de temps qu'elle mettrait à parcourir la portée du canon de campagne, et on ne pourrait plus dire alors que l'effet du feu du canon ne doit pas être regardé comme capable de causer un dérangement notable à l'ordonnance de l'infanterie.

Au reste, tous ces calculs sont faits dans la supposition que le feu de la mousqueterie, ainsi que celui du canon fait tout l'effet qu'il peut faire, mais cet effet ne peut avoir lieu, qu'autant que les troupes seraient exercées au feu aussi parfaitement qu'il est possible qu'elles le soient, et qu'elles auraient la fermeté que leur aurait acquis de longue main la certitude de la supériorité " par une théorie démontrée de l'effet qui doit résulter de tel feu, plutôt que de tel autre dans telle et telle occasion ".

Le moyen de pratiquer ce qu'il y a de mieux lors de l'exécution de chacune des parties de la guerre, est de connaître par des combinaisons ou démonstrations arithmétiques, ou géométriques, la possibilité et le point de justesse que peut présenter la théorie ; il faut ensuite par des épreuves faites en conséquence (avec tout le soin possible) chercher celui que la pratique peut donner, tout est supputation à la guerre, tout doit se dessiner.

Le feu doit être le dernier moyen d'acquérir la supériorité, on est vaincu par un feu plus meurtrier, l'on n'est battu que par les armes blanches, et l'on peut conquérir par des manœuvres habiles, et souvent sans coup férir. Voyez art de la Guerre, du maréchal de Puysegur, la savante dissertation sur les trois combats de Fribourg, et les moyens qu'on aurait pu prendre pour les éviter et parvenir au même but.

Tous ceux qui jusqu'à présent ont travaillé sur la pirotechnie militaire, n'ont eu pour but que de faciliter la plus grande destruction de l'espèce humaine (quel but quand on veut y réfléchir) : tous les Arts en ont un bien opposé ; ceux du-moins dont l'objet unique n'est pas sa conservation, n'ont en vue que ses gouts, ses plaisirs, son bien-être, son bonheur enfin. La guerre (ce fleau inévitable) ne peut-elle donc se faire sans avoir pour unique et principal but la plus grande destruction de l'humanité ? serait-il impossible de trouver une armure d'un poids supportable dans l'action, qui puisse parer de l'effet des fusils ? Qu'il serait digne du génie de ce siècle éclairé, de faire cette découverte ? quel prix plus digne d'ambition ; que doit-on désirer davantage, que d'être le conservateur de l'humanité ? mais en attendant la découverte de ce secret, s'il est un moyen sur d'éviter la moitié des coups de fusils et de canon que l'on essuie ordinairement ; n'est-il pas contre toute raison de ne pas chercher à y parvenir ; or, si l'on peut parcourir la moitié plus vite qu'on ne fait, l'espace de terrain où l'on essuie des coups de feu, et arriver cependant en aussi bon ordre sur son ennemi : il est certain que l'on en évite la moitié. Voyez MARCHE, sa vitesse ordonnée et sa vitesse possible.