(Histoire romaine) c'était un magistrat que la république romaine envoyait dans une province, qui y gouvernait, et y commandait avec toute l'autorité des consuls à Rome.

Les consuls après leur élection se partageaient d'abord le gouvernement des provinces selon que le sort en disposait ; mais l'empire romain devint si étendu, et les guerres qu'il fallut entreprendre furent si fréquentes et si considérables, qu'on fut obligé de changer la forme du gouvernement, et de donner à des particuliers l'autorité nécessaire pour conduire les armées, commander dans les provinces, et tenir la place des consuls qu'ils représentaient.

Comme la maxime de la république était à mesure qu'elle faisait des conquêtes d'en former des gouvernements, ce qu'elle appelait réduire en province ; elle commençait d'abord par ôter à ces pays conquis leurs lois et leurs magistrats particuliers, les assujettissait à recevoir les lois romaines, et y envoyait pour gouverner, selon que la province était plus ou moins considérable, un proconsul ou un préteur, ou un propréteur, qui leur rendait la justice, et commandait les troupes ; elle y joignait un questeur, pour avoir soin de faire payer les tributs qu'on leur avait imposés. La Sicîle fut le premier pays hors de l'Italie qui fut réduit en province.

Appien, de bell. civ. l. I. raconte qu'avant la guerre des alliés, les provinces étaient désignées à des proconsuls. Ces gouverneurs n'étaient nommés que pour un an, après lequel le sénat en envoyait d'autres. Si un gouvernement se trouvait sur la frontière où il y eut quelque guerre, dont on eut confié la conduite au gouverneur, il arrivait quelquefois qu'on prolongeait le temps de son administration, afin qu'il put terminer cette guerre. Mais cela ne se faisait que par un édit du peuple romain assemblé en comices.

Les proconsuls, les préteurs et les propréteurs, avaient des lieutenans sous eux dans leurs gouvernements, quelquefois jusqu'à trois, selon son étendue ; car en décernant ces provinces, le sénat marquait l'étendue de chacune, réglait le nombre des troupes, assignait des fonds pour leur paye et leur subsistance, nommait les lieutenans que le gouverneur devait avoir, et pourvoyait à la dépense sur la route, ainsi qu'à leur équipage, qui consistait en un certain nombre d'habits, de meubles, de chevaux, mulets et tentes, qu'on leur faisait délivrer lorsqu'ils partaient pour leur gouvernement, ce qu'on appelait viaticum, afin qu'ils ne fussent point à charge aux provinces.

Il parait par un passage de Suétone, que du temps de la république, les mulets et les tentes qu'on leur fournissait, étaient seulement loués aux dépens du public, et qu'ils devaient les rendre après le temps de leur gestion. Cette précaution de la république n'empêchait pas lorsque ces magistrats étaient intéressés, qu'ils n'exigeassent encore de grosses sommes des provinces, comme il parait par le reproche que fait Cicéron dans son plaidoyer contre Pison, qui allant en Macédoine en qualité de proconsul, se fit donner par cette province pour sa vaisselle seulement, cent fois 80 mille sesterces, qui font environ deux millions de notre monnaie.

Tite-Live, dec. V. liv. IIe fait connaître que cet abus ne s'était introduit que depuis que le consul Postumius étant allé à la ville de Préneste pour y faire un sacrifice comme un simple particulier, mais n'y ayant pas été reçu avec la distinction qu'il aurait souhaité, il avait exigé de cette ville, qu'elle le défrayât et lui fournit des chevaux pour son retour, en punition de ce peu d'égards qu'elle avait eu à sa dignité. Cette usurpation servit d'autorité depuis aux magistrats qui allaient à leurs gouvernements, pour se faire défrayer sur leur route, sans se contenter de ce que la république fournissait, et en même temps de prétexte à ceux qui étaient intéressés et avares pour se faire donner de grosses sommes.

Quand les postes furent établies, ces magistrats eurent le privilège de s'en servir sur leur route où ils étaient aussi défrayés. Suétone dit qu'Auguste enchérit sur ce qui se pratiquait du temps de la république, en ordonnant de leur fournir une certaine somme de deniers publics, afin qu'ils n'exigeassent rien de plus des provinces.

On voit dans Lampridius, que longtemps après, l'empereur Alexandre Sévére faisait aussi fournir aux magistrats qu'il envoyait dans les provinces en qualité de gouverneur, certaine somme d'argent, et ce qui leur était nécessaire, comme meubles, habits, chevaux, mulets, domestiques ; le temps de leur gestion expiré, ils devaient rendre les domestiques, les chevaux et les mulets ; pour le reste ils le gardaient, s'ils avaient bien rempli leur ministère ; mais s'ils s'en étaient mal acquittés, l'empereur les condamnait à rendre le quadruple. Il ne parait pas que cette loi ait été suivie sous les autres empereurs.

Tous ces gouverneurs menaient avec eux outre les officiers qui leur étaient adjoints, comme lieutenans, questeurs, assesseurs, et autres subalternes, nombre de leurs amis qui les accompagnaient pour leur faire honneur, et qu'on nommait contubernales, parce qu'ils mangeaient à leur table : c'étaient la plupart des jeunes gens de la première noblesse qui allaient apprendre le métier de la guerre, s'il y en avait dans ce département, et se mettre en état de remplir les magistratures. Ce cortege formait une espèce de cour à ces gouverneurs ; leur suite devint encore plus nombreuse sous les empereurs, par la quantité d'officiers subalternes qu'ils menaient avec eux, et dont il est fait mention dans la notice de l'empire sous les noms de praecones, pictores, interpretes, aruspices, tabellarios, numerarios, commentarienses, comicularios, adjutores, sub-adjuvas, exceptores, et autres.

Leur maison et leur train étaient aussi composés de plus de domestiques, et ils paraissaient avec plus de pompe et d'appareil que sous la république ; ils étaient obligés pendant le temps de leur administration, de faire des voyages dans les principales villes de leur gouvernement pour y rendre la justice, et tenir les assemblées de la province, afin d'y maintenir le bon ordre.

Tous ces gouverneurs, avant que de sortir de Rome, allaient au capitole faire des sacrifices, et prendre le manteau de guerre qu'on nommait paludamentum, qui marquait le commandement des troupes, ce qui se pratiquait aussi par ceux qui allaient commander les armées de la république ; ils sortaient de Rome dans une espèce de pompe, précédés de leurs licteurs, avec les faisceaux et les haches, et conduits par leurs amis qui les accompagnaient hors la ville jusqu'à une certaine distance.

Ils gouvernaient leurs provinces, selon les lois romaines, et conformément à ce que les magistrats observaient à Rome ; on ne comptait l'année de leur charge, que du jour qu'ils avaient commencé d'en faire la fonction, et non pas du jour de leur nomination. Quand on envoyait un successeur à celui dont le temps était fini, celui-ci lui remettait les troupes qu'il avait sous son commandement, et ne pouvait plus différer son départ au-delà de trente jours après l'arrivée de son successeur. Si après l'année révolue, on n'envoyait personne pour lui succéder ; il n'en quittait pas moins son gouvernement, mais il laissait son lieutenant jusqu'à-ce que le nouveau gouverneur fût arrivé, et à son retour, il rendait compte au sénat de son administration ; il en dressait un précis qu'on déposait au trésor, trente jours après avoir rendu compte au sénat. Les proconsuls avaient dans leurs provinces les mêmes honneurs que les consuls à Rome, auxquels ils cédaient en tout lorsqu'ils y étaient.

Quoiqu'en apparence le proconsul n'était pas différent du consul, cependant il est certain qu'il ne fut point mis dans le rang des vrais magistrats. Il avait le pouvoir que les Romains appelaient potestas, mais il n'avait pas l'empire, imperium.

Ceux que le peuple choisissait pour remplir des fonctions indéfinies et lorsque l'occasion s'en présentait, n'avaient qu'une autorité bornée ; mais lorsque le peuple élisait quelqu'un pour une affaire particulière, comme pour faire la guerre à quelque roi, il lui donnait un pouvoir absolu qu'ils appelaient imperium. Entre les lois militaires dont Cicéron a fait mention dans son traité de Legib. on trouve celle-ci ; Milit. ab eo, qui imperabit provocatio, ne esto, quoque Is. qui bellum, gerit. imperabit jus. ratum que esto. Le pouvoir du proconsul est marqué dans le titre de officio proconsulis, au digeste.

Dès qu'il était sorti de Rome, il pouvait prendre la qualité de proconsul et les ornements consulaires ; mais il n'avait que l'exercice de la juridiction volontaire, et son pouvoir était renfermé dans la manumission des esclaves, dans l'émancipation des enfants, et dans l'adoption ; tout ce qui est de la juridiction contentieuse lui était défendu, jusqu'à-ce qu'il fût arrivé dans la province qui lui était échue, où pour lors sa juridiction était aussi étendue que celle des consuls. Il est vrai que Pighius n'est pas de ce sentiment, et il prétend prouver par l'autorité de Tite-Live, que le proconsul n'avait point l'imperium.

Les proconsuls n'obtenaient jamais le triomphe, quoiqu'ils l'eussent mérité, parce qu'on les regardait comme simples citoyens, et sans caractère de magistrature ; c'est par cette raison, au rapport de Tite-Live et de Plutarque, que Scipion ne put obtenir les honneurs du triomphe, après avoir soumis l'Espagne à l'empire romain. Mais les mêmes historiens nous apprennent, que l'on se relâcha de cette rigueur, et l'on commença d'y déroger en faveur de L. Lentulus qui fut le premier à qui le peuple accorda l'ovation, et dans la suite Q. P. Philo triompha, après avoir vaincu certains peuples qui s'étaient déclarés ennemis des Romains.

Il y a eu à Rome quatre sortes de proconsuls ; 1°. ceux qui, après l'année expirée de leur consulat, conservaient encore le commandement d'une armée avec autorité de consul ; 2°. ceux qui sans sortir actuellement de charge, étaient envoyés dans une province, ou pour la gouverner, ou pour commander une armée ; 3°. ceux, qui après l'extinction du gouvernement républicain, étaient nommés par le sénat, pour gouverner quelques-unes des provinces que l'on appelait pour cela proconsulaires ; 4°. on donna ce nom à ceux qui servaient sous les consuls en qualité de lieutenans. L'amour de la patrie faisait que ceux même qui avaient commandé en chef une armée, ne dédaignaient pas quelquefois de servir dans la même armée en qualité de lieutenans. 5°. On laissait aussi le titre de proconsul à ceux qui n'étaient point rentrés dans Rome depuis qu'ils en avaient été revêtus.

Le sénat nommait autant de sujets qu'il avait de provinces à donner, et dans ces élections on avait beaucoup d'égards à l'ancienneté ; les sujets élus tiraient au sort, et partageaient ainsi les provinces ; mais l'Asie et l'Afrique faisaient une classe à part. De droit, elles étaient dévolues aux deux consulaires les plus anciens ; c'était encore le sort qui décidait entr'eux, mais il leur livrait nécessairement l'une ou l'autre.

L'ancienne république ne donnait rien aux gouverneurs des provinces ; Auguste, comme je l'ai dit, pour prévenir les tentations auxquelles les exposait ce service gratuit, leur assigna des appointements. Les gouverneurs des provinces du sénat, étaient payés sur l'aerarium, et ceux des provinces impériales sur le fisc. Si pour des raisons légitimes et approuvées, quelqu'un ne pouvait accepter le proconsulat, on lui en offrait d'ordinaire les appointements ; lorsque Tacite dit que Domitien les avait donnés à quelqu'un, il faut entendre que ce prince avait proposé qu'on les lui donnât.

On ne sait pas communément, que dès le temps de la république, les provinces ont célébré des fêtes, élevé des autels, et bâti des temples à leurs proconsuls, qu'ils ont associés à tous les honneurs qu'on rendait aux dieux ; rien cependant n'est plus vrai.

La coutume de bâtir des temples aux proconsuls, ne s'établit que par degrés. On commença par leur dresser des monuments et des édifices publics, qui jusques-là ne l'avaient été qu'à des dieux ; ensuite on leur bâtit exprès des temples. Suétone dit expressément que c'était l'usage sur la fin de la république, de bâtir des temples aux gouverneurs des provinces, templa proconsulibus decerni solere, quoiqu'il y en eut souvent que les peuples ne pouvaient guère regarder comme des dieux tutélaires, mais bien comme de mauvais génies, qu'il fallait tâcher d'apaiser par des sacrifices. Cette coutume de bâtir des temples aux gouverneurs des provinces, n'était pas seulement tolérée, elle était même autorisée par les lais. C'était comme des monuments publics de l'assujettissement des provinces conquises ; car les Romains savaient qu'il n'y a point de plus grandes marques de servitude, que l'excès de la flatterie.

Pour ce qui est des statues, les provinces, dans le temps de la république, consacraient non les personnes, mais leurs vertus ; c'était une sorte d'adoucissement à la flatterie. Le culte s'adressait directement aux vertus déjà divisées, et ne tombait qu'indirectement sur le proconsul.

Enfin, les fêtes et les jeux que l'on célébrait dans toutes les provinces en l'honneur des empereurs, et que l'on appelait de leur nom, comme, par exemple, augusteia, commodeia, étaient absolument la même chose que les fêtes et les jeux qu'on célébrait en l'honneur des proconsuls, appelées aussi de leurs noms, Luccullia, Marcellia, etc. Il y a plus, c'est que tous les titres qu'on a donnés aux empereurs, et même tous les honneurs divins qu'on leur a décernés pendant leur vie, avaient été rendus avant eux aux gouverneurs des provinces.

Il ne faut pas s'en étonner ; tant que Rome ne domina que dans l'Italie, dit M. de Montesquieu, les peuples furent gouvernés comme des confédérés ; on suivait les lois de chaque pays ; mais lorsqu'elle conquit plus loin, que le sénat n'eut pas immédiatement l'oeil sur les provinces, que les magistrats qui étaient à Rome ne purent plus gouverner l'empire, il fallut envoyer des préteurs et des proconsuls, et bientôt après il n'y eut plus que tyrannie, que brigandage, et que despotisme. Ceux qu'on envoyait, avaient une puissance qui rassemblait celle de toutes les magistratures romaines : que dis-je, celle même du sénat, celle même du peuple ; en un mot, c'étaient des magistrats qui réunissaient les trois pouvoirs ; ils étaient, si l'on ose se servir de ce terme, les bachas de l'empire ; et en pillant les provinces, ils souffraient encore qu'on bâtit des temples à leur gloire. Voilà pourquoi Mithridate disait : " toute l'Asie m'attend, comme son libérateur, tant ont excité de haine contre les Romains les rapines des proconsuls, les exécutions des gens d'affaires, et les calomnies des jugements ". (D.J.)