S. f. (Grammaire et Histoire ancienne) certaine quantité de peuple distribuée sous différents districts ou divisions.

TRIBUS DES HEBREUX, (Histoire sacrée) les Hébreux formèrent douze tribus ou districts, selon le nombre des enfants de Jacob, qui donnèrent chacun leur nom à leur tribu ; mais ce patriarche ayant encore adopté en mourant les deux fils de Joseph, Manassé et Ephraïm, il se trouva treize tribus, parce que celle de Joseph fut partagée en deux après la mort de Jacob. La famille de Joseph s'étant multipliée prodigieusement en Egypte, devint si suspecte aux rois du pays, qu'elle se vit obligée de passer dans la terre de Chanaan, sous la conduite de Josué, qui la divisa entre onze tribus de cette famille. On en sait les noms, Ruben, Siméon, Juda, Issachar, Zabulon, Dan, Nephtali, Gad, Azer, Benjamin, Manassé, et Ephraïm. La tribu de LÉvi n'eut point de part au partage, parce qu'elle fut consacrée au service religieux ; on pourvut à sa subsistance, en lui assignant des demeures dans quelques villes, les prémices, les dixmes, et les oblations du peuple.

Cet état des douze tribus demeura fixe jusqu'après la mort de Salomon. Roboam qui lui succéda, fit naître une révolte par sa dureté. Dix tribus se séparèrent de la maison de David, reconnurent pour roi Jéroboam, et formèrent le royaume d'Israèl. Il ne resta au fils de Salomon que Juda et Benjamin, qui constituèrent l'autre royaume, dans lequel se conserva le culte de Dieu ; mais le royaume d'Israèl lui substitua l'idolâtrie des veaux d'or.

Dans la suite des temps, Tiglath-Piléser rendit Samarie tributaire, Salmanazar ruina la capitale, et le royaume d'Israèl s'éteignit. Enfin arriva la captivité de Juda, sous Nabuchodonosor qui prit Jérusalem, la détruisit avec le temple, et transporta tous les habitants dans les provinces de son empire, 588 ans avant Jésus-Christ ; cependant après une captivité de 70 ans, Cyrus renvoya les Juifs dans leur pays, leur permit de rebâtir le temple, et de vivre selon leur loi ; alors la Palestine se repeupla, les villes furent rebâties, les terres cultivées, et les Juifs ne firent plus qu'un seul état gouverné par un même chef, un seul corps, rendant au vrai Dieu leurs adorations dans son temple. Voilà l'époque la plus brillante de l'histoire de ce peuple, la suite ne regarde pas cet article. (D.J.)

TRIBUS D'ATHENES, (Histoire d'Athènes) Athènes dans sa splendeur était divisée en dix tribus, qui avaient emprunté leurs noms de dix héros du pays ; elles occupaient chacune une partie d'Athènes, et contenaient en-dehors quelques autres villes, bourgs, et villages. Les noms de ces dix tribus reviennent souvent dans les harangues de Démosthène, mais je n'en puis rappeler à ma mémoire que les huit suivants, la tribu Acamantide, ainsi nommée d'Acamas, fils de Télamon ; l'Antiochide, d'Antiochus fils d'Hercule ; la Cécropide, de Cécrops, fondateur et premier roi d'Athènes ; l'Egéïde, d'Egée, neuvième roi d'Athènes ; l'Hippothoontide, d'Hippothoon, fils de Neptune ; la LÉontide, de LÉon, qui voua ses filles pour le salut de sa patrie ; et l'Oenéïde, d'Oeneus, fils de Pandion, cinquième roi d'Athènes.

Mais il faut observer que le nombre des tribus ne fut pas le même dans tous les temps, et qu'il varia selon les accroissements d'Athènes. Il n'y en avait eu d'abord que quatre, il y en eut six peu après, puis dix, et enfin treize ; car aux dix nommées par Démosthène, la flatterie des Athéniens en ajouta trois autres dans la suite ; savoir la tribu ptolémaïde, en l'honneur de Ptolomée, fils de Lagus ; l'attalide, en faveur d'Attalus, roi de Pergame ; et l'adrianide, en faveur de l'empereur Adrien. Pour établir ces nouvelles tribus, on démembra quelques portions des anciennes. Au reste les peuples ou bourgades qui composaient toutes ces tribus, étaient au nombre de cent soixante et quatorze. Voyez Suidas, Eustathe, et Meursius, et notre article REPUBLIQUE D'ATHENES. (D.J.)

TRIBU ROMAINE, (Histoire romaine) nom collectif du partage de différents ordres de citoyens romains, divisés en plusieurs classes et quartiers. Le mot tribu est un terme de partage et de division, qui avait deux acceptions chez les Romains, et qui se prenait également pour une certaine partie du peuple, et pour une partie des terres qui lui appartenaient. C'est le plus ancien établissement dont il soit fait mention dans l'histoire romaine, et un de ceux sur lesquels les auteurs sont moins d'accord.

L'attention la plus nécessaire dans ces sortes de recherches, est de bien distinguer les temps ; car c'est le nœud des plus grandes difficultés. Ainsi il faut bien prendre garde de confondre l'état des tribus sous les rais, sous les consuls et sous les empereurs ; car elles changèrent entièrement de formes et d'usages sous ces trois sortes de gouvernements. On peut les considérer sous les rois comme dans leur origine, sous les consuls comme dans leur état de perfection, et sous les empereurs comme dans leur décadence, du-moins par rapport à leur crédit et à la part qu'elles avaient au gouvernement : car tout le monde sait que les empereurs réunirent en leur personne toute l'autorité de la république, et n'en laissèrent plus que l'ombre au peuple et au sénat.

L'état où se trouvèrent alors les tribus nous est assez connu, parce que les meilleurs historiens que nous ayons sont de ce temps-là : nous savons aussi à-peu-près qu'elle en était la forme sous les consuls, parce qu'une partie des mêmes historiens en ont été témoins : mais nous n'avons presque aucune connaissance de l'état où elles étaient sous les rais, parce que personne n'en avait écrit dans le temps, et que les monuments publics et particuliers qui auraient pu en conserver la mémoire, avaient été ruinés par les incendies.

Les anciens qui ont varié sur l'époque, sur le nombre des tribus, et même sur l'étymologie de leur nom, ne sont pas au fond si contraires qu'ils le paraissent, les uns n'ayant fait attention qu'à l'origine des tribus qui subsistaient de leur temps, les autres qu'à celle des tribus instituées par Romulus et supprimées par Servius Tullius. Il y a eu deux sortes de tribus instituées par Romulus, les unes avant l'enlevement des Sabines, les autres après qu'il eut reçu dans Rome les Sabins et les Toscans. Les trois nations ne firent alors qu'un même peuple sous le nom de Quirites, mais elles ne laissèrent pas de faire trois différentes tribus ; les Romains sous Romulus, d'où leur vint le nom de Ramnes ; les Sabins sous Tatius, dont ils portèrent le nom ; et les Toscans appelés Lucères sous ces deux princes.

Pour se mettre au fait de leur situation, il faut considérer Rome dans le temps de sa première enceinte, et dans le temps que cette enceinte eut été agrandie après l'union des Romains, des Sabins, et des Toscans. Dans le premier état, Rome ne comprenait que le mont Palatin dont chaque tribu occupait le tiers ; dans le second, elle renfermait la roche tarpéienne ; et la vallée qui séparait ces deux monticules fut le partage des Toscans, et l'on y joignit le mont Aventin et le Janicule : la montagne qu'on nomma depuis le capitole, fut celui des Sabins, qui s'étendirent aussi dans la suite sur le mont Coelius.

Voilà quelle était la situation des anciennes tribus, et quelle en fut l'étendue, tant qu'elles subsistèrent ; car il ne leur arriva de ce côté-là aucun changement jusqu'au règne de Servius Tullius, c'est-à-dire jusqu'à leur entière suppression. Il est vrai que Tarquinius Priscus entreprit d'en augmenter le nombre, et qu'il se proposait même de donner son nom à celles qu'il voulait établir ; mais la fermeté avec laquelle l'augure Naevius s'opposa à son dessein, et l'usage qu'il fit alors du pouvoir de son art, ou de la superstition des Romains, en empêchèrent l'exécution. Les auteurs remarquent qu'une action si hardie et si extraordinaire lui fit élever une statue dans l'endroit même où la chose se passa. Et Tite-Live ajoute que le prétendu miracle qu'il fit en cette occasion, donna tant de crédit aux auspices en général et aux augures en particulier, que les Romains n'osèrent plus rien entreprendre depuis sans leur aveu.

Tarquin ne laissa pas néanmoins de rendre la cavalerie des tribus plus nombreuse ; et l'on ne saurait nier que de ce côté-là il ne leur soit arrivé divers changements : car à mesure que la ville se peuplait, comme ses nouveaux habitants étaient distribués dans les tribus, il fallait nécessairement qu'elles devinssent de jour en jour plus nombreuses, et par conséquent que leurs forces augmentassent à-proportion. Aussi voyons-nous que dans les commencements chaque tribu n'était composée que de mille hommes d'infanterie, d'où vint le nom de miles, et d'une centaine de chevaux que les Latins nommaient centuria equitum. Encore faut-il remarquer qu'il n'y avait point alors de citoyen qui fût exemt de porter les armes. Mais lorsque les Romains eurent fait leur paix avec les Sabins, et qu'ils les eurent reçus dans leur ville avec les Toscans qui étaient venus à leur secours ; comme ces trois nations ne firent plus qu'un peuple, et que les Romains ne firent plus qu'une tribu, les forces de chaque tribu durent être au-moins de trois mille hommes d'infanterie et de trois cent chevaux, c'est-à-dire trois fois plus considérables qu'auparavant.

Enfin quand le peuple romain fut devenu beaucoup plus nombreux, et qu'on eut ajouté à la ville les trois nouvelles montagnes dont on a parlé, savoir le mont Coelius pour les Albains, que Tullus Hostilius fit transférer à Rome après la destruction d'Albe, et le mont Aventin avec le Janicule pour les Latins qui vinrent s'y établir, lorsqu'Ancus Martius se fut rendu maître de leur pays, les tribus se trouvant alors considérablement augmentées et en état de former une puissante armée, se contentèrent néanmoins de doubler leur infanterie, qui était, comme nous venons de voir, de 9000 hommes. Ce fut alors que Tarquinius Priscus entreprit de doubler aussi leur cavalerie, et qu'il la fit monter à 1800 chevaux, pour répondre aux dix huit mille hommes dont leur infanterie était composée.

Ce sont-là tous les changements qui arrivèrent aux tribus du côté des armes, et il ne reste plus qu'à les considérer du côté du gouvernement.

Quoique les trois nations dont elles étaient composées ne formassent qu'un peuple, elles ne laissèrent pas de vivre chacune sous les lois de leur prince naturel, jusqu'à la mort de T. Tatius : car nous voyons que ce roi ne perdit rien de son pouvoir, quand il vint s'établir à Rome, et qu'il y régna conjointement, et même en assez bonne intelligence avec Romulus tant qu'il vécut. Mais après sa mort les Sabins ne firent point de difficulté d'obéir à Romulus, et suivirent en cela l'exemple des Toscans qui l'avaient déjà reconnu pour leur souverain. Il est vrai que lorsqu'il fut question de lui choisir un successeur, les Sabins prétendirent que c'était à leur tour à régner, et surent si bien soutenir leurs droits contre les Romains, qui ne voulaient point de prince étranger, qu'après un an d'interrègne on fut enfin obligé de prendre un roi de leur nation. Mais comme il n'arriva par-là aucun changement au gouvernement, les tribus demeurèrent toujours dans l'état où Romulus les avait mises, et conservèrent leur ancienne forme tant qu'elles subsistèrent.

La première chose que fit Romulus, lorsqu'il les eut réunies sous sa loi, fut de leur donner à chacune un chef de leur nation, capable de commander leurs troupes et d'être ses lieutenans dans la guerre. Ces chefs que les auteurs nomment indifféremment tribuni et praefecti tribuum, étaient aussi chargés du gouvernement civil des tribus ; et c'était sur eux que Romulus s'en reposait pendant la paix. Mais comme ils étaient obligés de le suivre lorsqu'il se mettait en campagne, et que la ville serait demeurée par-là sans commandant, il avait soin d'y laisser en sa place un gouverneur qui avait tout pouvoir en son absence, et dont les fonctions duraient jusqu'à son retour. Ce magistrat se nommait praefectus urbis, nom que l'on donna depuis à celui que l'on crétait tous les ans pour tenir la place des consuls pendant les féries latines : mais comme les fonctions du premier étaient beaucoup plus longues, les féries latines n'étant que de deux ou trois jours, son pouvoir était aussi beaucoup plus étendu ; car c'était pour lors une espèce de viceroi qui décidait de tout au nom du prince, et qui avait seul le droit d'assembler le peuple et le sénat en son absence.

Quoique l'état fût alors monarchique, le pouvoir des rois n'était pas si arbitraire, que le peuple n'eut beaucoup de part au gouvernement. Ses assemblées se nommaient en général comices, et se tenaient dans la grande place ou au champ de Mars. Elles furent partagées en différentes classes, les curies, les centuries, et les nouvelles tribus.

Il faut bien prendre garde au reste de confondre les premières assemblées du peuple sous les rois et du temps des anciennes tribus, avec ces comices des centuries, et encore plus avec ceux des nouvelles tribus ; car ces derniers n'eurent lieu que sous les consuls, et plus de soixante ans après ceux des centuries, et ceux-ci ne commencèrent même à être en usage, que depuis que Servius Tullius eut établi le cens, c'est-à-dire plus de deux cent ans après la fondation de Rome.

Les curies étaient en possession des auspices, dont le sceau était nécessaire dans toutes les affaires publiques ; et malgré les différentes révolutions arrivées dans la forme de leurs comices, elles se soutinrent jusqu'à la fin de la république. Il y avait deux sortes de curies à Rome du temps des anciennes tribus : les unes où se traitaient les affaires civiles, et où le sénat avait coutume de s'assembler, et les autres où se faisaient des sacrifices publics et où se réglaient toutes les affaires de la religion. Ces dernières étaient au nombre de trente, chaque tribu en ayant dix qui formaient dans son enceinte particulière autant de quartiers et d'espèces de paroisses, car ces curies étaient des lieux destinés aux cérémonies de la religion, où les habitants de chaque quartier étaient obligés d'assister les jours solennels, et qui étant consacrés à différentes divinités, avaient chacune leurs sêtes particulières, outre celles qui étaient communes à tout le peuple.

D'ailleurs, il y avait dans ces quartiers d'autres temples communs à tous les Romains, où chacun pouvait à sa dévotion aller faire des vœux et des sacrifices, mais sans être pour cela dispensé d'assister à ceux de sa curie, et surtout aux repas solennels que Romulus y avait institués pour entretenir la paix et l'union, et qu'on appelait charistia, ainsi que ceux qui se faisaient pour le même sujet dans toutes les familles.

Enfin, ces temples communs étaient desservis par différents collèges de prêtres, tels que pourraient être aujourd'hui les chapitres de nos églises collégiales, et chaque curie au contraire, par un seul ministre qui avait l'inspection sur tous ceux de son quartier, et qui ne relevait que du grand curion, qui faisait alors toutes les fonctions de souverain pontife : ces curions étaient originairement les arbitres de la religion, et même depuis qu'ils furent subordonnés aux pontifes, le peuple continua de les regarder comme les premiers de tous les prêtres après les augures, dont le sacerdoce était encore plus ancien, et qui furent d'abord créés au nombre de trois, afin que chaque tribu eut le sien. Voilà quel était l'état de la religion du temps des anciennes tribus, et quels en furent les principaux ministres tant qu'elles subsistèrent.

Le peuple était en droit de se choisir tous ceux qui devaient avoir sur lui quelque autorité dans les armes, dans le gouvernement civil et dans la religion. Servius Tullius fut le premier qui s'empara du trône sans son consentement, et qui changea la forme du gouvernement, pour faire passer toute l'autorité aux riches et aux patriciens, à qui il était redevable de son élévation. Il se garda bien néanmoins de toucher à la religion, se contentant de changer l'ordre civil et militaire. Il divisa la ville en quatre parties principales, et prit de-là occasion de supprimer les trois anciennes tribus, que Romulus avait instituées, et en établit quatre nouvelles, auxquelles il donna le nom de ces quatre principaux quartiers, et qu'on appela depuis les tribus de la ville pour les distinguer de celles qu'il établit de même à la campagne.

Servius ayant ainsi changé la face de la ville, et confondu les trois principales nations, dont les anciennes tribus étaient composées, fit un dénombrement des citoyens et de leurs facultés. Il divisa tout le peuple en six classes subordonnées les unes aux autres, suivant leur fortune. Il les subdivisa ensuite en cent quatre-vingt-treize centuries, par le moyen desquelles il fit passer toute l'autorité aux riches, sans paraitre leur donner plus de pouvoir qu'aux autres.

Cet établissement des classes et des centuries, en introduisant un nouvel ordre dans les assemblées du peuple, en introduisit un nouveau dans la répartition des impôts ; les Romains commencèrent à en supporter le poids à proportion de leurs facultés, et de la part qu'ils avaient au gouvernement. Chacun était obligé de servir à ses dépens pendant un nombre déterminé de campagnes, fixé à dix pour les chevaliers, et à vingt pour les plébéïens ; la classe de ceux qui n'en avaient pas le moyen fut exempte de service, jusqu'à ce qu'on eut assigné une paye aux troupes ; les centuries gardaient en campagne le même rang et les mêmes marques de distinction qu'elles avaient dans la ville, et se rendaient en ordre militaire dans le champ de Mars pour y tenir leurs comices.

Ces comices ne commencèrent néanmoins à avoir lieu, qu'après l'établissement des nouvelles tribus, tant de la ville, que de la campagne : mais comme ces tribus n'eurent aucune part au gouvernement sous les rais, qu'on fut même dans la suite obligé d'en augmenter le nombre à plusieurs reprises, et qu'enfin les comices de leur nom ne commencèrent à être en usage que sous la république ; nous allons voir comment elles parvinrent à leur perfection sous les consuls.

Pour se former une idée plus exacte des diverses tribus, il est bon de considérer l'état où se trouvèrent les Romains à mesure qu'ils les établirent, afin d'en examiner en même-temps la situation, et de pouvoir même juger de leur étendue par la date de leur établissement. Pour cela, il faut bien distinguer les temps, et considérer les progrès des Romains en Italie sous trois points de vue différents ; sur la fin de l'état monarchique, lorsque Servius Tullius établit les premières de ces tribus ; vers le milieu de la république, lorsque les consuls en augmentèrent le nombre jusqu'à trente-cinq ; et un peu avant les empereurs, lorsqu'on supprima les tribus surnuméraires qu'on avait été obligé de créer pour les différents peuples d'Italie.

Au premier état leurs frontières ne s'étendaient pas au-delà de six milles, et c'est dans cette petite étendue qu'étaient renfermées les tribus que Servius Tullius établit, entre lesquelles celles de la ville tenaient le premier rang, non-seulement parce qu'elles avaient été établies les premières ; mais encore parce qu'elles furent d'abord les plus honorables, quoiqu'elles soient depuis tombées dans le mépris.

Ces tribus étaient au nombre de quatre, et tiraient leur dénomination des quatre principaux quartiers de Rome. Varron, sans avoir égard à l'ancienneté des quartiers dont elles portaient le nom, nomme la suburane la première ; l'esquiline la seconde ; la colline la troisième ; et la palatine la dernière : mais leur ordre est différemment rapporté par les historiens.

A l'égard des tribus que Servius Tullius établit à la campagne et qu'on nommait rustiques, on ne sait pas au juste quel en fut d'abord le nombre, car les auteurs sont partagés sur ce sujet. Comme il est certain que des trente-une tribus rustiques dont le peuple romain était composé du temps de Denys d'Halicarnasse, il n'y en a que dix-sept dont on puisse rapporter l'établissement à Servius Tullius, on peut supposer que ce prince divisa d'abord le territoire de Rome en dix-sept parties, dont il fit autant de tribus, et que l'on appela dans la suite les tribus rustiques, pour les distinguer de celles de la ville. Toutes ces tribus portèrent d'abord le nom des lieux où elles étaient situées ; mais la plupart ayant pris depuis le nom des familles romaines, il n'y en a que cinq qui aient conservé leurs anciens noms, et dont on puisse par conséquent marquer au juste la situation : voici leurs noms.

La romulie, ainsi nommée, selon Varron, parce qu'elle était sous les murs de Rome, ou parce qu'elle était composée des premières terres que Romulus conquit dans la Toscane le long du Tibre et du côté de la mer.

La veïentine, qui était aussi dans la Toscane, mais plus à l'occident, et qui s'étendait du côté de Veïes ; car cette ville si fameuse depuis le long siege qu'elle soutint contre les Romains, n'était pas encore en leur pouvoir.

La lémonienne qui était diamétralement opposée à celle-ci, c'est-à-dire du côté de l'orient, et qui tirait son nom d'un bourg qui était proche de la porte Capene, et sur le grand chemin qui allait au Latium.

La pupinienne, ainsi nommée du champ pupinien qui était aussi dans le Latium, mais plus au nord et du côté de Tusculum.

Enfin la Crustumine qui était entièrement au nord, et qui tirait son nom d'une ville des Sabins, qui était au-delà de l'Anio, à quatre ou cinq milles de Rome.

Des douze autres qui ne sont plus connues aujourd'hui que par le nom des familles Claudia, Aemilia, Cornelia, Fabia, Menenia, Pollia, Voltinia, Galeria, Horatia, Sergia, Veturia et Papiria, il n'y a que la première et la dernière dont on sache la situation ; encore n'est-ce que par deux passages, l'un de Tite-Live, qui nous apprend en général que lorsqu'Atta Clausus, qu'on appela depuis Appius Claudius, vint se réfugier à Rome avec sa famille et ses cliens, on lui donna des terres au-delà du Tévéron dans une des anciennes tribus à laquelle il donna son nom, et dans laquelle entrèrent depuis tous ceux qui vinrent de son pays ; l'autre passage est de Festus, par lequel il parait que la tribu papirienne était du côté de Tusculum, et tellement jointe à la pupinienne, qu'elles en vinrent quelquefois aux mains pour leurs limites.

Pour les dix autres tribus, tout ce qu'on en sait, c'est qu'elles étaient dans le champ romain, in agro romano ; mais on ne sait d'aucune en particulier, si elle était du côté du Latium dans la Toscane ou chez les Sabins. Il y a cependant bien de l'apparence qu'il y en avait cinq dans la Toscane outre la romulie et la veïentine, et cinq de l'autre côté du Tibre ; c'est-à-dire, dans le Latium et chez les Sabins, outre la papirienne, la claudienne, la lémonienne, la pupinienne et la crustumine ; par conséquent que de ces dix-sept premières tribus rustiques, il y en avait dix du côté du Tibre et sept de l'autre ; car Varron nous apprend que Servius Tullius divisa le champ romain en dix-sept cantons, dont il fit autant de tribus ; et tous les auteurs conviennent que la partie de la Toscane qui était la plus proche de Rome, s'appelait Septempagium. On pourrait même conjecturer que toutes ces tribus étaient situées entre les grands chemins qui conduisaient aux principales villes des peuples voisins de manière que chacun de ces chemins conduisait à deux tribus, et que chaque tribu communiquait à deux de ces chemins.

Il faut remarquer que ces dix-sept tribus rustiques devinrent dans la suite les moins considérables de toutes les rustiques, par l'impossibilité où elles étaient de s'étendre, et par le grand nombre de nouveaux citoyens et d'étrangers dont on les surchargeait. Les Romains avaient coutume d'envoyer des colonies dans les principales villes du pays conquis et d'en transférer à Rome les anciens habitants. Leur politique les empêcha de rien précipiter ; d'abord ils ne refusaient l'alliance d'aucun peuple, et à l'égard de ceux qui leur déclaraient la guerre ou qui favorisaient secrètement leurs ennemis, ils se contentaient de leur retrancher quelque partie de leurs terres, permettaient au reste de se gouverner suivant ses lois, lui accordaient même dans la suite tous les droits des citoyens romains, s'il était fidèle ; mais ils le traitaient après cela à toute rigueur, s'il lui arrivait de se révolter. On comptait alors dans l'Italie dix-huit sortes de villes différentes ; celles des alliés des Romains, celles des confédérés, qui ne jouissaient que conditionnellement de leurs privilèges, les colonies composées de seuls romains et les colonies latines, les municipes dont les habitants perdaient leurs droits de citoyens romains, et les autres qui n'en étaient point privés, et les préfectures.

Ce ne fut qu'insensiblement, et à mesure que les Romains étendirent leurs conquêtes, que furent établies les tribus stellatine, sabatine, tromentine, et celle que quelques-uns ont nommée arniensis ou narniensis.

La stellatine était ainsi nommée non de la ville de Stellate qui était dans la Campanie, mais d'une autre ville de même nom qui était dans la Toscane entre Capene, Falerie et Veïes, c'est-à-dire, à cinq ou six milles de Rome.

La sabatine était aussi dans la Toscane, mais d'un côté de la mer, proche le lac appelé aujourd'hui Brachiano, et que les Latins nommaient Sabatinus, de la ville de Sabatte qui était sur ses bords.

La tromentine tirait son nom du champ tromentin dont on ne sait pas au juste la situation, mais qui était aussi dans la Toscane, et selon toutes les apparences entre les deux tribus dont nous venons de parler.

Enfin celle qui était nommée arniensis dans quelques auteurs, comme nous l'avons dit, était la dernière et la plus éloignée de toutes les rustiques.

Ces quatre tribus furent établies ensemble l'an 337 de Rome, et neuf ans après la prise de Veïes ; quand Camille eut défait les Volsques, on en établit deux nouvelles dans la partie du Latium qu'ils occupaient, et le sénat voyant toute l'Italie prête à se soulever, consentit enfin en 397 de former du champ Pomptin deux tribus, la pomptine et la publilienne, auxquelles on ajouta successivement la moecienne, la scaptienne, l'ufentine et la falerine.

La pomptine était ainsi nommée, selon Festus, du champ Pomptin qui tirait lui-même son nom, ainsi que les marais dont il est environné, de la ville de Pométie, que les Latins appelaient Suessa Pometia, Pometia, et Pontia.

La publilienne était aussi chez les Volsques, mais on n'en sait pas au juste la situation.

La maecienne était située chez les Latins, et tirait son nom d'un château qui était entre Lanuvium, Ardée et Pométie, et auprès duquel les Volsques avaient été défaits par Camille.

L'autre était chez les Herniques, et portait le nom d'une ville qui était située entre Tivoli, Préneste et Tusculum, à quinze milles de Rome.

L'ufentine était ainsi nommée du fleuve Ufeus qui passait à Terracine à l'extrémité du Latium.

La falérine était dans la Campanie, et tirait son nom du territoire de Falerne si renommé chez les anciens par ses excellents vins.

C'est en suivant le même ordre des temps, et après que la révolte des Toscans eut contraint les Romains occupés dans le Latium à tourner leurs armes victorieuses contre la Toscane, qu'ils formèrent de leurs nouvelles conquêtes la tarentine et celle qui est nommée arniensis.

La tarentine était située dans la Toscane, mais on n'en sait au juste ni la situation ni l'étymologie.

L'arniensis tirait son nom de l'Arne jusqu'où les Romains avaient pour lors étendu leurs conquêtes.

Ce fut au reste l'an 453, que ces deux tribus furent établies.

Enfin c'est chez les Sabins qu'étaient situées les deux dernières tribus que les consuls instituèrent, savoir la véline et la quirine, dont l'une tirait son nom du lac Velin, qui est à cinquante milles de Rome, et l'autre de la ville de Cures, d'où les Romains tiraient aussi leur nom de Quirites, et ces tribus ne furent même établies que longtemps après que les Romains se furent rendus maîtres du pays où elles étaient situées.

Ces tribus au reste furent les deux dernières des quatorze que les consuls instituèrent, et qui jointes aux quatre tribus de la ville et aux dix-sept rustiques que Servius Tullius avait établies, achevèrent le nombre de trente-cinq dont le peuple romain fut toujours depuis composé.

Voilà en quel temps et à quelle occasion chacune de ces tribus fut établie, et même quelle en était la situation. Ainsi il ne nous reste plus qu'à parler de leur étendue, ce qui est difficîle à constater ; car il n'en est pas de ces dernières tribus, comme de celles que Servius avait formées.

En effet malgré les changements qui arrivèrent aux tribus de la ville à mesure qu'on l'agrandit, comme elles la partagèrent toujours à-peu-près également, il est assez facîle de s'imaginer quelle en fut l'étendue selon les temps. Pour les dix-sept tribus rustiques de Servius Tullius, comme elles étaient toutes renfermées dans le champ romain qui ne s'étendait pas à plus de dix ou douze milles, il s'ensuit que ces tribus ne pouvaient guère avoir que cinq ou six milles, c'est-à-dire, environ deux lieues d'étendue chacune. Mais à l'égard des quatorze qui furent depuis établies par les consuls, comme elles étaient d'abord fort éloignées les unes des autres, et situées non-seulement en différentes provinces, mais encore séparées entr'elles par un grand nombre de colonies, de municipes et de préfectures qui n'étaient point de leur dépendance, il est impossible de savoir au juste quelle en fut d'abord l'étendue ; tout ce qu'on en peut dire, c'est qu'elles étaient séparées en général par le Tibre, le Nar et l'Anio, et terminées par le Vulturne à l'orient, au midi par la mer, par l'Arne à l'occident, et au septentrion par l'Apennin ; car elles ne passèrent jamais ces limites.

Ainsi lorsqu'on voulut dans la suite leur donner plus d'étendue, on ne put les augmenter que du territoire des colonies et des municipes qui n'y étaient point comprises, et elles ne parvinrent même à remplir toute l'étendue du pays qui était entr'elles, que lorsqu'on eut accordé le droit de bourgeoisie à tous les peuples des provinces où elles étaient situées, ce qui n'arriva qu'au commencement de la guerre marsique, c'est-à-dire, dans les derniers temps de la république, encore ces peuples ne furent-ils pas d'abord reçus immédiatement dans ces trente-cinq tribus ; car les Romains craignant qu'ils ne se rendissent les maîtres dans les comices, en créèrent exprès pour eux dix nouvelles, auxquelles ils ne donnèrent point le droit de prérogative, et dont on ne prenait par conséquent les suffrages, que lorsque les autres étaient partagées. Mais comme ces peuples se virent par-là privés de la part qu'ils espéraient avoir au gouvernement, ils en firent éclater leur ressentiment, et surent si bien se prévaloir du besoin que les Romains avaient alors de leur secours, qu'on fut peu de temps après obligé de supprimer ces nouvelles tribus, et d'en distribuer tous les citoyens dans les anciennes, où ils donnèrent toujours depuis leurs suffrages.

Appian nous apprend que ce fut dans le consulat de L. Julius César et de P. Rutilius Lupus, que ces nouvelles tribus furent instituées, c'est-à-dire, l'an 660, et que ce fut l'an 665, sous le quatrième consulat de L. Cinna, et pendant la censure de L. Marcus Philippus et de Marcus Perpenna, qu'elles furent supprimées.

Il y a bien de l'apparence au reste que les noms des dix ou douze tribus qu'on appelle ordinairement les surnuméraires, et dont il nous reste plusieurs inscriptions antiques, savoir Oericulana, Sapinia, Cluvia, Papia, Cluentia, Camilla, Dumia, Minucia, Julia, Flavia, et Ulpia, étaient les noms mêmes de ces dix nouvelles tribus ou de quelques-unes des anciennes qui changèrent de dénomination dans les premiers temps de la république, si l'on en excepte les trois dernières, Julia, Flavia, et Ulpia, qui ne commencèrent à être en usage que sous les empereurs, et qui furent données par honneur aux tribus d'Auguste, de Vespasien et de Trajan.

Pour les autres, ce qui fait croire que ce pourraient être les noms des dix nouvelles tribus dont nous avons parlé, c'est qu'il y en a qui sont des noms de familles qui n'étaient point encore romaines lorsque les autres tribus furent établies, comme la papienne et la cluentienne, qui tiraient leur origine de deux chefs de la guerre marsique, dont Appien parle au premier livre de la guerre civile, savoir Papius Mutilus et L. Cluentius, auxquels on accorda pour lors le droit de bourgeoisie, et qui parvinrent depuis à tous les honneurs de la république. D'autres sont des noms de lieux qui ne conviennent ni aux dernières tribus établies par les consuls dont nous savons la situation, ni aux premières établies par Servius Tullius, qui étaient toutes renfermées dans le champ romain, comme l'oericulane, la sapinienne et la cluentienne, qui étaient situées dans l'Ombrie, sur le Nac, et chez les Samnites.

Quoi qu'il en sait, il est certain que comme les tribus de la ville étaient en général moins honorables que les rustiques à cause des affranchis dont elles étaient remplies ; les premières rustiques établies par Servius Tullius l'étaient aussi beaucoup moins que les consulaires, non-seulement parce qu'elles avaient beaucoup moins d'étendue, mais encore parce que c'était dans ces tribus qu'étaient distribués tous les nouveaux citoyens et les différents peuples auxquels on accordait le droit de suffrage, ainsi qu'on peut le faire voir en exposant la forme politique de ces tribus, leurs différents usages selon les temps et les mutations qui leur arrivèrent depuis leur institution jusqu'à leur décadence.

Mais auparavant il est bon de rappeler l'état des anciennes, afin d'en examiner de suite les changements, et montrer que tout ce que les nouvelles entreprirent sous les consuls, ne tendait qu'à recouvrer l'autorité que les anciennes avaient eue sous les cinq premiers rais, et à se tirer de la sujétion où Servius Tullius les avait asservies, en établissant les comices des centuries.

Les anciennes tribus sous les rois étaient distinguées en général par leur situation et par les différentes nations dont elles étaient composées ; mais elles ne laissaient pas d'avoir les mêmes usages, et leur forme politique était précisément la même. Toutes les curies avaient également par aux honneurs civils et militaires. Servius Tullius supprima les anciennes tribus, et leur en substitua de nouvelles qu'il dépouilla de toute autorité ; elles ne servirent jusqu'au jugement de Coriolan, qu'à partager le territoire de Rome, et à marquer le lieu de la ville et de la campagne où chaque citoyen demeurait.

La condition du peuple romain ne devint pas meilleure par l'établissement des consuls, dont l'autorité ne fut pas suffisamment modérée par l'appel au peuple, ni par le pouvoir de les élire accordé aux centuries. L'abolition des dettes fut le premier coup d'éclat que le peuple frappa contre les patriciens. Il obtint ensuite ses tribuns par sa retraite sur le mont Sacré. Les tribuns n'eurent d'abord d'autre fonction que celle de défendre le peuple contre l'oppression des grands ; mais ils se servirent du droit d'assembler le peuple sans la permission du sénat, pour établir les comices des tribus, pour faire accorder aux mêmes tribus le droit d'élire les magistrats du second ordre, pour arrêter les délibérations du sénat, pour renverser la forme du gouvernement, pour faire parvenir le peuple au consulat, pour s'emparer du sacerdoce, et pour opprimer les patriciens.

Comme les tribus ne commencèrent à avoir part au gouvernement que depuis l'établissement de leurs comices ; et que c'est même du pouvoir qu'elles avaient dans ces assemblées, qu'elles tirèrent depuis tout leur crédit, il est certain que c'est à ces comices qu'il en faut rapporter le principal usage ; mais comme il en est fait quelquefois mention dans les comices des centuries, tant pour l'élection des magistrats qu'au sujet de la guerre, on ne saurait douter qu'elles ne fussent aussi de quelque usage dans cette autre sorte d'assemblée, et il ne s'agit plus que de savoir de quel usage elles y pouvaient être, et quand elles commencèrent d'y avoir part.

A l'égard de la première question, elle ne souffre point de difficulté ; et quoiqu'un passage de Loelius Félix cité par Aulu-Gelle, nous marque expressément que les comices des centuries ne pouvaient se tenir dans la ville, à cause que la forme en était militaire : il est certain néanmoins qu'on passait quelquefois sur la règle en faveur de la commodité ; et qu'alors, pour sauver les apparences, le peuple s'assemblait d'abord par tribus, et se partageait ensuite par classes et par centuries pour donner ses suffrages.

A l'égard du temps où les tribus commencèrent à être en usage dans les comices des centuries ; c'est ce qu'il n'est pas aisé de déterminer, car on n'en trouve rien dans les anciens ; et les modernes qui en ont parlé, sont d'avis entièrement contraires. Les uns prétendent que ce ne fut que depuis que le nombre des trente-cinq tribus fut rempli ; les autres au contraire soutiennent que cet usage eut lieu dès l'établissement des centuries, et que leurs comices ne se tinrent jamais autrement ; mais leur conjecture n'est pas mieux fondée : car Denys-d'Halicarnasse qui nous en a laissé un détail fort exact et fort circonstancié, ne dit pas un mot des tribus, et il n'en est pas fait une seule fois mention dans tous les comices dont Tite-Live parle avant le jugement de Coriolan.

Ainsi quoiqu'on ne puisse pas marquer précisément en quel temps les tribus commencèrent à avoir part aux comices des centuries, nous croyons néanmoins pouvoir assurer que ce ne fut que depuis l'établissement de leurs comices, et nous ne doutons pas même que ce ne soit des tribus que le droit de prérogatives passa aux centuries, car il est certain qu'originairement il n'était point en usage dans leurs comices.

Il y a bien de l'apparence au reste, que ce fut en faveur du peuple, pour rétablir en quelque manière l'égalité des suffrages dans les comices des centuries, et surtout afin de pouvoir les tenir dans la ville sans violer les lois, que cet usage s'établit, et qu'on leur donna cette nouvelle forme.

Il serait inutîle de citer tous les passages qui ont rapport à ce sujet ; nous en choisirons seulement deux ou trois qui puissent nous en apprendre des particularités différentes.

Le premier fait mention en général de toutes les tribus dans une occasion où il était question de décider de la guerre, et qui était par conséquent du ressort des centuries. Tit. Liv. lib. VI. cap. xxj. Tunc ut bellum jubèrent latum ad populum est, et nequicquam dissuadentibus tribunis plebis omnes tribus bellum jusserunt.

Dans le second, il s'agit de l'élection des tribuns militaires qui était encore du ressort des centuries, et cependant il y est parlé non-seulement de la tribu prérogative, c'est-à-dire, de celle qui donnait sa voix la première, mais encore de toutes les autres qui étaient ensuite appelées dans leur ordre naturel, et qui se nommaient à cause de cela jure vocatae : Tit. Liv. lib. V. cap. XVIIIe Haud invitis patribus, P. Licinium Calvum praerogativa tribunum militum.... creant.... omnesque deinceps ex collegio ejusdem anni refici apparebat.... qui priusquam renuntiarentur jure vocatis tribubus, permissu interregis, P. Licinius Calvus ita verba fecit.

Enfin, le dernier passage regarde l'élection des consuls, et nous donnera lieu de faire encore quelques remarques sur ce sujet : Tit. Liv. lib. XXVI. cap. xxij. Fulvius Romam comitiorum causâ arcessitus, cùm comitia consulibus rogandis haberet, praerogativa Veturia juniorum declaravit T. Manlium Torquatum et T. Otacilum, Manlius qui praesens erat, gratulandi causâ cùm turba coiret nec dubius esset consensus populi, magnâ circumfusus turbâ ad tribunal consulis venit, petiitque ut pauca sua verba audiret, centuriamque quae tulisset suffragium revocari juberet.... Tum centuria et autoritate motâ viri et admirantium circa fremitu, petit à consule ut Veturiam seniorum citaret, velle sese cum majoribus-natu colloqui, et ex auctoritate eorum consules dicère. Citatis Veturiae senioribus, datum secretò in ovili cum his colloquendi tempus.... ita de tribus consultatione data, senioribus dimissis, juniores suffragium ineunt, M. Claudium Marcellum.... et M. Valerium absentes coss. dixerunt, auctoritatem praerogativae omnes centuriae secutae sunt.

On voit par ce passage, premièrement, que le suffrage de la prérogative ne demeurait point secret, et qu'on avait coutume de le publier avant que de prendre celui des autres tribus. Secondement, que son suffrage était d'un si grand poids, qu'il ne manquait presque jamais d'être suivi, et qu'on en recevait sur le champ les compliments, comme si l'élection eut déjà été faite ; c'est ce qui a donné lieu à Cicéron de dire, que le présage en était infaillible : Tanta est illis comitiis religio, ut adhuc semper omen valuerit praerogativum ; et que celui qui l'avait eu le premier, n'avait jamais manqué d'être élu : Praerogativa tantum habet auctoritatis, ut nemo unquam prior eam tulerit, quin renuntiatus sit. Enfin ce passage nous apprend encore que celui qui tenait ces comices, pouvait reprendre le suffrage des tribus, et leur permettre même de consulter ensemble pour faire un nouveau choix. Mais en voilà assez sur les comices des centuries, passons à la milice.

Quoique les levées se fussent faites d'abord par les centuries, ainsi que Servius Tullius l'avait établi, il est sur qu'elles se firent aussi dans la suite par les tribus : et la preuve s'en tire du lieu même où elles se faisaient ; car c'était ordinairement dans la grande place : mais le choix des soldats ne s'y faisait pas toujours de la même manière ; c'était quelquefois uniquement le sort qui en décidait, et surtout lorsque le peuple refusait de prendre les armes.

Quelquefois au contraire, c'était en partie par le sort, et en partie par le choix des tribuns qu'ils se levaient ; par le sort pour l'ordre des tribus ; et par le choix des tribuns pour les soldats qu'on en tirait. Enfin Tite-Live nous apprend que lorsqu'on n'avait pas besoin d'un si grand nombre de soldats, ce n'était pas de tout le peuple qu'ils se levaient, mais seulement d'une partie des tribus que l'on tirait au sort.

A l'égard du cens, c'était une des occasions où les tribus étaient le plus d'usage, et cependant le principal sujet pour lequel les classes et les centuries avaient été instituées. Aussi ne cessaient-elles pas entièrement d'y avoir part, et elles y servaient dumoins à distinguer l'âge et la fortune des citoyens d'une même tribu jusqu'en l'année 571 que les censeurs en changèrent entièrement l'ordre, et commencèrent à faire la description des tribus selon l'état et la condition des particuliers.

Pour le temps où l'on commença de faire le cens par tribus, comme les anciens ne nous en ont rien appris, c'est ce qu'on ne saurait déterminer au juste : il y a bien de l'apparence cependant, que ce ne fut que depuis l'établissement des censeurs ; c'est-à-dire, depuis l'an 310, car il n'en est fait aucune mention auparavant, et l'on en trouve depuis une infinité d'exemples.

Quand les nouveaux citoyens étaient reçus dans les tribus, les censeurs ne les distribuaient pas indifféremment dans toutes, mais seulement dans celles de la ville, et dans quelques-unes des rustiques. Ce fut sans-doute ce qui rendit les autres tribus plus honorables ; et ce qui fit même qu'entre celles où ils étaient reçus, il y en avait de plus ou moins méprisées selon les citoyens dont elles étaient remplies ; car il faut remarquer qu'il y avait de trois sortes de nouveaux citoyens, les étrangers qui venaient s'établir à Rome ou qu'on y transferait des pays conquis, les différents peuples d'Italie auxquels on accordait le droit de suffrage, et les affranchis qui avaient le bien nécessaire pour être compris dans le cens.

A l'égard des peuples que l'on transférait des pays conquis, comme les Romains ne manquaient pas d'y envoyer aussi-tôt des colonies, ils avaient coutume de distribuer ces nouveaux citoyens dans les tribus les plus proches de la ville, tant pour tenir la place des anciens citoyens qu'ils en avaient tirés, qu'afin de les avoir sous leurs yeux, et d'être par-là plus surs de leur fidélité.

C'était aussi dans ces premières tribus établies par Servius Tullius qu'étaient reçus les différents peuples d'Italie, auxquels on accordait le droit de suffrage ; car l'usage n'était pas de les distribuer dans les tribus qui étaient sur leurs terres, comme on pourrait se l'imaginer, mais dans celles du champ romain qui portaient des noms de famille, comme on le peut voir par une infinité d'exemples, et entr'autres par celui des Sabins, des Marses, des Péllyniens, et par celui des peuples de Fondi, de Formies et d'Arpinum, desquels Cicéron et Tite-Live font mention.

Pour les affranchis, ce fut presque toujours dans les tribus de la ville qu'ils furent distribués ; mais ils ne laissèrent pas d'être quelquefois reçus dans les rustiques, et l'usage changea même plusieurs fois sur ce sujet. Il est bon d'en connaître les variations suivant l'ordre des temps.

Pour cela il faut premièrement remarquer qu'ils demeurèrent dans les tribus de la ville jusqu'en l'année 441, qu'Appius Claudius les reçut dans les rustiques. Tite-Live nous apprend même que cette action fut agréable à tous les citoyens, et que Fabius en reçut le surnom de Maximus, que toutes ses victoires n'avaient encore pu lui acquérir.

On ne voit point à quelle occasion, ni par quel moyen ils en étaient sortis peu de temps après ; mais il fallait bien qu'ils s'en fussent tirés du consentement ou par la négligence des censeurs. Ils en sortirent plusieurs fois en divers temps, et furent obligés d'y rentrer ; mais cela n'empêche pas que ce ne fût ordinairement dans les tribus de la ville qu'ils étaient distribués, et ces tribus leur étaient tellement affectées, que c'était une espèce d'affront que d'y être transféré.

C'était même la différence qu'il y avait non-seulement entre les tribus de la ville et celles de la campagne, mais encore entre les premières rustiques établies par Servius Tullius, et celles que les consuls avaient établis depuis, qui donna lieu à l'usage de mettre entre les différents noms qu'on portait celui de sa tribu.

La raison, au reste, pour laquelle les Romains mettaient le nom de leurs tribus immédiatement après leurs noms de famille et avant leurs surnoms, c'est que ces sortes de noms se rapportaient à leurs familles, et non pas à leur personne ; et cela est si vrai, que lorsqu'ils passaient d'une famille dans une autre qui n'était pas de la même tribu, ils avaient coutume d'ajouter au nom de leur première tribu le nom de celle où ils entraient par adoption, comme on le peut voir par une infinité d'exemples.

Il reste à parler de l'usage des tribus par rapport à la religion ; car quoiqu'elles n'eussent aucune part aux auspices, c'était d'elles cependant que dépendait le choix des pontifes et des augures, et il y avait même des cérémonies où leur présence était absolument nécessaire. Immédiatement après la dédicace du temple de Junon Monéta, c'est-à-dire l'an 411, sous le troisième consulat de C. Martius Rutilus, un esprit de trouble et de terreur s'étant répandu dans toute la ville sur le rapport de quelques prodiges, et la superstition n'ayant point trouvé d'autre ressource que de créer un dictateur pour établir des fêtes et des prières publiques, il se fit à Rome pendant plusieurs jours des processions solennelles, non-seulement de toutes les tribus, mais encore de tous les peuples circonvoisins.

A l'égard de l'élection des pontifes, il faut remarquer premièrement que jusqu'en l'année 850 il n'y avait que le grand-pontife qui fut élu par les tribus, et que tous les autres prêtres étaient cooptés par les colléges : secondement que ce fut Cn. Domitius, le trisayeul de Néron, qui leur ôta ce droit, et l'attribua au peuple pour se venger de ce qu'ils n'avaient pas voulu le recevoir à la place de son père : et troisiemement, que l'assemblée où se faisait l'élection des pontifes et des augures n'était composée que de dix-sept tribus, c'est-à-dire de la moindre partie du peuple, parce qu'il ne lui était pas permis en général de disposer du sacerdoce, comme on le peut voir par le passage de Cicéron contre Rullus.

Encore faut-il observer premièrement que le peuple ne les pouvait choisir qu'entre ceux qui lui étaient présentés par les colléges ; secondement, que chaque prétendant ne pouvait avoir plus de deux nominateurs, afin que les colléges fussent obligés de présenter plusieurs sujets, entre lesquels le peuple put choisir ; troisiemement, que les nominateurs devaient répondre par serment de la dignité du sujet qu'ils présentaient ; et quatriemement enfin, que tous les compétiteurs devaient être approuvés par les augures avant la présentation, afin que le choix du peuple ne put être éludé.

Mais quoique l'assemblée où se faisaient ces élections ne fût composée que de dix-sept tribus, et portât même en particulier le nom de comitia calata ; comme ces dix-sept tribus néanmoins se tiraient au sort, et qu'il fallait pour cela que toutes les autres se fussent auparavant assemblées, il est certain que c'était une dépendance de leurs comices, et même une des quatre principales raisons pour lesquelles ils s'assemblaient, car ces comices se tenaient encore pour trois autres sujets.

Premièrement, pour l'élection des magistrats du second ordre, minores magistratus, les comices des tribus se tenaient en second lieu pour l'établissement des lois tribuniciennes, c'est-à-dire des plébiscites, qui n'obligèrent d'abord que les plébéiens, et auxquels les patriciens ne commencèrent d'être tenus que l'an 462 par la loi Hortensia, quoiqu'on eut entrepris de les y soumettre dès l'an 304 par la loi Horatia, et que cette loi eut été renouvellée l'an 417 par le dictateur Publilius. Enfin les tribus s'assemblaient encore pour les jugements qui avaient donné lieu à l'établissement de leurs comices et qui procédaient, ou des ajournements que les tribus décernaient contre les particuliers, ou de la liberté que les particuliers avaient d'appeler au peuple de tous les magistrats ordinaires : le peuple jouissait de ce droit dès le temps des rais, et il lui fut depuis sous les consuls confirmé par trois différentes fais, et toujours par la même famille, c'est-à-dire par les trois lois Valeria ; la première, de l'an 246 ; la seconde, de l'an 304 ; et la dernière, de l'an 422.

Il faut néanmoins remarquer qu'il n'y avait que les centuries qui eussent droit de juger à mort, et que les tribus ne pouvaient condamner au plus qu'à l'exil ; mais cela n'empêchait pas que leurs comices ne fussent redoutables au sénat ; premièrement, parce qu'ils se tenaient sans son autorité ; secondement, parce que les patriciens n'y avaient point de part ; et troisiemement, parce qu'ils n'étaient point sujets aux auspices ; car c'était-là d'où ils tiraient tout leur pouvoir, et ce qui servait en même temps à les distinguer des autres.

Ces comices, au reste, continuèrent de se tenir toujours régulièrement depuis leur institution, si on en excepte les deux années que le gouvernement fut entre les mains des décemvirs ; et quoique Sylla eut entrepris dans les derniers temps d'en diminuer l'autorité, en ôtant aux tribuns du peuple le pouvoir de publier des lois, pour les punir d'avoir favorisé le parti de Marius ; comme cette suspension de la puissance tribunicienne n'empêcha pas les tribus de s'assembler à l'ordinaire, et ne dura même que jusqu'au consulat de Pompée, les comices des tribus conservèrent toute leur liberté jusqu'au temps des empereurs ; mais César ne fut pas plutôt dictateur qu'il s'empara d'une partie de leurs droits, afin de pouvoir disposer des charges, et d'être plus en état de changer la forme du gouvernement. L'histoire nous apprend à la vérité qu'Auguste les rétablit dans tous leurs droits dès qu'il fut parvenu à l'empire, mais il est certain qu'ils ne s'en servirent plus que pour prévenir ses ordres ou pour les exécuter, et qu'enfin Tibere les supprima entièrement, et en attribua toute l'autorité au sénat, c'est-à-dire à lui-même.

Depuis ce temps, les tribus n'eurent plus de part au gouvernement, et le dessein qu'eut Caligula de rétablir leurs comices n'eut point d'exécution ; mais elles ne laissèrent pas néanmoins de subsister jusqu'aux derniers temps de l'empire, et nous voyons même que leur territoire fut encore augmenté sous Trajan de quelques terres publiques par une suscription qu'elles firent élever en son honneur, et qu'on nous a conservée comme un monument de leur reconnaissance envers ce prince.

Telle est l'idée générale qu'on peut se former sur l'origine des tribus romaines, l'ordre de leurs établissements, leur situation, leur étendue, leur forme politique, et leurs différents usages selon les temps ; M. Boindin, dont j'ai tiré ce détail, a épuisé la matière par trois belles et grandes dissertations insérées dans le recueil de l'académie des Belles-Lettres. (D.J.)