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Catégorie : Histoire des Turcs
(Hist. milit. des Turcs) on entend par ces deux mots ziamet & timar, de certains fonds de terre, dont les conquérans turcs ont dépouillé le clergé, la noblesse, & les particuliers du pays, qu'ils ont pris sur les Chrétiens. Ces sortes de terre ayant été confisquées au profit du grand-seigneur, il les a destinées à la subsistance d'un cavalier de la milice, appellé zaïm ou timariot : car zaïm ou timariot est le nom de la personne, & ziamet ou timar le nom de la terre.

Le ziamet ne differe du timar, que parce qu'il est d'un plus grand revenu, car il n'y a point de ziamet qui vaille moins de 20 mille aspres de rente : ce qui est au-dessous n'a que le titre de timar. Le sieur Besguier juge que le mot ziamet vient de l'arabe ; car, dit-il, zaïm signifie en arabe, un seigneur, un commandant, qui conduit un certain nombre d'hommes dont il est le maître. Quant au mot timar, il le dérive du grec , qui signifie honneur, parce que ces récompenses se donnoient pour honorer la vertu des soldats. Les Grecs appelloient ces marques d'honneur , & appelloient ceux qui en étoient honorés . Les Turcs ont emprunté ces mots des Grecs, & se les sont appropriés avec peu de changement : car au lieu de timarion, ils disent timar, en retranchant la terminaison grecque.

Il y a deux sortes de gens qui composent la milice des Turcs. La premiere sorte est entretenue du revenu de certaines terres que le grand-seigneur leur donne : la seconde est payée en argent. La principale force de l'empire consiste dans la premiere, qui est encore divisée en deux parties ; car c'est celle qui est composée de zaïms, qui sont comme des gentilshommes en certains pays, & de timariots, qui peuvent être comparés à ceux que les Romains appelloient decumani.

Les uns & les autres, savoir les zaïms & les timariots, ont cependant été établis pour la même fin. Toute la différence que l'on peut mettre entr'eux, consiste dans leurs lettres patentes, qui reglent le revenu des terres qu'ils tiennent du grand-seigneur. La rente d'un zaïm est depuis 20000 aspres, jusqu'à 99999 & rien plus ; s'il y avoit encore un aspre, ce seroit le revenu d'un sangiac-beg, qu'on appelle un bacha, qui est de 100000 aspres, jusqu'à 199999 aspres, car si on ajoutoit un aspre davantage, ce seroit le revenu d'un beglerbeg.

Il y a deux sortes de timariots ; les premiers reçoivent les provisions de leurs terres de la cour du grand-seigneur. Ce nom leur a été donné, parce que teskereh signifie un billet ; & comme la syllabe lu s'ajoute par les Turcs aux noms substantifs, pour en former des adjectifs, teskereh-lu est celui qui est en possession d'un timar par un billet ou par un ordre du grand-seigneur. Leur revenu est depuis 5 ou 6000 aspres, jusqu'à 19999 ; car si on y ajoutoit encore un aspre, ce seroit le revenu d'un zaïm. Les autres s'appellent teskeretis, qui obtiennent leurs provisions du beglerbeg de leur pays : leur revenu est depuis 3000 aspres jusqu'à 6000.

Les zaïms sont obligés de servir dans toutes les expéditions de guerre avec leurs tentes, où il doit y avoir des cuisines, d'autres appartemens proportionnés à leurs biens, à leur qualité : & pour chaque somme de 5000 aspres de revenu qu'ils reçoivent du grand-seigneur, ils sont obligés de mener avec eux à l'armée un cavalier, qui se nomme gebelu, c'est-à-dire porteur de cuirasse ; ainsi un zaïm qui a 30000 aspres de revenu, doit être accompagné de 6 cavaliers. Un zaïm qui en a 90000 doit être accompagné de 18 cavaliers, & de même des autres à proportion de leur revenu. Chaque zaïm prend le titre de kilitich, c'est-à-dire épée. C'est pourquoi lorsque les Turcs font le compte des forces que les beglerbegs peuvent mener à l'armée pour le service de leur prince, ils ne s'arrêtent qu'aux zaïms & aux timariots seuls, qu'ils appellent autant d'épées, sans compter ceux qui les doivent accompagner.

Les timariots sont obligés de servir avec des tentes plus petites que les zaïms, fournies de trois ou quatre corbeilles, pour en donner une à chaque homme qui les accompagne ; parce qu'outre qu'ils doivent combattre aussi-bien que les zaïms, il faut encore qu'ils portent de la terre & des pierres pour faire des batteries & des tranchées. Les timariots doivent en outre mener un cavalier pour chaque somme de 3000 aspres de revenu qu'ils ont ; de même que les zaïms pour chaque somme de 5000 aspres.

Les zaïms & les timariots sont disposés par régimens, dont les colonels sont appellés alai-begler, du mot arabe alai, qui signifie celui qui est au-dessus des autres, & du mot turc beg, qui veut dire seigneur ; desorte que les alai-beglers sont les chefs ou les supérieurs des zaïms & des timariots, c'est-à-dire leurs colonels. Ces colonels sont soumis à un bacha, ou à un sangiag-beg, & celui-là à un begler-beg ; lorsque toutes ces troupes sont rassemblées en un corps, elles se trouvent au rendez-vous qui est marqué par le général, que les Turcs appellent serasker. Lorsque les zaïms & les timariots marchent, ils ont des drapeaux appellés alem, & des tymbales, nommées tabl.

Ces deux ordres militaires ne sont pas seulement destinés à servir sur terre, mais on les oblige quelquefois à servir dans l'armée navale, où on les appelle deria-kaleminde, & où ils sont sous le commandement d'un capitan bacha ou amiral. Il est vrai que les zaïms sont souvent dispensés de servir sur mer en personne, moyennant la somme à laquelle ils sont taxés sur les livres, & de cet argent on leve d'autres soldats, qui sont enrolés dans les registres de l'arsenal ; mais les timariots ne peuvent s'exempter de servir en personne, avec toute la suite que le revenu de leurs terres les oblige de mener avec eux.

Pour ce qui est du service sur terre, ni les zaïms, ni les timariots ne s'en peuvent jamais dispenser, & il n'y a point d'excuse qui puisse passer pour légitime à cet égard. S'il y en a de malades, il faut qu'ils se fassent porter en litiere & en brancard. S'ils sont encore enfans, on les porte dans des paniers : on les accoutume ainsi dès le berceau à la fatigue, au péril & à la discipline militaire. Ce détail suffit pour faire connoître quelle est la nature des zaïms & des timariots qui sont compris sous le nom général de spahis, & qui font la meilleure partie de l'armée des Turcs.

Il n'est pas possible de faire un calcul précis du nombre des cavaliers que doivent mener avec eux les zaïms & les timariots de l'empire du grand-seigneur ; mais un zaïm ne peut mener avec lui moins de quatre cavaliers, & c'est le plus grand nombre qu'un timariot soit obligé de mener. Le moindre timariot doit mener un homme à la guerre, & le plus considérable zaïm en doit mener 19. La difficulté de faire un compte plus exact seroit d'autant plus grande que les commissaires qui sont envoyés par la Porte pour faire les montres & les rôles, ne savent pas moins faire valoir leur métier que les officiers les plus raffinés chez les Chrétiens. Peut-être aussi que la politique du grand-seigneur tolere cet abus, afin de faire croire que le nombre de ses troupes est plus grand qu'il n'est effectivement.

La vaste étendue de terrein que leurs pavillons occupent, le grand attirail de leurs bagages, & le nombre prodigieux de valets qui suivent l'armée font que le peuple s'imagine que les troupes sont composées d'une multitude infinie de soldats. Ce qui sert encore à augmenter l'idée de ce nombre, mais qui le diminue en effet ; c'est l'usage des passe-volans dont les zaïms se servent aux jours de montre.

Enfin une chose cause encore plus de changement dans le nombre des soldats, c'est la mort des zaïms & des timariots dont quelques-uns n'ont leur revenu qu'à vie seulement, & les autres meurent sans enfans ; car en ce cas leurs terres retournent à la couronne. Comme ceux qui les possédoient les avoient cultivées & en avoient augmenté le revenu par leur soin & par leur travail, le grand-seigneur les donne à d'autres, & non pas sur le pié qu'elles avoient été données aux premiers, mais sur le pié du revenu qu'elles se trouvent rapporter, qui est quelquefois le double de la premiere valeur. Par ce moyen le sultan augmente le nombre de ces soldats.

On compte 1075 ziamets & 8194 timars. On prétend en général que le nombre des zaïms monte à plus de dix mille, & celui des timariots à soixante douze mille ; mais ces sortes de calculs sont extrêmement fautifs.

Parmi les troupes qui se tirent de ces ziamets & de ces timars, on mêle en tems de guerre de certains volontaires ou avanturiers, que les Turcs appellent gionullu. Les zaïms & les timariots peuvent, lorsqu'ils sont âgés ou impotens, se défaire de leur ziamet & de leur timar en faveur d'un de leurs enfans. Ricaut, Bespier & la Guilletiere. (D.J.)



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