(Géographie moderne) royaume d'Asie, dans les Indes. Il est borné au nord et au levant par la Chine, au midi par le golfe et le royaume de la Cochinchine, au couchant par le royaume de Laos.

Tunquin est un des plus considérables royaumes de l'Orient, par son étendue, par sa population, par sa fertilité et par les richesses du monarque qui le gouverne. On lui donne trois cent lieues de longueur, et cent cinquante de largeur. La plus grande partie de ce pays consiste en de spacieuses plaines, entourées de montagnes qui produisent de l'eau, des lacs, des étangs et des rivières en abondance ; de-là vient qu'on y fait de grandes récoltes de riz, qui ne croit et ne parvient à sa maturité qu'à force d'eau.

Les Tunquinais sont en général de moyenne taille ; ils ont le teint basané comme les Indiens, mais avec cela la peau si belle et si unie, qu'on peut s'apercevoir du moindre changement qui arrive sur leur visage lorsqu'ils pâlissent ou qu'ils rougissent : ce qu'on ne peut pas reconnaître sur le visage des autres indiens. Ils ont communément le visage plat et ovale, le nez et les lèvres assez bien proportionnés, les cheveux noirs, longs et fort épais ; ils se rendent les dents aussi noires qu'il leur est possible. La chevelure noire, déliée et négligée est celle qu'ils estiment davantage ; mais leurs bonzes, qui sont leurs prêtres, se rasent la tête.

Le peuple Ve presque nud la plus grande partie de l'année. Les plus riches portent au lieu de chemise, une soutanelle de soie qui leur pend jusqu'aux genoux, et par-dessus une longue robe légère. Les bonzes portent par magnificence une sorte de pourpoint à rézeaux, et leurs femmes, au lieu de bonnet, ont une demi-mitre ornée tout-autour d'un rang de grains de verre ou de crystal, de différentes couleurs, enfilés avec quelque symétrie.

Les maisons des Tunquinais sont toutes de bois et de chaume ; les cloisons sont de roseaux nommés bambu, goudronnés ensemble ; le plancher est de terre bien battue, et le tait est couvert de paille.

Tout est réglé chez les Tunquinais, comme chez les Chinois, jusqu'aux civilités qu'ils se doivent les uns aux autres ; il n'est pas permis de se présenter chaussé chez le roi ; il faut y aller pieds nuds sans souliers ; lui seul se sert de pantoufles ; et son fils même, quand il Ve lui rendre visite, se déchausse à la porte, où il trouve un page avec de l'eau qui lui lave les pieds. Il est encore défendu à qui que ce soit de se servir de son éventail en présence du roi ; et quoique la chaleur soit extrême, tout le monde met son éventail dans la manche, tenant ses mains en repos dans une des manches de sa robe, toutes deux couvertes et appliquées sur la poitrine.

Lorsqu'on entre dans la salle d'audience, avant que de joindre le roi pour le saluer, on est obligé de faire quatre génuflexions, les deux genoux en terre ; après la quatrième on se leve, et joignant les mains avec les doigts entrelacés l'un dans l'autre, et couvertes des manches de la robe de dessus, on les porte en cette posture jusque sur la tête ; alors après une petite inclination qui est la dernière, on salue le monarque, en disant " vive le roi l'espace de deux mille ans ".

Lorsque les grands mandarins, après avoir eu audience, prennent congé de ce prince, ils sortent avec empressement de sa chambre, et s'en retournent chez eux en courant ; s'ils en usaient autrement, ce serait une incivilité inexcusable. Au Tunquin, tous les mandarins civils et militaires sont eunuques, et c'était autrefois la même chose à la Chine pour les gouverneurs des villes.

On ne se sert point de sieges dans le Tunquin pour la conversation ; on s'y contente d'une natte que l'on étend sur la terre. Les personnes distinguées s'entretiennent sur une espèce d'estrade élevée d'un pied et couverte d'une belle natte au lieu de tapis. Si quelqu'un de leur même condition leur rend visite, ils lui donnent place sur la même estrade, et s'il est inférieur, ils le font asseoir plus bas sur une natte double, la donnant simple aux personnes de médiocre condition, et ne laissant que la terre sans natte à ceux qui sont de la populace. Ils ne traitent jamais d'affaires en se promenant, mais toujours assis ou debout, sans remuer les mains. Si un tunquinais en rencontre un autre qui lui soit égal, il le salue, en disant, je me réjouis avec vous ; et s'il le regarde comme étant d'un rang au-dessus de lui, il lui donne la main gauche par honneur, pour lui témoigner que s'il se conserve la liberté de la droite, c'est pour le défendre contre ceux qui le voudraient insulter.

Leurs festins sont sur des tables rondes comme un tambour pour les gens de qualité, mais si basses que pour y manger commodément il faut être assis à terre, et avoir les jambes croisées. La chair de cheval ne leur déplait pas, non plus que celle du tigre, du chien, du chat, de la taupe, de la couleuvre, de la chauve-souris, de la civette et autres. Ils mangent indifféremment les œufs des cannes, d'oies, de poules, sans s'embarrasser s'ils sont couvés ou frais. Ils sont fort sales dans leurs repas, et ne se lavent jamais les mains devant ni après, à cause que tout ce qu'on sert sur leurs tables, est coupé par morceaux, et que pour les prendre, ils ont deux petites baguettes d'ivoire ou de quelque espèce de bois solide, de la longueur d'un demi-pié ; ils s'en servent au lieu de cuilleres et de fourchettes. C'est pour cela que l'on n'y voit ni serviettes, ni nappes, et qu'il leur suffit que leurs tables rondes soient peintes de ces beaux vernis rouges et noirs, que l'on tâche inutilement d'imiter ailleurs. Ils boivent beaucoup ; et quoique leur vin ne se fasse ordinairement que de riz, il est aussi violent que l'eau-de-vie.

Les procès sont examinés, comme à la Chine, dans différents tribunaux de mandarins ; mais les mandarins lettrés ont le pas sur ceux d'épée ; ils deviennent conseillers d'état, gouverneurs de province et ambassadeurs. Quoique l'on puisse appeler des grands tribunaux au tribunal de la cour, on en exclud ceux que des crimes énormes, comme l'assassinat, font condamner tout de suite à mort. La maison du mandarin supplée aux prisons publiques dans les provinces ; il s'y trouve des chaînes, des menottes, et d'autres semblables instruments de fer.

Tous les supplices sont dans le Tunquin d'une barbarie recherchée, excepté pour les nobles qu'on se contente d'étrangler, parce que c'est dans ce pays-là le genre de mort le moins infame. On assomme les princes du sang d'un coup de massue de bois de santal qu'on leur décharge sur la tête.

Dans les maladies où le mal augmente malgré les remèdes, on a recours au magicien qui invoque le secours du démon, en obligeant le malade de lui offrir des sacrifices, dont lui magicien prend toujours la première part. Lorsqu'il abandonne le malade, on s'adresse à quelque sorcière pour en avoir soin. Le malade étant mort, les parents approchent de son lit une table chargée de viandes suivant leurs facultés, et l'invitent à en manger avec eux. Ensuite les prêtres des idoles viennent réciter leurs prières d'un ton si languissant et si rude, qu'on croirait entendre des chiens qui hurlent. Enfin les devins indiquent l'heure et le lieu de l'ensevelissement.

La dépense en est incroyable pour les grands ; mais rien n'est au-dessus de la magnificence avec laquelle se font les obseques du roi de Tunquin ; tous les vassaux du royaume sont obligés de porter le deuil vingt-sept jours, avec défense de plaider, de faire des noces et des festins pendant tout le temps du deuil. Il est défendu de même pendant trois ans d'accompagner aucune fête même les plus solennelles, d'instruments, de chansons, de danses et de toutes marques de réjouissance.

Il y a dans ce royaume des mines d'or, d'argent et d'autres métaux ; mais le roi ne permet pas qu'on ouvre celles d'or. On tire du pays des soies, du musc, des bois de santal, d'aloès, etc. Les Hollandais y portent en échange de ces marchandises, des épiceries, des draps et d'autres étoffes.

Il est inutîle d'entrer dans de plus grands détails sur ce royaume ; on peut consulter, mais avec une foi réservée, les lettres édifiantes et la relation du royaume de Tunquin donnée par le P. Marigni. (D.J.)