(Géographie moderne) province maritime d'Angleterre, dans la partie meridionale de ce royaume, avec titre de comté. Cette province nommée anciennement Suth-sex, a retenu le nom des Saxons méridionaux, dont le royaume comprenait ce comté avec la province de Surrey. Le Sussex s'étend en long du levant au couchant le long de l'Océan, qui le borne au midi et au sud-est. Du côté du nord, il fait face au comté de Southampton ; sa longueur est de 64 milles, sa largeur de 20 milles, et son circuit de 58 milles.

Il est partagé en six grands quartiers, que les habitants du pays appellent rapes ; savoir, Hastings, Pevensey, Lewes, Bramber, Arundel et Chichester. Chaque quartier ou rape a une forêt, une rivière et un château, dont il a pris le nom. Ils sont subdivisés en cinquante-deux hundreds ou centaines, composées de trois cent douze églises paroissiales, dans lesquels se trouvent dix-neuf villes ou bourgs à marché, entre lesquels il y en a neuf qui ont droit de députer au parlement ; savoir, Chichester, capitale de la province, Horsham, Midhurst, Lewes, New-Shoreham, Bramber, Steyning, Est-Grinsted et Arundel.

Il y en faut joindre quatre autres, qui sont des places maritimes et des ports fameux, et qui avec quatre autres places du comté de Kent, font une espèce de corps à part, et envoyent ensemble seize députés au parlement, qu'on appelle par honneur les barons des cinq ports. Les quatre places du comté de Sussex, sont Hastings, Winchelsey, la Rye et Séaford. Les quatre autres de la province de Kent, sont Douvre, Romney, Sandwich et Hyeth.

Le terroir de cette province abonde en tout ce qui est nécessaire à la vie. La mer fournit quantité de poisson. Les Dunes rapportent du blé abondamment. Le milieu du pays est tapissé de champs, de prés et de riches pâturages. La partie la plus avancée au nord est presque toute couverte de bois, qui procurent l'avantage de pouvoir travailler le fer, dont on trouve des mines dans ce comté.

Enfin cette province est féconde en hommes, qui ont rendu leurs noms célébres dans la poésie, dans les mathématiques et dans les autres sciences. Je me hâte d'en citer quelques-uns de la liste de M. Fuller, The Worthies, in Sussex.

Dorset (Thomas Sackville, comte de) homme d'une naissance illustre, grand trésorier d'Angleterre, sous la reine Elisabeth, et pour dire quelque chose de plus, beau génie, et excellent poète. Il naquit dans le comté de Sussex en 1556, fit d'excellentes études à Oxford, à Cambridge et au temple.

Après ses études, il voyagea en France et en Italie où il se perfectionna dans les langues, l'histoire et la politique. A son retour en Angleterre, il prit possession des grands biens que son père mort en 1566 lui avait laissé, dont il dissipa en peu de temps la meilleure partie par la splendeur avec laquelle il vivait, ou plutôt par ses magnifiques prodigalités. Il avait à son service les plus habiles musiciens de l'Europe, et donnait souvent des festins à la reine et aux ministres étrangers.

Distingué par sa naissance et par ses qualités, tant naturelles qu'acquises, sa maison fut toujours sur un pied honorable, et consista pendant vingt ans en plus de deux cent vingt personnes, sans compter les ouvriers et autres gens à gage ; en même temps il recevait, par sa noble façon de penser, un tiers de moins de relief que les autres seigneurs ; charitable envers les pauvres dans les années de disette, il distribuait du blé gratuitement à plusieurs paroisses du comté de Sussex, et en tirait aussi de ses greniers qu'il faisait vendre au marché fort au-dessous du prix courant.

Il fut créé baron de Buckhurst en 1567, et bientôt après envoyé en ambassade vers Charles IX. roi de France, pour des affaires importantes qui regardaient les deux royaumes. En 1589, il fut fait chevalier de l'ordre de la Jarretière ; et en 1591, chancelier de l'université d'Oxford.

En 1598, la reine Elisabeth voyant que ses exhortations et les conseils de l'âge avaient modéré le cours des profusions dont une certaine grandeur d'ame héréditaire à sa maison avait été la principale cause, le nomma grand trésorier d'Angleterre. Alors cette princesse en agit en maîtresse judicieuse et indulgente, elle lui tendit la main pour qu'il put réparer sa fortune, prouvant par-là qu'elle le regardait comme un enfant qui avait part à ses bonnes grâces. Il mourut subitement d'apoplexie étant au conseil le 19 d'Avril 1608, âgé de 62 ans. Le lord Sackville descend de lui en ligne directe.

On a loué beaucoup l'éloquence du comte de Dorset, mais encore davantage l'excellence de sa plume. On dit que ses secrétaires ne faisaient pas grande chose pour lui, lorsqu'il s'agissait de dresser des pièces, parce qu'il était fort délicat pour le style et le choix des expressions. Il avait une manière peu ordinaire de dépêcher ses affaires. Son secrétaire de confiance, qui l'accompagnait, prenait par écrit les noms de ceux qui poursuivaient quelque demande, et y joignait la date du temps où ils s'adressaient au grand trésorier pour la première fais, en sorte que le nouveau-venu ne pouvait passer devant un autre plus ancien en date, à-moins que son affaire particulière ne put souffrir aucun délai, ou qu'il ne fût question d'affaires d'état pressantes.

Entre ses ouvrages poétiques, on doit mettre 1°. son Ferrex et Porrex, fils de Gorboduc, roi de Bretagne, tragédie réimprimée à Londres en 1736, in-8°. 2°. le miroir des magistrats, où l'on prouve par des exemples avec quelle séverité le vice est puni. A la suite de l'épitre au lecteur vient l'introduction en vers de mylord Sackville. Cette introduction est une descente dans les enfers, à l'imitation du Dante. Comme c'est un morceau très-rare et entièrement inconnu en France, nous en rapporterons quelques traits qui feront connaître par le pinceau du lord Sackville les éléments de la poésie pittoresque en Angleterre, sous le règne d'Elisabeth. L'auteur commence par peindre la Tristesse, dont la demeure tenait toute l'enceinte du ténare.

" Son corps semblable à une tige brulée par l'ardeur du soleil était entièrement flétri ; son visage était défait et vieilli ; elle ne trouvait de consolation que dans les gémissements. Telle qu'une glace inondée de gouttes d'eau, ainsi ses joues ruisselaient de larmes. Ses yeux gros de pleurs auraient excité la compassion des cœurs les plus durs. Elle joignait souvent ses débiles mains, en jetant des cris douloureux qui se perdaient dans les airs. Les plaintes qu'elle faisait en conduisant l'auteur aux enfers étaient accompagnées de tant de fréquents soupirs, que jamais objet si pitoyable ne s'est offert à la vue des mortels.

A l'entrée de l'affreux séjour de Pluton était assis le sombre Remords, se maudissant lui-même, et ne cessant de pousser d'affreux sanglots. Il était dévoré de soucis rongeants, et se consumait en vain de peines et de regrets. Ses yeux inquiets roulaient de côté et d'autre, comme si les furies le poursuivaient de toutes parts. Son âme était perpétuellement désolée de l'accablant souvenir des crimes odieux qu'il avait commis. Il lançait ses regards vers le ciel, et la terreur était gravée sur son visage. Il désirait toujours la fin de ses tourments, mais tous ses désirs étaient infructueux.

Auprès du Remords était la Frayeur have, pâle et tremblante, courant à l'aventure d'un pas chancelant, la parole embarrassée et le regard tout effaré. Ses cheveux hérissés faisaient relever sa coiffure. Epouvantée à la vue de son ombre même, on s'apercevait qu'elle craignait mille dangers imaginaires.

La cruelle Vengeance grinçait les dents de colere, méditant les moyens d'assouvir sa rage, et de faire périr son ennemi avant que de prendre aucun repos.

La Misere se faisait aussi remarquer par son visage décharné, par son corps, sur lequel il n'y avait que quelques lambeaux pendants, et par ses bras consumés jusqu'aux os. Elle tenait un bâton à la main, et portait la besace sur l'épaule ; c'était sa seule couverture dans les rigueurs de l'hiver. Elle se nourrissait de fruits sauvages, amers ou pourris. L'eau des ruisseaux fangeux lui servait de boisson, le creux de la main de coupe, et la terre froide de lit.

Le Souci, qu'on reconnaissait distinctement par ses agitations, faisait sur l'âme un autre genre de pitié. Il avait les doigts noués et chargés de rides. A peine l'aurore a-t-elle entr'ouvert nos yeux par les premiers rayons de la lumière, qu'il est debout, ou plutôt ses paupières desséchées ne se ferment jamais. La nuit a beau faire disparaitre le jour et répandre ses voiles sombres, il prolonge sa tâche à la faveur d'une lumière artificielle.

Il admirait d'un oeil inquiet le Sommeil immobile, étendu par terre, respirant profondément, également insensible aux disgraces de ceux que maltraite la fortune, et à la prospérité de ceux qu'elle éleve. C'est lui qui donne le repos au corps, le délassement au laboureur, la paix et la tranquillité à l'âme. Il est le compagnon de la nuit, et fait la meilleure partie de notre vie sur la terre. Quelquefois il nous rappelle le passé par des songes, nous annonce les événements prochains, et plus souvent encore ceux qui ne seront jamais.

A la porte de la Mort était son messager, vieillard décrépit, courbé sous le poids des années, sans dents, et presque aveugle. Il marchait sur trois pieds, et se trainait quelquefois sur quatre. A chaque pas qu'il faisait, on entendait le cliquetis de ses os desséchés. La tête chauve, le corps décharné, il heurtait de son poing sec à la porte de la Mort, hâletant, toussant, et ne respirant qu'avec peine.

Aux côtés du vieillard était la pâle Maladie accablée dans un lit, sans pouls, sans voix, sans gout, et rendant une haleine infecte, objet d'horreur à ceux qui la regardent.

Un spectacle non moins déplorable s'offrait près d'elle ; c'était la Famine qui, jetant d'affreux regards, demandait de la nourriture, comme étant prête à expirer. Sa force est si grande, que les murailles même ne sauraient lui résister. Ses ongles crochus arrachent et déchirent tout ce qui se présente ; elle se dévore elle-même, rongeant sa carcasse hideuse, dont on peut compter les os, les nerfs et les veines. Tandis que le poète avait sur elle les yeux fixés et mouillés de larmes de sang à la vue d'un pareil objet, elle jetait tout-d'un-coup un cri dont l'enfer même retentit. On vit à l'instant un dard enfoncé au milieu de sa poitrine, et ce dard venait ouvrir un passage à sa vie.

Enfin parut la Mort elle-même, divinité terrible qui, la faulx à la main, moissonne indistinctement tout ce qui respire sur la terre, sans que les prières, les larmes, la beauté, le mérite, la grandeur, la puissance, les royaumes, les empires, les forces réunies des mortels et des dieux puissent soustraire personne à son pouvoir irrésistible. Tout est contraint de subir ses lois inexorables ".

Kidder (Richard), savant évêque de Bath et Wells, naquit en 1649, et publia plusieurs ouvrages théologiques. Il fut tué dans son lit à Wells avec sa femme, par la chute d'une rangée de cheminée que renversa sur sa maison la violente tempête du 26 Novembre 1703. On a fait plusieurs éditions de son livre intitulé, les devoirs de la jeunesse. Sa démonstration du Messie parut à Londres en 1684, 1699 et 1700, en trois volumes in-8°. Son commentaire sur les cinq livres de Moïse, avec une dissertation sur l'auteur du Pentateuque, a été imprimé à Londres en 1694, deux volumes in-8°.

May (Thomas), poète et historien, naquit sous le règne de la reine Elisabeth, et mourut subitement dans une nuit de l'année 1652. Il a donné 1°. cinq pièces de théâtre. 2°. Un poème sur le roi Edouard III. imprimé à Londres en 1635, in-8°. Ce poème commence ainsi : " Je chante les hauts faits du troisième et du plus grand des Edouards, qui, par ses exploits, éleva tant de trophées dans la France vaincue, s'orna le premier de ses fleurs de lis, et porta ses armes victorieuses jusqu'au rivage occidental, où le Tage roulant sur un sable d'or, se précipite dans l'Océan ". 3°. Une traduction en vers anglais, de la Pharsale de Lucain, imprimée à Londres en 1630, in-8°. 4°. Histoire du parlement d'Angleterre de l'année 1640, Londres 1647, in-fol. Il dit dans la préface de cette histoire : Quod plura de patriae defensorum, quàm de partis adversae rebus gestis exposuerim, mirùm non est, quoniàm plus familiaritatis mihi cùm ipsis, et major indagandi opportunitas fuit. Si pars adversa idem tali probitate ediderit, posteritas omnia gesta magno cùm fructu, cognoscet.

Otvay (Thomas), fameux tragique anglais, naquit en 1651 ; il quitta l'université sans y avoir pris aucun degré, et vint à Londres, où il cultiva la poésie, et même monta quelquefois sur le théâtre, ce qui lui valut les bonnes grâces du comte de Plimouth, un des fils naturels de Charles II. En 1677, il passa en Flandres en qualité de cornette dans les troupes anglaises, mais il en revint en pauvre équipage, et se remit de nouveau à la poésie, et à écrire pour le théâtre. Il finit ses jours en 1685 à la fleur de son âge, n'ayant que 34 ans. Quoique royaliste ouvert, et dans la plus grande misere, il n'obtint jamais de Charles II. le moindre secours, et se vit réduit par un sort singulier, à mourir littéralement de faim.

M. Addison observe, qu'Otvay a suivi la nature dans le style de la tragédie, et qu'il brille dans l'expression naturelle des passions, talent qui ne s'acquiert point par le travail ni par l'étude, mais avec lequel il faut être né ; c'est en cela que consiste la plus grande beauté de l'art ; il est vrai que quoique ce poète ait admirablement réussi dans la partie tendre et touchante de ses tragédies, il y a quelque chose de trop familier dans les endroits qui auraient dû être soutenus par la dignité de l'expression. Ses deux meilleures pièces sont Venise sauvée, ou la conjuration découverte, et l'Orpheline, ou le malheureux mariage ; c'est dommage que cet auteur ait fondé sa tragédie de Venise sauvée sur une intrigue si vicieuse, que les plus grands caractères qu'on y trouve, sont ceux de rébelles et de traitres. Si le héros de cette pièce eut fait paraitre autant de belles qualités pour la défense de son pays, qu'il en montre pour sa ruine, les lecteurs n'auraient pu trop l'admirer, ni être trop touchés de son sort. Mais à le considerer tel que l'auteur nous le dépeint, tout ce qu'on en peut dire, c'est ce que Salluste dit de Catilina, que sa mort aurait été glorieuse, s'il eut péri pour le service de sa patrie : si pro patriâ sic concidisset.

Sa tragédie l'Orpheline, quoique toute fictive, peint la passion au naturel, et telle qu'elle a son siege dans le cœur. Mademoiselle Barry, fameuse actrice, avait coutume de dire, qu'en jouant le rôle de Monime dans cette pièce, elle ne prononçait jamais sans verser des larmes, ces trois mots, ha ! pauvre Castalio ! qui par leur simplicité font un effet d'un pathétique sublime.

Pell (Jean), mathématicien du XVIIe siècle, naquit en 1611. Il fut nommé professeur en mathématiques à Amsterdam, et en 1646 à Breda ; en 1654 Cromwel alors protecteur, l'envoya pour résider auprès des cantons protestants. Il revint à Londres en 1648, prit la prêtrise, et fut nommé un des chapelains domestiques de l'archevêque de Cantorbery. Il mourut en 1685. Il a publié quelques livres de mathématiques, et entr'autres, 1. celui qui est intitulé, de verâ circuli mensurâ ; 2. table de dix mille nombres carrés ; savoir, de tous les nombres carrés, entre o et cent millions, de leurs côtés et de leurs racines. Londres 1672, in-fol.

Sadler (Jean) naquit en 1615, et mourut en 1674. Son ouvrage intitulé les droits du royaume, parut en 1646, in-4°. dans le temps que l'auteur était secrétaire de la ville de Londres. Cet ouvrage fut fort estimé dans ce temps-là, et ne l'a pas été moins depuis.

Olivier Cromwel faisait grand cas de M. Sadler, et lui offrit par une lettre du 31 Décembre 1649 la place de premier juge de Mounster en Irlande, avec mille livres sterling d'appointements ; mais il s'excusa de l'accepter. Voici le précis de la lettre de Cromwel, qui peint son caractère, sa conduite, et son attention à nommer les meilleurs sujets à toutes les places du gouvernement, et à les nommer avec des grâces irrésistibles. Il n'était pas possible qu'un homme de cette vigilance et de cette habileté ne vint à triompher au-dedans et au-dehors. Lisons sa lettre à Sadler.

" Vous proposer, monsieur, à l'improviste une charge importante, c'est peut-être s'exposer à vous prévenir de manière à vous empêcher d'y penser du tout, ou à prendre le parti de la négative, quand il s'agira de vous déterminer. Nous avons murement réfléchi à ce que nous vous offrons, comme vous vous en apercevrez par les raisons dont nous appuyons notre demande, et nous vous l'offrons de bon cœur, souhaitant que ce soit Dieu, et non pas vous qui nous réponde.

Que Dieu nous ait visiblement assisté dans les grandes révolutions arrivées depuis peu parmi nous, c'est une chose que tous les gens de bien sentent, et dont ils lui rendent grâces, persuadés qu'il a de plus grandes vues encore : et que comme il a manifesté, par tout ce qui s'est passé, sa sévérité et sa justice, il viendra aussi un temps, où il fera éclater sa grâce et sa miséricorde.

Quant à nous, dont il s'est servi comme d'instrument pour cette œuvre, ce qui cause notre joie, c'est que nous faisons l'œuvre de notre maître ; qu'il nous honore de sa protection ; et que nous vivons dans l'espérance qu'il ramenera la paix, et qu'il nous introduira dans le royaume glorieux et pacifique qu'il a promis.

Si cette espérance nous console, nous ne sommes pas moins réjouis de voir que les affaires prennent un tour qui donne lieu de croire que l'éternel a dessein de faire sentir à cette pauvre île les effets de sa miséricorde. Nous ne pouvons donc nous dispenser de faire tout ce qui dépend de nous, (en qualité de faible instrument), pour répondre aux vues de Dieu, quand l'occasion s'en présente.

On avait coutume d'avoir dans la province de Mounster un premier juge, qui, conjointement avec quelques assesseurs, décidait des affaires ; c'est cet emploi que je vous prie d'accepter. Comme je crois que rien ne vous conviendra mieux que d'avoir des appointements fixes, j'ose vous promettre mille livres sterling par an, payables tous les six mois. J'ignore jusqu'où vous regarderez cet emploi comme une vocation ; ce dont je suis sur, c'est que je n'ai jamais rien fait avec plus de plaisir. Informez-moi cependant le plutôt que vous pourrez de votre résolution. Je me recommande à vos prières, et suis votre affectionné ami et serviteur. "

O. CROMWEL.

Corke, le 31 Décembre 1649.

Selden (Jean) est regardé des étrangers pour un des savants hommes de l'Europe ; mais ils ignorent en général la gloire qu'il s'est acquise dans son pays, en qualité de membre du parlement, et le rôle qu'il y a joué, sans pour cela discontinuer la culture des lettres, et sans que les traverses qu'il essuya en défendant les droits de la nation, aient eu le pouvoir d'ébranler la force de son âme. Il avait pris pour sa devise ces mots grecs, , la liberté sur toutes choses.

Il naquit en 1584, étudia à Oxford, s'y distingua, et se fit bientôt une grande réputation par les écrits qu'il mit au jour, consécutivement sur divers sujets. En 1621 le roi Jacques I. mécontent du parlement, fit arrêter Selden, avec quelques-uns des membres de la chambre des communes. En 1625, il fut élu député au premier parlement qui se tint sous Charles I. et alors il se déclara nettement contre le duc de Buckingham. Il s'opposa encore fort vivement au parti de la cour en 1627 et en 1628.

" Je ne prents pas la parole, dit-il, dans des débats qu'il y eut touchant la liberté des sujets ; je ne prents pas la parole pour alléguer des raisons sur ce point, le plus important qu'on ait jamais agité. Cette liberté, qui est reconnue, je me flatte de tout le monde, aussi-bien que des jurisconsultes, a été violée, non sans qu'on se soit plaint ; mais je ne crois pas, que jamais on en ait légitimé la violation, sinon en dernier lieu. Le privilège du habeas corpus a été réclamé ; la cause a été rapportée par ordre du roi ; signification s'est faite de la part du conseil. On a plaidé, on a allégué sept actes parlementaires : tout cela n'a servi de rien ; l'autorité seule a agi, on a décidé, que quiconque est emprisonné par ordre du roi ou du conseil, ne peut être élargi. J'ai toujours Ve que dans les affaires graves, on a coutume d'alléguer publiquement les raisons qu'on a d'agir : il s'agit ici d'une affaire où sa majesté et son conseil sont intéressés. Je désire seulement que quelques-uns du conseil nous instruisent de ce qui peut fonder un pouvoir si étendu ".

L'an 1629 Selden se signala de nouveau contre la cour, lorsqu'on agita dans la chambre-basse de voter, si la saisie des effets des membres du parlement par les officiers de la douanne, n'était pas une violation de leurs privilèges ? L'orateur refusa de proposer la question, en conséquence de la défense du roi. Selden lui dit : " il est étonnant, M. l'orateur, que vous n'osiez faire une proposition lorsque la chambre vous l'ordonne. Ceux qui vous succéderont, pourront ainsi déclarer dans tous les cas, qu'ils ont ordre du roi de ne point faire une proposition ; mais sachez, monsieur, que ce n'est point là remplir votre charge ; nous sommes assemblés ici pour le bien public par ordre du roi, et sous le grand sceau ; et c'est le roi lui-même, qui, séant sur son trône, et en présence des deux chambres, vous a nommé notre orateur ".

Le roi ayant dissout le parlement, Selden fut arrêté, et emprisonné dans la prison du banc du roi, où il courut risque de la vie, à cause de la peste qui regnait dans le quartier. Il recouvra la liberté quelque temps après ; et le parlement lui donna cinq mille livres sterling pour le dédommager des pertes qu'il avait faites dans cette occasion.

En 1630, il fut encore emprisonné avec quelques seigneurs, ayant été accusé d'avoir répandu un libelle intitulé propositions pour le service du roi, de brider l'impertinence des parlements. La naissance de Charles, prince de Galles, engagea le roi à ordonner qu'on mit Selden, et les autres prisonniers, en liberté.

En 1634, il survint une querelle entre l'Angleterre et la Hollande, pour la pêche du hareng sur les côtes de la grande-Bretagne ; Grotius ayant publié en faveur des Hollandais son mare liberum, Selden lui répondit par son mare clausum, seu de dominio maris, libri duo, Londres 1636, in-8°. Cet ouvrage le mit si bien avec la cour, qu'il ne tint qu'à lui de s'élever aux premiers emplois, mais il leur préfera le plaisir de s'appliquer tout entier à l'étude. Le roi lui-même ayant résolu d'ôter les sceaux à M. Littleton, eut quelqu'envie de les donner à Selden ; mais les lords Clarendon et Falkland déclarèrent à sa majesté, que Selden refuserait ce poste. Il accepta seulement la garde des archives de la tour, que le parlement lui confia ; et quelque temps après, il fut mis du nombre des douze commissaires établis pour l'administration de l'amirauté.

En 1654, sa santé s'affoiblit au commencement de cette année, et il mourut le 16 Décembre suivant. Ses exécuteurs testamentaires se désaisirent généreusement de sa bibliothèque, pour en faire présent à l'université d'Oxfort. Le docteur Burnet dit que cette bibliothèque était estimée quelques mille livres sterling, et qu'on la regardait comme une des plus curieuses de l'Europe.

Tous les ouvrages de Selden, ont été recueillis par le docteur David Wilkins, en trois volumes in-folio, à Londres en 1726. Les deux premiers volumes contiennent les ouvrages latins, et le troisième les anglais. L'éditeur a mis à la tête une vie fort étendue de Selden, et a ajouté à son édition quelques autres pièces du même auteur qui n'avaient pas encore paru, entr'autres des lettres, des poésies, etc.

Il est assez surprenant, que l'éditeur n'ait point inséré dans sa collection l'ouvrage intitulé, recherches historiques et politiques sur les lois d'Angleterre, depuis les premiers temps jusqu'au règne de la reine Elisabeth. Cet ouvrage est de Selden, et a été publié sous son nom à Londres en 1739, in-fol. quatrième édition. Le but principal est de prouver par des déductions historiques, que les rois d'Angleterre n'ont jamais été revêtus d'un pouvoir arbitraire. Ce livre fut imprimé pour la première fois in-4°. l'an 1649, peu de temps après la mort de Charles I.

Le savoir de Selden est connu de tout le monde. Le docteur Hickes observe néanmoins, qu'il ne possédait pas à fond l'anglo-saxon. Son érudition était peu commune, toujours variée, et pleine d'observations utiles ; mais il manque à ses ouvrages la méthode et la clarté du style. Ses analecta anglo-britannica ne font pas connaître, autant qu'on le désirerait, la religion et le gouvernement des Saxons, ni les révolutions arrivées parmi eux.

Son fameux traité de diis Syris, a trois grands défauts, qui lui sont communs avec la plupart de ceux qui ont écrit sur l'idolâtrie des peuples orientaux. 1°. Le peu de choix des citations ; 2°. c'est que dans ce nombre, la plupart de ceux qui ont écrit des dieux de l'Orient, confondent perpétuellement les dieux des Grecs avec ceux des peuples barbares ; 3°. l'explication allégorique des fables, que Selden n'a pas toujours évitée.

Son histoire des dimes choqua extrêmement le clergé, et fut attaquée de toutes parts. Le but de cet ouvrage est de prouver que les dimes ne sont pas de droit divin, quoique l'auteur ne veuille pas en contester aux ecclésiastiques la possession qui est fondée sur les lois du pays.

Ses travaux sur les marbres d'Arundel, lui ont fait beaucoup d'honneur, et nous ont valu les belles éditions de Prideaux, en 1676, in-fol. et de Maitaire, en 1732.

Ses titres d'honneur ont été réimprimés trois ou quatre fois séparément. Nicholson dit, que pour ce qui regarde la haute et petite noblesse d'Angleterre, elle doit avouer qu'il faut lire cet ouvrage pour acquérir une idée générale de tous les différents degrés de distinction, depuis celui d'empereur, jusqu'à celui de gentilhomme campagnard.

Son mare clausum est extrêmement loué par les Anglais, qui soutiennent constamment que l'auteur a démontré contre Grotius par les anciens monuments historiques, l'empire des Anglais sur les quatre mers, et que les Français, les Flamands et les Hollandais n'ont aucun droit d'y pêcher sans leur permission ; mais Grotius a pour lui le suffrage des étrangers. Quoi qu'il en sait, la nation anglaise estima si fort l'ouvrage de Selden, que ce livre, par ordre exprès du roi et du conseil, fut remis publiquement aux barons de l'Echiquier, pour être déposé dans les archives, comme une pièce inestimable, parmi celles qui regardent les droits de la couronne.

Son fleta, seu commentarius juris anglicani, parut à Londres, in-4°. et c'est un monument de prix pour la nation. On en a donné une seconde édition en 1685, dans laquelle on aurait dû corriger les fautes que Selden lui-même avait indiquées.

Le livre de jure naturali, et gentium, a reçu de grandes louanges de Puffendorf ; mais messieurs le Clerc et Barbeyrac, pensent différemment. Le premier lui reproche ses principes rabbiniques, bâtis sur une supposition incertaine de la tradition judaïque. Le second ajoute que Selden se contente de citer les décisions des rabbins, sans se donner la peine d'examiner si elles sont justes ou non. Il est certain que dans un ouvrage de cette nature, il fallait dériver ses principes des pures lumières de la raison, et non pas uniquement des préceptes donnés à Noé, dont le nombre est fort incertain, et qui ne sont fondés que sur une tradition douteuse. Enfin, dans cet ouvrage de Selden il règne beaucoup de désordre, et surtout l'obscurité, qu'on remarque en général dans ses écrits. (D.J.)