(Géographie moderne) maison royale, dans l'île de France, à une lieue de Paris, du côté de l'orient, avec un parc qui a plus de 1400 arpens d'étendue, et qui est en face du château.

Vincennes est nommé Vicenae, Vicena, Vicennae par les écrivains du XIIe siècle ; ensuite on a dit Vulceniae ; l'étymologie de tous ces mots est inconnue. Les uns prétendent que ce séjour favori de Charles V. avait été appelé Vicenae, parce qu'il était éloigné de vingt stades de Paris, quòd vicenis, seu viginti stadiis abesset ab urbe Lutetiâ. D'autres disent que Vincennes vient de la bonté de l'air qui rend la vie saine ; et comme quelqu'un pourrait croire que cette étymologie n'est qu'une froide allusion de quelque écrivain moderne, nous remarquerons que le nom vie-saine, au lieu de Vincennes, se trouve dans un abrégé manuscrit de l'histoire de France composé en 1498, et c'est le manuscrit de la bibliothèque du roi n°. 2154 in-4°.

Dès l'an 1270, il y avait à Vincennes une maison royale, manerium regale, bâtie vraisemblablement par Philippe Auguste. La tour de Vincennes fut commencée sous Philippe de Valais l'an 1337, et Charles V. l'acheva. François I. et Henri II. firent élever une autre tour vis-à-vis le donjon. Enfin Louis XIII. commença le nouveau bâtiment, qui ne fut achevé qu'au commencement du règne de Louis XIV. Le tout est composé de plusieurs tours carrées, dont la plus haute appelée le donjon, destinée aux prisonniers d'état, a son fossé particulier et son pont-levis.

Quelques-uns de nos rais, Louis X. dit Hutin, Charles le bel, Charles V. et Charles IX. ont fini leurs jours au château de Vincennes.

Louis dit Hutin y mourut le 5 Juin 1316, soit de poison, soit pour avoir bu à la glace après s'être échauffé. Il ne regna que deux ans, étant parvenu à la couronne l'an 1314, âgé de 23 ou 25 ans (car on n'est pas d'accord sur cette date). Le mot hutin est un vieux mot qui signifie mutin et querelleur. Je ne sais pas pourquoi on donna cette épithète à ce prince. Il fit une loi bien importante, et qui lui est glorieuse : il défendit, sous quelque prétexte que ce put être, et sous la peine du quadruple et d'infamie, de troubler les laboureurs dans leurs travaux, de s'emparer de leur bien, de leurs personnes, de leurs instruments de labourage, de leurs bœufs, etc.

Charles IV. dit le bel mourut aussi dans le château de Vincennes au mois de Février 1328, âgé de 33 ans, après six ans de règne. C'est le premier roi de France qui ait accordé les décimes au pape. Ce prince, dit du Tillet, a été sévère justicier, en gardant le droit à un chacun ; mais il n'eut jamais de talent pour les hautes entreprises, et de même que ses frères, sans avoir rien fait ni pour ses peuples, ni pour la gloire, il laissa l'état accablé de dettes.

Charles V. finit sa carrière le 16 Septembre 1380, au château de Beauté dans le bois de Vincennes, âgé de 44 ans, après seize ans de règne. On dit qu'il mourut d'un poison lent ; mais sa mauvaise constitution était le véritable poison qui le tua. Sa prudence ou sa dextérité lui fit donner le surnom de sage, et la valeur de du Guesclin fit réussir les armes de ce monarque. Son règne est une époque mémorable dans l'histoire des lettres. " Ce prince, dit Christine de Pisan, avait été instruit en lettres moult suffisamment ". Ce fut vers son règne, selon Pasquier, que les chants royaux, ballades, rondeaux et pastorales commencèrent d'avoir cours ; c'est en effet à son temps que commence, pour ne plus s'interrompre, la chaîne de nos poètes français. Fraissart faisait des vers sous le règne de ce prince ; Charles d'Orléans, père de Louis XII. nous a laissé un recueil manuscrit de ses poésies ; à sa mort François Villon avait 33 ans, et Jean Marot, père de Clément, était né. Henault.

Au reste on fait monter les trésors qu'amassa Charles V. jusqu'à la somme de dix-sept millions de livres de son temps. Il est certain qu'il avait prodigieusement accumulé, et que tout le fruit de son économie fut ravi et dissipé par son frère le duc d'Anjou, dans sa malheureuse expédition de Naples.

Charles IX. finit aussi ses jours au château de Vincennes le 30 Mai 1574, âgé de 24 ans. M. de Cipierre avait été son gouverneur, lorsqu'il n'était encore que duc d'Orléans ; quand il devint roi, on joignit à M. de Cipierre le prince de la Roche-sur-Yon. Il eut pour précepteur Jacques Amiot.

Il avait rendu son nom odieux à toute la terre dans un âge où les citoyens de sa capitale ne sont pas encore majeurs. La maladie qui l'emporta est très-rare. Son sang coulait par tous les pores. Cet accident dont il y a quelques exemples, est la suite, ou d'une crainte excessive, ou d'une passion furieuse, ou d'un tempérament violent et atrabilaire. Il passa dans l'esprit des peuples, et surtout des protestants, pour l'effet de la vengeance divine : opinion utile, si elle pouvait arrêter les attentats de ceux qui sont assez puissants et assez malheureux pour n'être pas soumis au frein des lois. Voltaire.

Une chose bien singulière, c'est que c'est sous le règne de Charles IX. règne rempli de meurtres et d'horreurs, que furent faites nos plus sages lois et les ordonnances les plus salutaires à l'ordre public, qui subsistent encore aujourd'hui dans la plus grande partie de leurs dispositions. On en fut redevable au chancelier de l'Hôpital, dont le nom doit vivre à jamais dans la mémoire de ceux qui aimeront la justice. Ce qui est aussi extraordinaire, c'est que ce même prince, que tous les historiens nous peignent comme violent et cruel, et qui s'avoua l'auteur de la S. Barthelemi, aima cependant les sciences et les lettres, se plut et réussit aux arts, qui adoucissent l'âme, et nous a même laissé des preuves de son talent pour la poésie ; aussi ce prince n'avait-il pas toujours été le même : ce fut, dit Brantôme, le maréchal de Retz, florentin, qui le pervertit du tout, et lui fit oublier et laisser toute la belle nourriture que lui avait donné le brave Cipierre. Henault.

Enfin c'est à Vincennes qu'en 1661 mourut à 58 ans, le cardinal Mazarin, gouverneur de ce château, dans lequel il laissa huit millions de livres en or ; le marc d'argent qui vaut aujourd'hui 50 francs, était alors à 27 livres. On s'est plu à faire le parallèle des cardinaux Mazarin et de Richelieu. Je dirai seulement ici que tous deux se sont ressemblés en amassant de grandes richesses, et ne cherchant qu'à venger leurs injures particulières, et en préférant l'illustration de la place à celle de la vertu, l'autorité et la puissance à la gloire de faire passer leurs noms en bénédiction à la postérité. Ils l'ont laissé haï, odieux et détesté. (D.J.)