(Géographie ancienne, Littérature, Histoire) ville de la Grèce dans la Béotie, ou plutôt dans la Phocide, autrefois très-célèbre par son temple, son oracle, la Pythie, le mont Parnasse, etc. et qui n'est plus aujourd'hui qu'un amas de ruines sur lesquelles on a bâti un petit village appelé Castri, entre Salone et Livadia.

Les Grecs croyaient que Delphes était le milieu de toute la terre ; et ce ne sont pas les seuls qui ont cherché un milieu à la terre, quoique ce soit à-peu-près vouloir trouver la droite ou la gauche d'une colonne.

Cette ville comprenait seize stades dans son circuit, c'est-à-dire 2000 pas géométriques ; elle devait toutes ses fortifications à la nature, et rien au travail des hommes. Un des sommets du mont Parnasse, dont la pointe suspendue avait la forme d'un dais, la couvrait du côté du nord : deux vastes rochers l'embrassaient par les côtés, et la rendaient inaccessible : un troisième rocher que l'on appelait Cirphis, en défendait l'abord du côté du midi ; de sorte qu'on n'y pouvait arriver que par des sentiers étroits qu'on avait pratiqués pour la commodité des citoyens. Entre la basse-ville et la roche que je viens de nommer Cirphis, coulait le fleuve Plistus. Les rochers qui environnaient la ville, s'abaissaient doucement et comme par degrés, ce qui a fait dire à Strabon qu'elle avait la figure d'un théâtre.

Elle se découvrait dans toutes ses parties ; et à ne regarder seulement que l'arrangement et l'apparat de ses édifices, elle offrait la plus belle perspective du monde aux yeux des étrangers qui y abordaient. Mais lorsqu'ils considéraient cet amas prodigieux de statues d'or et d'argent, dont le nombre surpassait de beaucoup celui des habitants, s'imaginaient-ils voir une ville plutôt qu'une assemblée de dieux ? Tel est cependant le spectacle qu'offraient aux yeux les magnificences de Delphes ; et ce fut la vue de ces magnificences, dit Justin, qui seule put déterminer l'armée gauloise à grimper pour son malheur, sur les rochers qui défendaient l'abord de cette ville. Ajoutez que parmi ces rochers, les cris des hommes et le bruit continuel des trompettes se multipliaient de manière, que tous ces échos augmentaient dans l'esprit de ceux qui en ignoraient les causes, l'admiration où l'on était pour cette ville chérie des dieux, et redoublaient la sainte horreur qu'on avait conçue pour le dieu de l'oracle.

Nous avons encore des médailles de Delphes, . M. Spon (liv. III.) en rapporte une sur laquelle il parait un temple magnifique avec une tête d'homme sans barbe, et couronnée de laurier. Un autre auteur a fait graver une autre médaille qui a une tête de Jupiter couronnée de laurier et au revers un foudre.

Pour ne pas entrer dans un plus grand détail, je renvoye le lecteur à Strabon, Pausanias, Pindare, Justin ; parmi les modernes, à Vigenere dans son commentaire sur César ; et à la dissertation de M. Hardion sur l'origine, la situation et les divers noms de cette ville : cependant comme elle dut sa naissance et sa splendeur à son oracle, V. le second des deux articles suiv. Article de M(D.J.)

DELPHES, (Temple de) Histoire anc. Littér. Il n'y a personne qui n'ait oui parler du temple de Delphes, de ses richesses, des révolutions qu'il a essuyées, des oracles qui se rendaient dans son sanctuaire, enfin du nombre prodigieux de gens destinés au service de ce temple. Empruntons ici les lumières des savants, pour rassembler avec ordre sous un point de vue, tous ces faits célébrés par les Poètes, et trop dispersés dans l'histoire.

Le premier temple d'Apollon à Delphes, si l'on en croit les anciens, fut construit de branches de laurier entrelacées, qu'on apporta de la vallée de Tempé. Ce temple avait précisément la forme d'une cabane, et le laurier était particulièrement consacré à Apollon ; il se l'appropria lorsque Daphné, ses premières amours, fut métamorphosée en cet arbre.

Ce temple rustique ayant eté détruit, des abeilles, selon la tradition populaire, en formèrent un autre avec leur cire et des plumes d'oiseaux. Quelques-uns aiment mieux supposer que ce second temple avait été construit d'une plante appelée , espèce de fougère ; mais je préférerais à cette opinion celle des auteurs qui ont écrit que ce temple avait été l'ouvrage d'un habitant de Delphes nommé Ptéras ; qu'il avait porté le nom de son fondateur, et sur l'équivoque du mot ptéra, qui signifie des ailes, on avait feint que les abeilles l'avaient construit avec des ailes d'oiseaux.

Le troisième temple se ressent bien encore du récit fabuleux. Il était, dit-on, l'ouvrage de Vulcain, qui, pour le rendre plus durable, l'avait fait d'airain, et avait placé sur son frontispice un grouppe de figures d'or qui charmaient les oreilles par d'agréables concerts. Pausanias se déclare contre cette tradition, et observe que ce ne serait pas grande merveille qu'Apollon eut eu un temple d'airain, puisqu'Acrisius roi d'Argos fit faire une tour de ce métal pour enfermer sa fille. On ne sait pas trop de quelle manière ce temple d'airain fut détruit : les uns prétendent qu'il fut abysmé dans un tremblement de terre ; d'autres, qu'il fut consumé par le feu. Disons plutôt, avec M. Hardion, qu'il disparut à-peu-près comme les palais enchantés de nos Nécromanciens.

Le quatrième temple exista réellement, et fut bâti tout de pierre la première année de la cinquième olympiade, par Trophonius et Agamedès excellents architectes. Apollon, au rapport d'Homère qui embellit tous les sujets qu'il traite, en jeta lui-même les fondements. Ce beau temple s'embrasa dans la cinquante-huitième olympiade, 548 ans avant l'ére vulgaire.

Le cinquième fut construit 513 ans avant J. C. environ 44 ans après que celui de Trophonius et d'Agamedès eut été brulé. Les Amphyctions, ces juges si célèbres de la Grèce, qui s'étaient rendus les protecteurs de l'oracle de Delphes, se chargèrent du soin de rebâtir ce cinquième temple. Ils firent marché avec l'architecte (c'était un Corinthien nommé Spinthare) à 300 talents, environ soixante mille louis. Toutes les villes de Grèce furent taxées, et Amasis, alors roi d'Epire, donna pour sa part mille talents d'alun. Les Alcméonides, famille puissante d'Athènes, chassés de leur patrie par les Pisistratides, vinrent à Delphes en ce temps-là, et s'offrirent de conduire l'édifice : ils le rendirent beaucoup plus magnifique qu'on ne se l'était proposé dans le modèle. Entre les autres embellissements qu'ils ajoutèrent, ils firent à leurs dépens un frontispice de marbre de Paros. Le reste du temple était d'une pierre qu'Herodote appelle , qui est peut-être la même que le porus de Pline, espèce de pierre blanche, dure comme le marbre de Paros, mais moins pesante.

Il n'est pas possible de détailler les offrandes dont les divers temples de Delphes furent successivement enrichis. Ces trésors ont été si vantés, que les Grecs les désignaient par le seul mot , le palais des richesses. Ces richesses ne consistaient néanmoins dans les commencements qu'en un grand nombre de vases et de trépiés d'airain, si l'on en croit Théopompe, qui nous assure qu'il n'y avait alors aucune statue, pas même de bronze. Mais cette simplicité ne dura guère ; les métaux les plus précieux y prirent bientôt la place de l'airain. Gygès roi de Lydie fut le premier qui fit au temple de Delphes des offrandes d'une très-grande quantité de vases d'or et d'argent ; en quoi ce prince fut imité par Croesus son successeur, par plusieurs autres rois et princes, par plusieurs villes, et même par plusieurs riches particuliers, qui tous comme à l'envi les uns des autres y accumulèrent par monceaux trépiés, vases, boucliers, couronnes, et statues d'or et d'argent de toutes grandeurs. Nous dirons, pour les évaluer en bloc, que dès le temps de Xerxès on faisait monter les trésors de Delphes aussi haut que ceux de ce souverain des Perses qui couvrit l'Hellespont de ses vaisseaux, et qui envahit la Grèce avec une armée de 600 mille hommes.

Ne soyons pas surpris que des trésors si considérables aient excité successivement la convoitise et la cupidité des rois et des nations. Le premier qui tenta de s'en rendre maître, fut un fils de Crius roi des Eubéens : cet événement est si ancien, qu'il n'est pas possible d'en fixer l'époque. Le second pillage se fit par Danaus roi d'Argos, qui étant entré à main armée dans la Grèce, vola et brula le temple de Delphes, l'an 1509 avant J. C. Ensuite les Dryopes s'emparèrent des richesses du temple d'Apollon, sous la conduite de Phylas leur roi : Hercule défit ce roi, et le tua l'an 1295 avant J. C. Phlégias frère d'Ixion et roi des Phlégiens, fut le quatrième qui pilla le temple de Delphes, environ 1295 ans avant N. S. Soixante et dix-huit ans après, Pyrrhus fils d'Achille, tenta la même dépouille. Les Crisséens portèrent leurs mains impies sur les richesses du même temple, 605 ans avant J. C. Le fameux Xerxès, l'an 480 av. N. S. envoya à Delphes un détachement de son armée formidable, avec ordre de piller le temple d'Apollon, et de le détruire : mais son entreprise ne réussit pas.

Les Phocéens proches voisins de Delphes, pillèrent le temple à trois différentes reprises, dont la première s'exécuta 365 ans avant l'ère chrétienne. Les Gaulois qui n'avaient pas moins d'avidité que les Phocéens, tentèrent deux fois le même projet : la première fois l'an 279 avant J. C. sous Brennus qui y fut tué désespéré d'avoir manqué son coup : et la seconde fois 114 ans avant N. S. avec un succès plus heureux, mais non pas sans avoir perdu beaucoup de monde à cette expédition. Trente ans après, c'est-à-dire 84 ans avant l'ère vulgaire, les Thraces portèrent leurs mains sacriléges sur le temple de Delphes, et le brulèrent l'an 670 de Rome.

Enfin l'an 819 de la fondation de cette capitale du monde, Néron voyageant en Grèce n'oublia pas de visiter le temple d'Apollon ; et y ayant trouvé à son gré 500 belles statues de bronze, tant d'hommes illustres que de dieux, il les enleva, les chargea sur ses vaisseaux, et les emporta avec lui à Rome. Ce sont-là les principaux pillages qu'essuya le fameux temple de Delphes ; avant et même depuis la cessation de ses oracles.

On conçoit bien qu'un temple de cet ordre demandait un grand nombre de ministres pour le desservir, et jamais son autel n'en manqua. Il y avait d'abord plusieurs colléges de devins ; cinq sacrificateurs perpétuels en chef qui immolaient les victimes, faisaient passer la sacrificature à leurs enfants, et avaient sous eux quantité de sacrificateurs subalternes ; un nombreux cortège de grands et de petits prêtres étaient chargés, les uns du dehors, et les autres de l'intérieur du temple : ceux qui passaient pour être les mieux instruits de ses antiquités, les expliquaient aux étrangers, et leur montraient soigneusement toutes les offrandes que la piété des peuples avait consacrées ; ils leur apprenaient par qui telle statue, tel tableau avait été envoyé, quel en était le statuaire ou le peintre, dans quel temps et à quelle occasion on l'avait envoyé.

A l'entrée du sanctuaire habitait le gardien de l'or d'Apollon ; emploi de confiance, mais des plus étendus et des plus pénibles. Les prophetes désignés pour accompagner la Pythie dans le sanctuaire, et pour être assis autour du trépié sacré, tenaient un des premiers rangs entre les ministres d'Apollon, parce que c'était à eux que l'on adressait les demandes, et que c'était d'eux que l'on recevait les réponses de l'oracle.

En sortant du sanctuaire se trouvaient les femmes consacrées au service du dieu, et qui se rangeaient en haie sur le perron ; pour empêcher que les profanes n'approchassent du trépié. D'autres prêtresses étaient occupées à la garde et à l'entretien du feu sacré qui brulait jour et nuit. Il y avait encore des hommes et des femmes préposées uniquement pour les bains et les purifications du temple.

Si nous ajoutons à tout ce monde, les joueurs d'instruments, les hérauts qui annonçaient les festins publics, les chœurs de jeunes garçons et de jeunes filles choisis pour chanter les louanges, et pour danser les danses en usage dans le temple d'Apollon, nous conclurons sans peine que la plus grande partie des habitants de Delphes étaient employés à le servir. Article de M(D.J.)

DELPHES (Oracle de), Myth. Histoire Littér. le plus fameux de tous les oracles du Paganisme, et qui devint, pour ainsi dire, l'oracle de toute la terre ; il précéda le règne de Cadmus, et était même établi avant le déluge de Deucalion.

Diodore de Sicile, Strabon, Pausanias, et Plutarque, racontent que des chèvres qui paissaient dans les vallées du mont Parnasse, s'étant avancées vers une espèce d'antre peu connu, firent des bonds étonnans, et poussèrent des cris extraordinaires. Bientôt les pâtres, les villageais, et tous les habitants du lieu, furent à leur tour saisis des mêmes mouvements, et se persuadèrent que quelque dieu était venu se cacher dans le fond de l'abîme, afin d'y rendre ses oracles. On attribua d'abord l'oracle à Neptune et à la Terre ; de la Terre, l'oracle passa à Thémis sa fille : ensuite elle s'en démit en faveur d'Apollon, qu'elle chérissait particulièrement. Enfin celui-ci par ses lumières dans la science de deviner, à laquelle il s'appliqua dès sa plus tendre jeunesse, demeura maître de l'oracle, et l'éleva au plus haut point de célébrité. Le singulier de ce détail fabuleux, est qu'on le puise dans les Historiens comme dans les Poètes.

Apollon fut donc le dernier possesseur de l'oracle de Delphes, et s'y maintint avec plus ou moins de gloire, suivant les conjonctures, le degré de superstition des peuples ou de l'industrie des prêtres, jusqu'au temps que les Thraces pillèrent son dernier temple, et le brulèrent vers l'an 670 de la fondation de Rome. Pendant ce long espace de siècles, le temple d'Apollon regorgea de présents qu'on y envoyait de toutes les parties du monde. Les rais, les potentats, les républiques, et les particuliers, n'entreprenaient rien qu'ils ne l'eussent consulté ; tout ce qu'il y avait d'habitants à Delphes travaillaient à l'envi à lui procurer des consultations, et à lui attirer les étrangers, afin de leur vendre les oracles au prix des plus somptueux sacrifices et des plus magnifiques offrandes ; tous étaient occupés ou de l'entretien du temple, ou des sacrifices, ou des cérémonies qui concernaient les oracles ; tous briguaient avec zèle l'honneur d'être les ministres d'un dieu qui les comblait chaque jour de nouveaux bienfaits. Voyez l'article précédent.

Parmi ces ministres se distinguaient ceux qu'on nommait les prophetes, . Ils avaient sous eux des poètes, qui mettaient les oracles en vers ; car il n'y a eu que de courts intervalles de temps où on les rendit en prose. L'antre d'où sortaient les oracles, était situé vers le milieu du mont Parnasse, du côté qui regardait le midi : c'étaient les prophetes qui recevaient les paroles de la Pythie ; elle montait sur le trépié sacré pour rendre les oracles du dieu, quand il voulait bien se communiquer aux hommes : mais les oracles qu'elle prononçait n'étaient point faits pour le plaisir des oreilles, ni pour porter dans l'âme cette tendresse qu'excitaient les poésies de Sapho. La voix de la Pythie, dit Plutarque, atteignait jusqu'au-delà de dix siècles, à cause du dieu qui la faisait parler. Voyez PYTHIE.

C'est à l'oracle d'Apollon que la ville de Delphes dut sa naissance et son agrandissement ; elle lui dut sa réputation, et ce grand éclat qui la fit regarder comme le centre de la religion, comme le séjour favori des dieux. Quoique cette ville n'eut que des précipices et des rochers pour pourvoir à ses besoins, l'oracle d'Apollon lui tenait lieu des plus riches coteaux et des plaines les plus fertiles : mais ce dieu n'était pas toujours en humeur de le rendre ; d'ailleurs il était très-friand de sacrifices, et très-difficîle à cet égard. Si l'on entrait dans le sanctuaire de son temple sans avoir sacrifié, le dieu était sourd, la Pythie était muette. Voyez sur cette matière, Plutarque ; les mém. de l'acad. des Inscript. Van-Dale, de oraculis Ethnicorum, et l'histoire des oracles de M. de Fontenelle. J'ai parcouru tous ces ouvrages la plume à la main ; et le faisant dans les mêmes vues que Montagne, je pratique sa méthode : " Ce que je lis je m'en dégorge, non sans dessein de publique instruction, je prete attentivement l'oreille aux livres de ce genre, en guettant si j'en puis friponner beaucoup de choses pour émailler ou étayer celui-ci " Article de M. le Chev(D.J.)