S. f. pl. (Mythologie, Littérature, Médaille, Antiquité romaine) saturnalia, célèbres fêtes des Romains.

Cette fête n'était originairement qu'une solennité populaire ; elle devint une fête légitime, lorsqu'elle eut été établie par Tullus Hostilius, dumoins en fit-il le vœu qui ne fut accompli que sous le consulat de Sempronius Atratinus et de Minutius, suivant Tite-Live. D'autres auteurs en attribuent l'institution à Tarquin-le-superbe, sous le consulat de T. Largius. Enfin, quelques écrivains font commencer les saturnales dès le temps de Janus roi des Aborigènes, qui reçut Saturne en Italie. Ensuite voulant représenter la paix, l'abondance et l'égalité dont on jouissait sous son règne, il le mit au nombre des dieux ; et pour retracer la mémoire de ce siècle d'or, il institua la fête dont nous parlons. Quoi qu'il en sait, sa célébration fut discontinuée depuis le règne de Tarquin ; mais on l'a rétablie par autorité du sénat pendant la seconde guerre punique.

Ces fêtes se passaient en plaisirs, en réjouissances et en festins. Les Romains quittaient la toge, et paraissaient en public en habit de table. Ils s'envoyaient des présents, comme aux étrennes. Les jeux de hazard défendus en un autre temps, étaient alors permis ; le sénat vaquait ; les affaires du barreau cessaient ; les écoles étaient fermées. Il semblait de mauvais augure de commencer la guerre, et de punir les criminels pendant un temps consacré aux plaisirs.

Les enfants annonçaient la fête en courant dans les rues dès la veille, et criant : io saturnalia. On voit encore des médailles, sur lesquelles ces mots de l'acclamation ordinaire de cette fête se trouvent gravés. M. Spanheim en cite une qui devait son origine à la raillerie piquante que Narcisse affranchi de Claude essuya, lorsque cet empereur l'envoya dans les Gaules, pour apaiser une sédition qui s'était élevée parmi les troupes. Narcisse s'avisa de monter sur la tribune pour haranguer l'armée à la place du général ; mais les soldats se mirent à crier : io saturnalia, voulant dire que c'était la fête des saturnales, où les esclaves faisaient les maîtres.

Les saturnales commencèrent d'abord le 17 Décembre, suivant l'année de Numa, et ne duraient alors qu'un jour. Jules César, en réformant le calendrier, ajouta deux jours à ce mois, qui furent insérés avant les saturnales, et attribués à cette fête. Auguste approuva cette augmentation par un édit, et y joignit un quatrième jour. Caligula y fit l'addition d'un cinquième nommé juvenalia. Dans ces cinq jours, était compris celui qui était particulièrement destiné au culte de Rhéa, appelé opalia. On célébrait ensuite pendant deux jours en l'honneur de Pluton, la fête sigillaries, à cause des petites figures qu'on offrait à ce dieu.

Toutes ces fêtes étaient autant de dépendances des saturnales qui duraient ainsi sept jours entiers, savoir du 15 au 21 Décembre. C'est pourquoi Martial, épigr. liv. XIV. dit :

Saturni septem venerat ante dies.

Telle est en peu de mots l'histoire des fêtes de Saturne, mais elles méritent bien que nous nous y arrêtions davantage.

Nous avons dit que les saturnales étaient consacrées aux plaisirs, aux ris et aux festins. En effet, la première loi de cette fête était d'abandonner toute affaire publique, de bannir tous les exercices du corps, excepté ceux de récréation, et de ne rien lire en public qui ne fût conforme à ce temps de joie.

Les railleries étaient encore permises, ou pour m'exprimer avec un auteur latin, lepida proferendi licebat. C'est pour cela qu'Aulugelle raconte qu'il passa les saturnales à Athènes dans des amusements agréables et honnêtes : saturnalia Athenis agitabamus hilarè ac honestè ; car les gens de goût ne se permettaient qu'une raillerie fine, qui eut le sel et l'urbanité attique.

Il ne faut pas s'étonner que les festins regnassent dans cette fête, puisque Tite-Live, liv. I. c. j. en exposant l'institution des saturnales, parle en particulier de l'ordonnance d'un repas public : convivium publicum per urbem saturnalia, diem ac noctem clamatum. L'empereur Julien dit plaisamment à ce sujet dans sa satyre des césars qui l'ont précédé, que Tarquin voulant célébrer les saturnales, fit un grand festin, auquel il invita non-seulement les dieux, mais encore les césars ; et tous les lits y furent préparés, d'après l'usage que ces derniers suivaient pour leurs plaisirs.

La statue de Saturne qui était liée de bandelettes de laine pendant toute l'année, apparemment en mémoire de la captivité où il avait été réduit par les Titants et par Jupiter, en était dégagée pendant sa fête, soit pour marquer sa délivrance, soit pour représenter la liberté qui régnait pendant le siècle d'or, et celle dont on jouissait pendant les saturnales. En effet, toute apparence de servitude en était bannie ; les esclaves portaient le chapeau, marque de liberté ; se vêtissaient de mêmes habits que les citoyens, et se choisissaient un roi de la fête.

Je sai que l'opinion commune est, que dans les saturnales, les valets changeaient, non-seulement d'état et d'habits avec leurs maîtres, mais même qu'ils en étaient servis à table. Je ne suis point de ce sentiment, et l'autorité de Lucien ne m'embarrasse guère. Comme cet auteur a coutume de broder tous ses tableaux, on juge bien qu'il ne faut pas prendre à la lettre sa peinture des saturnales. Quant au témoignage d'Athénée, je puis lui opposer ceux de Séneque, épit. LXVII ; de Tasse, in sylv. kal. Dec. et de Plutarque, dans sa vie de Numa. Tous se contentent de dire, que durant cette fête les valets mangeaient avec leurs maîtres, et des mêmes mets : or ce n'était encore là qu'un usage bourgeois, qui ne s'étendait point dans les maisons des gens d'un certain ordre. Mais en général, cette fête admettait chez les Romains un renversement d'état, qui selon moi était trop mal masqué pour instruire le maître ni l'esclave. Il n'y a que la douce égalité, dit très-bien M. Rousseau, qui puisse rétablir l'ordre de la nature, former une instruction pour les uns, une consolation pour les autres, et un lien d'amitié pour tous.

Ce que je n'ose décider, c'est si la fête des saturnales était purement romaine, ou si elle tirait son origine des autres peuples. Quoi qu'en dise Denys d'Halicarnasse, je sai que les Athéniens avaient une fête fort ressemblante à celle des saturnales, et qu'ils nommaient ; il me semble que les salzea établies à Babylone, étaient dans le même gout. Enfin, on célébrait en Thessalie une fête fort ancienne, et qui avait trop de rapport avec les saturnales, pour en passer sous silence l'origine et la description.

Les Pélasges, nouveaux habitants de l'Hémonie, faisant un sacrifice solennel à Jupiter, un étranger, nommé Pelorus, leur annonça qu'un tremblement de terre venait de faire entr'ouvrir les montagnes voisines ; que les eaux d'un marais nommé Tempé, s'étaient écoulées dans le fleuve Pénée, et avaient découvert une grande et belle plaine. Au récit d'une si agréable nouvelle, ils invitent l'étranger à manger avec eux, s'empressent à le servir, et permettent à leurs esclaves de prendre part à la réjouissance. Cette plaine, dont ils se mirent aussitôt en possession, étant devenue la délicieuse vallée de Tempé, ils continuèrent tous les ans le même sacrifice à Jupiter surnommé pélorien, en renouvellant la cérémonie de donner à manger à des étrangers et à leurs esclaves, auxquels ils accordaient toute sorte de liberté. Dans la suite, les Pélasges ayant été chassés de l'Hémonie, vinrent s'établir en Italie par ordre de l'oracle de Dodone qui leur commanda de faire des sacrifices à Saturne et à Pluton. Les termes ambigus de l'oracle les engagèrent d'immoler des victimes humaines à ces deux sombres divinités ; ils suivirent l'usage reçu parmi les Carthaginois, les Tyriens et d'autres nations qui pratiquaient de tels sacrifices.

On dit qu'Hercule abolit cette coutume barbare des Pélasges. Passant par l'Italie à son retour d'Espagne, il demanda la raison de ces sacrifices dont il était indigné ; et comme on lui cita l'oracle de Dodone, il leur dit que le mot désignait des têtes en figures ; et que celui de , qu'ils avaient pris pour des hommes, signifiait des lumières : il leur apprit donc qu'il fallait offrir à Pluton des représentations d'hommes, et des cierges à Saturne. Voilà du-moins l'origine qu'on apporte de la coutume qui s'observait pendant les saturnales, d'allumer des cierges, et d'en faire des présents.

Ce qu'il y avait encore de singulier dans les sacrifices de Saturne, c'est qu'ils se faisaient la tête découverte. Plutarque en donne pour raison, que le culte qu'on rendait à ce dieu, était plus ancien que l'usage de se couvrir la tête en sacrifiant, qu'il attribue à énée. Mais ce qui parait plus vraisemblable, c'est qu'on ne se couvrait la tête que pour les dieux célestes ; et que Saturne était mis au nombre des dieux infernaux.

Tertullien, dans son traité de Idol. cap. XIVe se plaint, qu'entr'autres fêtes payennes, les Chrétiens solennisaient les saturnales ; et cette coutume leur fut effectivement défendue par le canon xxxix. du concîle de Laodicée. Cependant ils eurent tant de peine à perdre leur habitude de célébrer les fêtes de plaisirs et de réjouissances, qu'ils s'avisèrent d'en substituer de nouvelles à celles qui étaient abolies : et c'est peut-être là l'origine de la fête des fous, dont on peut consulter l'article. (D.J.)