S. f. (Histoire et Philosophie) ; maléfice produit par une imagination forte, qui agit sur un esprit ou un corps faible.

Linder, dans son traité des poisons, pag. 166-8. croit qu'un corps peut en fasciner un autre sans le concours de l'imagination ; par exemple, que les émanations qui sortent par la transpiration insensible du corps d'une vieille femme peuvent, sans qu'elle le veuille, blesser les organes délicats d'un enfant. Mais ce cas, que quelques auteurs appellent fascination naturelle, présente seulement une forte antipathie, et n'a qu'un rapport éloigné avec la fascination proprement dite.

Guillaume Perkins, dans sa bascanologie, définit l'art des fascinations magiques, un art impie, qui fait voir des prodiges par le secours du démon, et avec la permission de Dieu. Cette définition parait trop vague ; elle embrasse toutes les parties de la Magie, du moins suivant beaucoup de philosophes, qui n'admettent rien de réel dans cet art, que les apparences qu'il fait naître.

Frommann a donné un recueil très-prolixe en forme de traité de fascinatione, dans lequel, liv. III. part. IV. sect. 2. il étend la fascination, non-seulement aux animaux, comme avaient fait les anciens, mais encore aux végétaux, aux minéraux, aux vents, et aux ouvrages de l'art des hommes. Outre les défauts ordinaires des compilations, on peut reprocher à cet auteur son extrême crédulité, ses contes ridicules sur les moines, et sa calomnie grossière contre S. Ignace de Loyola, qu'il ose dire avoir été sorcier. Le n°. 4. de l'appendix de ce livre, où Frommann veut prouver que le Diable est le singe de Dieu, est assez remarquable.

Frommann distingue, après Delrio, trois espèces de fascination ; l'une vulgaire et poétique, la seconde naturelle, la troisième magique. Il combat la première, quoiqu'il admette les deux autres : mais les Poètes ont-ils pu concevoir de fascination, qu'en la rappelant à la Physique ou à la Magie ?

On conçoit que l'imagination d'un homme peut le séduire ; que trop vivement frappée elle change les idées des objets : qu'elle produit ses erreurs dans la morale, et ses fausses démarches : mais qu'elle influe, sans manifester son action, sur les opinions et la volonté d'un autre homme, c'est ce qu'on a de la peine à se persuader. Le chancelier Bacon, de augmento scientiar. liv. IV. c. IIIe m. 130. croit qu'on a conjecturé que les esprits étant plus actifs et plus mobiles que les corps, devaient être plus susceptibles d'impressions analogues aux vertus magnétiques, aux maladies contagieuses, et autres phénomènes semblables.

Il n'y a peut-être pas de preuve plus sensible de la communication dangereuse des imaginations fortes, que celles qu'on tire des histoires des loups-garoux, si communes chez les démonographes : c'est une remarque du P. Malebranche, dern. ch. du liv. II. Recherche de la vérité. F. Claude prieur religieux de l'ordre des FF. mineurs de l'observance, dans son Dialogue de la Lycanthropie, imprimé à Louvain l'an 1596, prétend, fol. 20. que les hommes ne sauraient se transmuer sinon par la puissance divine, mais bien qu'ils peuvent apparaitre extérieurement autres qu'ils ne sont, et se le persuader eux-mêmes, fol. 71 v°.

J. de Nynauld docteur en Médecine, dans son écrit sur la lycanthropie et extase des sorciers, imprimé à Paris l'an 1615, en combat la réalité contre Bodin, et attribue les visions des sorciers à la manie, à la mélancolie, et aux vertus des simples qu'ils emploient, parmi lesquels il en est, dit-il, p. 25. qui font voir les bons et les mauvais anges.

Les pères de l'Eglise et les commentateurs expliquent la métamorphose de Nabuchodonosor en bœuf par un accès de manie, dont Dieu se servit à la vérité pour punir ce prince. Il est parlé d'un autre changement de forme, d'un homme changé en mulet, dans l'évangîle de l'enfance de Jesus-Christ, pag. 183. I. part. des pièces apocryphes concernant le nouveau Testament, données par Fabricius.

Plutarque raconte qu'Eutelidas se fascina lui-même, et devint si amoureux de ses charmes, qu'il en tomba malade ; voyez Sympos. l. V. p. m. 682. (c'est ainsi qu'il faut expliquer vraisemblablement la fable de Narcisse) : le même auteur nous apprend combien les anciens craignaient pour l'état florissant de ceux qui étaient trop loués ou trop enviés.

Hippocrate a observé, , que les apparitions des esprits avaient plus fait perir de femmes que d'hommes, et il en donne cette raison, que les femmes ont moins de courage et de force. Mercurialis a pensé que les corps des enfants et des femmes sont plus exposés à la fascination, parce que les corps des enfants ne sont point défendus par leurs âmes, et que ceux des femmes le sont par des âmes faibles et timides. Voyez ses opuscules, p. m. 276. de morbis puer. l. I. c. IIIe

Mercurialis, ibid. 277. dit qu'on attribue à la fascination, cette maigreur incurable des enfants à la mammelle, dont on ne peut accuser leur constitution ni de celle de leurs nourrices. Sennert, l. VI. prax. med. part. IX. p. m. 1077. tom. IV. regarde comme produites par des sortileges ces maladies que les Médecins ne connaissent pas, et qu'ils traitent sans succès ; celles, pag. 1086, qui, sans cause apparente, parviennent rapidement au période le plus dangereux, qui excitent des douleurs vagues et des mouvements convulsifs. Willis, de morb. convuls. c. VIIe p. m. 44. met hors de doute que toutes les convulsions qu'un homme en santé ne pourrait imiter, et qui demandent une force surnaturelle, sont diaboliques. Il se réunit avec Frommann, lib. cit. p. 916. et plusieurs autres, pour expliquer par l'opération du démon, les excrétions de choses qui ne peuvent se former dans le corps de l'homme. Ainsi suivant la maxime d'Hippocrate, , les hommes ont recours à un pouvoir surnaturel dans les choses dont ils n'ont aucune connaissance : mais le font-ils toujours avec fondement ?

Dans les anciennes éphémérides des curieux de la Nature, on voit plusieurs exemples de maladies causées par la fascination. On trouve aussi des observations de maladies pareilles dans les nouveaux actes de cette académie : mais elles y sont rapportées plus philosophiquement. Westphalus, dans sa pathologie démoniaque, pag. 50. n'admet point de fascination qui ne soit magique. Cette pathologie a été imprimée en 1707. Il semble que depuis ce temps la Magie a beaucoup perdu de son crédit en Allemagne.

Frommann, lib. cit. p. 595. croit que le tact peut être fasciné, de sorte qu'il résiste à l'action du feu et des corps tranchans, et même aux balles de mousquet. Cet auteur se donne beaucoup de peine, ibid. pag. 815-6. pour expliquer comment le démon peut produire cet endurcissement de la peau. Il aurait été bien éloigné d'employer dans une maladie semblable les bains et le mercure, comme a fait avec succès un médecin italien, qui a publié récemment l'histoire de cette guérison, que M. Vandermonde a traduite. La santé des hommes est donc intéressée à la destruction des préjugés, et aux progrès de la bonne Physique.

On ne voit point dans le texte hébreu de l'Ecriture de vestige de la fascination proprement dite, si ce n'est peut-être dans le ch. xxiij. des Proverbes n. 7. au lieu de l'envieux dont parle la vulgate en cet endroit, l'hébreu dit, l'oeil malin ; râ aiin, (Don Ramirez de Prado a cité ces mots en caractères hébreux, qu'il faudrait lire ouâ tin, ce qui ne fait aucun sens). Grotius explique cependant avec beaucoup de vraisemblance ce mauvais oeil, de celui de l'avare, dans ses notes sur le ch. xx. Ve 15. évang. de S. Matthieu. Les Romains crurent qu'il fallait opposer des dieux à ces puissances mal-faisantes qui fascinent les hommes : ils créèrent le dieu Fascinus et la déesse Cunina. Nous apprenons de Varron, que les symboles du dieu Fascinus étaient infames, et qu'on les suspendait au cou des enfants, ce qui est confirmé par Pline, hist. nat. l. XXVIII. c. iiij. Le P. Hardouin, tom. II. p. 451. col. 1. apprend que les amuletes des enfants dont parle Pline, n'avaient rien d'obscène. Il a reproché aux commentateurs de s'être trompés ; mais il était bien à plaindre, s'il se croyait obligé de soutenir ce paradoxe. Voyez ci-après FASCINUS.

Le culte que les Grecs rendaient à Priape, était sans-doute honteux ; mais ce culte naquit peut-être de réflexions profondes. Ils l'avaient reçu des Egyptiens, dont on sait que les hiéroglyphes présentent souvent les attributs de ce dieu. Ils étaient une image sensible de la fécondité, et apprenaient aux peuples grossiers que la nature n'est qu'une suite de générations : unis sur les monuments égyptiens, avec l'oeil symbole de la prudence (voyez Pignorius, ments. isiac. pag. 32.) ils insinuaient aux hommes, qu'une intelligence suprême reproduit sans-cesse l'univers.

Les allégories furent perdues pour les Grecs, les Etrusques, et les Romains ; ils continuèrent néanmoins à regarder l'image de Priape comme un puissant préservatif. Ils n'y virent plus qu'un objet ridicule qui désarmerait les envieux, et en partageant leur attention, affoiblirait leurs regards funestes. M. Gori, dans son Museum Etrusc. p. 143. nous assure que les cabinets des curieux, en Toscane, sont remplis de ces amuletes que les femmes Etrusques portaient, et attachaient au cou de leurs enfants. Thomas Bartholin, de puerperio vet. p. 161. a donné un de ces infâmes amuletes, avec ceux que Pignorius avait déjà donnés. Ceux-ci représentent seulement une main fermée, dont le pouce est inséré entre le doigt index et le doigt du milieu. Delrio, Vallesius, et Gutierrius, cités par Frommann, l. c. p. 66. assurent que l'usage de cette main fermée s'est conservé en Espagne : on en fait de jayet, d'argent, d'ivoire, qu'on suspend au cou des enfants, et les femmes Espagnoles obligent à toucher cette main, ceux dont elles craignent les yeux malins. Voyez les mém. du chev. d'Arvieux, tom. III. p. 249.

Don Ramirez de Prado, dans son Pentecontarche, c. xxxj. p. 247-8. ajoute que l'on appelle cette main higa, et il en tire l'origine du grec , qui fait à l'accusatif ; il doit cette étymologie au docteur François Penna Castellon ; mais ce médecin, dans ses vers, dit que l'iynx est un oiseau qui garantit de la fascination, c'est le motacella ou hoche-queue. Son opinion sur le mot higa, n'a point de fondement, mais elle a quelque rapport avec ce qu'on lit dans Suidas, que l' est une petite machine, , dont les Magiciennes se servent pour rappeler leurs amants. Biser a transcrit ce passage de Suidas, dans ces notes grecques sur le Ve 1112. de la Lysistrata d'Aristophane. Psellus, dans ses scholies sur les oracles chaldaïques, p. 74. donne la description de ces machines : elle est assez vague, et l'on pourrait fort bien soupçonner qu'il y avait parmi ces machines des nevrospastes ou pantins dont parle Hérodote, Lucien, etc.

Don Ramirez de Prado a été copié par Balthasar de Vias noble Marseillais, dans ses Sylvae regiae, pag. 333-4. (Notez que Mencken dans sa dissertation sur la fascination attribuée aux louanges, a mal cité la Via regia de cet auteur au lieu de Sylvae regiae). Ramirez nous apprend, au même endroit, qu'une vieille qui regarde un enfant, est obligée de lui présenter ses doigts dans cette disposition qu'on appelle higa. Nous appelons cela faire la figue, et les Allemands l'appellent feige ; ces derniers ont un proverbe fort singulier : lorsqu'ils veulent préserver quelqu'un de la fascination, ils souhaitent, er hat ihm eine feige bewiesen, que le Seigneur d'en-haut lui montre la figue. Frommann, l. c. p. 335.

Perkins, lib. cit. c. VIIe qu. 3. et plusieurs autres, se déchainent contre les préservatifs des catholiques romains, les Agnus Dei, etc. Ces auteurs n'ont pas fait attention que de semblables amuletes étaient usités par les premiers Chrétiens. Voyez Casalé, de R. vet. christian. p. 267. Le chancelier Bacon regarde comme illicites les amuletes, qu'il confond avec les autres cérémonies magiques, quand on les emploierait seulement comme des remèdes physiques ; parce que, dit-il, cette espèce de magie tend à faire jouir l'homme avec fort peu de peine, de ce qui doit être la récompense d'un travail pénible, in sudore vultus comèdes panem tuum. De augm. scient. p. m. 130.

Goropius Becanus rapporte dans ses Origines d'Anvers, p. m. 26. que les femmes les plus respectables de cette ville, appelaient Priape à leur secours au moindre accident. Cette superstition subsistait encore de son temps, quoique Godefroi de Bouillon marquis d'Anvers, dès qu'il se fut rendu maître de Jérusalem, leur eut envoyé le prépuce de Jésus-Christ ; mais les femmes ne purent renoncer à leur première habitude.

Quoique les conciles aient fait plusieurs canons contre les phylactères, on se servait il n'y a pas longtemps dans les pays catholiques, d'ensalmes ou formules tirées des livres sacrés pour empêcher les fascinations. On peut voir sur les formules l'opusculum primum de incantationibus seu ensalmis, d'Emmanuel de Valle de Moura docteur en théologie et inquisiteur portugais ; livre rare, où entr'autres choses plaisantes, de ce que l'auteur compare les Juifs à des ronces qui se piquent elles-mêmes ; il conclut qu'il faut les bruler.

La fascination est le plus universel de tous les maux, et l'on peut bien dire que ce monde est enchanté ; non pas dans le sens de Becker, mais parce que les hommes séduits par leurs passions et leur imagination, font entr'eux un commerce perpétuel d'erreurs.

Jules César Vanini, fameux athée brulé à Toulouse, a cru sans-doute que son système le menait à nier qu'un homme sain put en fasciner un autre, il credere e cortesia, dit-il, parce qu'il pense qu'il faudrait attribuer cet effet à la magie. Or l'existence des démons ne lui est connue que par la révélation ; il la combat même sous les noms de Cardan et de Pomponace ; d'ailleurs, il ne veut pas que les démons aient du pouvoir sur des enfants exempts de péché : il aime donc mieux avoir recours à des facultés naturelles, mais il n'est pas heureux dans ses explications. Il pense que quand une sorcière se livre à des mouvements de colere, de haine, ou d'envie, le désir de nuire formé dans son imagination, excite les esprits et leur donne une teinte de couleur triste, ce qu'il prouve parce que le sang devient livide, (tristi illâ nocendi specie, quae in illius imaginativâ residet, commoventur spiritus, imò et maestum induunt colorem, nam sanguis fit lividus. De admirandis naturae reginae, deaeque mortalium arcanis, dialog. 59. p. 73.) les esprits ramassent une matière pernicieuse, qu'ils dardent par les yeux de la sorcière. En conséquence de cette hypothèse, Vanini assure très-sérieusement qu'il a conseillé à ceux qui craignaient la fascination, s'ils avaient honte de détourner la tête pour l'éviter, de rassembler leurs esprits vers les yeux et de les diriger contre la magicienne, dont ils choqueraient par-là et affoibliraient les esprits nuisibles. Enfin, il prétend que les coraux en pâlissant découvrent la fascination comme la fièvre, et que c'est par cette raison qu'on les suspend au cou des enfants comme des préservatifs. (g)

FASCINATION, s. f. (Médecine) on appelle de ce nom l'exercice du pouvoir prétendu de ceux qui causent des maladies aux hommes, aux enfants surtout, et aux bestiaux, par l'effet de certaines paroles magiques, et même par le regard. C'est une sorte d'enchantement.

Les symptômes dominans des maladies produites par cette cause, sont la fièvre hectique, le marasme, le plus souvent suivis de la mort. Les anciens mettaient la fascination au nombre des causes occultes des maladies. Voyez MEDECINE MAGIQUE, ENCHANTEMENT, CHARME, SORCELLERIE. (d).