(Histoire) peuples de Sybaris, ville de la Lucanie : les terribles échecs qu'ils éprouvèrent de la part des Crotoniates, ne changèrent rien à leur luxe et à leur mollesse. Athénée et Plutarque vous en feront le détail que je supprime ici, persuadé qu'on aimera mieux y trouver le tableau des Sybarites modernes, par le peintre du temple de Gnide.

On ne voit point, dit-il, chez eux de différence entre les voluptés et les besoins ; on bannit tous les arts qui pourraient troubler un sommeil tranquille ; on donne des prix aux dépens du public, à ceux qui peuvent découvrir des voluptés nouvelles ; les citoyens ne se souviennent que des bouffons qui les ont divertis, et ont perdu la mémoire des magistrats qui les ont gouvernés.

On y abuse de la fertilité du terroir, qui y produit une abondance éternelle ; et les faveurs des dieux sur Sybaris, ne servent qu'à encourager le luxe et la mollesse.

Les hommes sont si efféminés, leur parure est si semblable à celle des femmes ; ils composent si bien leur teint ; ils se frisent avec tant d'art ; ils emploient tant de temps à se corriger à leur miroir, qu'il semble qu'il n'y ait qu'un sexe dans toute la ville.

Les femmes se livrent, au lieu de se rendre ; chaque jour voit finir les désirs et les espérances de chaque jour ; on ne sait ce que c'est que d'aimer et d'être aimé ; on n'est occupé que de ce qu'on appelle si faussement jouir.

Les faveurs n'y ont que leur réalité propre ; et toutes ces circonstances qui les accompagnent si bien ; tous ces riens qui sont d'un si grand prix, ces engagements qui paraissent toujours plus grands ; ces petites choses qui valent tant ; tout ce qui prépare un heureux moment ; tant de conquêtes au lieu d'une ; tant de jouissances avant la dernière ; tout cela est inconnu à Sybaris.

Encore si elles avaient la moindre modestie, cette faible image de la vertu pourrait plaire : mais non ; les yeux sont accoutumés à tout voir, et les oreilles à tout entendre.

Bien-loin que la multiplicité des plaisirs donne aux Sybarites plus de délicatesse, ils ne peuvent plus distinguer un sentiment d'un sentiment.

Ils passent leur vie dans une joie purement extérieure ; ils quittent un plaisir qui leur déplait, pour un plaisir qui leur déplaira encore ; tout ce qu'ils imaginent est un nouveau sujet de dégout.

Leur âme incapable de sentir les plaisirs, semble n'avoir de délicatesse que pour les peines : un citoyen fut fatigué toute une nuit d'une rose qui s'était repliée dans son lit, plus doux encore que le sommeil.

La molesse a tellement affoibli leurs corps, qu'ils ne sauraient remuer les moindres fardeaux ; ils peuvent à peine se soutenir sur leurs pieds ; les voitures les plus douces les font évanouir ; lorsqu'ils sont dans les festins, l'estomac leur manque à tous les instants.

Ils passent leur vie sur des sièges renversés, sur lesquels ils sont obligés de se reposer tout le jour, sans s'être fatigués ; ils sont brisés, quand ils vont languir ailleurs.

Incapables de porter le poids des armes, timides devant leurs concitoyens, lâches devant les étrangers, il sont des esclaves tout prêts pour le premier maître. (D.J.)