S. f. (Grammaire et Morale) est l'état permanent, du moins pour quelque temps, d'une âme contente, et cet état est bien rare. Le bonheur vient du dehors, c'est originairement une bonne heure. Un bonheur vient, on a un bonheur ; mais on ne peut dire, il m'est venu une félicité, j'ai eu une félicité : et quand on dit, cet homme jouit d'une félicité parfaite, une alors n'est pas prise numériquement, et signifie seulement qu'on croit que sa félicité est parfaite. On peut avoir un bonheur sans être heureux. Un homme a eu le bonheur d'échapper à un piege, et n'en est quelquefois que plus malheureux ; on ne peut pas dire de lui qu'il a éprouvé la félicité. Il y a encore de la différence entre un bonheur et le bonheur, différence que le mot félicité n'admet point. Un bonheur est un événement heureux. Le bonheur pris indéfinitivement, signifie une suite de ces événements. Le plaisir est un sentiment agréable et passager, le bonheur considéré comme sentiment, est une suite de plaisirs, la prospérité une suite d'heureux événements, la félicité une jouissance intime de sa prospérité. L'auteur des synonymes dit que le bonheur est pour les riches, la félicité pour les sages, la béatitude pour les pauvres d'esprit ; mais le bonheur parait plutôt le partage des riches qu'il ne l'est en effet, et la félicité est un état dont on parle plus qu'on ne l'éprouve. Ce mot ne se dit guère en prose au pluriel, par la raison que c'est un état de l'âme, comme tranquillité, sagesse, repos ; cependant la poésie qui s'élève au-dessus de la prose, permet qu'on dise dans Polieucte :

Ou leurs félicités doivent être infinies.

Que vos félicités, s'il se peut, soient parfaites.

Les mots, en passant du substantif au verbe, ont rarement la même signification. Féliciter, qu'on emploie au lieu de congratuler, ne veut pas dire rendre heureux, il ne dit pas même se réjouir avec quelqu'un de sa félicité, il veut dire simplement faire compliment sur un succès, sur un événement agréable. Il a pris la place de congratuler, parce qu'il est d'une prononciation plus douce et plus sonore. Article de M. DE VOLTAIRE.

FELICITE, (Mythologie) c'était une déesse chez les Romains, aussi-bien que chez les Grecs, qui la nommaient Eudomonie, . Vossius, de Idololat. lib. VIII. c. XVIIIe ne la croit point différente de la déesse Salus ; mais il est presque le seul de son opinion.

Quoi qu'il en sait, on assure que Lucullus, après avoir eu le bonheur dans ses premières campagnes de conquérir l'Arménie, de remporter des victoires signalées contre Mithridate, de le chasser de son royaume, et de finir par se rendre maître de Sinope, crut à son retour à Rome devoir par reconnaissance une statue magnifique à la Félicité. Il fit donc avec le sculpteur Archésilas le marché de cette statue pour la somme de 60 mille sesterces ; mais ils moururent l'un et l'autre avant que la statue fût achevée : c'est Pline qui rapporte ce fait, lib. XXXV. c. XIIe

On conçoit sans peine qu'il ne convenait pas à César d'ériger à la Félicité une simple statue, lui qui en avait une dans Rome qui marchait à côté de la Victoire ; il fallait qu'un homme de cet ordre fit plus que Lucullus pour la déesse qui l'avait élevé au comble de ses vœux : aussi Dion, lib. XLIV. raconte que dès que César se vit maître de la république, il forma le projet de bâtir à la Félicité un temple superbe dans la place du palais, appelée curia hostilia ; mais sa mort prématurée fit encore échouer ce dessein, et Lépide le triumvir eut l'honneur de l'exécuter.

Alors les prêtres, toujours avides de nouveaux cultes qui augmentaient leurs richesses et leur crédit, ne manquèrent pas de vanter la gloire du temple fondé par Lépide, précédemment leur souverain pontife, et d'exagérer les avantages qu'auraient ceux qui feraient fumer de l'encens sur ses autels. On dit à ce sujet que l'un de ces prêtres, sacrificateur de Cérès, promettant un bonheur éternel à ceux qui se feraient initier dans les mystères de la déesse Félicité, quelqu'un lui répondit assez plaisamment : " Que ne te laisses-tu donc mourir, pour aller jouir de ce bonheur que tu promets aux autres avec tant d'assurance " ?

S. Augustin, dans son ouvrage de la cité de Dieu, liv. II. ch. xxiij. et liv. IV. ch. XVIIIe parlant de la Félicité, que les Romains n'admirent que fort tard dans leur culte, s'étonne avec raison que Romulus qui voulait fonder le bonheur de sa ville naissante, et que Tatius, aussi-bien que Numa, entre tant de dieux et de déesses qu'ils avaient établis, eussent oublié la Félicité ; et il ajoute à ce sujet, que si Tullus Hostilius avait connu la déesse, il ne se serait pas avisé de s'adresser à la Peur et à la Pâleur pour en faire de nouvelles divinités, puisque quand on a la Félicité pour soi, l'on a tout, et l'on ne doit plus rien appréhender.

Mais les Payens auraient pu répondre deux choses à saint Augustin sur sa dernière remarque : 1°. que Tullus n'avait bâti des temples à la Peur et à la Pâleur, que pour prévenir la terreur panique dans son armée, et porter l'épouvante chez les ennemis ; c'est pourquoi Hésiode, dans sa description du bouclier d'Hercule, y représente Mars accompagné de la Peur et de la Crainte. 2°. L'on pouvait répondre à S. Augustin, que les Romains pensaient qu'il était absolument nécessaire d'imprimer dans l'esprit des méchants la crainte d'être sévèrement punis, et que c'était par cette raison qu'ils avaient consacré des temples et des autels à la peur, à la fraude et à la discorde, etc.

Au reste, l'histoire ne nous apprend point si la déesse Félicité avait beaucoup de temples à Rome ; mais nous savons qu'elle se trouve souvent représentée sur les médailles antiques, quelquefois avec figure humaine, et le plus souvent par des symboles. En figure humaine, c'est une femme qui tient la corne d'abondance de la main gauche, et le caducée de la droite. Les symboles ordinaires représentent la Félicité sous deux cornes d'abondance qui se croisent, et un épi qui s'élève entre les deux. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.