S. m. (Grammaire) en analysant avec la plus grande attention les différents usages du verbe dans le discours, voyez MOT, art. I. j'ai cru devoir le définir, un mot qui présente à l'esprit un être indéterminé, désigné seulement par l'idée générale de l'existence sous une relation à une modification.

L'idée de mot est la plus générale qui puisse entrer dans la notion du verbe ; c'est en quelque sorte le genre suprême : toutes les autres parties d'oraison sont aussi des mots.

Ce genre est restreint à un autre moins commun, par la propriété de présenter à l'esprit un être : cette propriété ne convient pas à toutes les espèces de mots ; il n'y a que les mots déclinables, et susceptibles surtout des inflexions numériques : ainsi l'idée générique est restreinte par-là aux seules parties d'oraison déclinables, qui sont les noms, les pronoms, les adjectifs, et les verbes ; les prépositions, les adverbes, les conjonctions, et les interjections s'en trouvent exclus.

C'est exclure encore les noms et les pronoms, et restraindre de plus en plus l'idée générique, que de dire que le VERBE est un mot qui présente à l'esprit un être indéterminé ; car les noms et les pronoms présentent à l'esprit des êtres déterminés. Voyez NOM et PRONOM. Cette idée générique ne convient donc plus qu'aux adjectifs et aux verbes ; le genre est le plus restreint qu'il soit possible, puisqu'il ne comprend plus que deux espèces ; c'est le genre prochain. Si l'on voulait se rappeler les idées que j'ai attachées aux termes de déclinable et d'indéterminatif, voyez MOT ; on pourrait énoncer cette première partie de la définition, en disant que le VERBE est un mot déclinable indéterminatif : et c'est apparemment la meilleure manière de l'énoncer.

Que faut-il ajouter pour avoir une définition complete ? Un dernier caractère qui ne puisse plus convenir qu'à l'espèce que l'on définit ; en un mot, il faut déterminer le genre prochain par la différence spécifique. C'est ce que l'on fait aussi, quand on dit que le VERBE désigne seulement par l'idée générale de l'existence sous une relation à une modification : voilà le caractère distinctif et incommunicable de cette partie d'oraison.

De ce que le verbe est un mot qui présente à l'esprit un être indéterminé, ou si l'on veut, de ce qu'il est un mot déclinable indéterminatif ; il peut, selon les vues plus ou moins précises de chaque langue, se revêtir de toutes les formes accidentelles que les usages ont attachées aux noms et aux pronoms, qui présentent à l'esprit des sujets déterminés : et alors la concordance des inflexions correspondantes des deux espèces de mots, sert à désigner l'application du sens vague de l'un au sens précis de l'autre, et l'identité actuelle des deux sujets, du sujet indéterminé exprimé par le verbe, et du sujet déterminé énoncé par le nom ou par le pronom. Voyez IDENTITE. Mais comme cette identité peut presque toujours s'apercevoir sans une concordance exacte de tous les accidents, il est arrivé que bien des langues n'ont pas admis dans leurs verbes toutes les inflexions imaginables relatives au sujet. Dans les verbes de la langue française, les genres ne sont admis qu'au participe passif ; la langue latine et la langue grecque les ont admis au participe actif ; la langue hébraïque étend cette distinction aux secondes et troisiemes personnes des modes personnels. Si l'on excepte le chinois et la langue franque, où le verbe n'a qu'une seule forme immuable à tous égards, les autres langues se sont moins permis à l'égard des nombres et des personnes ; et le verbe prend presque toujours des terminaisons relatives à ces deux points de vue, si ce n'est dans les modes dont l'essence même les exclut : l'infinitif, par exemple, exclut les nombres et les personnes, parce que le sujet y demeure essentiellement indéterminé ; le participe admet les genres et les nombres, parce qu'il est adjectif, mais il rejette les personnes, parce qu'il ne constitue pas une proposition. Voyez INFINITIF, PARTICIPE.

L'idée différentielle de l'existence sous une relation à une modification, est d'ailleurs le principe de toutes les propriétés exclusives du verbe.

I. La première et la plus frappante de toutes, c'est qu'il est en quelque sorte, l'âme de nos discours, et qu'il entre nécessairement dans chacune des propositions qui en sont les parties intégrantes. Voici l'origine de cette prérogative singulière.

Nous parlons pour transmettre aux autres nos connaissances ; et nos connaissances ne sont rien autre chose que la vue des êtres sous leurs attributs : ce sont les résultats de nos jugements intérieurs. Un jugement est l'acte par lequel notre esprit aperçoit en soi l'existence d'un être, sous telle ou telle relation à telle ou telle modification. Si un être a véritablement en soi la relation sous laquelle il existe dans notre esprit, nous en avons une connaissance vraie : mais notre jugement est faux, si l'être n'a pas en soi la relation sous laquelle il existe dans notre esprit. Voyez PROPOSITION.

Une proposition doit être l'image de ce que l'esprit aperçoit par son jugement ; et par conséquent elle doit énoncer exactement ce qui se passe alors dans l'esprit, et montrer sensiblement un sujet déterminé, une modification, et l'existence intellectuelle du sujet sous une relation à cette modification. Je dis existence intellectuelle, parce qu'en effet, il ne s'agit primitivement, dans aucune proposition, de l'existence réelle qui suppose les êtres hors du néant ; il ne s'agit que d'une existence telle que l'ont dans notre entendement tous les objets de nos pensées, tandis que nous nous en occupons. Un cercle carré, par exemple, ne peut avoir aucune existence réelle ; mais il a dans mon entendement une existence intellectuelle, tandis qu'il est l'objet de ma pensée, et que je vois qu'un cercle carré est impossible : les idées abstraites et générales ne sont et ne peuvent être réalisées dans la nature ; il n'existe réellement, et ne peut exister nulle part un animal en général qui ne soit ni homme, ni brute : mais les objets de ces idées factices existent dans notre intelligence, tandis que nous nous occupons pour en découvrir les propriétés.

Or c'est précisément l'idée de cette existence intellectuelle sous une relation à une modification, qui fait le caractère distinctif du verbe ; et de-là vient qu'il ne peut y avoir aucune proposition sans verbe, parce que toute proposition, pour peindre avec fidélité l'objet du jugement, doit exprimer entr'autres choses, l'existence intellectuelle du sujet sous une relation à quelque modification, ce qui ne peut être exprimé que par le verbe.

De-là vient le nom emphatique donné à cette partie d'oraison. Les Grecs l'appelaient ; mot qui caractérise le pur matériel de la parole, puisque , qui en est la racine, signifie proprement fluo, et qu'il n'a reçu le sens de dico que par une catachrèse métaphorique, la bouche étant comme le canal par où s'écoule la parole, et pour ainsi dire, la pensée dont elle est l'image. Nous donnons à la même partie d'oraison le nom de verbe, du latin verbum, qui signifie encore la parole prise matériellement, c'est-à-dire en tant qu'elle est le produit de l'impulsion de l'air chassé des poumons et modifié, tant par la disposition particulière de la bouche, que par les mouvements subits et instantanés des parties mobiles de cet organe. C'est Priscien (lib. VIII. de verbo init.) qui est le garant de cette étymologie : VERBUM à verberatu aèris dicitur, quod commune accidents est omnibus partibus orationis. Priscien a raison ; toutes les parties d'oraison étant produites par le même mécanisme, pouvaient également être nommées verba, et elles l'étaient effectivement en latin : mais c'était alors un nom générique, au lieu qu'il était spécifique quand on l'appliquait à l'espèce dont il est ici question : Praecipuè in hâc dictione quasi proprium ejus accipitur quâ frequentiùs utimur in oratione. (Id. ib.) Telle est la raison que Priscien donne de cet usage : mais il me semble que ce n'est l'expliquer qu'à demi, puisqu'il reste encore à dire pourquoi nous employons si fréquemment le verbe dans tous ces discours.

C'est qu'il n'y a point de discours sans proposition ; point de proposition qui n'ait à exprimer l'objet d'un jugement ; point d'expression de cet objet qui n'énonce un sujet déterminé, une modification également déterminée, et l'existence intellectuelle du sujet sous une relation à cette modification : or c'est la désignation de cette existence intellectuelle d'un sujet qui est le caractère distinctif du verbe, et qui en fait entre tous les mots, le mot par excellence.

J'ajoute que c'est cette idée de l'existence intellectuelle, qu'entrevait l'auteur de la grammaire générale dans la signification commune à tous les verbes, et propre à cette seule espèce, lorsqu'après avoir remarqué tous les défauts des définitions données avant lui, il s'est arrêté à l'idée d'affirmation. Il sentait que la nature du verbe devait le rendre nécessaire à la proposition ; il n'a pas Ve assez nettement l'idée de l'existence intellectuelle, parce qu'il n'est pas remonté jusqu'à la nature du jugement intérieur ; il s'en est tenu à l'affirmation, parce qu'il n'a pris garde qu'à la proposition même. Je ferai là-dessus quelques observations assez naturelles.

1°. L'affirmation est un acte propre à celui qui parle ; et l'auteur de la grammaire générale en convient lui-même. (Part. II. c. XIIIe édit. 1756.) " Et l'on peut, dit-il, remarquer en passant que l'affirmation, en tant que conçue, pouvant être aussi l'attribut du verbe, comme dans affirmo, ce verbe signifie deux affirmations, dont l'une regarde la personne qui parle, et l'autre la personne de qui on parle, soit que ce soit de soi-même, soit que ce soit d'un autre. Car quand je dis, Petrus affirmat, affirmat est la même chose que est affirmants ; et alors est marque MON AFFIRMATION, ou le jugement que je fais touchant Pierre ; et affirmants, l'affirmation que je conçais et que j'attribue à Pierre ". Or, le verbe étant un mot déclinable indéterminatif, est sujet aux lois de la concordance par raison d'identité, parce qu'il désigne un sujet quelconque sous une idée générale applicable à tout sujet déterminé qui en est susceptible. Cette idée ne peut donc pas être celle de l'affirmation, qui est reconnue propre à celui qui parle, et qui ne peut jamais convenir au sujet dont on parle, qu'autant qu'il existe dans l'esprit avec la relation de convenance à cette manière d'être, comme quand on dit, Petrus affirmat.

2°. L'affirmation est certainement opposée à la négation : l'une est la marque que le sujet existe sous la relation de convenance à la manière d'être dont il s'agit ; l'autre, que le sujet existe avec la relation de disconvenance à cette manière d'être. C'est à-peu-près l'idée que l'on en prendrait dans l'Art de penser. (Part. II. ch. iij.) Je l'étendrais encore davantage dans le grammatical, et je dirais que l'affirmation est la simple position de la signification de chaque mot, et que la négation en est en quelque manière la destruction. Aussi l'affirmation se manifeste assez par l'acte même de la parole, sans avoir besoin d'un mot particulier pour devenir sensible, si ce n'est quand elle est l'objet spécial de la pensée et de l'expression ; il n'y a que la négation qui doit être exprimée. C'est pour cela même que dans aucune langue, il n'y a aucun mot destiné à donner aux autres mots un sens affirmatif, parce qu'ils le sont tous essentiellement ; il y en a au contraire, qui les rendent négatifs, parce que la négation est contraire à l'acte simple de la parole, et qu'on ne la suppléerait jamais si elle n'était exprimée : malè, non malè ; doctus, non doctus ; audio, non audio. Or, si tout mot est affirmatif par nature, comment l'affirmation peut-elle être le caractère distinctif du verbe ?

3°. On doit regarder comme incomplete, et conséquemment comme vicieuse, toute définition du verbe qui n'assigne pour objet de sa signification, qu'une simple modification qui peut être comprise dans la signification de plusieurs autres espèces de mots : or, l'idée de l'affirmation est dans ce cas, puisque les mots affirmation, affirmatif, affirmativement, oui, expriment l'affirmation sans être verbes.

Je sais que l'auteur a prévu cette objection, et qu'il croit la résoudre en distinguant l'affirmation conçue, de l'affirmation produite, et prenant celle-ci pour caractériser le verbe. Mais, j'ose dire, que c'est proprement se payer de mots, et laisser subsister un vice qu'on avoue. Quand on supposerait cette distinction bien claire, bien précise, et bien fondée ; le besoin d'y recourir pour justifier la définition générale du verbe, est une preuve que cette définition est au moins louche, qu'il fallait la rectifier par cette distinction, et que peut être l'eut-on fait, si l'on n'avait craint de la rendre d'ailleurs trop obscure.

4°. L'auteur sentait très-bien lui-même l'insuffisance de sa définition, pour rendre raison de tout ce qui appartient au verbe. C'est, selon lui, un mot dont le PRINCIPAL USAGE est de désigner l'affirmation.... l'on s'en sert encore pour signifier d'autres mouvements de notre âme,... mais ce n'est qu'en changeant d'inflexion et de mode, et ainsi nous ne considérons le VERBE dans tout ce chapitre, (c. XIIIe Part. II. éd. 1756.) que selon sa principale signification, qui est celle qu'il a à l'indicatif. Il faut remarquer, dit-il ailleurs, (ch. xvij.) que quelquefois l'infinitif retient l'affirmation, comme quand je dis, scio malum esse fugiendum ; et que souvent il la perd et devient nom, principalement en grec et dans la langue vulgaire, comme quand on dit.... je veux boire, volo bibere. L'infinitif alors cesse d'être verbe, selon cet auteur ; et par conséquent, il faut qu'il avoue que le même mot avec la même signification, est quelquefois verbe et cesse quelquefois de l'être. Le participe dans son système, est un simple adjectif, parce qu'il ne conserve pas l'idée de l'affirmation.

Je remarquerai à ce sujet que tous les modes, sans exception, ont été dans tous les temps réputés appartenir au verbe, et en être des parties nécessaires ; que tous les grammairiens les ont disposés systématiquement dans la conjugaison ; qu'ils y ont été forcés par l'unanimité des usages de tous les idiomes, qui en ont toujours formé les diverses inflexions par des générations régulières entées sur un radical commun ; que cette unanimité ne pouvant être le résultat d'une convention formelle et réfléchie, ne saurait venir que des suggestions secrètes de la nature, qui valent beaucoup mieux que toutes nos réflexions ; et qu'une définition qui ne peut concilier des parties que la nature elle même semble avoir liées, doit être bien suspecte à quiconque connait les véritables fondements de la raison.

II. L'idée de l'existence intellectuelle sous une relation à une modification, est encore ce qui sert de fondement aux différents modes du verbe, qui conserve dans tous sa nature, essentiellement indestructible.

Si par abstraction, l'on envisage comme un être déterminé, cette existence d'un sujet quelconque sous une relation à une modification ; le verbe devient nom, et c'en est le mode infinitif. Voyez INFINITIF.

Si par une autre abstraction, on envisage un être indéterminé, désigné seulement par cette idée de l'existence intellectuelle, sous une relation à une modification, comme l'idée d'une qualité faisant partie accidentelle de la nature quelconque du sujet ; le verbe devient adjectif, et c'en est le mode participe. Voyez PARTICIPE.

Ni l'un ni l'autre de ces modes n'est personnel, c'est-à dire qu'ils n'admettent point d'inflexions relatives aux personnes, parce que l'un et l'autre expriment de simples idées ; l'un, un être déterminé par sa nature ; l'autre, un être indéterminé désigné seulement par une partie accidentelle de sa nature ; mais ni l'un ni l'autre n'exprime l'objet d'un jugement actuel, en quoi consiste principalement l'essence de la proposition et du discours. C'est pourquoi les personnes ne sont marquées ni dans l'un ni dans l'autre, parce que les personnes sont dans le verbe des terminaisons qui caractérisent la relation du sujet à l'acte de la parole. Voyez PERSONNE.

Mais si l'on emploie en effet le verbe pour énoncer actuellement l'existence intellectuelle d'un sujet déterminé sous une relation à une modification, c'est-à-dire s'il sert à faire une proposition, le verbe est alors uniquement verbe, et c'en est un mode personnel.

Ce mode personnel est direct, quand il constitue l'expression immédiate de la pensée que l'on veut manifester ; tels sont l'indicatif, l'impératif, et le suppositif, voyez ces mots. Le mode personnel est indirect ou oblique, quand il ne peut servir qu'à constituer une proposition incidente subordonnée à un antécédent ; tels sont l'optatif et le subjonctif. Voyez ces mots.

Il est évident que cette multiplication des aspects sous lesquels on peut envisager l'idée spécifique de la nature du verbe, sert infiniment à en multiplier les usages dans le discours, et justifier de-plus en plus le nom que lui ont donné par excellence les Grecs et les Romains, et que nous lui avons conservé nous-mêmes.

III. Les temps dont le verbe seul parait susceptible, supposent apparemment dans cette partie d'oraison, une idée qui puisse servir de fondement à ces métamorphoses et qui en rendent le verbe susceptible. Or il est évident que nulle autre idée n'est plus propre que celle de l'existence à servir de fondement aux temps, puisque ce sont des formes destinées à marquer les diverses relations de l'existence à une époque. Voyez TEMS.

De-là vient que dans les langues qui ont admis la déclinaison effective, il n'y a aucun mode du verbe qui ne se conjugue par temps ; les modes impersonnels comme les personnels, les modes obliques comme les directs, les modes mixtes comme les purs : parce que les temps tiennent à la nature immuable du verbe, à l'idée générale de l'existence.

Jules-César Scaliger les croyait si essentiels à cette partie d'oraison, qu'il les a pris pour le caractère spécifique qui la distingue de toutes les autres : tempus autem non videtur esse affectus VERBI, sed differentia formalis propter quam VERBUM ipsum VERBUM est. (de caus. L. L. lib. V. cap. cxxj.) Cette considération dont il est aisé maintenant d'apprécier la juste valeur, avait donc porté ce savant critique à définir ainsi cette partie d'oraison : VERBUM est nota rei sub tempore. (ibid. cap. cx.)

Il s'est trompé en ce qu'il a pris une propriété accidentelle du verbe, pour l'essence même. Ce ne sont point les temps qui constituent la nature spécifique du verbe ; autrement il faudrait dire que la langue franque, la langue chinoise, et apparemment bien d'autres, sont destituées de verbes, puisqu'il n'y a dans ces idiomes aucune espèce de mot qui y prenne des formes temporelles ; mais puisque les verbes sont absolument nécessaires pour exprimer les objets de nos jugements, qui sont nos principales et peut-être nos seules pensées ; il n'est pas possible d'admettre des langues sans verbes, à moins de dire que ce sont des langues avec lesquelles on ne saurait parler. La vérité est qu'il y a des verbes dans tous les idiomes ; que dans tous ils sont caractérisés par l'idée générale de l'existence intellectuelle d'un sujet indéterminé sous une relation à une manière d'être ; que dans tous en conséquence, la déclinabilité par temps en est une propriété essentielle ; mais qu'elle n'est qu'en puissance dans les uns, tandis qu'elle est en acte dans les autres.

Si l'on veut admettre une métonymie dans le nom que les grammairiens allemands ont donné au verbe en leur langue, il y aura assez de justesse : ils l'appellent das zeit-wort ; le mot zeit-wort est compose de zeit (temps), et de wort (mot), comme si nous disions le mot du temps. Il y a apparence que ceux qui introduisirent les premiers cette dénomination, pensaient sur le verbe comme Scaliger ; mais on peut la rectifier, en supposant, comme je l'ai dit, une métonymie de la mesure pour la chose mesurée, du temps pour l'existence.

IV. La définition que j'ai donnée du verbe, se prête encore avec succès aux divisions reçues de cette partie d'oraison ; elle en est le fondement le plus raisonnable, et elle en reçoit, comme par réflexion, un surcrait de lumière qui en met la vérité dans un plus grand jour.

1°. La première division du verbe est en substantif et en adjectif ; dénominations auxquelles je voudrais que l'on substituât celles d'abstrait et de concret. Voyez SUBSTANTIF, art. II.

Le verbe substantif ou abstrait est celui qui désigne par l'idée générale de l'existence intellectuelle, sous une relation à une modification quelconque, qui n'est point comprise dans la signification du verbe, mais qu'on exprime séparément ; comme quand on dit, Dieu EST éternel, les hommes SONT mortels.

Le verbe adjectif ou concret est celui qui désigne par l'idée générale de l'existence intellectuelle sous une relation à une modification déterminée, qui est comprise dans la signification du verbe ; comme quand on dit, Dieu EXISTE, les hommes MOURRONT.

Il suit de ces deux définitions qu'il n'y a point de verbe adjectif ou concret, qui ne puisse se décomposer par le verbe substantif ou abstrait être. C'est une conséquence avouée par tous les grammairiens, et fondée sur ce que les deux espèces désignent également par l'idée générale de l'existence intellectuelle ; mais que le verbe adjectif renferme de plus dans sa signification l'idée accessoire d'une modification déterminée, qui n'est point comprise dans la signification du verbe substantif. On doit donc trouver dans le verbe substantif ou abstrait, la pure nature du verbe en général ; et c'est pour cela que les philosophes enseignent qu'on aurait pu, dans chaque langue, n'employer que ce seul verbe, le seul en effet qui soit demeuré dans la simplicité de la signification originelle et essentielle, ainsi que l'a remarqué l'auteur de la grammaire générale. (Part. II. chap. XIIIe édit. 1756.)

Quelle est donc la nature du VERBE être, ce verbe essentiellement fondamental dans toutes les langues ? Il y a près de deux cent ans que Robert Etienne nous l'a dit, avec la naïveté qui ne manque jamais à ceux qui ne sont point préoccupés par les intérêts d'un système particulier. Après avoir bien ou mal à propos distingué les verbes en actifs, passifs, et neutres, il s'explique ainsi : (Traité de la grammaire française, Paris 1569. pag. 37.) " Oultre ces trois sortes, il y a le verbe nommé substantif, qui est estre : qui ne signifie action ne passion, mais seulement il dénote l'estre et existence ou subsistance d'une chascune chose qui est signifiée par le nom joinct avec lui : comme je suis, tu es, il est. Toutesfais il est si nécessaire à toutes actions et passions, que nous ne trouverons verbes qui ne se puissent resouldre par luy ".

Ce savant typographe, qui ne pensait pas à faire entrer dans la signification du verbe l'idée de l'affirmation, n'y a Ve que ce qui est en effet l'idée de l'existence ; et sans les préjugés, personne n'y verrait rien autre chose.

J'ajoute seulement que c'est l'idée de l'existence intellectuelle, et je me fonde sur ce que j'ai déjà allégué, que les êtres abstraits et généraux, qui n'ont et ne peuvent avoir aucune existence réelle, peuvent néanmoins être, et sont fréquemment sujets déterminés du verbe substantif.

Mais je ne déguiserai pas une difficulté que l'on peut faire avec assez de vraisemblance contre mon opinion, et qui porte sur la propriété qu'a le VERBE être, d'être quelquefois substantif ou abstrait, et quelquefois adjectif ou concret : quand il est adjectif, pourrait on dire, outre sa signification essentielle, il comprend encore celle de l'existence ; comme dans cette phrase, ce qui EST touche plus que ce qui A ETE, c'est-à dire, ce qui EST EXISTANT touche plus que ce qui A ETE EXISTANT : par conséquent on ne peut pas dire que l'idée de l'existence constitue la signification spécifique du verbe substantif, puisque c'est au contraire l'addition accessoire de cette idée déterminée qui rend ce même verbe adjectif.

Cette objection n'est rien moins que victorieuse, et j'en ai déjà préparé la solution, en distinguant plus haut l'existence intellectuelle et l'existence réelle. Etre est un verbe substantif, quand il n'exprime que l'existence intellectuelle : quand je dis, par exemple, Dieu EST tout puissant, il ne s'agit point ici de l'existence réelle de Dieu, mais seulement de son existence dans mon esprit sous la relation de convenance à la toute-puissance ; ainsi est, dans cette phrase, est substantif. Etre est un verbe adjectif, quand à l'idée fondamentale de l'existence intellectuelle, on ajoute accessoirement l'idée déterminée de l'existence réelle ; comme Dieu EST, c'est-à-dire, Dieu EST EXISTANT REELLEMENT, ou Dieu est présent à mon esprit avec l'attribut déterminé de l'EXISTENCE REELLE.

Quoi que le VERBE être puisse donc devenir adjectif au moyen de l'idée accessoire de l'existence réelle, il ne s'ensuit point que l'idée de l'existence intellectuelle ne soit pas l'idée propre de sa signification spécifique. Que dis-je ? il s'ensuit au-contraire qu'il ne désigne par aucune autre idée, quand il est substantif, que par celle de l'existence intellectuelle ; puisqu'il exprime nécessairement l'existence ou subsistance d'une chascune chose qui est signifiée par le nom joinct avec lui ; que cette existence n'est réelle que quand être est un verbe adjectif ; et qu'apparemment elle est au-moins intellectuelle quand il est substantif, parce que l'idée accessoire doit être la même que l'idée fondamentale, sauve la différence des aspects, ou que le mot est le même dans les deux cas, hors la différence des constructions.

Il faut observer que cette réflexion est d'autant plus pondérante, qu'elle porte sur un usage universel et commun à toutes les langues connues et cultivées, et qu'on ne s'est avisé dans aucune de changer le verbe substantif en adjectif, par l'addition accessoire d'une idée déterminée autre que celle de l'existence réelle, parce qu'aucune autre n'est si analogue à celle qui constitue l'essence du verbe substantif, savoir l'existence intellectuelle. Dans tous les autres verbes adjectifs, le radical du substantif est détruit, il ne parait que celui de l'idée accessoire de la modification déterminée ; et les seules terminaisons rappellent l'idée fondamentale de l'existence intellectuelle, qui est un élément nécessaire dans la signification totale des verbes adjectifs.

2°. Les verbes adjectifs se soudivisent communément en actifs, passifs, et neutres. Cette division s'accommode d'autant mieux avec la définition générale du verbe, qu'elle porte immédiatement sur l'idée accessoire de la modification déterminée qui rend concret le sens des verbes adjectifs : car un verbe adjectif est actif, passif ou neutre, selon que la modification déterminée, dont l'idée accessoire modifie celle de l'existence intellectuelle, est une action du sujet, ou une impression produite dans le sujet sans concours de sa part, ou simplement un état qui n'est dans le sujet ni action ni passion. Voyez ACTIF, PASSIF, NEUTRE, RELATIF, art. I.

Toutes les autres divisions du verbe adjectif, ou en absolu et relatif, ou en augmentatif, diminutif, fréquentatif, inceptif, imitatif, etc. ne portent pareillement que sur de nouvelles idées accessoires ajoutées à celle de la modification déterminée qui rend concret le sens du verbe adjectif ; et par conséquent elles sont toutes conciliables avec la définition générale, qui suppose toujours l'idée de cette modification déterminée.

Après ce détail où j'ai cru devoir entrer, pour justifier chacune des idées élémentaires de la notion que je donne du verbe, détail qui comprend, par occasion, l'examen des définitions les plus accréditées jusqu'à présent ; celle de P. R. et celle de Scaliger ; je me crois assez dispensé d'examiner les autres qui ont été proposées ; si j'ai bien établi la mienne, les voilà suffisamment refutées, et je ne ferais au-contraire qu'embarrasser de plus en plus la matière, s'il reste encore quelque doute sur ma définition. Je n'ajouterai donc plus qu'une remarque pour achever, s'il est possible, de répandre la lumière sur l'ensemble de toutes les idées que j'ai réunies dans la définition générale du verbe.

La grammaire générale dit que c'est un mot dont le principal usage est de signifier l'affirmation. Cette idée de l'affirmation, que j'ai rejetée, n'est pas la seule chose que l'on puisse reprocher à cette définition, et en y substituant l'idée que j'adopte de l'existence intellectuelle, je définirais encore mal le verbe, si je disais simplement que c'est un mot dont le principal usage est de signifier l'existence intellectuelle, ou même plus briévement et avec plus de justesse, un mot qui signifie l'existence intellectuelle. Cette définition ne suffirait pas pour expliquer tout ce qui appartient à la chose définie ; et c'est un principe indubitable de la plus saine logique, qu'une définition n'est exacte qu'autant qu'elle contient clairement le germe de toutes les observations qui peuvent se faire sur l'objet défini. C'est pourquoi je dis que le verbe est un mot déclinable indéterminatif qui désigne seulement par l'idée générale de l'existence intellectuelle, sous une relation à une modification.

Je sais bien que cette définition sera trouvée longue par ceux qui n'ont point d'autre moyen que la taise, pour juger de la briéveté des expressions ; mais j'ose espérer qu'elle contentera ceux qui n'exigent point d'autre briéveté que de ne rien dire de trop. Or :

1°. Je dis en premier lieu que c'est un mot déclinable, afin d'indiquer le fondement des formes qui sont communes au verbe, avec les noms et les pronoms ; je veux dire les nombres surtout, et quelquefois les genres.

2°. Je dis un mot déclinable indéterminatif ; et parlà je pose le fondement de la concordance du verbe, avec le sujet déterminé auquel on l'applique.

3°. J'ajoute qu'il désigne par l'idée générale de l'existence, et voilà bien nettement l'origine des formes temporelles, qui sont exclusivement propres au verbe, et qui expriment en effet les diverses relations de l'existence à une époque.

4°. Je dis que cette existence est intellectuelle ; et par-là je prépare les moyens d'expliquer la nécessité du verbe dans toutes les propositions, parce qu'elles expriment l'objet intérieur de nos jugements ; je trouve encore dans les différents aspects de cette idée de l'existence intellectuelle, le fondement des modes dont le verbe, et le verbe seul, est susceptible.

5°. Enfin je dis l'existence intellectuelle sous une relation à une modification : et ce dernier trait, en facilitant l'explication du rapport qu'a le verbe à l'expression de nos jugements objectifs, donne lieu de diviser le verbe en substantif et adjectif, selon que l'idée de la modification y est indéterminée ou expressément déterminée ; et de soudiviser ensuite les verbes adjectifs en actifs, passifs, ou neutres, en absolus ou relatifs, etc. selon les différences essentielles ou accidentelles de la modification déterminée qui en rend le sens concret.

J'ose donc croire que cette définition ne renferme rien que de nécessaire à une définition exacte, et qu'elle a toute la briéveté compatible avec la clarté, l'universalité et la propriété qui doivent lui convenir ; clarté qui doit la rendre propre à faire connaître la nature de l'objet défini, et à en expliquer toutes les propriétés essentielles ou accidentelles : universalité qui doit la rendre applicable à toutes les espèces comprises sous le genre défini, et à tous les individus de ces espèces, sous quelque forme qu'ils paraissent : propriété enfin, qui la rend incommunicable à tout ce qui n'est pas verbe. (B. E. R. M.)

VERBE, s. m. (Théologie) terme consacré dans l'Ecriture, et parmi les théologiens, pour signifier le fils unique de Dieu, sa sagesse incréée, la seconde personne de la sainte Trinité, égale et consubstantielle au père.

Il est à remarquer que dans les paraphrases chaldaïques des livres de Moïse, ce Verbe qui est appelé par les Grecs , et par les Latins sermo ou verbum, est nommé memra, et l'on prétend avec fondement que les auteurs de ces paraphrases ont voulu désigner sous ce terme le fils de Dieu, la seconde personne de la sainte Trinité : or leur témoignage est d'autant plus considérable qu'ayant vécu avant Jesus-Christ, ou du temps de Jesus-Christ, ils sont des témoins irréprochables du sentiment de leur nation sur cet article ; dans la plupart des passages où se trouve le nom sacré de Jehovah, ces paraphrastes ont substitué le nom de Memra qui signifie le Verbe, et qui diffère du Pitgama qui en chaldéen signifie le discours ; et comme ils attribuent au Memra tous les attributs de la divinité, on en infère qu'ils ont cru la divinité du Verbe.

En effet c'est selon eux le Memra qui a créé le monde ; c'est lui qui apparut à Abraham dans la plaine de Mambré, et à Jacob au sommet de Béthel. C'était ce même Verbe qui apparut à Moïse sur le mont Sinaï, et qui donna la loi aux Israélites. Tous ces caractères et plusieurs autres où les paraphrastes emploient le nom de Memra, désignent clairement le Dieu tout-puissant, et les Hébreux eux-mêmes ne le désignaient que par le nom Jéhovah ; ce Verbe était donc Dieu, et les Hébreux le croyaient ainsi du temps que le targum a été composé. Voyez TARGUM.

Le Memra répond au cachema, ou à la sagesse dont parle Salomon dans le livre des proverbes et dans celui de la sagesse, où il dit que Dieu a créé toutes choses par son Verbe, omnia in Verbo tuo fecisti, et qu'il appelle la parole toute-puissante de Dieu, omnipotens sermo tuus.

Philon, fameux juif qui a vécu du temps de Jesus-Christ, et qui avait beaucoup étudié Platon, se sert à-peu-près des mêmes manières de parler. Il dit par exemple, lib. de mundi opificio, que Dieu a créé le monde par son Verbe, que le monde intelligible n'est autre que le Verbe de Dieu qui créa le monde, que ce Verbe invisible est la vraie image de Dieu. Les Platoniciens, pour marquer le Créateur de toutes choses, se servaient quelquefois du mot , qui est employé dans saint Jean pour signifier le Verbe éternel. Les Stoïciens s'en servaient aussi contre les Epicuriens qui soutenaient que tout était fait au hasard et sans raison, au-lieu que les Platoniciens et les Stoïciens prétendaient que tout avait été fait par le ou la raison, et la sagesse divine. Au reste, c'est par surabondance de droit que nous citons ces philosophes et Philon lui-même ; car on doute avec raison que les Platoniciens, les Stoïciens, et Philon, aient entendu par ce terme le Verbe de Dieu, et Dieu lui-même, de la manière que nous l'entendons, et les Ecritures seules nous fournissent assez de preuves convaincantes de la divinité du Verbe.

L'autorité des paraphrastes embarrasse les nouveaux Ariens ; pour l'éluder Grotius a prétendu que Dieu avait produit, selon les Juifs, un être subalterne, dont il se servit pour la création de l'Univers ; mais cet être qui crée, quel qu'il sait, est nécessairement Dieu, puisqu'il n'y a que Dieu qui ait ce pouvoir, et le targum l'attribue à Memra ou au Verbe. M. le Clerc écrivant sur le premier chapitre de S. Jean, dit à-peu-près la même chose, et soutient que Philon dans tout ce qu'il a dit du , ne regarde pas le Verbe comme une personne distincte, mais qu'il en fait un ange et un principe inférieur à la divinité ; mais les orthodoxes ne se craient pas obligés à conformer leurs idées à celles de Philon, ou à les justifier. Ils ne font pas profession de le prendre pour guide en matière de foi, ils s'en rapportent à ce qu'en a dit l'apôtre S. Jean dans son évangile, dans sa première épitre, et dans son apocalypse, où mieux instruit de la divinité du Verbe que Philon, et par des lumières dont celui-ci ne fut jamais favorisé, il nous a dévoilé la nature du Verbe, sur tout lorsqu'il a dit : au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu : toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait, n'a été fait sans lui, &c.

Les Ariens ont nié la divinité et la consubstantialité du Verbe, mais leurs erreurs ont été condamnées par les conciles, et entr'autres par celui de Nicée, qui ont fixé le langage de l'Eglise sur cette importante matière : elles ont été renouvellées dans le seizième siècle, par Servet, Socin, et leurs disciples, connus sous le nom d'antitrinitaires. Voyez ARIENS, SERVETISTES, SOCINIENS, UNITAIRES.

Le Verbe est engendré du Père éternel, et cela de toute éternité, parce que le père n'a pu être un seul instant sans se connaître, ni se connaître sans produire un terme de cette connaissance, qui est le Verbe. Le Verbe procede donc du Père, par voie de connaissance et d'entendement. Les théologiens disent qu'il procede de la connaissance de l'essence divine, et de ses attributs absolus, et non seulement de la connaissance que le père a de lui-même et de sa nature, mais encore de celle de lui même et du S. Esprit, et enfin de celle des choses possibles et des choses futures, parce qu'il est l'image de toutes ces choses, aussi-bien que de la nature divine. Voyez FILS, GENERATION, PERE, TRINITE, PERSONNE, PROCESSION, etc.