adj. terme de Grammaire. On a distingué à l'article FORMATION deux sortes de dérivation, l'une philosophique, et l'autre grammaticale. La dérivation philosophique sert à l'expression des idées accessoires propres à la nature d'une idée primitive. La dérivation grammaticale sert à l'expression des points de vue sous lesquels une idée principale peut être envisagée dans l'ordre analytique de l'énonciation. C'est la dérivation philosophique qui forme, d'après une même idée primitive, des mots de différentes espèces, où l'on retrouve une même racine commune, symbole de l'idée primitive, avec les additions différentes destinées à représenter l'idée spécifique qui la modifie, comme AMo, AMor, AMicitia, AMicus, AManter, AMatoriè, AMicè, etc. C'est la dérivation grammaticale qui fait prendre à un même mot diverses inflexions, selon les divers aspects sous lesquels on envisage dans l'ordre analytique la même idée principale dont il est le symbole invariable, comme AMICus, AMICi, AMICo, AMICum, AMICorum, etc. Ce n'est que relativement à cette seconde espèce que les Grammairiens emploient les termes déclinable et indéclinable.

Un simple coup d'oeil jeté sur les différentes espèces de mots, et sur l'unanimité des usages de toutes les langues à cet égard, conduit naturellement à les partager en deux classes générales, caractérisées par des différences purement matérielles, mais pourtant essentielles, qui sont la déclinabilité et l'indéclinabilité.

La première classe comprend toutes les espèces de mots qui, dans la plupart des langues, reçoivent des inflexions destinées à désigner les divers points de vue sous lesquels l'ordre analytique présente l'idée principale de leur signification ; ainsi les mots déclinables sont les noms, les pronoms, les adjectifs et les verbes.

La seconde classe comprend les espèces de mots qui, en quelque langue que ce sait, gardent dans le discours une forme immuable, parce que l'idée principale de leur signification y est toujours envisagée sous le même aspect ; ainsi les mots indéclinables sont les prépositions, les adverbes, les conjonctions et les interjections.

Les mots considérés de cette manière sont essentiellement déclinables, ou essentiellement indéclinables ; et si l'unanimité des usages combinés des langues ne nous trompe pas sur ces deux propriétés opposées, elles naissent effectivement de la nature des espèces de mots qu'elles différencient ; et l'examen raisonné de ces deux caractères doit nous conduire à la connaissance de la nature même des mots, comme l'examen des effets conduit à la connaissance des causes. Voyez MOT.

Au reste, il ne faut pas se méprendre sur le véritable sens dans lequel on doit entendre la déclinabilité et l'indéclinabilité essentielle. Ces deux expressions ne veulent dire que la possibilité ou l'impossibilité absolue de varier les inflexions des mots relativement aux vues de l'ordre analytique ; mais la déclinabilité ne suppose point du tout que la variation actuelle des inflexions doive être admise nécessairement, quoique l'indéclinabilité l'exclue nécessairement : c'est que la non existence est une suite nécessaire de l'impossibilité ; mais l'existence, en supposant la possibilité, n'en est pas une suite nécessaire.

En effet, les mots essentiellement déclinables ne sont pas déclinés dans toutes les langues ; et dans celles où ils sont déclinés, ils ne l'y sont pas aux mêmes égards. Le verbe, par exemple, décliné presque par-tout, ne l'est point dans la langue franque, qui ne fait usage que de l'infinitif ; la place qu'il occupe et les mots qui l'accompagnent déterminent les diverses applications dont il est susceptible. Les noms qui en grec, en latin, en allemand, reçoivent des nombres et des cas, ne reçoivent que des nombres en français, en italien, en espagnol et en anglais, quoique maints Grammairiens croient y voir des cas, au moyen des prépositions qui les remplacent effectivement, mais qui ne le sont pas pour cela. Les verbes latins n'ont que trois modes personnels, l'indicatif, l'impératif et le subjonctif : ces trois modes se trouvent aussi en grec et en français ; mais les Grecs ont de plus un optatif qui leur est propre, et nous avons un mode suppositif qui n'est pas dans les deux autres langues.

Il y a dans les diverses langues de la terre mille variétés semblables, suites naturelles de la liberté de l'usage, décidé quelquefois par le génie propre de chaque idiome, et quelquefois par le simple hasard ou le pur caprice. Que les noms aient en grec, en latin et en allemand des nombres et des cas, et que dans nos langues analogues de l'Europe ils n'aient que des nombres, c'est génie ; mais qu'en latin, par exemple, où les noms et les adjectifs se déclinent, il y en ait que l'usage a privés des inflexions que l'analogie leur destinait, c'est hasard ou caprice.

Il me semble que c'est aussi caprice ou hasard, que ces noms ou ces adjectifs anomaux soient les seuls qu'il ait plu aux Grammairiens d'appeler spécialement indéclinables. J'aimerais beaucoup mieux que cette dénomination eut été réservée pour désigner la propriété de toute une espèce, en y ajoutant, si l'on eut voulu, la distinction de l'indéclinabilité naturelle et de l'indéclinabilité usuelle : dans ce cas, les anomaux dont il s'agit ici, auraient dû plutôt se nommer indéclinés qu'indéclinables, parce que leur indéclinabilité est un fait particulier qui déroge à l'analogie commune par accident, et non une suite de cette analogie.

Quoi qu'il en soit de la dénomination, ces anomaux indéclinables n'apportent dans l'élocution latine aucune équivoque ; et il est d'un usage bien entendu, quand on fait l'analyse d'une phrase latine où il s'en trouve, de leur attribuer les mêmes fonctions qu'aux mots déclinés. Ainsi en analysant cette proposition interjective de Virgile, cornu ferit ille, il est sage de dire que cornu est à l'ablatif comme complément de la proposition sous-entendue cùm (avec), quoique cornu n'ait réellement aucun cas au singulier : c'est faire allusion à l'analogie latine, et c'est comme si l'on disait que cornu aurait été mis à l'ablatif, si l'usage l'eut décliné comme les autres noms. J'avoue cependant qu'il y aurait plus de justesse et de vérité à se servir plutôt de ce tour conditionnel que de l'affirmation positive ; et j'en use ainsi quand il s'agit de l'infinitif, qui est un vrai nom indéclinable : dans turpe est mentiri, par exemple, je dis que l'infinitif mentiri est le sujet du verbe est, et qu'il serait au nominatif s'il était déclinable : dans clamare coepit, que clamare est le complément objectif de coepit, et qu'il serait à l'accusatif s'il était déclinable, etc. Voyez INFINITIF.

Mais ce qui est raisonnable par rapport à la phrase latine, serait ridicule et faux dans la phrase française. Dire que dans j'obéis au roi, au roi est au datif, c'est introduite dans notre langue un jargon qui lui est étranger, et y supposer une analogie qu'elle ne connait pas, . (B. E. R. M.)