sub. fém. (Grammaire) " c'est, dit M. du Marsais, Tropes II. xiv. une figure par laquelle on veut faire entendre le contraire de ce qu'on dit....

M. Boileau, qui n'a pas rendu à Quinault toute la justice que le public lui a rendue depuis, en parle ainsi par ironie ". Sat. 9.

Toutefais, s'il le faut, je veux bien m'en dédire ;

Et pour calmer enfin tous ces flots d'ennemis,

Réparer en mes vers les maux qu'ils ont commis :

Puisque vous le voulez, je vais changer de style.

Je le déclare donc, Quinault est un Virgile.

Lorsque les prêtres de Baal invoquaient vainement cette fausse divinité, pour en obtenir un miracle que le prophète Elie savait bien qu'ils n'obtiendraient pas ; ce saint homme les poussa par une ironie excellente ; III. Reg. XVIIIe 27. il leur dit : Clamate voce majore ; Deus enim est, et forsitan loquitur, aut in diversorio est, aut in itinere, aut certè dormit, ut excitetur.

L'épitre du P. du Cerceau à M. J. D. F. A. G. A. P. (Joli de Fleuri, avocat général au parlement) est une ironie perpétuelle, pleine de principes excellents cachés sous des contre-vérités ; mais l'auteur, en s'y plaignant de la décadence du bon gout, y devient quelquefois la preuve de la vérité et de la justice de ses plaintes.

" Les idées accessoires, dit M. du Marsais, ibid. sont d'un grand usage dans l'ironie : le ton de la voix, et plus encore la connaissance du mérite ou du démérite personnel de quelqu'un, et de la façon de penser de celui qui parle, servent plus à faire connaître l'ironie, que les paroles dont on se sert. Un homme s'écrie, ô le bel esprit ! Parle-t-il de Cicéron, d'Horace ; il n'y a point-là d'ironie ; les mots sont pris dans le sens propre. Parle-t-il de Zoïle ; c'est une ironie : ainsi l'ironie fait une satyre, avec les mêmes paroles dont le discours ordinaire fait un éloge ".

Quintilien distingue deux espèces d'ironie, l'une trope, et l'autre figure de pensée. C'est un trope, selon lui, quand l'opposition de ce que l'on dit à ce que l'on prétend dire, ne consiste que dans un mot ou deux ; comme dans cet exemple de Cicéron, 1. Catil. cité par Quintilien même : à quo repudiatus, ad sodalem tuum, virum optimum M. Marcellum demigrasti, où il n'y a en effet d'ironie que dans les deux mots virum optimum. C'est une figure de pensée, lorsque d'un bout à l'autre le discours énonce précisément le contraire de ce que l'on pense : telle est, par exemple, l'ironie du P. du Cerceau, sur la décadence du gout. La différence que Quintilien met entre ces deux espèces est la même que celle de l'allégorie et de la métaphore ; ut quemadmodum facit continua , sic hoc schema faciat troporum ille contextus. Inst. orat. IX. IIe

N'y a-t-il pas ici quelque inconséquence ? Si les deux ironies sont entr'elles comme la métaphore et l'allégorie, Quintilien a dû regarder également les deux premières espèces comme des tropes, puisqu'il a traité de même les deux dernières. M. du Marsais plus conséquent, n'a regardé l'ironie que comme un trope, par la raison que les mots dont on se sert dans cette figure, ne sont pas pris, dit-il, dans le sens propre et littéral : mais ce grammairien ne s'est-il pas mépris lui-même ?

" Les tropes, dit-il, Part. I. art. iv. sont des figures par lesquelles on fait prendre à un mot une signification qui n'est pas précisément la signification propre de ce mot ". Or il me semble que dans l'ironie il est essentiel que chaque mot soit pris dans sa signification propre ; autrement l'ironie ne serait plus une ironie, une mocquerie, une plaisanterie, illusio, comme le dit Quintilien, en traduisant littéralement le nom grec . Par exemple, lorsque Boileau dit, Quinault est un Virgile ; il faut 1°. qu'il ait pris d'abord le nom individuel de Virgile, dans un sens appelatif, pour signifier par antonomase excellent poète : 2°. qu'il ait conservé à ce mot ce sens appelatif, que l'on peut regarder en quelque sorte comme propre, relativement à l'ironie ; sans quoi l'auteur aurait eu tort de dire,

Puisque vous le voulez, je vais changer de style ;

Il avait assez dit autrefois que Quinault était un mauvais poète, pour faire entendre que cette fais-ci changeant de style, il allait le qualifier de poète excellent. Ainsi le nom de Virgile est pris ici dans la signification que l'antonomase lui a assignée ; et l'ironie n'y fait aucun changement. C'est la proposition entière ; c'est la pensée qui ne doit pas être prise pour ce qu'elle parait être ; en un mot, c'est dans la pensée qu'est la figure. Il y a apparence que le P. Jouvency l'entendait ainsi, puisque c'est parmi les figures de pensées qu'il place l'ironie : et Quintilien n'aurait pas regardé comme un trope le virum optimum que Cicéron applique à Marcellus, s'il avait fait réflexion que ce mot suppose un jugement accessoire, et peut en effet se rendre par une proposition incidente, qui est vir optimus. (B. E. R. M.)