Imprimer
Catégorie parente: Logique
Catégorie : Grammaire
S. m. (Grammaire) en latin articulus, diminutif de artus, membre, parce que dans le sens propre on entend par article les jointures des os du corps des animaux, unies de différentes manières et selon les divers mouvements qui leur sont propres : de-là par métaphore et par extension on a donné divers sens à ce mot.

Les Grammairiens ont appelé articles certains petits mots qui ne signifient rien de physique, qui sont identifiés avec ceux devant lesquels on les place, et les font prendre dans une acception particulière : par exemple, le roi aime le peuple ; le premier le ne présente qu'une même idée avec roi ; mais il m'indique un roi particulier que les circonstances du pays où je suis ou du pays dont on parle, me font entendre : l'autre le qui précède peuple, fait aussi le même effet à l'égard de peuple ; et de plus le peuple étant placé après aime, cette position fait connaître que le peuple est le terme ou l'objet du sentiment que l'on attribue au roi.

Les articles ne signifient point des choses ni des qualités seulement, ils indiquent à l'esprit le mot qu'ils précèdent, et le font considérer comme un objet tel, que sans l'article cet objet serait regardé sous un autre point de vue ; ce qui s'entendra mieux dans la suite, surtout par les exemples.

Les mots que les Grammairiens appellent articles, n'ont pas toujours dans les autres langues des équivalents qui y aient le même usage. Les Grecs mettent souvent leurs articles devant les noms propres, tels que Philippe, Alexandre, César, etc. nous ne mettons point l'article devant ces mots-là. Enfin il y a des langues qui ont des articles, et d'autres qui n'en ont point.

En hébreu, en chaldéen et en syriaque les noms sont indéclinables, c'est-à-dire qu'ils ne varient point leur désinence ou dernières syllabes, si ce n'est comme en français du singulier au pluriel ; mais les vues de l'esprit ou relations que les Grecs et les Latins font connaître par les terminaisons des noms, sont indiquées en hébreu par des prépositifs qu'on appelle préfixes, et qui sont liés aux noms à la manière des prépositions inséparables, en sorte qu'ils forment le même mot.

Comme ces prépositifs ne se mettent point au nominatif, et que l'usage qu'on en fait n'est pas trop uniforme, les Hébraïsans les regardent plutôt comme des prépositions que comme des articles. Nomina hebraica propriè loquendo sunt indeclinabilia. Quo ergo in casu accipienda sint et efferenda, non terminatione dignoscitur, sed praecipuè constructione et praepositionibus quibusdam, seu litteris praepositionum vices gerentibus, quoe ipsis à fronte adjiciuntur. Masclef. Grammaire hebr. c. IIe n. 7.

A l'égard des Grecs, quoique leurs noms se déclinent, c'est-à-dire qu'ils changent de terminaison selon les divers rapports ou vues de l'esprit qu'on a à marquer, ils ont encore un article ὁ, ἡ, τό, τοῦ, τῆς, τοῦ, etc. dont ils font un grand usage ; ce mot est en Grec une partie spéciale d'oraison. Les Grecs l'appelèrent ἄρθρον, du verbe ἄρω, apto, adapto, disposer, apprêter ; parce qu'en effet l'article dispose l'esprit à considérer le mot qui le suit sous un point de vue particulier ; ce que nous développerons plus en détail dans la suite.

Pour ce qui est des Latins, Quintilien dit expressément qu'ils n'ont point d'articles, et qu'ils n'en ont pas besoin, noster sermo articulos non desiderat. (Quint. lib. I. c. jv.) Ces adjectifs is, hic, ille, iste, qui sont souvent des pronoms de la troisième personne, sont aussi des adjectifs démonstratifs et métaphysiques, c'est-à-dire qui ne marquent point dans les objets des qualités réelles indépendantes de notre manière de penser. Ces adjectifs répondent plutôt à notre ce qu'à notre le. Les Latins s'en servent pour plus d'énergie et d'emphase : Catonem illum sapientem (Cic.) ce sage Caton ; ille alter, (Ter.) cet autre ; illa seges, (Virg. Georg. I. Ve 47.) cette moisson ; illa rerum domina fortuna, (Cic. pro Marc. n. 2.) la fortune elle-même, cette maîtresse des événements.

Uxorem ille tuus pulcher amator habet.

Propert. lib. II. eleg. XVIe Ve 4. Ce bel amant que vous avez, a une femme.

Ces adjectifs latins qui ne servent qu'à déterminer l'objet avec plus de force, sont si différents de l'article grec et de l'article français, que Vossius prétend (de Anal. lib. I. c. j. p. 375.) que les maîtres qui, en faisant apprendre les déclinaisons latines, font dire haec musa, induisent leurs disciples en erreur ; et que pour rendre littéralement la valeur de ces deux mots latins selon le génie de la langue grecque, il faudrait traduire haec musa, , c'est-à-dire cette la muse.

Les Latins faisaient un usage si fréquent de leur adjectif démonstratif ille, illa, illud, qu'il y a lieu de croire que c'est de ces mots que viennent notre le et notre la ; ille ego, mulier illa : Vae homini illi per quem tradetur. (Luc, c. xxij. Ve 22.) bonum erat ei si natus non fuisset homo ille. (Matt. c. xxvj. Ve 24.) Hic illa parva Petilia Philoctetae. (Virg. Aen. lib. III. Ve 401.) C'est-là que la petite ville de Petilie fut bâtie par Philoctete. Ausoniae pars illa procul quam pandit Apollo. Ib. Ve 479. Haec illa Charybdis. Ib. Ve 558. Pétrone faisant parler un guerrier qui se plaignait de ce que son bras était devenu paralytique, lui fait dire : funerata est pars illa corporis mei quâ quondam Achilles eram ; il est mort ce bras par lequel j'étais autrefois un Achille. Ille Deum pater, Ovide. Quisquis fuit ille Deorum. Ovide, Metam. lib. I. Ve 32.

Il y a un grand nombre d'exemples de cet usage que les Latins faisaient de leur ille, illa, illud, surtout dans les comiques, dans Phèdre et dans les auteurs de la basse latinité. C'est de la dernière syllabe de ce mot ille, quand il n'est pas employé comme pronom, et qu'il n'est qu'un simple adjectif indicatif, que vient notre article le : à l'égard de notre la, il vient du féminin illa, La première syllabe du masculin ille a donné lieu à notre pronom il, dont nous faisons usage avec les verbes, ille affirmat, (Phaed. lib. III. fab. IIIe Ve 4.) il assure. Ille fecit, (Id. lib. III. fab. Ve vers 8.) il a fait ou il fit. Ingenio vires ille dat, ille rapit, (Ov. Her. ep. XVe Ve 206.) A l'égard de elle, il vient de illa, illa veretur, (Virg. eclog. IIIe Ve 4.) elle craint.

Dans presque toutes les langues vulgaires, les peuples, soit à l'exemple des Grecs, soit plutôt par une pareille disposition d'esprit, se sont fait de ces prépositifs qu'on appelle articles. Nous nous arrêterons principalement à l'article français.

Tout prépositif n'est pas appelé article. Ce, cet, cette, certain, quelque, tout, chaque, nul, aucun, mon, ma, mes, etc. ne sont que des adjectifs métaphysiques ; ils précèdent toujours leurs substantifs ; et puisqu'ils ne servent qu'à leur donner une qualification métaphysique, je ne sai pourquoi on les met dans la classe des pronoms. Quoi qu'il en sait, on ne donne pas le nom d'article à ces adjectifs ; ce sont spécialement ces trois mots, le, la, les, que nos Grammairiens nomment articles, peut-être parce que ces mots sont d'un usage plus fréquent. Avant que d'en parler plus en détail, observons que

1°. Nous nous servons de le devant les noms masculins au singulier, le roi, le jour. 2°. Nous employons la devant les noms féminins au singulier, la reine, la nuit. 3°. La lettre s qui, selon l'analogie de la langue, marque le pluriel quand elle est ajoutée au singulier, a formé les du singulier le ; les sert également pour les deux genres, les rais, les reines, les jours, les nuits. 4°. Le, la, les, sont les trois articles simples : mais ils entrent aussi en composition avec la préposition à, et avec la préposition de, et alors ils forment les quatre articles composés, au, aux, du, des.

Au est composé de la préposition à, et de l'article le, en sorte que au est autant que à le. Nos pères disaient al, al temps Innocent III. c'est-à-dire au temps d'Innocent III. L'apostoîle manda al prodome, etc. le pape envoya au prud'homme : Ville-Hardouin, lib. I. pag. 1. mainte lerme i fu plorée de pitié al départir, ib. id. page 16. Vigenere traduit maintes larmes furent plorées à leur partement, et au prendre congé. C'est le son obscur de l'e muet de l'article simple le, et le changement assez commun en notre langue de l en u, comme mal, maux, cheval, chevaux ; altus, haut, alnus, aulne (arbre) alna, aune (mesure) alter, autre, qui ont fait dire au au lieu de à le, ou de al. Ce n'est que quand les noms masculins commencent par une consonne ou une voyelle aspirée, que l'on se sert de au au lieu de à le ; car si le nom masculin commence par une voyelle, alors on ne fait point de contraction, la préposition à et l'article le demeurent chacun dans leur entier : ainsi quoiqu'on dise le cœur, au cœur, on dit l'esprit, à l'esprit, le père, au père ; et on dit l'enfant, à l'enfant ; on dit le plomb, au plomb ; et on dit l'or, à l'or, l'argent, à l'argent, car quand le substantif commence par une voyelle, l'e muet de le s'élide avec cette voyelle, ainsi la raison qui a donné lieu à la contraction au, ne subsiste plus ; et d'ailleurs, il se ferait un bâillement desagréable si l'on disait au esprit, au argent, au enfant, etc. Si le nom est féminin, n'y ayant point d'e muet dans l'article la, on ne peut plus en faire au ; ainsi l'on conserve alors la préposition et l'article, la raison, à la raison, la vertu, à la vertu. 2°. Aux sert au pluriel pour les deux genres ; c'est une contraction pour à les, aux hommes, aux femmes, aux rais, aux reines, pour à les hommes, à les femmes, etc. 3°. Du est encore une contraction pour de le ; c'est le son obscur des deux e muets de suite, de le, qui a amené la contraction du : autrefois on disait del ; la fins del conseil si fu tels, etc. l'arrêté du conseil fut, etc. Ville-Hardouin, lib. VII. p. 107. Gervaise del Chastel, id. ib. Gervais du Castel. Vigenere. On dit donc du bien et du mal, pour de le bien, de le mal, et ainsi de tous les noms masculins qui commencent par une consonne ; car si le nom commence par une voyelle, ou qu'il soit du genre féminin, alors on revient à la simplicité de la préposition, et à celle de l'article qui convient au genre du nom ; ainsi on dit de l'esprit, de la vertu, de la peine ; par-là on évite le bâillement : c'est la même raison que l'on a marquée sur au. 4°. Enfin des sert pour les deux genres au pluriel, et se dit pour de les, des rais, des reines.

Nos enfants qui commencent à parler, s'énoncent d'abord sans contraction ; ils disent de le pain, de le vin. Tel est encore l'usage dans presque toutes nos provinces limitrophes, surtout parmi le peuple : c'est peut-être ce qui a donné lieu aux premières observations que nos Grammairiens ont faites de ces contractions.

Les Italiens ont un plus grand nombre de prépositions qui se contractent avec leurs articles.

Mais les Anglais qui ont comme nous des prépositions et des articles, ne font pas ces contractions ; ainsi ils disent of the, de le, où nous disons du ; the king, le roi ; of the king, de le roi, et en français du roi ; of the queen, de la reine ; to the king, à le roi, au roi ; to the queen, à la reine. Cette remarque n'est pas de simple curiosité ; il est important, pour rendre raison de la construction, de séparer la préposition de l'article, quand ils sont l'un et l'autre en composition : par exemple, si je veux rendre raison de cette façon de parler, du pain suffit, je commence par dire de le pain ; alors la préposition de, qui est ici une préposition extractive, et qui comme toutes les autres prépositions doit être entre deux termes, cette préposition, dis-je, me fait connaître qu'il y a ici une ellipse.

Phèdre, dans la fable de la vipere et de la lime, pour dire que cette vipere cherchait de quoi manger, dit : haec quùm tentaret si qua res esset cibi, l. IV. fab. VIIe Ve 4. où vous voyez que aliqua res cibi fait connaître par analogie que du pain, c'est aliqua res panis ; paululum panis, quelque chose, une partie, une portion du pain : c'est ainsi que les Anglais, pour dire donnez-moi du pain, disent give me some bread, donnez-moi quelque pain ; et pour dire j'ai Ve des hommes, ils disent I have seen some men ; mot à mot, j'ai Ve quelques hommes ; à des Médecins, to some physiciants, à quelques médecins.

L'usage de sous-entendre ainsi quelque nom générique devant de, du, des, qui commencent une phrase, n'était pas inconnu aux Latins : Lentulus écrit à Cicéron de s'intéresser à sa gloire ; de faire valoir dans le sénat et ailleurs tout ce qui pourrait lui faire honneur : de nostra dignitate velim tibi ut semper curae sit. Cicéron, ép. livre XII. ép. XIVe Il est évident que de nostra dignitate ne peut être le nominatif de curae sit ; cependant ce verbe sit étant à un mode fini, doit avoir un nominatif : ainsi Lentulus avait dans l'esprit ratio ou sermo de nostra dignitate, l'intérêt de ma gloire ; et quand même on ne trouverait pas en ces occasions de mot convenable à suppléer, l'esprit n'en serait pas moins occupé d'une idée que les mots énoncés dans la phrase réveillent, mais qu'ils n'expriment point : telle est l'analogie, tel est l'ordre de l'analyse de l'énonciation. Ainsi nos Grammairiens manquent d'exactitude, quand ils disent que la préposition dont nous parlons sert à marquer le nominatif, lorsqu'on ne veut que designer une partie de la chose, Grammaire de Regnier, page 170 ; Restaut, pag. 75. et 418. Ils ne prennent pas garde que les prépositions ne sauraient entrer dans le discours, sans marquer un rapport ou relation entre deux termes, entre un mot et un mot : par exemple, la préposition pour marque un motif, une fin, une raison : mais ensuite il faut énoncer l'objet qui est le terme de ce motif, et c'est ce qu'on appelle le complément de la préposition. Par exemple, il travaille pour la patrie, la patrie est le complément de pour, c'est le mot qui détermine pour ; ces deux mots pour la patrie font un sens particulier qui a rapport à travaille, et ce dernier au sujet de la préposition, le roi travaille pour la patrie. Il en est de même des prépositions de et à. Le livre de Pierre est beau ; Pierre est le complément de de, et ces deux mots de Pierre se rapportent à livre, qu'ils déterminent, c'est-à-dire, qu'ils donnent à ce mot le sens particulier qu'il a dans l'esprit, et qui dans l'énonciation le rend sujet de l'attribut qui le suit : c'est de ce livre que je dis qu'il est beau.

A est aussi une préposition qui, entre autres usages, marque un rapport d'attribution : donner son cœur à Dieu, parler à quelqu'un, dire sa pensée à son ami.

Cependant communément nos Grammairiens ne regardent ces deux mots que comme des particules qui servent, disent-ils, à décliner nos noms ; l'une est, dit-on, la marque du génitif ; et l'autre, celle du datif. Mais n'est-il pas plus simple et plus analogue au procédé des langues, dont les noms ne changent point leur dernière syllabe, de n'y admettre ni eas ni déclinaison, et d'observer seulement comment ces langues énoncent les mêmes vues de l'esprit, que les Latins font connaître par la différence des terminaisons ? tout cela se fait, ou par la place du mot, ou par le secours des prépositions.

Les Latins n'ont que six cas, cependant il y a bien plus de rapports à marquer ; ce plus, ils l'énoncent par le secours de leurs prépositions. Hé bien, quand la place du mot ne peut pas nous servir à faire connaître le rapport que nous avons à marquer, nous faisons alors ce que les Latins faisaient au défaut d'une désinence ou terminaison particulière : comme nous n'avons point de terminaison destinée à marquer le génitif, nous avons recours à une préposition ; il en est de même du rapport d'attribution, nous le marquons par la proposition à, ou par la préposition pour, et même par quelques autres, et les Latins marquaient ce rapport par une terminaison particulière qui faisait dire que le mot était alors au datif.

Nos Grammairiens ne nous donnent que six cas, sans doute parce que les Latins n'en ont que six. Notre accusatif, dit-on, est toujours semblable au nominatif : hé, y a-t-il autre chose qui les distingue, sinon la place ? L'un se met devant, et l'autre après le verbe ; dans l'une et dans l'autre occasion le nom n'est qu'une simple dénomination. Le génitif, selon nos Grammaires, est aussi toujours semblable à l'ablatif ; le datif a le privilège d'être seul avec le prétendu article à : mais de et à ont toujours un complément comme les autres prépositions, et ont également des rapports particuliers à marquer ; par conséquent si de et à font des cas, sur, par, pour, sous, dans, avec, et les autres prépositions, devraient en faire aussi ; il n'y a que le nombre déterminé des six cas latins qui s'y oppose : ce que je veux dire est encore plus sensible en italien.

Les Grammaires italiennes ne comptent que six cas aussi, par la seule raison que les Latins n'en ont que six. Il ne sera pas inutîle de décliner ici au moins le singulier de nos Italiens, tels qu'ils sont déclinés dans la grammaire de Buommatei, celle qui avec raison a le plus de réputation.

1. Il re, c'est-à-dire le roi ; 2. del re, 3. al re, 4. il re, 5. o re, 6. dal re. 1. Lo abbate, l'abbé ; 2. dello abbate, 3. allo abbate, 4. lo abbate, 5. o abbate, 6. dallo abbate. 1. La donna, la dame ; 2. della donna, 3. alla donna, 4. la donna, 5. o donna, 6. dalla donna. On voit aisément, et les Grammairiens en conviennent, que del, dello et dalla, sont composés de l'article, et de di, qui en composition se change en de ; que al, allo et alla, sont aussi composés de l'article et de a, et qu'enfin dal, dallo et dalla, sont formés de l'article et de da, qui signifie par, che, de.

Buommatei appelle ces trois mots di, a, da, des segnacasi, c'est-à-dire des signes des cas. Mais ce ne sont pas ces seules prépositions qui s'unissent avec l'article : en voici encore d'autres qui ont le même privilège.

Con, co, avec ; col tempo, avec le temps ; colla liberta, avec la liberté.

In, en, dans, qui en composition se change en ne, nello specchio, dans le miroir ; nel giardino, dans le jardin ; nelle strade, dans les rues.

Per, pour, par rapport à, perd l'r ; p'el giardino, pour le jardin.

Sopra, sur, se change en su, su'l prato, sur le pré, sulla tavola, sur la table. Infra ou intra se change en tra : on dit tra'l pour tra, il entre là.

La conjonction et s'unit aussi avec l'article, la terra e'l cielo, la terre et le ciel. Faut-il pour cela l'ôter du nombre des conjonctions ? Puisqu'on ne dit pas que toutes ces prépositions qui entrent en composition avec l'article, forment autant de nouveaux cas qu'elles marquent de rapports différents ; pourquoi dit-on que di, a, da, ont ce privilège ? C'est qu'il suffisait d'égaler dans la langue vulgaire le nombre des six cas de la Grammaire latine, à quoi on était accoutumé dès l'enfance. Cette correspondance étant une fois trouvée, le surabondant n'a pas mérité d'attention particulière.

Buommatei a senti cette difficulté ; sa bonne foi est remarquable ; je ne saurais condamner, dit-il, ceux qui veulent que in, per, con, soient aussi bien signes de cas, que le sont di, a, da : mais il ne me plait pas à-présent de les mettre au nombre des signes de cas ; il me parait plus utîle de les laisser au traité des prépositions : io non danno in loro ragioni, che certò non si posson dannare ; ma non mi piace per ora mettère gli ultimi nel numero de segnacasi ; parendo à me piu utîle lasciar gli al trattato delle propositioni. Buommatei, della ling. Toscana. Del Segn. c. tr. 42. Cependant une raison égale doit faire tirer une conséquence pareille : per ratio, paria jura desiderat : co, ne, pe, etc. n'en sont pas moins prépositions, quoiqu'elles entrent en composition avec l'article, ainsi di, a, da, n'en doivent pas moins être prépositions pour être unies à l'article. Les unes et les autres de ces prépositions n'entrent dans le discours que pour marquer le rapport particulier qu'elles doivent indiquer chacune selon la destination que l'usage leur a donnée, sauf aux Latins à marquer un certain nombre de ces rapports par des terminaisons particulières.

Encore un mot, pour faire voir que notre de et notre a ne sont que des prépositions, c'est qu'elles viennent, l'une de la préposition latin de, et l'autre de ad ou de a.

Les Latins ont fait de leur proposition de le même usage que nous faisons de notre de ; or si en latin de est toujours préposition, le de français doit l'être aussi toujours.

1°. Le premier usage de cette préposition est de marquer l'extraction, c'est-à-dire d'où une chose est tirée, d'où elle vient, d'où elle a pris son nom ; ainsi nous disons un temple de marbre, un pont de pierre, un homme du peuple, les femmes de notre siècle.

2°. Et par extension cette préposition sert à marquer la propriété : le livre de Pierre, c'est-à-dire le livre tiré d'entre les choses qui appartiennent à Pierre.

C'est selon ces acceptions que les Latins ont dit, templum de marmore ponam, Virg. Georg. liv. III. vers 13. je ferai bâtir un temple de marbre : fuit in tectis de marmore templum, Virg. Aen. IV. Ve 457. Il y avait dans son palais un temple de marbre, tota de marmore, Virg. Ecl. VII. Ve 31. toute de marbre :

.... solido de marmore templa

Instituam, festosque dies de nomine Phaebi.

Virg. Aen. VI. Ve 70. Je ferai bâtir des temples de marbre, et j'établirai des fêtes du nom de Phoebus, en l'honneur de Phoebus.

Les Latins, au lieu de l'adjectif, se sont souvent servis de la préposition de suivie du nom, ainsi de marmore est équivalent à marmoreum. C'est ainsi qu'Ovide, I. mét. Ve 127. au lieu de dire aetas ferrea, a dit : de duro est ultima ferro, le dernier âge est l'âge de fer. Remarquez qu'il venait de dire, aurea prima sata est aetas ; ensuite subiit argentea proles.

Tertia post illas successit Ahnea proles :

& enfin il dit dans le même sens, de duro est ultima ferro.

Il est évident que dans la phrase d'Ovide, aetas de ferro, de ferro n'est point au génitif ; pourquoi donc dans la phrase française, l'âge de fer, de fer serait-il au génitif ? Dans cet exemple la préposition de n'étant point accompagnée de l'article, ne sert avec fer, qu'à donner à âge une qualification adjective :

Ne partis expers esset de nostris bonis,

Ter. Heaut. IV. 1. 39. afin qu'il ne fût pas privé d'une partie de nos biens : non hoc de nihilo est, Ter. Hec. V. 1. 1. ce n'est pas là une affaire de rien.

Reliquum de ratiuncula, Ter. Phorm. I. 1. 2. un reste de compte.

Portenta de genere hoc. Lucret. liv. V. Ve 38. les monstres de cette espèce.

Caetera de genere hoc adfingère, imaginer des fantômes de cette sorte, id. ibid. Ve 165. et Horace, I. sat. 1. Ve 13. s'est exprimé de la même manière, caetera de genere hoc adeo sunt multa.

De plebe Deo, Ovid. un dieu du commun.

Nec de plebe deo, sed qui vaga fulmina mitto. Ovid. Mét. I. Ve 595. Je ne suis pas un dieu du commun, dit Jupiter à Io, je suis le dieu puissant qui lance la foudre. Homo de scola, Cic. de orat. IIe 7. un homme de l'école. Declamator de ludo, Cic. orat. c. XVe déclamateur du lieu d'exercice. Rabula de foro, un criailleur, un braillard du Palais, Cic. ibid. Primus de plebe, Tit. Liv. lib. VII. c. XVIIe le premier du peuple Nous avons des élégies d'Ovide, qui sont intitulées de Ponto, c'est-à-dire envoyées du Pont. Mulieres de nostro seculo quae spontè peccant, les femmes de notre siècle. Ausone, dans l'épitre qui est à la tête de l'idylle VII.

Cette couronne, que les soldats de Pilate mirent sur la tête de Jesus-Christ, S. Marc (ch. XVe Ve 17.) l'appelle spineam coronam, et S. Matth. (ch. XVe Ve 29.) aussi bien que S. Jean (ch. xjx. Ve 2.) la nomment coronam de spinis, une couronne d'épines.

Unus de circumstantibus, Marc, ch. XIVe vers. 47. un de ceux qui étaient là, l'un des assistants. Nous disons que les Romains ont été ainsi appelés de Romulus ; et n'est-ce pas dans le même sens que Virgile a dit : Romulus excipiet gentem, Romanosque suo de nomine dicet. I. Aeneid. Ve 281. et au vers 471. du même livre, il dit que Didon acheta un terrain qui fut appelé byrsa, du nom d'un certain fait ; facti de nomine byrsam ; et encore au vers 18. du III. liv. Enée dit : Aeneadasque meo nomen de nomine fingo. Ducis de nomine, ibid. vers. 166. etc. de nihilo irasci ; Plaut. se fâcher d'une bagatelle, de rien, pour rien ; quercus de caelo tactas, Virg. des chênes frappés de la foudre ; de more, Virg. selon l'usage ; de medio potare die, Horace, dès midi ; de tenero ungui, Horace, dès l'enfance ; de industriâ, Teren. de dessein prémédité ; filius de summo loco, Plaute, un enfant de bonne maison ; de meo, de tuo, Plaute, de mon bien, à mes dépens ; j'ai acheté une maison de Crassus, domum emi de Crasso ; Cic. fam. liv. Voyez Ep. VIe et pro Flacco, c. xx. fundum mercatus et de pupillo ; il est de la troupe, de grege illo est ; Ter. Adelp. III. IIIe 38. je le tiens de lui, de Davo audivi ; diminuer de l'amitié, aliquid de nostra conjunctione imminutum ; Cic. V. liv. epist. v.

3. De se prend aussi en latin et en français pour pendant ; de die, de nocte ; de jour, de nuit.

4. De pour touchant, au regard de ; si res de amore meo secundae essent ; si les affaires de mon amour allaient bien. Ter.

Legati de pace, César, de Bello Gall. 2. 3. des envoyés touchant la paix, pour parler de paix ; de argento somnium, Ter. Adelp. II. j. 50. à l'égard de l'argent, néant ; de captivis commutandis, pour l'échange des prisonniers.

5. De, à cause de, pour, nos amas de fidicinâ isthac, Ter. Eun. III. IIIe 4. vous m'aimez à cause de cette musicienne ; laetus est de amicâ, il est gai à cause de sa maîtresse ; rapto de fratre dolentis, Horace, I. ep. XIVe 7. inconsolable de la mort de son frère ; accusare, arguere de ; accuser, reprendre de.

6. Enfin cette préposition sert à former des façons de parler adverbiales ; de integro, de nouveau. Cic. Virg. de industria, Teren. de propos délibéré, à dessein.

Si nous passions aux auteurs de la basse latinité, nous trouverions encore un plus grand nombre d'exemples : de caelis Deus, Dieu des cieux ; pannus de lanâ, un drap, une étoffe de laine.

Ainsi l'usage que les Latins ont fait de cette préposition a donné lieu à celui que nous en faisons. Les autorités que je viens de rapporter doivent suffire, ce me semble, pour détruire le préjugé répandu dans toutes nos grammaires, que notre de est la marque du génitif : mais encore un coup, puisqu'en latin templum de marmore, pannus de lana, de n'est qu'une préposition avec son complément à l'ablatif, pourquoi ce même de passant dans la langue française avec un pareil complément, se trouverait-il transformé en particule, et pourquoi ce complément, qui est à l'ablatif en latin, se trouverait-il au génitif en français.

Il n'y est ni au génitif ni à l'ablatif ; nous n'avons point de cas proprement dit en français ; nous ne faisons que nommer : et à l'égard des rapports ou vues différentes sous lesquels nous considérons les mots, nous marquons ces vues, ou par la place du mot, ou par le secours de quelque préposition.

La préposition de est employée le plus souvent à la qualification et à la détermination ; c'est-à-dire qu'elle sert à mettre en rapport le mot qui qualifie, avec celui qui est qualifié : un palais de roi, un courage de héros.

Lorsqu'il n'y a que la simple préposition de, sans l'article, la préposition et son complément sont pris adjectivement ; un palais de roi, est équivalent à un palais royal ; une valeur de héros, équivaut à une valeur héroïque ; c'est un sens spécifique, ou de sorte : mais quand il y a un sens individuel ou personnel, soit universel, soit singulier, c'est-à-dire quand on veut parler de tous les rois personnellement, comme si l'on disait l'intérêt des rais, ou de quelque roi particulier, la gloire du roi, la valeur du héros que j'aime, alors on ajoute l'article à la préposition ; car des rais, c'est de les rois ; et du héros, c'est de le héros.

A l'égard de notre à, il vient le plus souvent de la préposition latine ad, dont les Italiens se servent encore aujourd'hui devant une voyelle : ad uomo d'intellecto, à un homme d'esprit ; ad uno ad uno, un à un ; (S. Luc, ch. IXe Ve 13.) pour dire que Jesus-Christ dit à ses disciples, etc. se sert de la préposition ad, ait ad illos. Les Latins disaient également loqui alicui, et loqui ad aliquem, parler à quelqu'un ; afferre aliquid alicui, ou ad aliquem, apporter quelque chose à quelqu'un, etc. Si de ces deux manières de s'exprimer nous avons choisi celle qui s'énonce par la préposition, c'est que nous n'avons point de datif.

1°. Les Latins disaient aussi pertinere ad ; nous disons de même avec la préposition appartenir à.

2°. Notre préposition à vient ainsi quelquefois de la préposition latine à ou ab ; auferre aliquid alicui ou ab aliquo, ôter quelque chose à quelqu'un : on dit aussi, eripere aliquid alicui ou ab aliquo ; petère veniam à Deo, demander pardon à Dieu.

Tout ce que dit M. l'abbé Regnier pour faire voir que nous avons des datifs, me parait bien mal assorti avec tant d'observations judicieuses qui sont répandues dans sa Grammaire. Selon ce célèbre académicien (pag. 238.) quand on dit voilà un chien qui s'est donné à moi, à moi est au datif : mais si l'on dit un chien qui s'est adonné à moi, cet à moi, ne sera plus alors un datif ; c'est, dit-il, la préposition latine ad. J'avoue que je ne saurais reconnaître la préposition latine dans adonné à, sans la voir aussi dans donné à, et que dans l'une et dans l'autre de ces phrases les deux à me paraissent de même espèce, et avoir la même origine. En un mot, puisque ad aliquem ou ab aliquo ne sont point des datifs en latin, je ne vois pas pourquoi à quelqu'un pourrait être un datif en français.

Je regarde donc de et à comme de simples prépositions, aussi bien que par, pour, avec, etc. les unes et les autres servent à faire connaître en français les rapports particuliers que l'usage les a chargés de marquer, sauf à la langue latine à exprimer autrement ces mêmes rapports.

A l'égard de le, la, les, je n'en fais pas une classe particulière des mots sous le nom d'article ; je les place avec les adjectifs prépositifs, qui ne se mettent jamais que devant leurs substantifs, et qui ont chacun un service qui leur est propre. On pourrait les appeler prénoms.

Comme la société civîle ne saurait employer trop de moyens pour faire naître dans le cœur des hommes des sentiments, qui d'une part les portent à éviter le mal qui est contraire à cette société, et de l'autre les engagent à pratiquer le bien, qui sert à la maintenir et à la rendre florissante ; de même l'art de la parole ne saurait nous donner trop de secours pour nous faire éviter l'obscurité et l'amphibologie, ni inventer un assez grand nombre de mots, pour énoncer non-seulement les diverses idées que nous avons dans l'esprit, mais encore pour exprimer les différentes faces sous lesquelles nous considerons les objets de ces idées.

Telle est la destination des prénoms ou adjectifs métaphysiques, qui marquent, non des qualités physiques des objets, mais seulement des points de vue de l'esprit, ou des faces différentes sous lesquelles l'esprit considère le même mot ; tels sont tout, chaque, nul, aucun, quelque, certain, dans le sens de quidam, un, ce, cet, cette, ces, le, la, les, auxquels on peut joindre encore les adjectifs possessifs tirés des pronoms personnels ; tels sont mon, ma, mes, et les noms de nombre cardinal, un, deux, trois, &c.

Ainsi je mets le, la, les, au rang de ces pronoms ou adjectifs métaphysiques. Pourquoi les ôter de la classe de ces autres adjectifs ?

Ils sont adjectifs puisqu'ils modifient leur substantifs, et qu'ils le font prendre dans une acception particulière, individuelle, et personnelle. Ce sont des adjectifs métaphysiques, puisqu'ils marquent, non des qualités physiques, mais une simple vue particulière de l'esprit.

Presque tous nos Grammairiens (Regnier, p. 141. Restaut, p. 64.) nous disent que le, la, les, servent à faire connaître le genre des noms, comme si c'était là une propriété qui fût particulière à ces petits mots. Quand on a un adjectif à joindre à un nom, on donne à cet adjectif, ou la terminaison masculine, ou la féminine. Selon ce que l'usage nous en a appris, si nous disons le soleil plutôt que la soleil, comme les Allemands, c'est que nous savons qu'en français soleil est du genre masculin, c'est-à-dire qu'il est dans la classe des noms des choses inanimées auxquels l'usage a consacré la terminaison des adjectifs déjà destinée aux noms des mâles, quand il s'agit des animaux. Ainsi lorsque nous parlons du soleil, nous disons le soleil, plutôt que la, par la même raison que nous dirions beau soleil, brillant soleil, plutôt que belle ou brillante.

Au reste, quelques Grammairiens mettent le, la, les, au rang des pronoms : mais si le pronom est un mot qui se mette à la place du nom dont il rappelle l'idée, le, la, les, ne seront pronoms que lorsqu'ils feront cette fonction : alors ces mots vont tous seuls et ne se trouvent point avec le nom qu'ils représentent. La vertu est aimable ; aimez-la. Le premier la est adjectif métaphysique ; ou comme on dit article, il précède son substantif vertu ; il personnifie la vertu ; il la fait regarder comme un individu métaphysique : mais le second la qui est après aimez, rappelle la vertu, et c'est pour cela qu'il est pronom, et qu'il Ve tout seul ; alors la vient de illam, elle.

C'est la différence du service ou emploi des mots, et non la différence matérielle du son, qui les fait placer en différentes classes : c'est ainsi que l'infinitif des verbes est souvent nom, le boire, le manger.

Mais sans quitter nos mots, ce même son la n'est-il pas aussi quelquefois un adverbe qui répond aux adverbes latins, ibi, hâc, istâc, illâc, il demeure là, il Ve là ? etc. N'est il pas encore un nom substantif quand il signifie une note de musique ? Enfin n'est-il pas aussi une particule explétive qui sert à l'énergie ? ce jeune homme-là, cette femme-là, &c.

A l'égard de un, une, dans le sens de quelque ou certain, en latin quidam, c'est encore un adjectif prépositif qui désigne un individu particulier, tiré d'une espèce, mais sans déterminer singulièrement quel est cet individu, si c'est Pierre ou Paul. Ce mot nous vient aussi du latin, quis est is homo, unus ne amator ? (Plaut. Truc. I. IIe 32.) quel est cet homme, est-ce là un amoureux ? hic est unus servus violentissimus, (Plaut. ibid. II. 1. 39.) c'est un esclave emporté ; sicut unus paterfamilias, (Cic. de orat. 1. 29.) comme un père de famille. Qui variare cupit rem prodigialiter unam, (Hor. art. poet. Ve 29.) celui qui croit embellir un sujet, unam rem, en y faisant entrer du merveilleux. Forte unam adspicio adolescentulam, (Ter. And. act. 1. sc. I. Ve 91.) j'aperçais par hasard une jeune fille. Donat qui a commenté Térence dans le temps que la langue latine était encore une langue vivante, dit sur ce passage que Térence a parlé selon l'usage, et que s'il a dit unam, une, au lieu de quamdam, certaine, c'est que telle était, dit-il, et que telle est encore la manière de parler. Ex consuetudine dicit unam, ut dicimus, unus est adolescens : unam ergo dixit, vel unam pro quamdam. Ainsi ce mot n'est en français que ce qu'il était en latin.

La Grammaire générale de P. R. pag. 53. dit que un est article indéfini. Ce mot ne me parait pas plus article indéfini que tout, article universel, ou ce, cette, ces, articles définis. L'auteur ajoute, qu'on croit d'ordinaire que un n'a point de plurier ; qu'il est vrai qu'il n'en a point qui soit formé de lui-même : (on dit pourtant, les uns, quelques- uns ; et les Latins ont dit au pluriel, uni, unae, etc. Ex unis geminas mihi conficiet nuptias. (Ter. And. act. IV. sc. 1. Ve 51.) Aderit una in unis aedibus. (Ter. Eun. act. II. sc. IIIe Ve 75. et selon Mde Dacier, act. II. sc. IVe Ve 74.) Mais revenons à la Grammaire générale. Je dis, poursuit l'auteur, que un a un pluriel pris d'un autre mot, qui est des, avant les substantifs, des animaux ; et de, quand l'adjectif précéde, de beaux lits. De un pluriel ! cela est nouveau.

Nous avons déjà observé que des est pour de les, et que de est une préposition, qui par conséquent suppose un mot exprimé ou sousentendu, avec lequel elle puisse mettre son complément en rapport : qu'ainsi il y a ellipse dans ces façons de parler ; et l'analogie s'oppose à ce que des ou de soient le nominatif pluriel d'un ou d'une.

L'auteur de cette Grammaire générale me parait bien au-dessous de sa réputation quand il parle de ce mot des à la page 55 : il dit que cette particule est quelquefois nominatif ; quelquefois accusatif, ou génitif, ou datif, ou enfin ablatif de l'article un. Il ne lui manque donc que de marquer le vocatif pour être la particule de tous les cas. N'est-ce pas là indiquer bien nettement l'usage que l'on doit faire de cette préposition ?

Ce qu'il y a de plus surprenant encore, c'est que cet auteur soutient, page 55, que comme on dit au datif singulier à un, et au datif pluriel à des, on devrait dire au génitif pluriel de des ; puisque des est, dit-il, le pluriel d'un : que si on ne l'a pas fait, c'est, poursuit-il, par une raison qui fait la plupart des irrégularités des langues, qui est la cacophonie ; ainsi, dit-il, selon la parole d'un ancien, impetratum est à ratione ut peccare suavitatis causâ liceret ; et cette remarque a été adoptée par M. Restaut, pag. 73. et 75.

Au reste, Cicéron dit, (Orator, n. XLVII.) que impetratum est à consuetudine, et non à ratione, ut peccare suavitatis causâ liceret : mais soit qu'on lise à consuetudine, avec Cicéron, ou à ratione, selon la Grammaire générale, il ne faut pas croire que les pieux solitaires de P. R. aient voulu étendre cette permission au-delà de la Grammaire.

Mais revenons à notre sujet. Si l'on veut bien faire attention que des est pour de les ; que quand on dit à des hommes, c'est à de les hommes ; que de ne saurait alors déterminer à, qu'ainsi il y a ellipse à des hommes, c'est-à-dire à quelques-uns de les hommes, quibusdam ex hominibus : qu'au contraire, quand on dit le Sauveur des hommes, la construction est toute simple ; on dit au singulier, le Sauveur de l'homme, et au pluriel le Sauveur de les hommes ; il n'y a de différence que de le à les, et non à la préposition. Il serait inutîle et ridicule de la répéter ; il en est de des comme de aux, l'un est de les, et l'autre à les : or comme lorsque le sens n'est pas partitif, on dit aux hommes sans ellipse, on dit aussi des hommes ; dans le même sens général, l'ignorance des hommes, la vanité des hommes.

Ainsi regardons 1°. le, la, les, comme de simples adjectifs indicatifs et métaphysiques, aussi-bien que ce, cet, cette, un, quelque, certain, &c.

2°. Considérons de comme une préposition, qui, ainsi que par, pour, en, avec, sans, etc. sert à tourner l'esprit vers deux objets, et à faire apercevoir le rapport que l'on veut indiquer entre l'un et l'autre.

3°. Enfin décomposons au, aux, du, des, faisant attention à la destination et à la nature de chacun des mots décomposés, et tout se trouvera applani.

Mais avant que de passer à un plus grand détail touchant l'emploi et l'usage de ces adjectifs, je crois qu'il ne sera pas inutîle de nous arrêter un moment aux réflexions suivantes : elles paraitront d'abord étrangères à notre sujet ; mais j'ose me flatter qu'on reconnaitra dans la suite qu'elles étaient nécessaires.

Il n'y a en ce monde que des êtres réels, que nous ne connaissons que par les impressions qu'ils font sur les organes de nos sens, ou par des réflexions qui supposent toujours des impressions sensibles.

Ceux de ces êtres qui sont séparés des autres, font chacun un ensemble, un tout particulier par la liaison, la continuité, le rapport, et la dépendance de leurs parties.

Quand une fois les impressions que ces divers objets ont faites sur nos sens, ont été portées jusqu'au cerveau, et qu'elles y ont laissé des traces, nous pouvons alors nous rappeler l'image ou l'idée de ces objets particuliers, même de ceux qui sont éloignés de nous ; et nous pouvons par le moyen de leurs noms, s'ils en ont un, faire connaître aux autres hommes, que c'est à tel objet que nous pensons plutôt qu'à tel autre.

Il parait donc que chaque être singulier devrait avoir son nom propre, comme dans chaque famille chaque personne a le sien : mais cela n'a pas été possible à cause de la multitude innombrable de ces êtres particuliers, de leurs propriétés et de leurs rapports. D'ailleurs, comment apprendre et retenir tant de noms ?

Qu'a-t-on donc fait pour y suppléer ? Je l'ai appris en me rappelant ce qui s'est passé à ce sujet par rapport à moi.

Dans les premières années de ma vie, avant que les organes de mon cerveau eussent acquis un certain degré de consistance, et que j'eusse fait une certaine provision de connaissances particulières, les noms que j'entendais donner aux objets qui se présentaient à moi, je les prenais comme j'ai pris dans la suite les noms propres.

Cet animal à quatre pattes qui venait badiner avec moi, je l'entendais appeler chien. Je croyais par sentiment et sans autre examen, car alors je n'en étais pas capable, que chien était le nom qui servait à le distinguer des autres objets que j'entendais nommer autrement.

Bientôt un animal fait comme ce chien vint dans la maison, et je l'entendis aussi appeler chien ; c'est, me dit-on, le chien de notre voisin. Après cela j'en vis encore bien d'autres pareils, auxquels on donnait aussi le même nom, à cause qu'ils étaient faits à peu près de la même manière ; et j'observai qu'outre le nom de chien qu'on leur donnait à tous, on les appelait encore chacun d'un nom particulier : celui de notre maison s'appelait médor ; celui de notre voisin, marquis ; un autre, diamant, &c.

Ce que j'avais remarqué à l'égard des chiens, je l'observai aussi peu à peu à l'égard d'un grand nombre d'autres êtres. Je vis un moineau, ensuite d'autres moineaux ; un cheval, puis d'autres chevaux ; une table, puis d'autres tables ; un livre, ensuite des livres, etc.

Les idées que ces différents noms excitaient dans mon cerveau, étant une fois déterminées, je vis bien que je pouvais donner à médor et à marquis le nom de chien ; mais que je ne pouvais pas leur donner le nom de cheval, ni celui de moineau, ni celui de table, ou quelqu'autre : en effet, le nom de chien réveillait dans mon esprit l'image de chien, qui est différente de celle de cheval, de celle de moineau, etc.

Médor avait donc déjà deux noms, celui de médor qui le distinguait de tous les autres chiens, et celui de chien qui le mettait dans une classe particulière, différente de celle de cheval, de moineau, de table, etc.

Mais un jour on dit devant moi que médor était un joli animal ; que le cheval d'un de nos amis était un bel animal ; que mon moineau était un petit animal bien privé et bien aimable : et ce mot d'animal je ne l'ai jamais oui dire d'une table, ni d'un arbre, ni d'une pierre, ni enfin de tout ce qui ne marche pas, ne sent pas, et qui n'a point les qualités communes et particulières à tout ce qu'on appelle animal.

Médor eut donc alors trois noms, médor, chien, animal.

On m'apprit dans la suite la différence qu'il y a entre ces trois sortes de noms ; ce qu'il est important d'observer et de bien comprendre, par rapport au sujet principal dont nous avons à parler.

1°. Le nom propre, c'est le nom qui n'est dit que d'un être particulier, du moins dans la sphère où cet être se trouve ; ainsi Louis, Marie, sont des noms propres, qui, dans les lieux où l'on en connait la destination, ne désignent que telle ou telle personne, et non une sorte ou espèce de personnes.

Les objets particuliers auxquels on donne ces sortes de noms sont appelés des individus, c'est-à-dire que chacun d'eux ne saurait être divisé en un autre lui-même sans cesser d'être ce qu'il est ; ce diamant, si vous le divisez, ne sera plus ce diamant ; l'idée qui le représente ne vous offre que lui et n'en renferme pas d'autres qui lui soient subordonnés, de la même manière que médor est subordonné à chien, et chien à animal.

2°. Les noms d'espèce, ce sont des noms qui conviennent à tous les individus qui ont entr'eux certaines qualités communes ; ainsi chien est un nom d'espèce, parce qu'il convient à tous les chiens particuliers, dont chacun est un individu, semblable en certains points essentiels à tous les autres individus, qui, à cause de cette ressemblance, sont dits être de même espèce et ont entr'eux un nom commun, chien.

3°. Il y a une troisième sorte de noms qu'il a plu aux maîtres de l'art d'appeler noms de genre, c'est-à-dire noms plus généraux, plus étendus encore que les simples noms d'espèce ; ce sont ceux qui sont communs à chaque individu de toutes les espèces subordonnées à ce genre ; par exemple, animal se dit du chien, du cheval, du lion, du cerf, et de tous les individus particuliers qui vivent, qui peuvent se transporter par eux-mêmes d'un lieu en un autre, qui ont des organes, dont la liaison et les rapports forment un ensemble. Ainsi l'on dit ce chien est un animal bien attaché à son maître, ce lion est un animal féroce, etc. Animal est donc un nom de genre, puisqu'il est commun à chaque individu de toutes les différentes espèces d'animaux.

Mais ne pourrais-je pas dire que l'animal est un être, une substance, c'est-à-dire une chose qui existe ? Oui sans doute, tout animal est un être. Et que deviendra alors le nom d'animal, sera-t-il encore un nom de genre ? Il sera toujours un nom de genre par rapport aux différentes espèces d'animaux, puisque chaque individu de chacune de ces espèces n'en sera pas moins appelé animal. Mais en même temps animal sera un nom d'espèce subordonné à être, qui est le genre suprême ; car dans l'ordre métaphysique, (& il ne s'agit ici que de cet ordre-là) être se dit de tout ce qui existe et de tout ce que l'on peut considérer comme existant, et n'est subordonné à aucune classe supérieure. Ainsi on dira fort bien qu'il y a différentes espèces d'êtres corporels : premièrement les animaux, et voilà animal devenu nom d'espèce : en second lieu il y a les corps insensibles et inanimés, et voilà une autre espèce de l'être.

Remarquez que les espèces subordonnées à leur genre, sont distinguées les unes des autres par quelque propriété essentielle ; ainsi l'espèce humaine est distinguée de l'espèce des brutes par la raison et par la conformation ; les plumes et les ailes distinguent les oiseaux des autres animaux, etc.

Chaque espèce a donc un caractère propre qui la distingue d'une autre espèce, comme chaque individu a son suppôt particulier incommunicable à tout autre.

Ce caractère distinctif, ce motif, cette raison qui nous a donné lieu de nous former ces divers noms d'espèce ; est ce qu'on appelle la différence.

On peut remonter de l'individu jusqu'au genre suprême, médor, chien, animal, être ; c'est la méthode par laquelle la nature nous instruit ; car elle ne nous montre d'abord que des êtres particuliers.

Mais lorsque par l'usage de la vie on a acquis une suffisante provision d'idées particulières, et que ces idées nous ont donné lieu d'en former d'abstraites et de générales, alors comme l'on s'entend soi-même, on peut se faire un ordre selon lequel on descend du plus général au moins général, suivant les différences que l'on observe dans les divers individus compris dans les idées générales. Ainsi en commençant par l'idée générale de l'être ou de la substance, j'observe que je puis dire de chaque être particulier qu'il existe : ensuite les différentes manières d'exister de ces êtres, leurs différentes propriétés, me donnent lieu de placer au-dessous de l'être autant de classes ou espèces différentes que j'observe de propriétés communes seulement entre certains objets, et qui ne se trouvent point dans les autres : par exemple, entre les êtres j'en vois qui vivent, qui ont des sensations, etc. j'en fais une classe particulière que je place d'un côté sous être et que j'appelle animaux ; et de l'autre côté je place les êtres inanimés ; en sorte que ce mot être ou substance est comme le chef d'un arbre généalogique dont animaux et êtres inanimés sont comme les descendants placés au-dessous, les uns à droite et les autres à gauche.

Ensuite sous animaux je fais autant de classes particulières, que j'ai observé de différences entre les animaux ; les uns marchent, les autres volent, d'autres rampent ; les uns vivent sur la terre et mourraient dans l'eau ; les autres au contraire vivent dans l'eau et mourraient sur la terre.

J'en fais autant à l'égard des êtres inanimés ; je fais une classe des végétaux, une autre des minéraux ; chacune de ces classes en a d'autres sous elle, on les appelle les espèces inférieures, dont enfin les dernières ne comprennent plus que leurs individus, et n'ont point d'autres espèces sous elles.

Mais remarquez bien que tous ces noms, genre, espèce, différence, ne sont que des termes métaphysiques, tels que les noms abstraits humanité, bonté, et une infinité d'autres qui ne marquent que des considérations particulières de notre esprit, sans qu'il y ait hors de nous d'objet réel qui soit ou espèce, ou genre, ou humanité, &c.

L'usage où nous sommes tous les jours de donner des noms aux objets des idées qui nous représentent des êtres réels, nous a porté à en donner aussi par imitation aux objets métaphysiques des idées abstraites dont nous avons connaissance : ainsi nous en parlons comme nous faisons des objets réels ; en sorte que l'ordre métaphysique a aussi ses noms d'espèces et ses noms d'individus : cette vérité, cette vertu, ce vice, voilà des mots pris par imitation dans un sens individuel.

L'imagination, l'idée, le vice, la vertu, la vie, la mort, la maladie, la santé, la fièvre, la peur, le courage, la force, l'être, le néant, la privation, etc. ce sont-là encore des noms d'individus métaphysiques, c'est-à-dire qu'il n'y a point hors de notre esprit un objet réel qui soit le vice, la mort, la maladie, la santé, la peur, etc. cependant nous en parlons par imitation et par analogie, comme nous parlons des individus physiques.

C'est le besoin de faire connaître aux autres les objets singuliers de nos idées, et certaines vues ou manières particulières de considérer ces objets, soit réels, soit abstraits ou métaphysiques ; c'est ce besoin, dis-je, qui, au défaut des noms propres pour chaque idée particulière, nous a donné lieu d'inventer, d'un côté les noms d'espèce, et de l'autre les adjectifs prépositifs, qui en font des applications individuelles. Les objets particuliers dont nous voulons parler, et qui n'ont pas de noms propres, se trouvent confondus avec tous les autres individus de leur espèce. Le nom de cette espèce leur convient également à tous : chacun de ces êtres innombrables qui nage dans la vaste mer, est également appelé poisson : ainsi le nom d'espèce tout seul, et par lui-même, n'a qu'une valeur indéfinie, c'est-à-dire une valeur applicable qui n'est adoptée à aucun objet particulier ; comme quand on dit vrai, bon, beau, sans joindre ces adjectifs à quelque être réel ou à quelque être métaphysique. Ce sont les prénoms qui, de concert avec les autres mots de la phrase, tirent l'objet particulier dont on parle, de l'indétermination du nom d'espèce, et en font ainsi une sorte de nom propre. Par exemple, si l'astre qui nous éclaire n'avait pas son nom propre soleil, et que nous eussions à en parler, nous prendrions d'abord le nom d'espèce astre ; ensuite nous nous servirions du prépositif qui conviendrait pour faire connaître que nous ne voulons parler que d'un individu de l'espèce d'astre ; ainsi nous dirons cet astre, ou l'astre, après quoi nous aurions recours aux mots qui nous paraitraient les plus propres à déterminer singulièrement cet individu d'astre ; nous dirons donc cet astre qui nous éclaire ; l'astre père du jour ; l'âme de la nature, etc. Autre exemple : livre est un nom d'espèce dont la valeur n'est point appliquée : mais si je dis, mon livre, ce livre, le livre que je viens d'acheter, liber ille, on conçoit d'abord par les prénoms ou prépositifs, mon, ce, le, et ensuite par les adjoints ou mots ajoutés, que je parle d'un tel livre, d'un tel individu de l'espèce de livre. Observez que lorsque nous avons à appliquer quelque qualification à des individus d'une espèce ; ou nous voulons faire cette application, 1°. à tous les individus de cette espèce ; 2°. ou seulement à quelques-uns que nous ne voulons, ou que nous ne pouvons pas déterminer ; 3°. ou enfin à un seul que nous voulons faire connaître singulièrement. Ce sont ces trois sortes de vues de l'esprit que les Logiciens appellent l'étendue de la préposition.

Tout discours est composé de divers sens particuliers énoncés par des assemblages de mots qui forment des propositions, et les propositions font des périodes : or toute proposition a, 1°. ou une étendue universelle ; c'est le premier cas dont nous avons parlé : 2°. ou une étendue particulière ; c'est le second cas : 3°. ou enfin une étendue singulière ; c'est le dernier cas. 1°. Si celui qui parle donne un sens universel au sujet de sa proposition, c'est-à-dire s'il applique quelque qualificatif à tous les individus d'une espèce, alors l'étendue de la proposition est universelle, ou, ce qui est la même chose, la proposition est universelle : 2°. Si l'individu dont on parle, n'est pas déterminé expressément, alors on dit que la proposition est particulière ; elle n'a qu'une étendue particulière, c'est-à-dire que ce qu'on dit, n'est dit que d'un sujet qui n'est pas désigné expressément : 3°. enfin les propositions sont singulières lorsque le sujet, c'est-à-dire la personne ou la chose dont on parle, dont on juge, est un individu singulier déterminé ; alors l'attribut de la proposition, c'est-à-dire ce qu'on juge du sujet n'a qu'une étendue singulière, ou, ce qui est la même chose, ne doit s'entendre que de ce sujet : Louis XV. a triomphé de ses ennemis ; le soleil est levé.

Dans chacun de ces trois cas, notre langue nous fournit un prénom destiné à chacune de ces vues particulières de notre esprit : voyons donc l'effet propre ou le service particulier de ces prénoms.

1°. Tout homme est animal ; chaque homme est animal : voilà chaque individu de l'espèce humaine qualifié par animal, qui alors se prend adjectivement ; car tout homme est animal, c'est-à-dire tout homme végete, est vivant, se meut, a des sensations, en un mot tout homme a les qualités qui distinguent l'animal de l'être insensible ; ainsi tout étant le prépositif d'un nom appelatif, donne à ce nom une extension universelle, c'est-à-dire que ce que l'on dit alors du nom, par exemple d'homme, est censé dit de chaque individu de l'espèce, ainsi la proposition est universelle. Nous comptons parmi les individus d'une espèce tous les objets qui nous paraissent conformes à l'idée exemplaire que nous avons acquise de l'espèce par l'usage de la vie : cette idée exemplaire n'est qu'une affection intérieure que notre cerveau a reçue par l'impression qu'un objet extérieur a faite en nous la première fois qu'il a été aperçu, et dont il est resté des traces dans le cerveau. Lorsque dans la suite de la vie, nous venons à apercevoir d'autres objets, si nous sentons que l'un de ces nouveaux objets nous affecte de la même manière dont nous nous ressouvenons qu'un autre nous a affectés, nous disons que cet objet nouveau est de même espèce que tel ancien : s'il nous affecte différemment, nous le rapportons à l'espèce à laquelle il nous parait convenir, c'est-à-dire que notre imagination le place dans la classe de ses semblables ; ce n'est donc que le souvenir d'un sentiment pareil qui nous fait rapporter tel objet à telle espèce : le nom d'une espèce est le nom du point de réunion auquel nous rapportons les divers objets particuliers qui ont excité en nous une affection ou sensation pareille. L'animal que je viens de voir à la foire a rappelé en moi les impressions qu'un lion y fit l'année passée ; ainsi je dis que cet animal est un lion ; si c'était pour la première fois que je visse un lion, mon cerveau s'enrichirait d'une nouvelle idée exemplaire : en un mot, quand je dis tout homme est mortel, c'est autant que si je disais Alexandre était mortel ; César était mortel ; Philippe est mortel, et ainsi de chaque individu passé, présent et à venir, et même possible de l'espèce humaine ; et voilà le véritable fondement du syllogisme : mais ne nous écartons point de notre sujet.

Remarquez ces trois façons de parler, tout homme est ignorant, tous les hommes sont ignorants, tout homme n'est que faiblesse ; tout homme, c'est-à-dire chaque individu de l'espèce humaine, quelque individu que ce puisse être de l'espèce humaine ; alors tout est un pur adjectif. Tous les hommes sont ignorants, c'est encore le même sens ; ces deux propositions ne sont différente que par la forme : dans la première, tout veut dire chaque ; elle présente la totalité distributivement, c'est-à-dire qu'elle prend en quelque sorte les individus l'un après l'autre, au lieu que tous les hommes les présentes collectivement tous ensemble, alors tous est un prépositif destiné à marquer l'universalité de les hommes ; tous a ici une sorte de signification adverbiale avec la forme adjective, c'est ainsi que le participe tient du verbe et du nom ; tous, c'est-à-dire universellement sans exception, ce qui est si vrai, qu'on peut séparer tous de sont substantif, et le joindre au verbe. Quinault, parlant des oiseaux, dit :

En amour ils sont tous

Moins bêtes que nous.

Et voilà pourquoi, en ces phrases, l'article les ne quitte point son substantif, et ne se met pas avant tous : tout l'homme, c'est-à-dire l'homme en entier, l'homme entièrement, l'homme considéré comme un individu spécifique. Nul, aucun, donnent aussi une extension universelle à leur substantif, mais dans un sens génitif : nul homme, aucun homme n'est immortel, je nie l'immortalité de chaque individu de l'espèce humaine ; la proposition est universelle, mais négative ; au lieu qu'avec tous, sans négation, la proposition est universelle affirmative. Dans les propositions dont nous parlons, nul et aucun étant adjectifs du sujet, doivent être accompagnés d'une négation : nul homme n'est exemt de la nécessité de mourir. Aucun philosophe de l'antiquité n'a eu autant de connaissance de Physique qu'on en a aujourd'hui.

II°. Tout, chaque, nul, aucun, sont donc la marque de la généralité ou universalité des propositions : mais souvent ces mots ne sont pas exprimés, comme quand on dit : les François sont polis, les Italiens sont politiques ; alors ces propositions ne sont que moralement universelles, de more, ut sunt mores, c'est-à-dire selon ce qu'on voit communément parmi les hommes ; ces propositions sont aussi appelées indéfinies, parce que d'un côté, on ne peut pas assurer qu'elles comprennent généralement, et sans exception, tous les individus dont on parle ; et d'un autre côté, on ne peut pas dire non plus qu'elles excluent tel ou tel individu ; ainsi comme les individus compris et les individus exclus ne sont pas précisément déterminés, et que ces propositions ne doivent être entendues que du plus grand nombre, on dit qu'elles sont indéfinies.

III°. Quelque, un, marquent aussi un individu de l'espèce dont on parle : mais ces prénoms ne désignent pas singulièrement cet individu ; quelque homme est riche, un savant m'est venu voir : je parle d'un individu de l'espèce humaine ; mais je ne détermine pas si cet individu est Pierre ou Paul ; c'est ainsi qu'on dit une certaine personne, un particulier ; et alors particulier est opposé à général et à singulier : il marque à la vérité un individu, mais un individu qui n'est pas déterminé singulièrement ; ces propositions sont appelées particulières.

Aucun sans négation, a aussi un sens particulier dans les vieux livres, et signifie quelqu'un, quispiam, non nullus, non nemo. Ce mot est encore en usage en ce sens parmi le peuple et dans le style du Palais : aucuns soutiennent, etc. quidam affirmant, etc. ainsi aucune fois dans le vieux style, veut dire quelquefois, de temps en temps, plerumque, interdum, non nunquam. On sert aussi aux propositions particulières : on m'a dit, c'est-à-dire quelqu'un m'a dit, un homme m'a dit ; car on vient de homme ; et c'est par cette raison que pour éviter le bâillement ou rencontre de deux voyelles, on dit souvent l'on, comme on dit l'homme, si l'on. Dans plusieurs autres langues, le mot qui signifie homme, se prend aussi en un sens indéfini comme notre on. De, des, qui sont des prépositions extractives, servent aussi à faire des prépositions particulières ; des philosophes, ou d'anciens philosophes ont cru qu'il y avait des antipodes, c'est-à-dire quelques-uns des philosophes, ou un certain nombre d'anciens philosophes, ou en vieux style, aucuns philosophes.

IV°. Ce marque un individu déterminé, qu'il présente à l'imagination, ce livre, cet homme, cette femme, cet enfant, &c.

V°. Le, la, les, indiquent que l'on parle, 1°. ou d'un tel individu réel que l'on tire de son espèce, comme quand on dit le roi, la reine, le soleil, la lune ; 2°. ou d'un individu métaphysique et par imitation ou analogie ; la vérité, le mensonge ; l'esprit, c'est-à-dire le génie ; le cœur, c'est-à-dire la sensibilité ; l'entendement, la volonté, la vie, la mort, la nature, le mouvement, le repos, l'être en général, la substance, le néant, &c.

C'est ainsi que l'on parle de l'espèce tirée du genre auquel elle est subordonnée, lorsqu'on la considère par abstraction, et pour ainsi dire en elle-même sous la forme d'un tout individuel et métaphysique ; par exemple, quand on dit que parmi les animaux, l'homme seul est raisonnable, l'homme est là un individu spécifique.

C'est encore ainsi, que sans parler d'aucun objet réel en particulier, on dit par abstraction, l'or est le plus précieux des métaux ; le fer se fond et se forge ; le marbre sert d'ornement aux édifices ; le verre n'est point malléable ; la pierre est utîle ; l'animal est mortel ; l'homme est ignorant ; le cercle est rond ; le carré est une figure qui a quatre angles droits et quatre côtés égaux, etc. Tous ces mots, l'or, le fer, le marbre, etc. sont pris dans un sens individuel, mais métaphysique et spécifique, c'est-à-dire que sous un nom singulier ils comprennent tous les individus d'une espèce ; en sorte que ces mots ne sont proprement que les noms de l'idée exemplaire du point de réunion ou concept que nous avons dans l'esprit, de chacune de ces espèces d'êtres. Ce sont ces individus métaphysiques qui sont l'objet des Mathématiques, le point, la ligne, le cercle, le triangle, &c.

C'est par une pareille opération de l'esprit que l'on personnifie si souvent la nature et l'art.

Ces noms d'individus spécifiques sont fort en usage dans l'apologue, le loup et l'agneau, l'homme et le cheval, etc. on ne fait parler ni aucun loup ni aucun agneau particulier ; c'est un individu spécifique et métaphysique qui parle avec un autre individu.

Quelques Fabulistes ont même personnifié des êtres abstraits ; nous avons une fable connue où l'auteur fait parler le jugement avec l'imagination. Il y a autant de fiction à introduire de pareils interlocuteurs, que dans le reste de la fable. Ajoutons ici quelques observations à l'occasion de ces noms spécifiques.

1°. Quand un nom d'espèce est pris adjectivement, il n'a pas besoin d'article ; tout homme est animal ; homme est pris substantivement ; c'est un individu spécifique qui a son prépositif tout ; mais animal est pris adjectivement, comme nous l'avons déjà observé. Ainsi il n'a pas plus de prépositif que tout autre adjectif n'en aurait ; et l'on dit ici animal, comme l'on dirait mortel, ignorant, &c.

C'est ainsi que l'Ecriture dit que toute chair est foin, omnis caro fanum, Isaïe, ch. xl. Ve 6. c'est-à-dire peu durable, périssable, corruptible, etc. et c'est ainsi que nous disons d'un homme sans esprit, qu'il est bête.

2°. Le nom d'espèce n'admet pas l'article lorsqu'il est pris selon sa valeur indéfinie sans aucune extension ni restitution, ou application individuelle, c'est-à-dire qu'alors le nom est considéré indéfiniment comme sorte, comme espèce, et non comme un individu spécifique ; c'est ce qui arrive surtout lorsque le nom d'espèce précédé d'une préposition, forme un sens adverbial avec cette préposition, comme quand on dit par jalousie, avec prudence, en présence, &c.

Les oiseaux vivent sans contrainte,

S'aiment sans feinte.

C'est dans ce même sens indéfini que l'on dit avoir peur, avoir honte, faire pitié, etc. Ainsi on dira sans article : cheval, est un nom d'espèce, homme, est un nom d'espèce ; et l'on ne dira pas le cheval est un nom d'espèce, l'homme est un nom d'espèce, parce que le prénom le marquerait que l'on voudrait parler d'un individu, ou d'un nom considéré individuellement.

3°. C'est par la même raison que le nom d'espèce n'a point de prépositif, lorsqu'avec le secours de la préposition de il ne fait que l'office de simple qualificatif d'espèce, c'est-à-dire lorsqu'il ne sert qu'à désigner qu'un tel individu est de telle espèce : une montre d'or ; une épée d'argent ; une table de marbre ; un homme de robe ; un marchand de vin ; un joueur de violon, de luth, de harpe, etc. une action de clémence ; une femme de vertu, &c.

4°. Mais quand on personnifie l'espèce, qu'on en parle comme d'un individu spécifique, ou qu'il ne s'agit que d'un individu particulier tiré de la généralité de cette même espèce, alors le nom d'espèce étant considéré individuellement, est précédé d'un prénom : la peur trouble la raison : la peur que j'ai de mal faire ; la crainte de vous importuner ; l'envie de bien faire ; l'animal est plus parfait que l'être insensible : jouer du violon, du luth, de la harpe ; on regarde alors le violon, le luth, la harpe, etc. comme tel instrument particulier, et on n'a point d'individu à qualifier adjectivement.

Ainsi on dira dans le sens qualificatif adjectif, un rayon d'espérance, un rayon de gloire, un sentiment d'amour ; au lieu que si on personnifie la gloire, l'amour, etc. on dira avec un prépositif :

Un héros que la gloire élève

N'est qu'à demi récompensé ;

Et c'est peu, si l'amour n'acheve

Ce que la gloire a commencé. Quinault.

Et de même on dira, j'ai acheté une tabatière d'or, et j'ai fait faire une tabatière d'un or ou de l'or qui m'est venu d'Espagne. Dans le premier exemple, d'or est qualificatif indéfini, ou plutôt c'est un qualificatif pris adjectivement ; au lieu que dans le second, de l'or ou d'un or, il s'agit d'un tel or : c'est un qualificatif individuel, c'est un individu de l'espèce de l'or.

On dit d'un prince ou d'un ministre qu'il a l'esprit de gouvernement : de gouvernement est un qualificatif pris adjectivement ; on veut dire que ce ministre gouvernerait bien, dans quelque pays que ce puisse être où il serait employé : au lieu que si l'on disait de ce ministre qu'il a l'esprit du gouvernement, du gouvernement serait un qualificatif individuel de l'esprit de ce ministre ; on le regarderait comme propre singulièrement à la conduite des affaires du pays particulier où on le met en œuvre.

Il faut donc bien distinguer le qualificatif spécifique adjectif, du qualificatif individuel ; une tabatière d'or, voilà un qualificatif adjectif ; une tabatière de l'or que, etc. ou d'un or que, c'est un qualificatif individuel, c'est un individu de l'espèce de l'or. Mon esprit est occupé de deux substantifs ; 1. de la tabatière ; 2. de l'or particulier dont elle a été faite.

Observez qu'il y a aussi des individus collectifs, ou plutôt des noms collectifs dont on parle comme si c'était autant d'individus particuliers : c'est ainsi que l'on dit le peuple, l'armée, la nation, le parlement, &c.

On considère ces mots-là comme noms d'un tout, d'un ensemble ; l'esprit les regarde par imitation comme autant de noms d'individus réels qui ont plusieurs parties ; et c'est par cette raison que lorsque quelqu'un de ces mots est le sujet d'une proposition, les Logiciens disent que la proposition est singulière.

On voit donc que le annonce toujours un objet considéré individuellement par celui qui parle, soit au singulier, la maison de mon voisin ; soit au pluriel, les maisons d'une telle ville sont bâties de brique.

Ce ajoute à l'idée de le, en ce qu'il montre pour ainsi dire l'objet à l'imagination, et suppose que cet objet est déjà connu, ou qu'on en a parlé auparavant. C'est ainsi que Cicéron a dit : quid est enim hoc ipsum diù ? (Orat. pro Marcello.) qu'est-ce en effet que ce longtemps ?

Dans le style didactique, ceux qui écrivent en latin, lorsqu'ils veulent faire remarquer un mot, entant qu'il est un tel mot, se servent, les uns de l'article grec , les autres de ly : adhuc est adverbium compositum (Perisonius, in sanct. Min. p. 576.) : ce mot adhuc est un adverbe composé.

Et l'auteur d'une Logique, après avoir dit que l'homme seul est raisonnable, homo tantùm rationalis, ajoute que ly tantùm reliqua entia excludit : ce mot tantùm exclut tous les autres êtres. (Philos. ration. auct. P. Franc. Caro è som.) Venet. 1665.

Ce fut Pierre Lombard dans le onzième siècle, et S. Thomas dans le douzième, qui introduisirent l'usage de ce ly : leurs disciples les ont imités. Ce ly n'est autre chose que l'article français li, qui était en usage dans ces temps-là : Ainsi fut li chatiaus de Galathas pris : li baron et li dux de Venise : li Vénitiens par mer, et li François par terre. Ville-Hardouin, lib. III. p. 53. On sait que Pierre Lombard et S. Thomas ont fait leurs études et se sont acquis une grande réputation dans l'université de Paris.

Ville-Hardouin et ses contemporains écrivaient li, et quelquefois lj, d'où on a fait ly, soit pour remplir la lettre, soit pour donner à ce mot un air scientifique, et l'élever au-dessus du langage vulgaire de ces temps-là.

Les Italiens ont conservé cet article au pluriel, et en ont fait aussi un adverbe qui signifie là ; en sorte que ly tantùm, c'est comme si l'on disait ce mot-là tantùm.

Notre ce et notre le ont le même office indicatif que et que ly, mais ce avec plus d'énergie que le.

5°. Mon, ma, mes ; ton, ta, tes ; son, sa, ses, etc. ne sont que de simples adjectifs tirés des pronoms personnels ; ils marquent que leur substantif a un rapport de propriété avec la première, la seconde ou la troisième personne : mais de plus, comme ils sont eux-mêmes adjectifs prépositifs, et qu'ils indiquent leurs substantifs, ils n'ont pas besoin d'être accompagnés de l'article le ; que si l'on dit le mien, le tien, c'est que ces mots sont alors des pronoms substantifs. On dit proverbialement que le mien et le tien sont pères de la discorde.

6°. Les noms de nombre cardinal un, deux, etc. font aussi l'office de prénoms ou adjectifs prépositifs : dix soldats, cent écus.

Mais si l'adjectif numérique et son substantif font ensemble un tout, une sorte d'individu collectif, et que l'on veuille marquer que l'on considère ce tout sous quelque vue de l'esprit autre encore que celle de nombre, alors le nom de nombre est précédé de l'article ou prénom qui indique ce nouveau rapport. Le jour de la multiplication des pains les Apôtres dirent à Jesus-Christ : Nous n'avons que cinq pains et deux poissons (Luc, ch. IXe Ve 13.) voilà cinq pains et deux poissons dans un sens numérique absolu ; mais ensuite l'évangéliste ajoute que J. C. prenant les cinq pains et les deux poissons, les bénit, etc. Voilà les cinq pains et les deux poissons dans un sens relatif à ce qui précède, ce sont les cinq pains et les deux poissons dont on avait parlé d'abord. Cet exemple doit bien faire sentir que le, la, les ; ce, cet, cette, ces, ne sont que des adjectifs qui marquent le mouvement de l'esprit, qui se tourne vers l'objet particulier de son idée.

Les prépositifs désignent donc des individus déterminés dans l'esprit de celui qui parle ; mais lorsque cette première détermination n'est pas aisée à apercevoir par celui qui lit ou qui écoute, ce sont les circonstances ou les mots qui suivent, qui ajoutent ce que l'article ne saurait faire entendre : par exemple, si je dis je viens de Versailles, j'y ai Ve le Roi, les circonstances font connaître que je parle de notre auguste Monarque ; mais si je voulais faire entendre que j'y ai Ve le roi de Pologne, je serais obligé d'ajouter de Pologne à le roi ; et de même si en lisant l'histoire de quelque monarchie ancienne ou étrangère, je voyais qu'en un tel temps le roi fit telle chose, je comprendrais bien que ce serait le roi du royaume dont il s'agirait.

Des noms propres. Les noms propres n'étant pas des noms d'espèces, nos pères n'ont pas cru avoir besoin de recourir à l'article pour en faire des noms d'individus, puisque par eux-mêmes ils ne sont que cela.

Il en est de même des êtres inanimés auxquels on adresse la parole : on les voit ces êtres, puisqu'on leur parle ; ils sont présents, au moins à l'imagination : on n'a donc pas besoin d'article pour les tirer de la généralité de leur espèce, et en faire des individus.

Coulez, ruisseau, coulez, fuyez-nous.

Hélas, petits moutons, que vous êtes heureux !

Fille des plaisirs, triste goutte ! Deshoulières.

Cependant quand on veut appeler un homme ou une femme du peuple qui passe, on dit communément l'homme, la femme : écoutez, la belle fille, la belle enfant, etc. Je crois qu'alors il y a ellipse : écoutez, vous qui êtes la belle fille, etc. vous qui êtes l'homme à qui je veux parler, etc. C'est ainsi qu'en latin un adjectif qui parait devoir se rapporter à un vocatif, est pourtant quelquefois au nominatif. Nous disons fort bien en latin, dit Sanctius, deffende me, amice mi, et deffende me, amicus meus, en sousentendant tu qui es amicus meus (Sanct. Min. l. II. c. vj.) Térence, (Phorm. act. II. sc. 1.) dit, ô vir fortis, atque amicus ! c'est-à-dire, ô quàm tu es vir fortis, atque amicus ! ce que Donat trouve plus énergique que si Térence avait dit amice. M. Dacier traduit, ô le brave homme, et le bon ami ! on sousentend que tu es. Mais revenons aux vrais noms propres.

Les Grecs mettent souvent l'article devant les noms propres, surtout dans les cas obliques, et quand le nom ne commence pas la phrase ; ce qu'on peut remarquer dans l'énumération des ancêtres de J. C. au premier chapitre de S. Matthieu. Cet usage des Grecs fait bien voir que l'article leur servait à marquer l'action de l'esprit qui se tourne vers un objet. N'importe que cet objet soit un nom propre ou un nom appelatif ; pour nous, nous ne mettons pas l'article, surtout devant les noms propres personnels : Pierre, Marie, Alexandre, César, etc. Voici quelques remarques à ce sujet,

I. Si par figure on donne à un nom propre une signification de nom d'espèce, et qu'on applique ensuite cette signification, alors on aura besoin de l'article. Par exemple, si vous donnez au nom d'Alexandre la signification de conquérant ou de héros, vous direz que Charles XII. a été l'Alexandre de notre siècle : c'est ainsi qu'on dit les Cicérons, les Démosthènes, c'est-à-dire les grands orateurs, tels que Cicéron et Démosthène ; les Virgiles, c'est-à-dire les grands poètes.

M. l'abbé Gedoyn observe (dissertation des anciens et des modernes, p. 94.) que ce fut environ vers le septième siècle de Rome que les Romains virent fleurir leurs premiers poètes, Névius, Accius, Pacuve et Lucilius, qui peuvent, dit-il, être comparés, les uns à nos Desportes, à nos Ronsards et à nos Regniers ; les autres à nos Tristants et à nos Rotrous ; où vous voyez que tous ces noms propres prennent en ces occasions une s à la fin, parce qu'ils deviennent alors comme autant de noms appelatifs.

Au reste, ces Desportes, ces Tristants et ces Rotrous, qui on précédé nos Corneilles, nos Racines, etc. font bien voir que les arts et les sciences ont, comme les plantes et les animaux, un premier âge, un temps d'accroissement : un temps de consistance, qui n'est suivi que trop souvent de la vieillesse et de la décrépitude, avant-coureurs de la mort. Voyez l'état où sont aujourd'hui les arts chez les Egyptiens et chez les Grecs. Les pyramides d'Egypte et tant d'autres monuments admirables que l'on trouve dans les pays les plus barbares, sont une preuve bien sensible de ces révolutions et de ces vicissitudes.

Dieu est le nom du souverain être ; mais si par rapport à ses divers attributs on en fait une sorte de nom d'espèce, on dira le Dieu de miséricorde, etc. le Dieu des Chrétiens, &c.

II. Il y a un très-grand nombre de noms propres qui dans leur origine n'étaient que des noms appelatifs. Par exemple, Ferté, qui vient par syncope de fermeté, signifiait autrefois citadelle ; ainsi quand on voulait parler d'une citadelle particulière, on disait la Ferté d'un tel endroit, et c'est de-là que nous viennent la Ferté-Imbaut, la Ferté-Milon, &c.

Mesnil est aussi un vieux mot qui signifiait maison de campagne, village, du latin manile, et mansîle dans la basse latinité. C'est de-là que nous viennent les noms de tant de petits bourgs appelés le Mesnil. Il en est de même de le Mans, le Perche, etc. le Catelet, c'est-à-dire le petit Château, le Quesnoi, c'était un lieu planté de chênes ; le Ché prononcé par Ké, à la manière de Picardie, et des pays circonvoisins.

Il y a aussi plusieurs qualificatifs qui sont devenus noms propres d'hommes, tels que le blanc, le noir, le brun, le beau, le bel, le blond, etc. et ces noms conservent leurs prénoms quand on parle de la femme ; madame le Blanc, c'est-à-dire femme de M. le Blanc.

III. Quand on parle de certaines femmes, on se sert du prénom la, parce qu'il y a un nom d'espèce sous-entendu ; la le Maire, c'est-à-dire l'actrice le Maire.

IV. C'est peut-être par la même raison qu'on dit le Tasse, l'Arioste, le Dante ; en sous-entendant le poète ; et qu'on dit le Titien, le Carrache, en sous-entendant le peintre : ce qui nous vient des Italiens.

Qu'il me soit permis d'observer ici que les noms propres de famille ne doivent être précédés de la préposition de, que lorsqu'ils sont tirés de noms de terre. Nous avons en France de grandes maisons qui ne sont connues que par le nom de la principale terre que le chef de la maison possédait avant que les noms propres de famille fussent en usage. Alors le nom est précédé de la préposition de, parce qu'on sous-entend sire, seigneur, duc, marquis, etc. ou sieur d'un tel fief. Telle est la maison de France, dont la branche d'ainé en ainé n'a d'autre nom que France.

Nous avons aussi des maisons très-illustres et très-anciennes dont le nom n'est point précédé de la préposition de, parce que ce nom n'a pas éte tiré d'un nom de terre : c'est un nom de famille ou maison.

Il y a de la petitesse à certains gentilshommes d'ajouter le de à leur nom de famille ; rien ne décele tant l'homme nouveau et peu instruit.

Quelquefois les noms propres sont accompagnés d'adjectifs, sur quoi il y a quelques observations à faire.

I. Si l'adjectif est un nom de nombre ordinal, tel que premier, second, etc. et qu'il suive immédiatement son substantif, comme ne faisant ensemble qu'un même tout, alors on ne fait aucun usage de l'article : ainsi on dit François premier, Charles second, Henri quatre, pour quatrième.

II. Quand on se sert de l'adjectif pour marquer une simple qualité du substantif qu'il précède, alors l'article est mis avant l'adjectif, le savant Scaliger, le galant Ovide, &c.

III. De même si l'adjectif n'est ajouté que pour distinguer le substantif des autres qui portent le même nom, alors l'adjectif suit le substantif, et cet adjectif est précédé de l'article : Henri le grand, Louis le juste, etc. où vous voyez que le tire Henri et Louis du nombre des autres Henris et des autres Louis, et en fait des individus particuliers, distingués par une qualité spéciale.

IV. On dit aussi avec le comparatif et avec le superlatif relatif, Homère le meilleur poète de l'antiquité, Varron le plus savant des Romains.

Il parait par les observations ci-dessus, que lorsqu'à la simple idée du nom propre on joint quelqu'autre idée, ou que le nom dans sa première origine a été tiré d'un nom d'espèce, ou d'un qualificatif qui été adapté à un objet particulier par le changement de quelques lettres, alors on a recours au prépositif par une suite de la première origine : c'est ainsi que nous disons le paradis, mot qui à la lettre signifie un jardin planté d'arbres qui portent toute sorte d'excellents fruits, et par extension un lieu de délices.

L'enfer, c'est un lieu bas, d'inferus ; via infera, la rue d'enfer, rue inférieure par rapport à une autre qui est au-dessus. L'univers, universus orbis ; l'être universel, l'assemblage de tous les êtres.

Le monde, du Latin, mundus, adjectif, qui signifie propre, élégant, ajusté, paré, et qui est pris ici substantivement : et encore lorsqu'on dit mundus muliebris, la toilette des dames où sont tous les petits meubles dont elles se servent pour se rendre plus propres, plus ajustées et plus séduisantes : le mot Grec , qui signifie ordre, ornement, beauté, répond au mundus des Latins.

Selon Platon, le monde fut fait d'après l'idée la plus parfaite que Dieu en conçut. Les Payens frappés de l'éclat des astres et de l'ordre qui leur paraissait régner dans l'univers, lui donnèrent un nom tiré de cette beauté et de cet ordre. Les Grecs, dit Pline, l'ont appelé d'un nom qui signifie ornement, et nous d'un nom qui veut dire, élégance parfaite. (Quem Graeci, nomine ornamenti appelaverunt, eum et nos à perfectâ absolutâque elegantiâ mundum. Pline 11. 4.) Et Cicéron dit, qu'il n'y a rien de plus beau que le monde, ni rien qui soit au-dessus de l'architecte qui en est l'auteur. (Neque mundo quidquam pulchrius, neque ejus aedificatore praestantius. Cic. de univ. cap. ij.) Cum continuisset Deus bonis omnibus explere mundum.... sic ratus est opus illud effectum esse pulcherrimum. (ib. iij.) Hanc igitur habuit rationem effector mundi molitorque Deus, ut unum opus totum atque perfectum ex omnibus totis atque perfectis absolveretur. (ib. v.) Formam autem et maximè sibi cognatam et decoram dedit. (ib. vj.) Animum igitur cum ille procreator mundi Deus, ex suâ mente et divinitate genuisset, etc. (ib. viij.) Ut hunc hâc varietate distinctum benè Graeci , non lucentem mundum nominaremus. (ib. x.)

Ainsi quand les Payens de la Zone tempérée septentrionale, regardaient l'universalité des êtres du beau côté, ils lui donnaient un nom qui répond à cette idée brillante, et l'appelaient le monde, c'est-à-dire l'être bien ordonné, bien ajusté, sortant des mains de son créateur, comme une belle dame sort de sa toilette. Et nous, quoiqu'instruits des maux que le péché originel a introduits dans le monde, comme nous avons trouvé ce nom tout établi, nous l'avons conservé, quoiqu'il ne réveille pas aujourd'hui parmi nous la même idée de perfection, d'ordre et d'élégance.

Le soleil, de solus, selon Cicéron, parce que c'est le seul astre qui nous paraisse aussi grand ; et que lorsqu'il est levé, tous les autres disparaissent à nos yeux.

La lune, à lucendo, c'est-à-dire la planète qui nous éclaire, surtout en certains temps pendant la nuit. (Sol vel quia solus ex omnibus sideribus est tantus, vel quia cum est exortus, obscuratis omnibus solus apparet ; luna à lucendo nominata, eadem est enim lucina. (Cic. de nat. deor. lib. II. c. xxvij.)

La mer, c'est-à-dire l'eau amère, proprie autem mare appelatur, eo quod aquae ejus amarae sint. (Isidor. l. XIII. c. xiv.)

La terre, c'est-à-dire l'élément sec, du Grec , sécher, et au futur second, . Aussi voyons-nous qu'elle est appelée arida dans la Génese, ch. j. Ve 9. et en S. Matthieu, ch. xxiij. Ve 15. circuitis mare et aridam. Cette étymologie me parait plus naturelle que celle que Varron en donne : terra dicta eo quod teritur. Varr. de ling. lat. iv. 4.

Elément est donc le nom générique de quatre espèces, qui sont le feu, l'air, l'eau, la terre : la terre se prend aussi pour le globe terrestre.

Des noms de pays. Les noms de pays, de royaumes, de provinces, de montagnes, de rivières, entrent souvent dans le discours sans article comme noms qualificatifs, le royaume de France, d'Espagne, etc. En d'autres occasions ils prennent l'article, soit qu'on sous-entende alors terre, qui est exprimé dans Angleterre, ou région, pays, montagnes, fleuve, rivière, vaisseau, etc. Ils prennent surtout l'article quand ils sont personnifiés ; l'intérêt de la France, la politesse de la France, &c.

Quoi qu'il en sait, j'ai cru qu'on serait bien aise de trouver dans les exemples suivants, quel est aujourd'hui l'usage à l'égard de ces mots, sauf au lecteur à s'en tenir simplement à cet usage, ou à chercher à faire l'application des principes que nous avons établis, s'il trouve qu'il y ait lieu.

On dit par opposition le mont-Parnasse, le mont-Valérien, etc. et on dit la montagne de Tarare : on dit le fleuve Don, et la rivière de Seine ; ainsi de quelques autres, sur quoi nous renvoyons à l'usage.

Remarques sur ces phrases, 1°. il a de l'argent, il a bien de l'argent, etc. 2°. Il a beaucoup d'argent, il n'a point d'argent, &c.

I. L'or, l'argent, l'esprit, etc. peuvent être considérés, ainsi que nous l'avons observé, comme des individus spécifiques ; alors chacun de ces individus est regardé comme un tout, dont on peut tirer une portion : ainsi il a de l'argent, c'est il a une portion de ce tout qu'on appelle argent, esprit, etc. La préposition de est alors extractive d'un individu, comme la préposition latine ex ou de. Il a bien de l'argent, de l'esprit, etc. c'est la même analogie que il a de l'argent, &c.

C'est ainsi que Plaute a dit credo ego illic inesse auri et argenti largiter. (Rud. act. IV. sc. iv. Ve 144.) en sous-entendant , rem, auri, je crois qu'il y a là de l'or et de l'argent en abondance. Bien est autant adverbe que largiter, la valeur de l'adverbe tombe sur le verbe inesse largiter, il a bien. Les adverbes modifient le verbe et n'ont jamais de complément, ou comme on dit de régime : ainsi nous disons il a bien, comme nous dirions il a véritablement ; nos pères disaient il a merveilleusement de l'esprit.

II. A l'égard de il a beaucoup d'argent, d'esprit, etc. il n'a point d'argent, d'esprit, etc. il faut observer que ces mots beaucoup, peu, pas, point, rien, sorte, espèce, tant, moins, plus, que, lorsqu'il vient de quantùm, comme dans ces vers :

Que de mépris vous avez l'un pour l'autre,

Et que vous avez de raison !

ces mots, dis-je, ne sont point des adverbes, ils sont de véritables noms, du moins dans leur origine, et c'est pour cela qu'ils sont modifiés par un simple qualificatif indéfini, qui n'étant point pris individuellement, n'a pas besoin d'article, il ne lui faut que la simple préposition pour le mettre en rapport avec beaucoup, peu, rien, pas, point, sorte, etc. Beaucoup vient, selon Nicot, de bella, id est, bona et magna copia, une belle abondance, comme on dit une belle récolte, etc. Ainsi d'argent, d'esprit, sont les qualificatifs de coup en tant qu'il vient de copia, il a abondance d'argent, d'esprit, &c.

M. Ménage dit que ce mot est formé de l'adjectif beau, et du substantif coup ; ainsi quelque étymologie qu'on lui donne, on voit que ce n'est que par abus qu'il est considéré comme un adverbe : on dit : il est meilleur de beaucoup, c'est-à-dire selon un beaucoup, où vous voyez que la préposition décele le substantif.

Peu signifie petite quantité ; on dit, le peu, un peu, de peu, à peu, quelque peu : tous les analogistes soutiennent qu'en Latin avec parum on sous-entend ad ou per, et qu'on dit parum-per, comme on dit te-cum, en mettant la préposition après le nom ; ainsi nous disons un peu de vin, comme les Latins disaient parum vini, en sorte que comme vini qualifie parum substantif, notre de vin qualifie peu par le moyen de la préposition de.

Rien vient de rem accusatif de res : les langues qui se sont formées du Latin, ont souvent pris des cas obliques pour en faire des dénominations directes ; ce qui est fort ordinaire en Italien. Nos pères disaient sur toutes riens, Mehun ; et dans Nicot, elle le hait sur tout rien, c'est-à-dire, sur toutes choses. Aujourd'hui rien veut dire aucune chose ; on sous-entend la négation, et on l'exprime même ordinairement ; ne dites rien, ne faites rien : on dit le rien vaut mieux que le mauvais ; ainsi rien de bon ni de beau, c'est aucune chose de bon, etc. aliquid boni.

De bon ou de beau sont donc des qualificatifs de rien, et alors de bon ou de beau étant pris dans un sens qualificatif de sorte ou d'espèce, ils n'ont point l'article ; au lieu que si l'on prenait bon ou beau individuellement, ils seraient précédés d'un prénom, le beau vous touche, j'aime le vrai, etc. Nos pères pour exprimer le sens négatif, se servirent d'abord comme en Latin de la simple négative ne, sachiez nos ne venismes por vos mal faire ; Ville-Hardouin, p. 48. Vigenere traduit, sachez que nous ne sommes pas venus pour vous mal faire. Dans la suite nos pères, pour donner plus de force et plus d'énergie à la négation, y ajoutèrent quelqu'un des mots qui ne marquent que de petits objets, tels que grain, goutte, mie, brin, pas, point : quia res est minuta, sermoni vernaculo additur ad majorem negationem ; Nicot, au mot goutte. Il y a toujours quelque mot de sous-entendu en ces occasions : je n'en ai grain ne goutte ; Nicot, au mot goutte. Je n'en ai pour la valeur ou la grosseur d'un grain. Ainsi quoique ces mots servent à la négation, ils n'en sont pas moins de vrais substantifs. Je ne veux pas ou point, c'est-à-dire, je ne veux cela même de la longueur d'un pas ni de la grosseur d'un point. Je n'irai point, non ibo ; c'est comme si l'on disait, je ne ferai un pas pour y aller, je ne m'avancerai d'un point ; quasi dicas, dit Nicot, ne punctum quidem progrediar, ut eam illò. C'est ainsi que mie, dans le sens de miette de pain, s'employait autrefois avec la particule négative : il ne l'aura mie ; il n'est mie un homme de bien, ne probitatis quidem mica in eo est, Nicot ; et cette façon de parler est encore en usage en Flandre.

Le substantif brin, qui se dit au propre des menus jets des herbes, sert souvent par figure à faire une négation comme pas et point, et si l'usage de ce mot était aussi fréquent parmi les honnêtes-gens qu'il l'est parmi le peuple, il serait regardé aussi bien que pas et point comme une particule négative : a-t-il de l'esprit ? il n'en a brin ; je ne l'ai Ve qu'un petit brin, &c.

On doit regarder ne pas, ne point, comme le nihil des Latins. Nihil est composé de deux mots, 1°. de la négation ne, et de hilum qui signifie la petite marque noire que l'on voit au bout d'une fève ; les Latins disaient hoc nos neque pertinet hilum, Lucret. liv. III. Ve 843. et dans Cicéron Tusc. I. n°. 3. un ancien poète parlant des vains efforts que fait Sisyphe dans les enfers pour élever une grosse pierre sur le haut d'une montagne, dit :

Sisyphus versat

Saxum sudants nitendo, neque proficit hilum.

Il y a une préposition sous-entendue devant hilum, ne quidem, , hilum ; cela ne nous intéresse en rien, pas même de la valeur de la petite marque noire d'une fève.

Sisyphe après bien des efforts, ne se trouve pas, avancé de la grosseur de la petite marque noire d'une fève.

Les Latins disaient aussi : ne faire pas plus de cas de quelqu'un ou de quelque chose, qu'on en fait de ces petits flocons de laine ou de soie que le vent emporte, flocci facère, c'est-à-dire, facère rem flocci ; nous disons un fétu. Il en est de même de notre pas, et de notre point ; je ne le veux pas ou point, c'est-à-dire, je ne veux cela même de la longueur d'un pas ou de la grosseur d'un point.

Or comme dans la suite le hilum des Latins s'unit si fort avec la négation ne, que ces deux mots n'en firent plus qu'un seul nihilum, nihil, nil, et que nihil se prend souvent pour le simple non, nihil circuitione usus es. (Ter. And. I. IIe Ve 31.) vous ne vous êtes pas servi de circonlocution. De même notre pas et notre point ne sont plus regardés dans l'usage que comme des particules négatives qui accompagnent la négation ne, mais qui ne laissent pas de conserver toujours des marques de leur origine.

Or comme en Latin nihil est souvent suivi d'un qualificatif, nihil falsi dixi, mi senex ; Tèrent. And. act. IV. sc. iv. ou Ve selon M. Dacier, Ve 49. je n'ai rien dit de faux ; nihil incommodi, nihil gratiae, nihil lucri, nihil sancti, etc. de même le pas et le point étant pris pour une très-petite quantité, pou un rien, sont suivis en François d'un qualificatif, il n'a pas de pain, d'argent, d'esprit, etc. ces noms pain, argent, esprit, étant alors des qualificatifs indéfinis, ils ne doivent point avoir de prépositif.

La Grammaire générale dit pag. 82. que dans le sens affirmatif on dit avec l'article, il a de l'argent, du cœur, de la charité, de l'ambition ; au lieu qu'on dit négativement sans article, il n'a point d'argent, de cœur, de charité, d'ambition ; parce que, dit-on, le propre de la négation est de tout ôter. (ibid.)

Je conviens que selon le sens, la négation ôte le tout de la chose : mais je ne vois pas pourquoi dans l'expression elle nous ôterait l'article sans nous ôter la préposition ; d'ailleurs ne dit-on pas dans le sens affirmatif sans article, il a encore un peu d'argent, et dans le sens négatif avec l'article, il n'a pas le sou, il n'a plus un sou de l'argent qu'il avait ; les langues ne sont point des sciences, on ne coupe point des mots inséparables, dit fort bien un de nos plus habiles critiques (M. l'abbé d'Olivet) ; ainsi je crois que la véritable raison de la différence de ces façons de parler doit se tirer du sens individuel et défini, qui seul admet l'article, et du sens spécifique indéfini et qualificatif, qui n'est jamais précédé de l'article.

Les éclaircissements que l'on vient de donner pourront servir à résoudre les principales difficultés que l'on pourrait avoir au sujet des articles : cependant on croit devoir encore ajouter ici des exemples qui ne seront points in utiles dans les cas pareils.

Noms construits sans prénom ni préposition à la suite d'un verbe, dont ils sont le complément. Souvent un nom est mis sans prénom ni préposition après un verbe qu'il détermine ; ce qui arrive en deux occasions : 1°. parce que le nom est pris alors dans un sens indéfini, comme quand on dit, il aime à faire plaisir, à rendre service ; car il ne s'agit pas alors d'un tel plaisir ni d'un tel service particulier ; en ce cas on dirait faites-moi ce ou le plaisir, rendez-moi ce service, ou le service, ou un service, qui, etc. 2°. Cela se fait aussi souvent pour abréger, par ellipse, ou dans des façons de parler familières et proverbiales ; ou enfin parce que les deux mots ne font qu'une sorte de mot composé, ce qui sera facîle à démêler dans les exemples suivants.

Avoir faim, soif, dessein, honte, coutume, pitié, compassion, froid, chaud, mal, besoin, part au gâteau, envie.

Chercher fortune, malheur.

Courir fortune, risque.

Demander raison, vengeance.

L'amour en courroux

Demande vengeance. Quinault.

grace, pardon, justice.

Dire vrai, faux, matines, vêpres, &c.

Donner prise à ses ennemis, part d'une nouvelle, jour, parole, avis, caution, quittance, leçon, atteinte à un acte, à un privilège, valeur, cours, courage, rendez-vous aux Tuileries, etc. congé, secours, beau jeu, prise, audience.

Echapper, il l'a échappé belle, c'est-à-dire peu s'en est fallu qu'il ne lui soit arrivé quelque malheur.

Entendre raison, raillerie, malice, vêpres, &c.

Faire vie qui dure, bonne chère, envie, il vaut mieux faire envie que pitié, corps neuf par le rétablissement de la santé, réflexion, honte, honneur, peur, plaisir, choix, bonne mine et mauvais jeu, cas de quelqu'un, alliance, marché, argent de tout, provision, semblant, route, banqueroute, front, face, difficulté, je ne fais pas difficulté. Gedoyn.

Gagner pays, gros.

Mettre ordre, fin.

Parler vrai, raison, bon sens, latin, français, &c.

Porter envie, témoignage, coup, bonheur, malheur, compassion.

Prendre garde, patience, séance, médecine, congé, part à ce qui arrive à quelqu'un, conseil, terre, langue, jour, leçon.

Rendre service, amour pour amour, visite, bord, terme de Marine, arriver, gorge.

Savoir lire, vivre, chanter.

Tenir parole, prison faute de payement, bon, ferme, adjectifs pris adverbialement.

Noms construits avec une préposition sans article. Les noms d'espèces qui sont pris selon leur simple signification spécifique, se construisent avec une préposition sans articles.

Changez ces pierres en pains ; l'éducation que le père d'Horace donna à son fils est digne d'être prise pour modèle ; à Rome, à Athènes, à bras ouverts ; il est arrivé à bon port, à minuit ; il est à jeun ; à Dimanche, à vêpres ; et tout ce que l'Espagne a nourri de vaillans ; vivre sans pain, une livre de pain ; il n'a pas de pain ; un peu de pain ; beaucoup de pain, une grande quantité de pain.

J'ai un coquin de frère, c'est-à-dire qui est de l'espèce de frère, comme on dit, quelle espèce d'homme êtes-vous ? Térence a dit : quid hominis ? Eun. III. IVe VIIIe et IXe et encore, act. V. sc. j. vers 17. Quid monstri ? Ter. Eun. IV. sc. IIIe Xe et XIVe

Remarquez que dans ces exemples le qui ne se rapporte point au nom spécifique, mais au nom individuel qui précède : c'est un bon homme de père qui ; le qui se rapporte au bon homme.

Se conduire par sentiment ; parler avec esprit, avec grâce, avec facilité ; agir par dépit, par colere, par amour, par faiblesse.

En fait de Physique, on donne souvent des mots pour des choses ; Physique est pris dans un sens spécifique qualificatif de fait.

A l'égard de on donne des mots, c'est le sens individuel partitif, il y a ellipse ; le régime ou complément immédiat du verbe donner est ici sous-entendu ; ce que l'on entendra mieux par les exemples suivants.

Noms construits avec l'article ou prénom sans préposition. Ce que j'aime le mieux c'est le pain (individu spécifique), apportez le pain ; voilà le pain, qui est le complément immédiat ou régime naturel du verbe : ce qui fait voir que quand on dit apportez ou donnez-moi du pain, alors il y a ellipse ; donnez-moi une portion, quelque chose du pain, c'est le sens individuel partitif.

Tous les pains du marché, ou collectivement, tout le pain du marché ne suffirait pas pour, &c.

Donnez-moi un pain ; emportons quelques pains pour le voyage.

Noms construits avec la préposition et l'article. Donnez-moi du pain, c'est-à-dire de le pain : encore un coup il y a ellipse dans les phrases pareilles, car la chose donnée se joint au verbe donner sans le secours d'une préposition ; ainsi donnez-moi du pain, c'est donnez-moi quelque chose de le pain, de ce tout spécifique individuel qu'on appelle pain ; le nombre des pains que vous avez apportés n'est pas suffisant.

Voilà bien des pains, de les pains, individuellement, c'est-à-dire considérés comme faisant chacun un être à part.

Remarques sur l'usage de l'article, quand l'adjectif précède le substantif, ou quand il est après le substantif. Si un nom substantif est employé dans le discours avec un adjectif, il arrive ou que l'adjectif précède le substantif, ou qu'il le suit.

L'adjectif n'est séparé de son substantif que lorsque le substantif est le sujet de la préposition, et que l'adjectif en est affirmé dans l'attribut. Dieu est toutpuissant ; Dieu est le sujet : tout-puissant, qui est dans l'attribut, en est séparé par le verbe est, qui, selon notre manière d'expliquer la proposition, fait partie de l'attribut ; car ce n'est pas seulement tout-puissant que je juge de Dieu, j'en juge qu'il est, qu'il existe tel.

Lorsqu'une phrase commence par un adjectif seul, par exemple, savant en l'art de régner, ce Prince se fit aimer de ses sujets et craindre de ses voisins ; il est évident qu'alors on sous-entend ce Prince qui était savant, etc. ainsi savant en l'art de régner, est une proposition incidente, implicite, je veux dire dont tous les mots ne sont pas exprimés ; en réduisant ces prépositions à la construction simple, on voit qu'il n'y a rien contre les règles ; et que si dans la construction usuelle on préfère la façon de parler elliptique, c'est que l'expression en est plus serrée et plus vive.

Quand le substantif et l'adjectif font ensemble le sujet de la proposition, ils forment un tout inséparable ; alors les prépositifs se mettent avant celui des deux qui commence la phrase : ainsi on dit,

1°. Dans les propositions universelles, tout homme, chaque homme, tous les hommes, nul homme, aucun homme.

2°. Dans les propositions indéfinies, les Turcs, les Persans, les hommes savants, les savants philosophes.

3°. Dans les propositions particulières, quelques hommes, certaines personnes soutiennent, etc. un savant m'a dit, etc. on m'a dit, des savants m'ont dit, en sousentendant quelques-uns, aucuns, ou des savants philosophes, en sous-entendant un certain nombre, ou quelqu'autre mot.

4°. Dans les propositions singulières, le soleil est levé, la lune est dans son plein, cet homme, cette femme, ce livre.

Ce que nous venons de dire des noms qui sont sujets d'une proposition, se doit aussi entendre de ceux qui sont le complément immédiat de quelque verbe ou de quelque préposition : détestons tous les vices, pratiquons toutes les vertus, etc. dans le ciel, sur la terre, &c.

J'ai dit le complément immédiat ; j'entens par-là tout substantif qui fait un sens avec un verbe ou une préposition, sans qu'il y ait aucun mot sous-entendu entre l'un et l'autre ; car quand on dit, vous aimez des ingrats, des ingrats n'est pas le complément immédiat de aimez ; la construction entière est, vous aimez certaines personnes qui sont du nombre des ingrats, ou quelques-uns des ingrats, de les ingrats, quosdam ex, ou de ingratis : ainsi des ingrats énonce une partition : c'est un sens partitif, nous en avons souvent parlé.

Mais dans l'une ou dans l'autre de ces deux occasions, c'est-à-dire, 1°. quand l'adjectif et le substantif sont le sujet de la proposition ; 2° ou qu'ils sont le complément d'un verbe ou de quelque préposition : en quelles occasions faut-il n'employer que cette simple préposition, et en quelles occasions faut-il y joindre l'article et dire du ou de le et des, c'est-à-dire de les ?

La Grammaire générale dit (pag. 54.) qu'avant les substantifs on dit des, des animaux, et qu'on dit de quand l'adjectif précède, de beaux lits : mais cette règle n'est pas générale, car dans le sens qualificatif indéfini on se sert de la simple préposition de, même devant le substantif, surtout quand le nom qualifié est précédé du prépositif un, et on se sert de des ou de les, quand le mot qui qualifie est pris dans un sens individuel, les lumières des philosophes anciens, ou des anciens philosophes.

Voici une liste d'exemples dont le lecteur judicieux pourra faire usage, et juger des principes que nous avons établis.

Remarque. Lorsque le substantif précède, comme il signifie par lui-même, ou un être réel, ou un être métaphysique considéré par imitation, à la manière des êtres réels, il présente d'abord à l'esprit une idée d'individualité d'être séparé existant par lui-même ; au lieu que lorsque l'adjectif précède, il offre à l'esprit une idée de qualification, une idée de sorte, un sens adjectif. Ainsi l'article doit précéder le substantif, au lieu qu'il suffit que la préposition précède l'adjectif, à moins que l'adjectif ne serve lui-même avec le substantif à donner l'idée individuelle, comme quand on dit : les savants hommes de l'antiquité : le sentiment des grands philosophes de l'antiquité, des plus savants philosophes : on fait la description des beaux lits qu'on envoye en Portugal.

Réflexions sur cette règle de M. Vaugelas, qu'on ne doit point mettre de relatif après un nom sans article. L'auteur de la Grammaire générale a examiné cette règle (II. partie, chap. x.). Cet auteur parait la restraindre à l'usage présent de notre langue ; cependant de la manière que je la conçais, je la crois de toutes les langues et de tous les temps.

En toute langue et en toute construction, il y a une justesse à observer dans l'emploi que l'on fait des signes destinés par l'usage pour marquer non-seulement les objets de nos idées, mais encore les différentes vues sous lesquelles l'esprit considère ces objets. L'article, les prépositions, les conjonctions, les verbes avec leurs différentes inflexions, enfin tous les mots qui ne marquent point des choses, n'ont d'autre destination que de faire connaître ces différentes vues de l'esprit.

D'ailleurs, c'est une règle des plus communes du raisonnement, que, lorsqu'au commencement du discours on a donné à un mot une certaine signification, on ne doit pas lui en donner une autre dans la suite du même discours. Il en est de même par rapport au sens grammatical ; je veux dire que dans la même période, un mot qui est au singulier dans le premier membre de cette période, ne doit pas avoir dans l'autre membre un correlatif ou adjectif qui le suppose au pluriel : en voici un exemple tiré de la prin cesse de Clèves, tom. II. pag. 119. M. de Nemours ne laissait échapper aucune occasion de voir madame de Clèves, sans laisser paraitre néanmoins qu'il les cherchât. Ce les du second membre étant au pluriel, ne devait pas être destiné à rappeler occasion, qui est au singulier dans le premier membre de la période. Par la même raison, si dans le premier membre de la phrase, vous m'avez d'abord présenté le mot dans un sens spécifique, c'est-à-dire comme nous l'avons dit, dans un sens qualificatif adjectif, vous ne devez pas, dans le membre qui suit, donner à ce mot un relatif, parce que le relatif rappelle toujours l'idée d'une personne ou d'une chose, d'un individu réel ou métaphysique, et jamais celle d'un simple qualificatif qui n'a aucune existence, et qui n'est que mode ; c'est uniquement à un substantif considéré substantivement, et non comme mode, que le qui peut se rapporter : l'antécédent de qui doit être pris dans le même sens aussi-bien dans toute l'étendue de la période, que dans toute la suite du syllogisme.

Ainsi, quand on dit, il a été reçu avec politesse, ces deux mots, avec politesse, sont une expression adverbiale, modificative, adjective, qui ne présente aucun être réel ni métaphysique. Ces mots, avec politesse, ne marquent point une telle politesse individuelle : si vous voulez marquer une telle politesse, vous avez besoin d'un prépositif qui donne à politesse un sens individuel réel, soit universel, soit particulier, soit singulier, alors le qui fera son office.

Encore un coup, avec politesse est une expression adverbiale, c'est l'adverbe poliment décomposé.

Or ces sortes d'adverbes sont absolus, c'est-à-dire qu'ils n'ont ni suite ni complément ; et quand on veut les rendre relatifs, il faut ajouter quelque mot qui marque la correlation ; il a été reçu si poliment que, etc. il a été reçu avec tant de politesse, que, etc. ou bien avec une politesse qui, &c.

En latin même ces termes correlatifs sont souvent marqués, is qui, ea quae, id quod, &c.

Non enim is es, Catilina, dit Ciceron, ut ou qui, ou quem, selon ce qui suit ; voilà deux correlatifs is, ut, ou is, quem, et chacun de ces relatifs est construit dans sa proportion particulière : il a d'abord un sens individuel particulier dans la première proposition, ensuite ce sens est déterminé singulièrement dans la seconde : mais dans agère cum aliquo, inimicè, ou indulgenter, ou atrociter, ou violenter, chacun de ces adverbes présente un sens absolu spécifique qu'on ne peut plus rendre sens relatif singulier, à moins qu'on ne repete et qu'on n'ajoute les mots destinés à marquer cette relation et cette singularité : on dira alors ita atrociter ut, etc. ou en décomposant l'adverbe, cum eâ atrocitate ut ou quae, etc. Comme la langue latine est presque toute elliptique, il arrive souvent que ces correlatifs ne sont pas exprimés en latin : mais le sens et les adjoints les font aisément suppléer. On dit fort bien en latin, sunt qui putent, Cic. le correlatif de qui est philosophi ou quidam sunt ; mitte cui dem litteras, Cic. envoyez-moi quelqu'un à qui je puisse donner mes lettres ; où vous voyez que le correlatif est mitte servum, ou puerum, ou aliquem. Il n'en est pas de même dans la langue française ; ainsi je crois que le sens de la règle de Vaugelas est que lorsqu'en un premier membre de période un mot est pris dans un sens absolu, adjectivement ou adverbialement, ce qui est ordinairement marqué en français par la suppression de l'article et par les circonstances, on ne doit pas dans le membre suivant ajouter un relatif, ni même quelqu'autre mot qui supposerait que la première expression aurait été prise dans un sens fini et individuel, soit universel, soit particulier ou singulier ; ce serait tomber dans le sophisme que les Logiciens appellent passer de l'espèce à l'individu, passer du général au particulier.

Ainsi je ne puis pas dire l'homme est animal qui raisonne, parce que animal, dans le premier membre étant sans article, est un nom d'espèce pris adjectivement et dans un sens qualificatif ; or qui raisonne ne peut se dire que d'un individu réel qui est ou déterminé ou indéterminé, c'est-à-dire pris dans le sens particulier dont nous avons parlé ; ainsi je dois dire l'homme est le seul animal, ou un animal qui raisonne.

Par la même raison, on dira fort bien, il n'a point de livre qu'il n'ait lu ; cette proposition est équivalente à celle-ci : il n'a pas un seul livre qu'il n'ait lu ; chaque livre qu'il a, il l'a lu. Il n'y a point d'injustice qu'il ne commette ; c'est-à-dire chaque sorte d'injustice particulière, il la commet. Est-il ville dans le royaume qui soit plus obéissante ? c'est-à-dire est-il dans le royaume quelqu'autre ville, une ville qui soit plus obéissante que, etc. Il n'y a homme qui sache cela ; aucun homme ne sait cela.

Ainsi, c'est le sens individuel qui autorise le relatif, et c'est le sens qualificatif adjectif ou adverbial qui fait supprimer l'article ; la négation n'y fait rien, quoi qu'en dise l'auteur de la Grammaire générale. Si l'on dit de quelqu'un qu'il agit en roi, en père, en ami, et qu'on prenne roi, père, ami, dans le sens spécifique, et selon toute la valeur que ces mots peuvent avoir, on ne doit point ajouter de qui : mais si les circonstances font connaître qu'en disant roi, père, ami, on a dans l'esprit l'idée particulière de tel roi, de tel père, de tel ami, et que l'expression ne soit pas consacrée par l'usage au seul sens spécifique ou adverbial, alors on peut ajouter le qui ; il se conduit en père tendre qui ; car c'est autant que si l'on disait comme un père tendre ; c'est le sens particulier qui peut recevoir ensuite une détermination singulière.

Il est accablé de maux ; c'est-à-dire de maux particuliers ou de dettes particulières qui, etc. Une sorte de fruits qui, etc. une sorte tire ce mot fruits de la généralité du nom fruit ; une sorte est un individu spécifique, ou un individu collectif.

Ainsi, je crois que la vivacité, le feu, l'enthousiasme, que le style poétique demande, ont pu autoriser Racine à dire (Esther, act. II. sc. viij.) nulle paix pour l'impie ; il la cherche, elle fuit : mais cette expression ne serait pas régulière en prose, parce que la première proposition étant universelle négative, et où nulle emporte toute paix pour l'impie, les pronoms la et elle des propositions qui suivent ne doivent pas rappeler dans un sens affirmatif et individuel un mot qui a d'abord été pris dans un sens négatif universel. Peut-être pourrait-on dire nulle paix qui soit durable n'est donnée aux hommes : mais on ferait encore mieux de dire une paix durable n'est point donnée aux hommes.

Telle est la justesse d'esprit, et la précision que nous demandons dans ceux qui veulent écrire en notre langue, et même dans ceux qui la parlent. Ainsi on dit absolument dans un sens indéfini, se donner en spectacle, avoir peur, avoir pitié, un esprit de parti, un esprit d'erreur. On ne doit donc point ajouter ensuite à ces substantifs, pris dans un sens général, des adjectifs qui les supposeraient dans un sens fini, et en feraient des individus métaphysiques. On ne doit donc point dire se donner en spectacle funeste, ni un esprit d'erreur fatale, de sécurité téméraire, ni avoir peur terrible : on dit pourtant avoir grand'peur, parce qu'alors cet adjectif grand, qui précède son substantif, et qui perd même ici sa terminaison féminine, ne fait qu'un même mot avec peur, comme dans grand'messe, grand'mère. Par le même principe, je crois qu'un de nos auteurs n'a pas parlé exactement quand il a dit (le P. Sanadon, vie d'Horace, pag. 47.) Octavien déclare en plein senat, qu'il veut lui remettre le gouvernement de la république ; en plein senat est une circonstance de lieu, c'est une sorte d'expression adverbiale, où senat ne se présente pas sous l'idée d'un être personnifié ; c'est cependant cette idée que suppose lui remettre ; il fallait dire, Octavien déclare au senat assemblé qu'il veut lui remettre, etc. ou prendre quelqu'autre tour.

Si les langues qui ont des articles, ont un avantage sur celles qui n'en ont point.

La perfection des langues consiste principalement en deux points. 1°. A avoir une assez grande abondance de mots pour suffire à énoncer les différents objets des idées que nous avons dans l'esprit : par exemple, en latin regnum signifie royaume, c'est le pays dans lequel un souverain exerce son autorité : mais les Latins n'ont point de nom particulier pour exprimer la durée de l'autorité du souverain, alors ils ont recours à la périphrase ; ainsi pour dire sous le règne d'Auguste, ils disent imperante Caesare Augusto, dans le temps qu'Auguste regnait, au lieu qu'en français nous avons royaume, et de plus règne. La langue française n'a pas toujours de pareils avantages sur la latine. 2°. Une langue est plus parfaite lorsqu'elle a plus de moyens pour exprimer les divers points de vue sous lesquels notre esprit peut considérer le même objet : le roi aime le peuple, et le peuple aime le roi : dans chacune de ces phrases, le roi et le peuple sont considérés sous un rapport différent. Dans la première, c'est le roi qui aime ; dans la seconde, c'est le roi qui est aimé : la place ou position dans laquelle on met roi et peuple, fait connaître l'un et l'autre de ces points de vue.

Les prépositifs et les prépositions servent aussi à de pareils usages en français.

Selon ces principes, il parait qu'une langue qui a une sorte de mots de plus qu'une autre, doit avoir un moyen de plus pour exprimer quelque vue fine de l'esprit ; qu'ainsi les langues qui ont des articles ou prépositifs, doivent s'énoncer avec plus de justesse et de précision que celles qui n'en ont point. L'article le tire un nom de la généralité du nom d'espèce, et en fait un nom d'individu, le roi ; ou d'individus, les rois ; le nom sans article ou prépositif, est un nom d'espèce ; c'est un adjectif. Les Latins qui n'avaient point d'articles, avaient souvent recours aux adjectifs démonstratifs. Dic ut lapides isti panes fiant (Matt. IVe 3.) dites que ces pierres deviennent pains. Quand ces adjectifs manquent, les adjoints ne suffisent pas toujours pour mettre la phrase dans toute la clarté qu'elle doit avoir. Si filius Dei es (Matt. IVe 6.), on peut traduire si vous êtes fils de Dieu, et voilà fils nom d'espèce ; au lieu qu'en traduisant si vous êtes le fils de Dieu, le fils est un individu.

Nous mettons la différence entre ces quatres expressions, 1. fils de roi, 2. fils d'un roi, 3. fils du roi, 4. le fils du roi. En fils de roi, roi est un nom d'espèce, qui avec la préposition, n'est qu'un qualificatif, 2. fils d'un roi, d'un roi est pris dans le sens particulier dont nous avons parlé ; c'est le fils de quelque roi ; 3. fils du roi, fils est un nom d'espèce ou appelatif, et roi est un nom d'individu, fils de le roi ; 4. le fils du roi, le fils marque un individu : filius regis ne fait pas sentir ces différences.

Etes-vous roi ? êtes-vous le roi ? dans la première phrase, roi est un nom appelatif ; dans la seconde, roi est pris individuellement : rex es tu ? ne distingue pas ces diverses acceptions : nemo satis gratiam regi refert. Ter. Phorm. II. IIe 24. où regi peut signifier au roi ou à un roi.

Un palais de prince, est un beau palais qu'un prince habite, ou qu'un prince pourrait habiter décemment ; mais le palais du prince (de le prince) est le palais déterminé qu'un tel prince habite. Ces différentes vues ne sont pas distinguées en latin d'une manière aussi simple. Si, en se mettant à table, on demande le pain, c'est une totalité qu'on demande ; le latin dira da ou affer panem. Si, étant à table, on demande du pain, c'est une portion de le pain ; cependant le latin dira également panem.

Il est dit au second chapitre de S. Matthieu, que les mages s'étant mis en chemin au sortir du palais d'Hérode, videntes stellam, gavisi sunt ; et intrantes domum, invenerunt puerum : voilà étoile, maison, enfant, sans aucun adjectif déterminatif ; je conviens que ce qui précède fait entendre que cette étoîle est celle qui avait guidé les mages depuis l'orient ; que cette maison est la maison que l'étoîle leur indiquait ; et que cet enfant est celui qu'ils venaient adorer : mais le latin n'a rien qui présente ces mots avec leur détermination particulière ; il faut que l'esprit supplée à tout : ces mots ne seraient pas énoncés autrement, quand ils seraient noms d'espèces. N'est-ce pas un avantage de la langue française, de ne pouvoir employer ces trois mots qu'avec un prépositif qui fasse connaître qu'ils sont pris dans un sens individuel déterminé par les circonstances ? ils virent l'étoile, ils entrèrent dans la maison, et trouvèrent l'enfant.

Je pourrais rapporter plusieurs exemples, qui feraient voir que lorsqu'on veut s'exprimer en latin d'une manière qui distingue le sens individuel du sens adjectif ou indéfini, ou bien le sens partitif du sens total, on est obligé d'avoir recours à quelqu'adjectif démonstratif, ou à quelqu'autre adjoint. On ne doit donc pas nous reprocher que nos articles rendent nos expressions moins fortes et moins serrées que celles de la langue latine ; le défaut de force et de précision est le défaut de l'écrivain, et non celui de la langue.

Je conviens que quand l'article ne sert point à rendre l'expression plus claire et plus précise, on devrait être autorisé à le supprimer : j'aimerais mieux dire, comme nos pères, pauvreté n'est pas vice, que de dire, la pauvreté n'est pas un vice : il y a plus de vivacité et d'énergie dans la phrase ancienne : mais cette vivacité et cette énergie ne sont louables, que lorsque la suppression de l'article ne fait rien perdre de la précision de l'idée, et ne donne aucun lieu à l'indétermination du sens.

L'habitude de parler avec précision, de distinguer le sens individuel du sens spécifique adjectif et indéfini, nous fait quelquefois mettre l'article où nous pouvions le supprimer : mais nous aimons mieux que notre style soit alors moins serré, que de nous exposer à être obscurs ; car en général il est certain que l'article mis ou supprimé devant un nom, (Gram. de Regnier, pag. 152.) fait quelquefois une si grande différence de sens, qu'on ne peut douter que les langues qui admettent l 'article, n'aient un grand avantage sur la langue latine, pour exprimer nettement et clairement certains rapports ou vues de l'esprit, que l 'article seul peut designer, sans quoi le lecteur est exposé à se méprendre.

Je me contenterai de ce seul exemple. Ovide faisant la description des enchantements qu'il imagine que Médée fit pour rajeunir Eson, dit que Médée, Mét. liv. VII. Ve 184.

Tectis, nuda pedem, egreditur.

Et quelques vers plus bas (v. 189.) il ajoute

Crinem irroravit aquis.

Les traducteurs instruits que les poètes emploient souvent un singulier pour un pluriel, figure dont ils avaient un exemple devant les yeux en crinem irroravit, elle arrosa ses cheveux ; ces traducteurs, disje, ont cru qu'en nuda pedem, pedem était aussi un singulier pour un pluriel ; et tous, hors M. l'abbé Banier, ont traduit nuda pedem, par ayant les pieds nuds : ils devaient mettre, comme l'abbé Banier, ayant un pied nud ; car c'était une pratique superstitieuse de ces magiciennes, dans leurs vains et ridicules prestiges, d'avoir un pied chaussé et l'autre nud. Nuda pedem peut donc signifier ayant un pied nud, ou ayant les pieds nuds ; et alors la langue, faute d'articles, manque de précision, et donne lieu aux méprises. Il est vrai que par le secours des adjectifs déterminatifs, le latin peut suppléer au défaut des articles ; et c'est ce que Virgile a fait en une occasion pareille à celle dont parle Ovide : mais alors le latin perd le prétendu avantage d'être plus serré et plus concis que le français.

Lorsque Didon eut eu recours aux enchantements, elle avait un pied nud, dit Virgile,... Unum exuta pedem vinclis.... (IV. Aeneid. Ve 518.) et ce pied était le gauche, selon les commentateurs.

Je conviens qu'Ovide s'est énoncé d'une manière plus serrée, nuda pedem : mais il a donné lieu à une méprise. Virgile a parlé, comme il aurait fait s'il avait écrit en français ; unum exuta pedem, ayant un pied nud ; il a évité l'équivoque par le secours de l'adjectif indicatif unum ; et ainsi il s'est exprimé avec plus de justesse qu'Ovide.

En un mot, la netteté et la précision sont les premières qualités que le discours doit avoir : on ne parle que pour exciter dans l'esprit des autres une pensée précisément telle qu'on la conçoit ; or les langues qui ont des articles, ont un instrument de plus pour arriver à cette fin ; et j'ose assurer qu'il y a dans les livres latins bien des passages obscurs, qui ne sont tels que par le défaut d'articles ; défaut qui a souvent induit les auteurs à négliger les autres adjectifs démonstratifs, à cause de l'habitude où étaient ces auteurs d'énoncer les mots sans articles, et de laisser au lecteur à suppléer.

Je finis par une réflexion judicieuse du P. Buffier. (Grammaire n. 340.) Nous avons tiré nos éclaircissements d'une Métaphysique, peut-être un peu subtile, mais très-réelle.... C'est ainsi que les sciences se prêtent mutuellement leurs secours : si la Métaphysique contribue à démêler nettement des points essentiels à la Grammaire, celle-ci bien apprise, ne contribuerait peut-être pas moins à éclaircir les discours les plus métaphysiques. Voyez ADJECTIF, ADVERBE, etc. (F)

ARTICLE, s. m. en terme de Commerce, signifie une petite partie ou division d'un compte, d'un mémoire, d'une facture, d'un inventaire, d'un livre journal, etc.

Un bon teneur de livres doit être exact à porter sur le grand livre au compte de chacun, soit en débit, soit en crédit, tous les articles qui sont écrits sur le livre journal, et ainsi du reste.

Article se dit aussi des clauses, conditions et conventions portées dans les sociétés, dans les marchés, dans les traités, et des choses jugées par des arbitres.

Article se prend aussi pour les différents chefs portés par les ordonnances, les règlements, les statuts des communautés, etc. particulièrement quand on les cite. Ainsi l'on dit : cela est conforme à tel article de l'ordonnance de 1673 ; à tel article du règlement des Teinturiers, etc. Savary, Dict. du Comm. tom. I. pag. 738. (G)

ARTICLE, en Peinture, est un très-petit contour qu'on nomme aussi temps. On dit : ces articles ne sont pas assez prononcés. Outre ces contours, il y a un article ou un temps, etc.

Article signifie aussi, en Peinture comme en Anatomie, les jointures ou articulations des os du corps, comme les jointures des doigts, etc. (R)

ARTICLES, en terme de Palais, sont les circonstances et particularités sur lesquelles une partie se propose d'en faire interroger une autre en justice : dans ce sens, on ne dit guère articles qu'avec faits ; comme interroger quelqu'un sur faits et articles ; donner copie des faits et articles, &c.

On appelle les articles tout simplement, les clauses et conventions qu'on est convenu de stipuler dans un contrat de mariage par les deux futurs conjoints, ou leurs parents ou tuteurs stipulants pour eux. (H)




Affichages : 2217