adj. (Grammaire) terme assez commun dans la langue, et tout à fait vide de sens dans la nature. Voyez l'article suivant. Nous disons d'un événement qu'il est fortuit, lorsque la cause nous en est inconnue ; que sa liaison avec ceux qui le précèdent, l'accompagnent ou le suivent, nous échappe, en un mot lorsqu'il est au-dessus de nos connaissances et indépendant de notre volonté. L'homme peut être heureux ou malheureux par des cas fortuits ; mais ils ne le rendent point digne d'éloge ou de blâme, de châtiment ou de récompense. Celui qui réfléchira profondément à l'enchainement des événements, verra avec une sorte d'effroi combien la vie est fortuite, et il se familiarisera avec l'idée de la mort, le seul événement qui puisse nous soustraire à la servitude générale des êtres.

FORTUIT, (Métaphysique) Tout étant lié dans la nature, les événements dépendent les uns des autres ; la chaîne qui les unit est souvent imperceptible, mais n'en est pas moins réelle. Voyez FATALITE.

Supposez un événement de plus ou de moins dans le monde, ou même un seul changement dans les circonstances d'un événement, tous les autres se ressentiront de cette altération légère, comme une montre toute entière se ressent de la plus petite altération essuyée par une des roues. Mais, dit-on, il y a des événements qui ont des effets, et d'autres qui n'en ont point ; et ces derniers au-moins n'influent pas dans le système général du monde. Je répons 1°. qu'on peut douter s'il y a aucun événement sans effet. 2°. Que quand même il y aurait des événements sans effet, si ces événements n'eussent pas existé, ce qui leur a donné naissance n'eut pas existé non plus ; la cause qui les a produits n'eut donc pas été exactement telle qu'elle est, ni par conséquent la cause de cette cause, et ainsi en remontant. Il y a dans un arbre des branches extrêmes qui n'en produisent point d'autres ; mais supposez une feuille de moins à l'une des branches, vous ôtez à la branche ce qu'elle avait pour produire cette feuille ; vous changez donc à certains égards cette branche, et par conséquent celle qui l'a produite, et ainsi de suite jusqu'au tronc et aux racines. Cet arbre est l'image du monde.

On demande si la chaîne des événements est contraire à la liberté. Voici quelques réflexions sur cet important sujet.

Sait que les lois du mouvement instituées par le Créateur, aient leur source dans la nature même de la matière, soit que l'être suprême les ait librement établies (voyez EQUILIBRE), il est constant que notre corps est assujetti à ces lais, qu'il en résulte dans notre machine depuis le premier instant de son existence une suite de mouvements dépendants les uns des autres, dont nous ne sommes nullement les maîtres, et auxquels notre âme obéit par les lois de son union avec le corps. D'un autre côté, chaque événement étant prévu par l'intelligence divine, et existant de toute éternité dans ses decrets, tout ce qui arrive doit infailliblement arriver ; la liberté de l'homme parait inconciliable avec ces vérités. Nous sentons néanmoins que nous sommes libres ; l'expérience et une opération facîle de notre esprit suffisent pour nous en convaincre. Accoutumés à faire à plusieurs reprises, souvent même dans des occasions semblables en apparence, des actions directement opposées, nous séparons par abstraction le pouvoir d'agir d'avec l'action même ; nous regardons ce pouvoir comme subsistant, même après que l'action est faite, ou pendant que nous faisons l'action contraire ; et ce pouvoir aisif, quoique réel, est ce que nous appelons liberté. En vain la toute-puissance du Créateur, en vain la sagesse de ses vues éternelles, qui assujettit et qui règle tout, nous paraissent incompatibles avec cette liberté de l'homme ; le sentiment intérieur, &, si on peut parler ainsi, l'instinct contraire doit l'emporter. Il en est ici comme de l'existence des corps, à laquelle nous sommes forcés de revenir, par quelque sophisme qu'on l'attaque. Nous sommes libres, parce que dans la supposition que nous le fussions réellement, nous ne pourrions pas en avoir une conscience plus vive que celle que nous en avons. D'ailleurs cette conscience est la seule preuve que nous puissions avoir de notre liberté ; car la liberté n'est autre chose qu'un pouvoir qui ne s'exerce pas actuellement, et ce pouvoir ne peut être connu que par conscience, et non par l'exercice actuel, puisqu'il est impossible d'exécuter en même temps deux actions opposées.

Supposons mille mondes existants à-la-fais, tous semblables à celui-ci, et gouvernés par conséquent par les mêmes lois ; tout s'y passerait absolument de même. Les hommes en vertu de ces lois feraient aux mêmes instants les mêmes actions dans chacun de ces mondes ; et une intelligence différente du Créateur qui verrait à-la-fais tous ces mondes si semblables, en prendrait les habitants pour des automates, quoiqu'ils n'en fussent pas, et que chacun d'eux au-dedans de lui-même fût assuré du contraire. Le sentiment intérieur est donc la seule preuve que nous ayons et que nous puissions avoir d'être libres.

Cette preuve nous suffit, et parait bien supérieure à toute autre ; car de dire avec quelques philosophes que les lois sont fondées sur la liberté, qu'il serait injuste de punir les crimes s'ils étaient nécessaires, c'est établir une vérité bien claire par une preuve bien faible. Les hommes fussent-ils de pures machines, il suffirait que la crainte fût un des mobiles principaux de ces machines, pour que cette crainte fût un moyen efficace d'empêcher un grand nombre de crimes. Il ne serait alors ni juste ni injuste de les punir, parce que sans liberté il n'y a ni justice ni injustice ; mais il serait toujours nécessaire d'arrêter la méchanceté des hommes par des châtiments, comme on oppose à un torrent funeste des digues puissantes qui le forcent à changer son cours. L'effet nécessaire de la crainte est d'arrêter la main de l'automate réel ou supposé ; supprimer ou arrêter ce ressort, ce serait en empêcher l'effet ; les supplices seraient donc dans une société même d'automates (qui n'existe pas) une roue nécessaire pour régler la machine.

La notion du bien et du mal est donc une suite de la notion de la liberté, et non pas la notion de la liberté une suite de la notion du bien et du mal moral.

A l'égard de la manière dont notre liberté subsiste avec la providence éternelle, avec la justice par laquelle Dieu punit le crime, avec les lois immuables auxquelles tous les êtres sont soumis, c'est un secret incompréhensible pour nous, dont il n'a pas plu au Créateur de nous révéler la connaissance ; mais ce qui n'est peut-être pas moins incompréhensible, c'est la témérité avec laquelle certains hommes qui se croient ou qui se disent sages, ont entrepris d'expliquer et de concilier de tels mystères. En vain la révélation nous assure que cet abîme est impénétrable * ; la philosophie orgueilleuse a entrepris de le sonder, et n'a fait que s'y perdre. Les uns croient avoir reussi par une distinction entre l'infaillible et le nécessaire ; distinction qui pour être réelle, ne nous laissera pas des idées plus nettes, dès que nous voudrons l'approfondir de bonne foi : les autres, pour expliquer comment Dieu est l'auteur de tout sans l'être du péché, disent que Dieu en produit tout le physique sans en produire le moral, qui est une privation ; comme si en leur accordant même cette distinction futîle et chimérique, il ne restait pas toujours à expliquer comment la sagesse de Dieu peut concourir à un physique auquel le moral est nécessairement attaché, et comment sa justice punit ensuite ce même moral, suite nécessaire du physique qu'il a produit ; ceux-ci, en faisant agir l'homme d'une manière très-subordonnée à Dieu, et dépendante de decrets prédéterminans, sauvent réellement la puissance de Dieu aux dépens de notre liberté ; ceux-là au contraire plus amis de l'homme en apparence, croient sauver la perfection et l'intelligence divine, en admettant en Dieu une science indépendante de ses decrets, et antérieure à nos actions. Ils ne s'aperçoivent pas non-seulement qu'ils détruisent par ce système la providence et la toute-puissance de Dieu, en faisant la volonté de l'homme indépendante, mais qu'ils retombent sans y penser, ou dans le système de la fatalité, ou dans l'athéisme ; car la science de Dieu ne peut être fondée que sur la connaissance qu'il a des lois immuables par lesquelles l'univers est gouverné, et de l'effet infaillible de ces lais, et Dieu ne peut devoir cette connaissance qu'à la dépendance où ces lois et leurs effets sont de lui. C'est ainsi qu'en voulant concilier (malgré l'oracle de Dieu même) les deux vérités dont il s'agit, on ne fait qu'anéantir l'une des deux, ou peut-être affoiblir l'une et l'autre : aussi n'y a-t-il aucune secte de scolastiques, qui après s'être épuisée en raisonnements, en distinctions, en subtilités, et en systèmes sur cet important article, ne revienne enfin, pressée par les objections, à la profondeur des decrets éternels. Tous ces sophistes en avouant leur ignorance un peu plutôt, n'auraient pas eu la peine de faire tant de détours pour revenir au point d'où ils étaient partis. Le vrai philosophe n'est ni thomiste, ni moliniste, ni congruiste ; il reconnait et voit partout la puissance souveraine de Dieu ; il avoue que l'homme est libre, et se tait sur ce qu'il ne peut comprendre. (O)