CHAGRIN, TRISTESSE, AFFLICTION, DESOLATION, synon. (Grammaire) Ces mots désignent en général la situation d'une âme qui souffre. Douleur se dit également des sensations desagréables du corps, et des peines de l'esprit, ou du cœur ; les quatre autres ne se disent que de ces dernières. De plus tristesse diffère de chagrin, en ce que le chagrin peut être intérieur, et que la tristesse se laisse voir au-dehors. La tristesse d'ailleurs peut être dans le caractère ou dans la disposition habituelle, sans aucun sujet ; et le chagrin a toujours un sujet particulier. L'idée d'affliction ajoute à celle de tristesse, celle de douleur à celle d'affliction, et celle de désolation à celle de douleur. Chagrin, tristesse et affliction ne se disent guère en parlant de la douleur d'un peuple entier, surtout le premier de ces mots. Affliction et désolation ne se disent guère en poésie, quoiqu'affligé et désolé s'y disent très-bien. Chagrin en poésie, surtout lorsqu'il est au plurier, signifie plutôt inquiétude et souci, que tristesse apparente ou cachée.

Je ne puis m'empêcher, à cette occasion, de rapporter ici un beau passage du quatrième livre des Tusculanes, dont l'objet est à-peu-près le même que celui de cet article, et dont j'ai déjà dit un mot dans l'article DICTIONNAIRE, à l'occasion des synonymes de la langue latine.

Aegritudo, dit Cicéron, chap. 7. est opinio recens mali praesentis, in quo demitti contrahique animo rectum esse videatur.... Aegritudini subjiciuntur.... angor, moeror, luctus, aerumna, dolor, lamentatio, sollicitudo, molestia, afflictatio, desperatio, et si qua sunt sub genere eodem.... Angor est aegritudo prements, luctus aegritudo ex ejus qui carus fuerit, interitu acerbo ; moeror, aegritudo flebilis ; aerumna aegritudo laboriosa ; dolor, aegritudo cruciants ; lamentatio, aegritudo cum ejulatu ; sollicitudo, aegritudo cum cogitatione ; molestia, aegritudo permanens ; afflictatio, aegritudo cum vexatione corporis ; desperatio, aegritudo sine ullâ rerum expectatione meliorum. Nous invitons le lecteur à lire tout cet endroit, ce qui le suit et ce qui le précède ; il y verra avec quel soin et quelle précision les anciens ont su définir, quand ils en ont voulu prendre la peine. Il se convaincra de plus, que si les anciens avaient pris soin de définir ainsi tous les mots, nous verrions entre ces mots une infinité de nuances qui nous échappent dans une langue morte, et qui doivent nous faire sentir combien le premier des humanistes modernes, morts ou vivants, est éloigné de savoir le latin. Voyez LATINITE, COLLEGE, SYNONYME, DICTIONNAIRE, etc. (O)

DOULEUR, s. f. , d', souffrir, se dit en Médecine d'une sorte de sentiment dont sont susceptibles toutes les parties du corps, tant internes qu'externes, dans lesquelles se fait une distribution de nerfs qui aient la disposition naturelle de transmettre au cerveau les impressions qu'ils reçoivent.

Ce sentiment est une modification de l'âme, qui consiste dans une perception desagréable, occasionnée par un désordre dans le corps, par une lésion déterminée dans l'organe du sentiment en général. Cet organe doit être distingué de ceux des sens en particulier, soit par la nature de la sensation qui peut s'y faire, qui est différente de toute autre ; soit parce qu'il est plus étendu qu'aucun autre organe, et qu'il est le même dans toutes les parties du corps.

Les organes des sens sont distingués les uns des autres par une structure singulièrement industrieuse ; au lieu que l'organe dont il s'agit, n'a d'autre disposition que celle qui est nécessaire pour l'exercice des sensations en général. Il suffit qu'une partie quelconque reçoive dans sa composition un plus grand ou un moins grand nombre de nerfs, pour qu'elle soit susceptible de douleur plus ou moins forte. Ce sentiment est aussi distingué de tout autre, parce qu'il est de la nature humaine de l'avoir tellement en aversion, que celui qui en est affecté, est porté même malgré lui, à écarter, à faire cesser ce qu'il croit être la cause de la perception desagréable qui constitue la douleur, parce que tout ce qui peut l'exciter, tend à la destruction de la machine, et parce que tout animal a une inclination innée à conserver son individu.

Ainsi l'organe de la douleur est très-utile, puisqu'il sert à avertir l'âme de ce qui peut affecter le corps d'une manière nuisible. Ce n'est donc pas une lésion peu considérable dans l'oeconomie animale, que celle de cet organe : elle peut avoir lieu de trois manières, savoir lorsque la sensation en est abolie ou seulement diminuée, ou lorsqu'elle s'exerce surtout avec trop d'intensité et d'activité ; ce qui en fait les différents degrés. 1°. Elle peut être abolie, si les nerfs qui se distribuent à une partie du corps, sont coupés ou détruits par quelque cause que ce soit ; s'ils sont liés ou comprimés, de sorte qu'une sensation ne puisse pas se transmettre librement au sensorium commune ; s'ils sont relâchés ou ramollis ; s'ils sont tendus, trop roides ou endurcis ; s'ils sont rendus calleux ou desséchés ; si l'organe commun à toutes les sensations, n'est pas susceptible d'en recevoir les impressions. 2°. La sensation de la douleur peut être diminuée par toutes les causes qui peuvent l'abolir, si elles agissent à moindres degrés, excepté celle des nerfs coupés, qui, lorsqu'ils ne le sont qu'en partie, sont une des causes de la douleur, comme il sera dit en son lieu. 3°. L'organe de la sensation est aussi lésé lorsqu'il exerce sa fonction, qui consiste à recevoir la sensation de la douleur plus ou moins forte, parce que la plupart des parties qui en sont susceptibles, n'en reçoivent jamais d'autre, puisqu'elles ne reçoivent pas même de l'impression par le contact des corps. En effet on ne s'aperçoit que par la douleur, que les chairs et toutes les parties internes sont susceptibles de quelque sorte de sentiment ; en sorte que la faculté de sentir peut procurer infiniment plus de mal que de bien, puisqu'il est attaché à toutes les parties du corps où il y a des nerfs, d'être susceptibles de douleur, et très-peu le sont de plaisir : triste condition ! Ainsi en considérant les nerfs en général, entant qu'ils sont susceptibles de la sensation qui fait la douleur, et qu'ils en constituent l'organe, sans avoir égard à la structure et à la disposition particulière des différents organes des sens, on peut dire que l'exercice seul de la fonction de cet organe général en est une lésion, et que son état naturel est de n'être pas affecté du tout ; de ne pas exercer le sentiment dont il est susceptible, qui n'est destiné qu'à avertir l'âme des effets nuisibles au corps, à la conservation duquel elle est chargée de veiller, ensuite des lois de l'union de ces deux substances : tout autre sentiment habituel aurait trop occupé l'âme de ce qui se serait passé au-dedans du corps ; elle aurait été moins attentive au-dehors, ce qui est cependant le plus utîle pour l'oeconomie animale.

L'homme le plus sain a en lui la faculté de percevoir quelques idées, à l'occasion du changement qui se fait dans ses nerfs ; il ne peut aucunement empêcher l'exercice de cette faculté, posée la cause de la perception : un philosophe absorbé dans une profonde méditation, si on vient à lui appliquer un fer chaud sur quelque partie du corps que ce sait, changera bien-tôt d'idée, et il naitra dans son âme une perception desagréable, qu'il appellera douleur. Mais en quoi consiste la nature de cette perception ? C'est ce qu'il est impossible d'exprimer : on ne peut la connaître qu'en l'éprouvant soi-même, car on ne se représente pas quelque chose de différent de la pensée ; mais il se fait une affection qui donne lieu à la perception. Personne ne pense lorsqu'il souffre, qu'il y ait quelque chose hors de lui qui soit semblable au sentiment qu'il a de la douleur ; mais chacun, qui a ce sentiment, dit qu'il souffre de la douleur ; et lorsqu'elle est passée, il n'est pas en pouvoir de celui qui l'a ressentie, de faire renaître la perception desagréable en quoi elle consiste, si la cause qui affectait l'âme de cette perception, lorsqu'elle était appliquée au corps, n'y produit encore un semblable effet. L'expérience a fait connaître quel est le changement qui se fait dans le corps, et quelles sont les parties qui l'éprouvent ; d'où s'ensuit dans l'âme l'idée de la douleur.

Il est démontré par les affections du cerveau qui peuvent abolir la faculté de sentir de la douleur dans différentes parties du corps, que les nerfs qui en tirent leur origine, peuvent seuls être affectés de manière à produire dans l'âme la perception de la douleur ; et le changement qui se fait dans ces nerfs, d'où résulte cette perception, parait être une disposition telle, que si elle augmente considérablement, ou si elle dure longtemps la même, elle produit la solution de continuité dans les nerfs affectés par quelque cause que ce sait, et de quelque manière qu'elle agisse, pourvu qu'elle dispose à se rompre la fibre nerveuse, dont la communication avec le cerveau est sans interruption ; plus la rupture sera prête à se faire, plus il y aura de la douleur, pourvu que la rupture ne soit pas entièrement faite : car alors la communication avec le cerveau ne subsistant plus dans tout le trajet du nerf, il ne serait plus susceptible de transmettre aucune sensation à l'âme ; elle n'en recevrait même pas, le nerf restant libre, si l'organe commun des sensations dans le cerveau n'était pas susceptible, par quelque cause que ce sait, de recevoir les impressions qui lui seraient transmises.

Il faut donc que, du changement fait dans le nerf, il s'ensuive un changement dans le cerveau, pour qu'il naisse l'idée de la douleur, qui peut même avoir lieu en conséquence de cette dernière condition seule, sans qu'aucun nerf soit affecté ; s'il se fait dans le cerveau un changement semblable à celui qui a lieu conséquemment à la disposition d'un nerf, qui est en danger de se rompre, comme le prouvent les observations de Médecine, et entr'autres celles qui se trouvent dans les œuvres de Ruysch, epist. anatom. problematica XIVe et respons. par lesquelles il conste, qu'il arrive souvent à ceux qui ont souffert l'amputation de quelque membre des extrémités supérieures ou inférieures, de ressentir des douleurs, qu'ils rapportent, p. ex. aux doigts ou aux orteils du membre qui leur manque, comme s'il faisait actuellement une partie de leur corps ; ce qui a été observé non-seulement peu après l'amputation, mais encore après un long espace de temps depuis l'opération : d'où l'on peut conclure que la sensation de la douleur excitée dans chaque partie du corps, se transmet à l'âme avec des modifications différentes, qui semblent lui indiquer déterminément la partie qui souffre.

Si quelqu'une de ces différentes modifications affecte le sensorium commune par une cause intérieure, indépendamment de l'impression faite sur les nerfs qui y prennent leur origine, il se fera une perception semblable à celle qui viendrait à l'âme par le moyen des nerfs ; il y aura sentiment de douleur, tout comme si une cause suffisante pour le produire, avait été appliquée à la partie à laquelle l'âme rapporte la douleur.

C'est à la facilité qu'a le sensorium commune dans bien des personnes, à être affecté et à produire des perceptions, que l'on doit attribuer plusieurs maladies dolorifiques, que l'on croit être produites par des causes externes, et qui ne sont réellement causées que par la sensibilité de l'organe commun des sensations. C'est la réflexion sur ces phénomènes singuliers, qui a donné lieu à Sydenham d'imaginer, pour en rendre raison, son homme intérieur. Voyez sa dissertation épistolaire.

Il suit donc de tout ce qui vient d'être dit, que l'idée de la douleur est attachée à l'état de la fibre nerveuse, qui est en disposition de se rompre ; en sorte cependant que cette perception peut aussi avoir lieu probablement, lorsque le cerveau seul est affecté par une cause intérieure, tout comme il le serait par la transmission de l'affection d'une ou de plusieurs fibres nerveuses qui seraient dans cette disposition. On peut comparer cet effet à ce qui se passe dans les délires de toute espèce, où il se fait des représentations à l'âme de différents objets, et il en nait des idées et des jugements aussi vifs, que si l'impression de ces objets avait été transmise par les organes des sens, quoiqu'il n'y ait réellement aucune cause extérieure qui l'ait produite.

On doit donc regarder généralement comme cause de la douleur, tout ce qui produit un allongement dans le nerf, ou tout autre disposition qui le met en danger de se rompre ; en sorte cependant que l'impression que le nerf reçoit dans cet état, soit transmise à l'âme. On peut de même comprendre parmi les causes de la douleur, tout ce qui peut produire un changement dans le cerveau, tel que celui qui résulterait de l'impression transmise à cet organe d'un nerf en disposition de rupture prochaine : il n'importe pas que la douleur soit produite par une cause qui comprime les nerfs, qui les tire trop, ou qui les ronge, il en résultera toujours l'idée de la douleur ; elle ne sera différente qu'à proportion de l'intensité ou de la durée de l'action de différentes causes sur les nerfs. D'ailleurs le sentiment sera toujours le même.

La différente manière d'agir de ces causes, établit quatre espèces de douleur ; savoir la tensive, la gravative, la pulsative, et la pungitive : toute autre douleur n'est qu'une complication de ces différentes espèces : l'histoire des douleurs n'en a pas fait connaître d'autre jusqu'à présent.

1°. On appelle douleur tensive, celle qui est accompagnée d'un sentiment de distension dans la partie souffrante ; elle est causée par tout ce qui peut tendre au-delà de l'état naturel, les nerfs et les membranes nerveuses qui entrent dans la composition de la partie, qui est le siège de la douleur. Tel est l'effet de la torture que l'on fait souffrir aux malfaiteurs, pour leur faire confesser leurs crimes, lorsqu'on les suspend par les bras, et qu'on attache à leurs pieds des poids, que l'on augmente peu à peu : ce qui allonge toutes les parties molles par degrés, et y augmente la douleur à proportion jusqu'à la rendre extrême, en mettant les nerfs dans une disposition de rupture prochaine ; d'où résulte une douleur d'autant plus forte, qu'il y a plus de nerfs à la fois mis dans cet état. C'est la même espèce de douleur qu'éprouvent aussi ceux à qui on fait l'extension des membres, pour réduire les luxations. La douleur qui survient, lorsqu'un nerf, un tendon sont à demi-coupés, ou rompus, ou rongés par différentes causes, est aussi de cette espèce ; parce que les nerfs, comme les tendons, ne sont pas composés d'une fibre simple : ils sont formés d'un faisceau de fibres contiguès, qui ont un degré de tension, qu'elles concourent toutes à soutenir. Si le nombre vient à diminuer, celles qui restent entières soutiennent tout l'effort : d'où elles seront plus tendues chacune en particulier, et par conséquent plus disposées à se rompre : d'où la douleur est plus ou moins grande, selon que le nombre des fibres retranchées est plus ou moins grand, respectivement à celles qui conservent leur intégrité. Ainsi la solution de continuité ne fait pas une cause de douleur dans les fibres coupées, mais dans celles qui restent entières et plus tendues. La distension des fibres nerveuses peut aussi être produite par une cause interne, qui agit dans différentes cavités du corps, comme l'effort du sang qui se porte dans une partie, qui en dilate les vaisseaux outre mesure, et en distend les fibres quelquefois jusqu'à les rompre : tant que dure l'action qui écarte les parois des vaisseaux, la douleur dure proportionnément à l'intensité de cette action. C'est ce qui arrive dans les inflammations phlegmoneuses, érésipélateuses : une trop grande quantité de liquide renfermé dans une cavité, dont les parois résistent à leur dilatation ultérieure, produit le même effet, comme dans la rétention d'urine dans la vessie, comme dans l'hydrocele, dans la tympanite, dans la colique venteuse, etc. La douleur tensive prend différents noms, selon ses différents degrés et les diverses parties qui en sont affectées ; elle est appelée divulsive, si la partie souffrante est tendue au point d'être bien-tôt déchirée ; si elle a son siège dans le périoste, qui est naturellement fort tendu sur l'os, la cause de la douleur augmentant, la tension rend celle-là si violente, qu'il semble à celui qui souffre que ses os se rompent, se brisent : dans ce cas elle est appelée osteocope, etc.

2°. La douleur gravative est celle qui est accompagnée d'un sentiment de pesanteur, qui occasionne la distension des fibres de la partie souffrante, comme fait l'eau ou tout autre liquide dans la cavité de la poitrine, du bas-ventre, du scrotum, ou dans le tissu cellulaire de quelque autre partie : comme font un foetus trop grand ou mort dans la matrice, un calcul dans les reins ou dans la vessie : comme on l'éprouve par le poids des viscères enflammés, obstrués, skirrheux ; ou par celui du sang, lorsqu'il est ramassé en assez grande quantité et sans mouvement dans quelqu'un de ses vaisseaux. C'est à cette espèce de douleur que l'on doit rapporter celle qu'éprouvent les voyageurs à pied, qui après s'être arrêtés, ressentent une lassitude gravative, occasionnée par une suite du relâchement qui se fait dans toutes les fibres charnues, pour avoir été trop tiraillées par l'action musculaire trop longtemps continuée ; d'où résultent des engorgements dans tous les membres, qui ne retenant pas ordinairement tant de fluides, éprouvent un sentiment de pesanteur extraordinaire par la distraction des fibres des vaisseaux engorgés. On appelle stupeur gravative, le sentiment que l'on éprouve après l'engourdissement d'un membre par compression d'un nerf qui s'y distribue, ou par quelqu'autre cause que ce sait.

3°. La douleur pulsative est produite par une distension de nerfs, augmentée par un mouvement distractile, qui répond à la pulsation des artères, c'est-à-dire à leur dilatation : celle-ci en est effectivement la cause immédiate, parce que le plus grand abord des fluides augmente le volume de la partie souffrante, lui donne plus de tension, et par conséquent distend aussi davantage les nerfs qui se trouvent dans son tissu. Cette espèce de douleur a principalement lieu dans les parties où il se fait une grande distribution de nerfs, comme dans la peau, les membranes, les parties tendineuses, rarement et presque point du tout dans les viscères mous, comme la rate, les poumons, etc. On appelle lancinante, la douleur pulsative, lorsqu'elle est augmentée au point de faire craindre à chaque pulsation que la partie ne s'entr'ouvre par une solution de continuité.

4°. Enfin la douleur pungitive est accompagnée d'un sentiment aigu, comme d'un corps dur et pointu qui pénètre la partie souffrante ; ainsi elle peut être causée par tout ce qui a de la disposition à piquer, à percer les parties nerveuses ; soit au-dehors par tous les corps ambients, tant mécaniques que physiques ; soit au-dedans par l'effet des humeurs âcres, ou de celles qui, réunissant leur action vers un seul point, ensuite du mouvement qui leur est communiqué dans un lieu resserré, écartent les fibres nerveuses, et produisent un sentiment approchant à la piqûre, comme il arrive dans l'éruption de certaines pustules. On donne aussi différents noms à la douleur pungitive ; on l'appelle terebrante, si la surface de la partie souffrante est plus étendue qu'une pointe, et que l'on se représente la douleur comme l'effet d'une tarière qui pénètre bien avant dans le siège de la douleur ; c'est ce qui arrive lorsque les furoncles sont sur le point de suppurer. La matière qui agit contre la pointe et tous les parois de l'abcès, cause un sentiment douloureux qui fait naître l'idée dans l'âme de l'action du trépan, appliqué à la peau dans toute son épaisseur. On appelle fourmillement, le sentiment qu'excite une piqûre légère, multipliée, et vague, qui a rapport à l'impression que peuvent faire des fourmis en marchant sur une partie sensible : on éprouve cette espèce de sentiment desagréable, à la suite des engourdissements des membres, par le retour du sang et des autres liquides dans les vaisseaux, d'où ils avaient été détournés par la compression, etc. il se fait un écartement de leurs parties resserrées, qui en admettant les humeurs, éprouvent un leger tiraillement dans leurs tuniques nerveuses, contre lesquelles elles heurtent, pour les dilater. On appelle enfin prurigineuse, l'espèce de douleur qui réprésente à l'âme l'action d'une puissance, qui cause une espèce d'érosion sur la partie souffrante : lorsque l'érosion est légère, on la nomme demangeaison : lorsqu'elle est plus forte, et accompagnée d'un sentiment de chaleur, on la nomme douleur âcre : lorsqu'elle est très-violente, on lui donne le nom de douleur mordicante, corrosive.

On peut aisément rapporter toute sorte de douleur à quelqu'une de celles qui viennent d'être mentionnées, selon qu'elle participe plus ou moins des unes ou des autres espèces, dans lesquelles la douleur peut être, ou continue ou intermittente, égale ou inégale, fixe ou erratique, etc.

Après avoir exposé les causes et les différences de la douleur, l'ordre conduit à dire quelque chose de ses effets, qui sont proportionnés à son intensité et aux circonstances qui l'accompagnent.

Comme il est de l'animal de faire tous ses efforts pour faire cesser un sentiment desagréable, surtout lorsqu'il tend à la destruction du corps, c'est ce qui fait que les hommes qui souffrent dans quelque partie que ce sait, cherchent par différentes situations et par une agitation continuelle à diminuer la cause de la douleur, dans l'espérance de trouver une attitude qui en empêche l'effet en procurant le relâchement aux parties trop tendues ; c'est pourquoi on se tient, le tronc plié, courbé dans la plupart des coliques, etc. de-là les inquiétudes et les mouvements continuels de ceux qui éprouvent de grandes douleurs : de-là les insomnies, tout ce qui affecte vivement les organes des sens, empêche le sommeil ; à plus forte raison ce qui affecte le cerveau, pour y imprimer le sentiment de la douleur : toute irritation des nerfs peut produire la fièvre ; ainsi elle se joint souvent aux douleurs considérables, même dans les maladies qui par leur nature peuvent le moins y donner lieu, telles que les affections arthritiques, vénériennes, etc. parce que la trop grande tension des nerfs dans les parties souffrantes se communique à tout le genre nerveux, d'où il se fait un resserrement dans les vaisseaux qui gêne le cours des humeurs ; ce qui suffit pour établir une cause de fièvre, et des symptômes qui en sont une suite, tels que la chaleur, la soif, la sécheresse. Les violentes douleurs donnent aussi très-souvent lieu aux convulsions, surtout dans les personnes qui ont le genre nerveux susceptible d'être facilement irrité ; comme dans les enfants, les femmes, et particulièrement dans celles qui sont sujettes aux affections hystériques. Le délire, la fureur, sont souvent les effets des grandes douleurs ; l'érétisme de tout le genre nerveux, dont elles sont souvent la cause, suspend aussi toutes les secrétions et excrétions, trouble les digestions, l'évacuation des matières fécales, des urines, la transpiration. La gangrene même est souvent une suite de la douleur, lorsque la cause de celle-ci agit si fortement, qu'elle parvient bien-tôt à déchirer, à rompre les fibres nerveuses de la partie souffrante, ce qui y détruit le sentiment et le mouvement : cet effet constitue l'état d'une partie gangrenée, mortifiée ; c'est ce qui arrive surtout à la suite des violentes inflammations accompagnées de fièvre, comme dans la pleurésie, etc.

Le signe de la douleur est le sentiment même que la cause excite ; il ne peut y avoir de difficulté, que pour connaître le siège de cette cause, parce que la douleur est quelquefois idiopatique, et quelquefois sympathique ; quelquefois elle affecte certaines parties, que l'on ne distingue pas aisément des parties voisines. L'histoire des maladies dolorifiques apprend à connaître les différents signes qui caractérisent les differents sièges de la douleur, et les divers pronostics que l'on peut en porter.

On peut dire en général, que comme rien de ce qui peut causer de la douleur n'est salutaire, elle doit toujours être regardée comme nuisible par elle-même, soit qu'elle soit seule ou qu'elle se trouve jointe à quelqu'autre maladie, parce qu'elle abolit les forces, elle trouble les fonctions, elle empêche la coction des humeurs morbifiques, elle produit toujours d'une manière proportionnée à son intensité quelques-uns des mauvais effets ci-dessus mentionnés. Toute douleur qui affecte un organe principal est très-pernicieuse, surtout si elle est très-forte et qu'elle tourmente beaucoup ; si elle est continue et qu'elle subsiste longtemps ; si elle fait perdre à la partie sa chaleur naturelle, et qu'elle la rende insensible. On regarde comme moins mauvaise, celle qui n'est pas considérable, qui n'est pas fixe, qui n'est pas durable, et qui n'a pas son siège dans un organe principal, mais dans une partie moins importante. Les douleurs, quoique toujours pernicieuses de leur nature, servent cependant quelquefois dans les maladies aiguës à annoncer un bon effet, un événement salutaire ; telles sont celles qui dans un jour critique, où il parait des signes de coction, surviennent dans une partie qui ne sert pas aux fonctions principales, comme les cuisses, les jambes. Les douleurs se font sentir au commencement des maladies, ou dans la suite : les premières sont ordinairement symptomatiques ; et si elles ont leur siège dans les cavités qui contiennent les viscères, elles sont un signe d'inflammation, ou tout au moins de disposition inflammatoire, surtout lorsqu'elles sont accompagnées de fiévre, de tension dans la partie : celles de cette nature qui ne sont pas continues et qui se dissipent, après quelqu'effet qui en ait pu emporter la cause, comme après quelques évacuations que la nature ou l'art ont faites à-propos, ne sont pas dangereuses, surtout si elles ne sont accompagnées d'aucun mauvais signe, et dans le cas même où la fiévre subsisterait après qu'elles paraitraient dissipées, parce qu'elle est une continuation de l'effort qu'a fait la nature pour résoudre l'humeur morbifique. C'est sur ce fondement qu'Hippocrate a dit, aphorisme 4, sect. 6. " La fiévre qui survient à ceux qui ont les hypocondres tendus avec douleur, guérit " la maladie ; et ensuite dans l'aphor. 52. sect. 7, il ajoute : " ceux qui ont des douleurs aux environs du foie, en sont bien-tôt délivrés si la fiévre survient. Pour ce qui est des douleurs qui sont guéries par quelqu'évacuation, il dit dans les coaques, sect. 1, text. 32 : " ceux qui avec la fiévre ont des douleurs de côté, guérissent par les déjections fréquentes de matières aqueuses mêlées de bîle " ; ainsi de bien d'autres pronostics de cette nature, qu'Hippocrate rapporte sur les douleurs dans ses différents ouvrages. Il n'est pas moins riche d'observations, par lesquelles il porte, d'après les douleurs, des jugements désavantageux, tels que ceux-ci, aphorisme 62, sect. 4 : " s'il survient dans les fiévres une grande chaleur à l'estomac avec douleur vers l'orifice supérieur, c'est un mauvais signe " ; et dans l'aphorisme suivant : " les convulsions et les douleurs violentes autour des viscères, qui surviennent dans les fiévres continues, sont de très-mauvais augure " ; dans les pronostics, text. 36 : " la douleur aiguë des oreilles dans une fiévre violente, est un mauvais signe, parce qu'il y a lieu de craindre qu'il ne survienne un délire ou une défaillance. " Ces exemples doivent suffire pour exciter à consulter ce grand maître dans l'art de prédire les événements des maladies, dans ses œuvres mêmes ou dans celles de ses excellents commentateurs, tels que Prosper Alpin, de praesag. vitâ et morte, Duret, in coacas, et autres.

Tout ce qui peut faire cesser la disposition des nerfs, qui sont en danger de se rompre, peut faire cesser la douleur ; mais comme cette disposition peut être occasionnée par un si grand nombre de causes différentes, les remèdes anodins sont aussi différents entr'eux, puisqu'ils doivent être appropriés à chacune de ces causes : il est donc absolument nécessaire de les bien connaître, avant que de déterminer ce qu'il convient d'employer pour en faire cesser l'effet : mais avant toutes choses il faut prescrire le régime convenable, attendu que les douleurs, pour peu qu'elles soient considérables, troublent toutes les fonctions, il est nécessaire d'observer une diete d'autant plus sevère, que les douleurs sont plus grandes. Cela posé, dans le cas où la douleur provient d'une trop forte distension de la partie souffrante, il faut en procurer le relâchement ou mécaniquement ou physiquement : dès qu'on cesse l'extension et la contre-extension des membres dont on veut réduire la luxation, la douleur cesse aussi. Si on ne peut pas faire cesser la distension des fibres, on doit faire en sorte qu'elle puisse subsister sans que la rupture s'ensuive ; c'est ce qu'on peut obtenir par le moyen des émolliens aqueux, huileux, appliqués à la partie affectée de douleur. Une verge de bois sec se rompt aisément lorsqu'on la fléchit ; si elle est humectée on peut la plier sans la rompre : de même la tension d'une partie enflammée qui cause une douleur insupportable, se relâche considérablement par l'application des cataplasmes humectants, des fomentations lénitives, de la vapeur de l'eau tiede par les bains ; en un mot, tous les remèdes qui peuvent produire le relâchement des parties solides, conviennent contre la douleur, de quelque cause qu'elle puisse provenir, parce qu'elle est toujours l'effet d'une trop grande tension des fibres nerveuses ; ils peuvent par conséquent être regardés presque comme universels en ce genre ; il est très-peu de cas où ils soient contr'indiqués. Voyez EMOLLIENS.

Lorsque la douleur provient d'une matière qui obstrue un vaisseau quelconque, en distend trop les parais, on doit s'appliquer à faire cesser cette cause, en procurant la résolution ou la suppuration de la matière de l'obstruction (voyez OBSTRUCTION, RESOLUTIF, SUPPURATIF) ; en diminuant le mouvement, l'effort et la quantité de la matière qui fait la distension du vaisseau par de copieuses et de fréquentes saignées, autant que les forces du malade le peuvent permettre : les autres évacuans peuvent aussi être employés dans ce cas comme les purgatifs, etc. s'il n'y a point de contr'indication ; mais on doit éviter soigneusement tout remède irritant, et qui peut agiter, échauffer, en déterminant l'évacuation.

Il n'est pas moins nécessaire de diminuer le mouvement des humeurs par le repos et par les moyens ci-dessus mentionnés, lorsque ce sont des matières âcres appliquées aux parties souffrantes, qui sont cause de la douleur ; parce que l'action des irritants sur les nerfs est proportionnée à la force avec laquelle ils sont portés contre les parties sensibles, et à la réaction de celles-ci qui se portent contr'eux : les caustiques les plus forts ne font rien sur un cadavre : on doit aussi s'assurer de l'espèce d'acrimonie dominante, pour la corriger par les spécifiques, comme lorsqu'elle est acide, on oppose les alkalis ou les absorbans terreux ; ou si on ne peut pas bien s'assurer du caractère de l'âcre, on se borne à lui opposer les remèdes généraux propres à émousser les pointes, comme la diete lactée, les huileux, les graisseux, les inviscans, etc. mais la douleur provient rarement d'un tel vice dominant dans toute la masse des humeurs, alors il agirait dans toutes les parties du corps avec la même énergie, et le cerveau en serait détruit avant qu'il put produire des effets marqués sur les autres parties : l'acrimonie n'a communément lieu, comme cause de douleur, que dans les premières voies, dans les endroits où se trouvent des humeurs arrêtées, croupissantes, pourries, alors le mal est topique : les boissons chaudes, copieuses, farineuses, détersives, légèrement diaphoretiques, sont employées avec succès pour délayer, émousser, et dissiper les matières acrimonieuses, lorsqu'on ne peut pas y apporter remède extérieurement.

Si la douleur provient d'un corps étranger qui distend ou irrite les nerfs, il faut tâcher d'en faire l'extraction, si elle est possible, par les secours de la Chirurgie, ou en excitant autour la suppuration, qui en opère l'expulsion.

La manière la plus parfaite de guérir la douleur, est d'en emporter la cause sans qu'il se fasse aucune altération dans les organes du sentiment : mais quelquefois on ne connait pas cette cause, même dans les plus grandes douleurs ; ou si on la connait, on ne peut pas la détruire. Dans le cas où la douleur presse le plus, il faut cependant y apporter quelque remède, ce qui ne peut se faire qu'en rendant les nerfs affectés insensibles, ou en ôtant au cerveau la faculté de recevoir les impressions qui lui sont transmises de la partie souffrante.

On peut obtenir le premier effet par la section, ce qui est souvent l'unique remède dans les plaies où il y a des nerfs ou des tendons coupés en partie ; il faut en rendre la solution de continuité totale, pour faire cesser la trop grande tension des fibres qui restent entières. On emploie quelquefois le feu pour détruire le sentiment de la partie souffrante, en brulant le nerf avec un fer chaud, comme on pratique pour les grandes douleurs des dents, ou avec des huiles caustiques. Hippocrate et les anciens médecins faisaient grand usage du feu actuel contre les douleurs, comme il en conste par leurs œuvres : les Asiatiques y ont encore souvent recours, comme curatif et comme préservatif, pour les douleurs de goutte et autres ; ils se servent pour cet effet d'une espèce de cotton en forme de pyramide, qu'ils font avec des feuilles d'armoise, qu'ils appellent moxa ; ils l'enflamment après l'avoir appliqué sur la partie souffrante ; voyez MOXA. C'est un problème à résoudre de déterminer si l'on a bien ou mal fait d'abandonner l'usage des cautères actuels ; voyez CAUTERE. La compression est aussi très-efficace pour engourdir le nerf qui se distribue à la partie souffrante, par exemple, dans les amputations des membres.

Mais lorsqu'on ne peut pas détruire le nerf, ou qu'il ne convient pas de le faire ; lorsque l'on ne peut pas remédier à la douleur par aucun des moyens extérieurs ou intérieurs proposés, on n'a pas d'autre ressource que celle de rendre le cerveau inepte à recevoir les sensations, en sorte que le sentiment de la douleur cesse, quoique la cause subsiste toujours. On produit cet effet ; ou en engourdissant toute la partie sensitive de l'animal par le moyen des remèdes appelés narcotiques, qui sont principalement tirés des pavots et de leurs préparations, comme l'opium, le laudanum, dont l'effet est généralement parlant aussi sur et aussi utîle lorsqu'ils sont employés à-propos et avec prudence, que leur manière d'agir est peu connue ; sans eux la Médecine serait souvent en défaut, parce qu'il est presque toujours important de suspendre l'effet de la douleur, pour travailler ensuite plus aisément à en emporter la cause, si elle en est susceptible. Mais on doit avoir attention de faire précéder les remèdes généraux, surtout les saignées, dans les maladies inflammatoires, dolorifiques, parce que les narcotiques augmentent le mouvement des humeurs ; d'ailleurs par l'effet de ces remèdes tous les symptômes de la douleur cessent, comme l'inquiétude, les agitations, l'insomnie : quoique la cause soit toujours appliquée, le relâchement des nerfs en diminue beaucoup l'effet topique, si la douleur est accompagnée de spasme comme dans l'affection hystérique : on doit associer les anti-spasmodiques aux narcotiques, comme le castoreum, le succin, la poudre de Guttette, le sel sédatif de M. Homberg, etc. Voyez CONVULSION, HYSTERICITE, SPASME, NARCOTIQUE, ANODIN. Voyez sur la douleur en général, Vanswieten, comment. aphor. Boerhaave, et Astruc, pathol. therapeut. Cet article est extrait en partie des ouvrages cités de ces auteurs.

DOULEUR D'ESTOMAC. Voyez CARDIALGIE.

DOULEUR DES INTESTINS. Voyez COLIQUE.

DOULEUR DE REINS, Voyez REINS et NEPHRETIQUE.

DOULEUR DE TETE. Voyez l'art. CEPHALALGIE.

DOULEUR DES MEMBRES. Voyez RHUMATISME, GOUTTE. (d)

* DOULEUR : (Mythologie) la douleur était, dans la Mythologie, fille de l'Erebe et de la Nuit.