S. m. terme de Grammaire ; c'est le sixième cas des noms Latins. Ce cas est ainsi appelé du Latin ablatus, ôté, parce qu'on donne la terminaison de ce cas aux noms Latins qui sont le complément des prépositions à, absque, de, ex, sine, qui marquent extraction ou transport d'une chose à une autre : ablatus à me, ôté de moi ; ce qui ne veut pas dire qu'on ne doive mettre un nom à l'ablatif que lorsqu'il y a extraction ou transport ; car on met aussi à l'ablatif un nom qui détermine d'autres prépositions, comme clam, pro, prae, etc. mais il faut observer que ces sortes de dénominations se tirent de l'usage le plus fréquent, ou même de quelqu'un des usages. C'est ainsi que Priscien, frappé de l'un des usages de ce cas, l'appelle cas comparatif ; parce qu'en effet on met à l'ablatif l'un des correlatifs de la comparaison : Paulus est doctior Petro ; Paul est plus savant que Pierre. Varron l'appelle cas latin, parce qu'il est propre à la langue Latine. Les Grecs n'ont point de terminaison particulière pour marquer l'ablatif : c'est le génitif qui en fait la fonction ; et c'est pour cela que l'on trouve souvent en Latin le génitif à la manière des Grecs, au lieu de l'ablatif Latin.

Il n'y a point d'ablatif en Français, ni dans les autres langues vulgaires, parce que dans ces langues les noms n'ont point de cas. Les rapports ou vues de l'esprit que les Latins marquaient par les différentes inflexions ou terminaisons d'un même mot, nous les marquons, ou par la place du mot, ou par le secours des prépositions. Ainsi, quand nos Grammairiens disent qu'un nom est à l'ablatif, ils ne le disent que par analogie à la langue Latine ; je veux dire, par l'habitude qu'ils ont prise dans leur jeunesse à mettre du François en Latin, et à chercher en quel cas Latin ils mettront un tel mot François : par exemple, si l'on voulait rendre en Latin ces deux phrases, la grandeur de Paris, et je viens de Paris ; de Paris serait exprimé par le génitif dans la première phrase, au lieu qu'il serait mis à l'ablatif dans la seconde. Mais comme en François l'effet que les terminaisons Latines produisent dans l'esprit y est excité d'une autre manière que par les terminaisons, il ne faut pas donner à la manière Française les noms de la manière Latine. Je dirai donc qu'en Latin amplitudo, ou vastitas Lutetiae, est au génitif ; Lutetia, Lutetiae, c'est le même mot avec une inflexion différente : Lutetiae est dans un cas oblique qu'on appelle génitif, dont l'usage est de déterminer le nom auquel il se rapporte, d'en restraindre l'extension, d'en faire une application particulière. Lumen solis, le génitif solis détermine lumen. Je ne parle, ni de la lumière en général, ni de la lumière de la lune, ni de celle des étoiles, etc. je parle de la lumière du soleil. Dans la phrase Française la grandeur de Paris, Paris ne change point de terminaison ; mais Paris est lié à grandeur par la préposition de, et ces deux mots ensemble déterminent grandeur ; c'est-à-dire, qu'ils font connaître de quelle grandeur particulière on veut parler : c'est de la grandeur de Paris.

Dans la seconde phrase, je viens de Paris, de lie Paris à je viens, et sert à désigner le lieu d'où je viens.

L'ablatif a été introduit après le datif pour plus grande netteté.

Sanctius, Vossius, la méthode de Port-Royal, et les Grammairiens les plus habiles, soutiennent que l'ablatif est le cas de quelqu'une des prépositions qui se construisent avec l'ablatif ; en sorte qu'il n'y a jamais d'ablatif qui ne suppose quelqu'une de ces prépositions exprimée ou sousentendue.

ABLATIF absolu. Par ablatif absolu les Grammairiens entendent un incise qui se trouve en Latin dans une période, pour y marquer quelque circonstance ou de temps ou de manière, etc. et qui est énoncé simplement par l'ablatif : par exemple, imperante Caesare Augusto, Christus natus est : Jesus-Christ est venu au monde sous le règne d'Auguste. Caesar deleto hostium exercitu, etc. César après avoir défait l'armée de ses ennemis, etc. imperante Caesare Augusto, deleto exercitu, sont des ablatifs qu'on appelle communément absolus, parce qu'ils ne paraissent pas être le régime d'aucun autre mot de la proposition. Mais on ne doit se servir du terme d'absolu, que pour marquer ce qui est indépendant, et sans relation à un autre : or dans tous les exemples que l'on donne de l'ablatif absolu, il est évident que cet ablatif a une relation de raison avec les autres mots de la phrase, et que sans cette relation il y serait hors d'œuvre, et pourrait être supprimé.

D'ailleurs, il ne peut y avoir que la première dénomination du nom qui puisse être prise absolument et directement ; les autres cas reçoivent une nouvelle modification ; et c'est pour cela qu'ils sont appelés cas obliques. Or il faut qu'il y ait une raison de cette nouvelle modification ou changement de terminaison ; car tout ce qui change, change par autrui ; c'est un axiome incontestable en bonne Métaphysique : un nom ne change la terminaison de sa première dénomination, que parce que l'esprit y ajoute un nouveau rapport, une nouvelle vue. Quelle est cette vue ou rapport qu'un tel ablatif désigne ? est-ce le temps, ou la manière, ou le prix, ou l'instrument, ou la cause, etc. Vous trouverez toujours que ce rapport sera quelqu'une de ces vues de l'esprit qui sont d'abord énoncées indéfiniment par une préposition, et qui sont ensuite déterminées par le nom qui se rapporte à la préposition : ce nom en fait l'application ; il en est le complément.

Ainsi l'ablatif, comme tous les autres cas, nous donne par la nomenclature l'idée de la chose que le mot signifie ; tempore, temps ; fuste, bâton ; manu, main ; patre, père, etc. mais de plus nous connaissons par la terminaison de l'ablatif, que ce n'est pas là la première dénomination de ces mots ; qu'ainsi ils ne sont pas le sujet de la proposition, puisqu'ils sont dans un cas oblique : or la vue de l'esprit qui a fait mettre le mot dans ce cas oblique, est ou exprimée par une préposition, ou indiquée si clairement par le sens des autres mots de la phrase, que l'esprit aperçoit aisément la préposition qu'on doit suppléer, quand on veut rendre raison de la construction. Ainsi observez :

1. Qu'il n'y a point d'ablatif qui ne suppose une préposition exprimée ou sousentendue.

2. Que dans la construction élégante on supprime souvent la préposition, lorsque les autres mots de la phrase font entendre aisément quelle est la préposition qui est sousentendue ; comme imperante Caesare Augusto, Christus natus est : on voit aisément le rapport de temps, et l'on sousentend sub.

3. Que lorsqu'il s'agit de donner raison de la construction, comme dans les versions interlinéaires, qui ne sont faites que dans cette vue, on doit exprimer la préposition qui est sousentendue dans le texte élégant de l'auteur dont on fait la construction.

4. Que les meilleurs auteurs Latins, tant Poètes qu'Orateurs, ont souvent exprimé les prépositions que les maîtres vulgaires ne veulent pas qu'on exprime, même lorsqu'il ne s'agit que de rendre raison de la construction : en voici quelques exemples.

Saepe ego correxi SUB te censore libellos. Ov. de Ponto, IV. ep. XIIe Ve 25. J'ai souvent corrigé mes ouvrages sur votre critique. Marco SUB judice palles. Perse, sat. Ve Quos decet esse hominum, tali SUB principe mores. Mart. liv. I. Florent SUB Caesare leges. Ov. II. Fast. Ve 141, Vacare à negotiis. Phaed. lib. III. Prol. Ve 2. Purgare à foliis. Cato, de re rusticâ, 66. De injuriâ queri. Caesar. Super re queri. Horat. Uti de aliquo. Cic. Uti de victoriâ. Servius. Nolo me in tempore hoc videat senex. Ter. And. act. IV. Ve ult. Artes excitationesque virtutum in omni aetate cultae, mirificos afferunt fructus. Cic. de Senect. n. 9. Doctrina nulli tanta in illo tempore. Auson Burd. Prof. Ve . 15. Omni de parte timendos. Ov. de Ponto, lib. IV. epist. XIIe Ve 25. Frigida de tota fronte cadebat aqua. Prop. lib. II. eleg. xxij. Nec mihi solstitium quidquam de noctibus aufert. Ovid. Trist. lib. V. eleg. Xe 7. Templum de marmore. Virg. et Ovid. Vivitur ex rapto. Ovid. Metam. I. Ve 144. Facère de industria. Ter. And. act. IV. De plebe Deus ; un Dieu du commun. Ovid. Metam. lib. V. Ve 595.

La préposition à se trouve souvent exprimée dans les bons auteurs dans le même sens que post, après : ainsi lorsqu'elle est supprimée devant les ablatifs que les Grammairiens vulgaires appellent absolus, il faut la suppléer, si l'on veut rendre raison de la construction.

Cujus à morte, hic tertius et tricesimus est annus. Cic. Il y a trente-trois ans qu'il est mort : à morte, depuis sa mort. Surgit, ab his, solio. Ovid. II. Met. où vous voyez que ab his veut dire, après ces choses, après quoi. Jam ab re divinâ, credo apparebunt domi. Plaut. Phaenul. Ab re divinâ : après le service divin, après l'office, au sortir du Temple, ils viendront à la maison. C'est ainsi qu'on dit, ab urbe conditâ, depuis la fondation de Rome : à caenâ, après souper : secundus à rege, le premier après le roi. Ainsi quand on trouve urbe captâ triumphavit ; il faut dire, ab urbe captâ, après la ville prise. Lectis tuis litteris, venimus in senatum ; suppléez à litteris tuis lectis ; après avoir lu votre lettre.

On trouve dans Tite-Live, lib. IV. ab re malè gesta, après ce mauvais succès ; et ab re benè gesta, L. XXIII. après cet heureux succès. Et dans Lucain, L. I. positis ab armis, après avoir mis les armes bas ; et dans Ovid. II. Trist. redeat superato miles ab hoste ; que le soldat revienne après avoir vaincu l'ennemi. Ainsi dans ces occasions on donne à la préposition à, qui se construit avec l'ablatif, le même sens que l'on donne à la préposition post, qui se construit avec l'accusatif. C'est ainsi que Lucain au liv. II. a dit post me ducem ; et Horace, I. liv. Od. IIIe post ignem aetheriâ domo subductum ; où vous voyez qu'il aurait pu dire, ab igne aetheriâ domo subducto, ou simplement, igne aetheriâ domo subducto.

La préposition sub, marque aussi fort souvent le temps : elle marque ou le temps même dans lequel la chose s'est passée, ou par extension, un peu avant ou un peu après l'évenement. Dans Corn. Nepos, Att. XIIe Quos sub ipsa proscriptione perillustre fuit ; c'est-à-dire, dans le temps même de la proscription. Le même auteur à la même vie d'Atticus, ch. 105. dit, sub occasu solis, vers le coucher du soleil, un peu avant le coucher du soleil. C'est dans le même sens que Suétone a dit, Ner. 5. majestatis quoque, sub excessu Tiberii, reus, où il est évident que sub excessu Tiberii, veut dire vers le temps, ou peu de temps avant la mort de Tibere. Au contraire, dans Florus, liv. III. c. 5. sub ipso hostis recessu, impatientes soli, in aquas suas resiluerunt : sub ipso hostis recessu veut dire, peu de temps après que l'ennemi se fût retiré ; à peine l'ennemi s'était-il retiré.

Servius, sur ces paroles du V. liv. de l'Aeneid. quo deinde sub ipso, observe que sub veut dire là, post, après.

Claudien pouvait dire par l'ablatif absolu, gratus feretur, te teste, labor ; le travail sera agréable sous vos yeux : cependant il a exprimé la préposition gratus que feretur sub te teste labor. Claud. IV. Cons. Honor.

A l'égard de ces façons de parler, Deo duce, Deo juvante, Musis faventibus, etc. que l'on prend pour des ablatifs absolus, on peut sousentendre la préposition sub ou la préposition cum, dont on trouve plusieurs exemples : sequere hac, mea gnata, cum Diis volentibus. Plaut. Perse. Tite-Live, au Liv. I. Dec. IIIe dit : agite cum Diis bene juvantibus. Ennius cité par Cicéron, dit : doque volentibus cum magnis Diis : et Caton au chapitre XIV. de Re rust. dit : circumagi cum divis.

Je pourrais rapporter plusieurs autres exemples, pour faire voir que les meilleurs auteurs ont exprimé les prépositions que nous disons, qui sont sousentendues dans le cas de l'ablatif absolu. S'agit-il de l'instrument ? c'est ordinairement cum, avec, qui est sousentendu, armis confligère ; Lucius a dit, acribus inter se cum armis confligère cernit. S'agit-il de la cause, de l'agent ? Suppléez à, ab, trajectus ense, percé d'un coup d'épée. Ovid. Voyez Fast. a dit, Pectora trajectus Lynceo Castor ab ense : et au second livre des Tristes, Neve peregrinis tantum defendar ab armis.

Je finirai cet article par un passage de Suétone, qui semble être fait exprès pour appuyer le sentiment que je viens d'exposer. Suétone dit qu'Auguste, pour donner plus de clarté à ses expressions, avait coutume d'exprimer les prépositions dont la suppression, dit-il, jette quelque sorte d'obscurité dans le discours, quoiqu'elle en augmente la grâce et la vivacité. Suéton. C. Aug. n. 86. Voici le passage tout-au-long. Genus eloquendi secutus est elegans et temperatum : vitatis sententiarum ineptiis, atque inconcinnitate, et reconditorum verborum, ut ipse dicit, faetoribus : praecipuamque curam duxit, sensum animi quam apertissimè exprimère : quod quo faciliùs efficeret, aut necubi lectorem vel auditorem obturbaret ac moraretur, neque praepositiones verbis addere, neque conjunctiones saepius iterare dubitavit, quae detractae afferunt aliquid obscuritatis, etsi gratiam augent.

Aussi a-t-on dit de cet empereur que sa manière de parler était facîle et simple, et qu'il évitait tout ce qui pouvait ne pas se présenter aisment à l'esprit de ceux à qui il parlait. Augusti prompta ac profluents quae decebat principem eloquentia fuit. Tacit.

In divi Augusti epistolis, elegantia orationis, neque morosa neque anxia : sed facilis, hercle et simplex. A. Gell.

Ainsi quand il s'agit de rendre raison de la construction grammaticale, on ne doit pas faire difficulté d'exprimer les prépositions, puisqu'Auguste même les exprimait souvent dans le discours ordinaire, et qu'on les trouve souvent exprimées dans les meilleurs auteurs.

A l'égard du Français, nous n'avons point d'ablatif absolu, puisque nous n'avons point de cas : mais nous avons des façons de parler absolues, c'est-à-dire, des phrases où les mots, sans avoir aucun rapport grammatical avec les autres mots de la proposition dans laquelle ils se trouvent, y forment un sens détaché qui est un incise équivalent à une proposition incidente ou liée à une autre, et ces mots énoncent quelque circonstance ou de temps ou de manière, etc. la valeur des termes et leur position nous font entendre ce sens détaché.

En Latin la vue de l'esprit qui dans les phrases de la construction simple est énoncée par une préposition, est la cause de l'ablatif : re confectâ ; ces deux mots ne sont à l'ablatif qu'à cause de la vue de l'esprit qui considère la chose dont il s'agit comme faite et passée : or cette vue se marque en Latin par la préposition à : cette préposition est donc sousentendue, et peut être exprimée en Latin.

En Français, quand nous disons cela fait, ce consideré, Ve par la Cour, l'Opéra fini, etc. nous avons la même vue du passé dans l'esprit : mais quoique souvent nous puissions exprimer cette vue par la préposition après, etc. cependant la valeur des mots isolés du reste de la phrase est équivalente au sens de la préposition Latine.

On peut encore ajouter que la Langue Française s'étant formée de la Latine, et les Latins retranchant la préposition dans le discours ordinaire, ces phrases nous sont venues sans prépositions, et nous n'avons saisi que la valeur des mots qui marquent ou le passé ou le présent, et qui ne sont point sujets à la variété des terminaisons, comme les noms Latins ; et voyant que ces mots n'ont aucun rapport grammatical ou de syntaxe avec les autres mots de la phrase, avec lesquels ils n'ont qu'un rapport de sens ou de raison, nous concevons aisément ce qu'on veut nous faire entendre. (F)