adj. (Grammaire) , de même nom ; racines, , semblable, et , nom. Ce terme grec d'origine, était rendu en latin par les mots univocus, ou aequivocus, que j'emploierais volontiers à distinguer deux espèces différentes d'homonymes, qu'il est à propos de ne pas confondre, si l'on veut prendre de ce terme une idée juste et précise.

J'appellerais donc homonyme univoque tout mot qui, sans aucun changement dans le matériel, est destiné par l'usage à diverses significations propres, et dont par conséquent le sens actuel dépend toujours des circonstances où il est employé. Tel est en latin le nom de taurus, qui quelquefois signifie l'animal domestique que nous appelons taureau, et d'autres fois une grande chaîne de montagnes située en Asie. Tel est aussi en français le mot coin, qui signifie une sorte de fruit, malum cydonium ; un angle, angulus ; un instrument à fendre le bois, cuneus ; la matrice ou l'instrument avec quoi l'on marque la monnaie ou les médailles, typus.

J'ai dit diverses significations propres, parce que l'on ne doit pas regarder un mot comme homonyme, quoiqu'il signifie une chose dans le sens propre, et une autre dans le sens figuré. Ainsi le mot voix n'est point homonyme, quoiqu'il ait diverses significations dans le sens propre et dans le sens figuré : dans le sens propre, il signifie le son qui sort de la bouche ; dans le figuré, il signifie quelquefois un sentiment intérieur, une sorte d'inspiration, comme quand on dit la voix de la conscience, et d'autres fais, un suffrage, un avis, comme quand on dit, qu'il vaudrait mieux peser les voix que de les compter.

J'appellerais homonymes équivoques, des mots qui n'ont entr'eux que des différences très-légères, ou dans la prononciation, ou dans l'orthographe, ou même dans l'une et dans l'autre, quoiqu'ils aient des significations totalement différentes. Par exemple, les mots voler, latrocinari, et voler, volare, ne diffèrent entr'eux que par la prononciation ; la syllabe Ve est longue dans le premier, et breve dans le second ; võler, vler. Les mots ceint, cinctus ; sain, sanus ; saint, sanctus ; sein, sinus ; et seing, chirographum, ne diffèrent entr'eux que par l'orthographe. Enfin les mots tâche, pensum, et tache, macula, diffèrent entr'eux, et par la prononciation et par l'orthographe.

L'idée commune à ces deux espèces d'homonymes est donc la pluralité des sens avec de la ressemblance dans le matériel : leurs caractères spécifiques se tirent de cette ressemblance même. Si elle est totale et identique, les mots homonymes sont alors indiscernables quant à leur matériel ; c'est un même et unique mot, una vox ; et c'est pour cela que je les distingue des autres par la dénomination d'univoques. Si la ressemblance n'est que partielle et approchée, il n'y a plus unité dans le matériel des homonymes, chacun a son mot propre, mais ces mots ont entre eux une relation de parité, aequae voces ; et de-là la dénomination d'équivoques, pour distinguer cette seconde espèce.

Dans le premier cas, un mot est homonyme absolument, et indépendamment de toute comparaison avec d'autres mots, parce que c'est identiquement le même matériel qui désigne des sens différents : dans le second cas, les mots ne sont homonymes que relativement, parce que les sens différents sont désignés par des mots qui, malgré leur ressemblance, ont pourtant entr'eux des différences, légères à la vérité, mais réelles.

L'usage des homonymes de la première espèce, exige que dans la suite d'un raisonnement, on attache constamment au même mot le même sens qu'on lui a d'abord supposé, parce qu'à coup sur, ce qui convient à l'un des sens ne convient pas à l'autre, par la raison même de leur différence, et que dans l'une des deux acceptions, on avancerait une proposition fausse, qui deviendrait peut-être ensuite la source d'une infinité d'erreurs.

L'usage des homonymes de la seconde espèce exige de l'exactitude dans la prononciation et dans l'orthographe, afin qu'on ne présente pas par mal-adresse un sens louche ou même ridicule, en faisant entendre ou voir un mot pour un autre qui en approche. C'est surtout dans cette distinction délicate de sons approchés, que consiste la grande difficulté de la prononciation de la langue chinoise pour les étrangers. Walton, d'après Alvarès Semedo, nous apprend que les Chinois n'ont que 326 mots, tous monosyllabes ; qu'ils ont cinq tons différents, selon lesquels un même mot signifie cinq choses différentes, ce qui multiplie les mots possibles de leur langue jusqu'à cinq fois 326, ou 1630 ; et que cependant il n'y en a d'usités que 1228.

On peut demander ici comment il est possible de concilier ce petit nombre de mots avec la quantité prodigieuse des caractères chinois que l'on fait monter jusqu'à 80000. La réponse est facile. On sait que l'écriture chinoise est hiéroglyphique, que les caractères y représentent les idées, et non pas les éléments de la voix, et qu'en conséquence elle est commune à plusieurs nations voisines de la Chine, quoiqu'elles parlent des langues différentes. Voyez ECRITURE CHINOISE. Or quand on dit que les Chinois n'ont que 1228 mots significatifs, on ne parle que de l'idée individuelle qui caractérise chacun d'eux, et non pas de l'idée spécifique ou de l'idée accidentelle qui peut y être ajoutée : toutes ces idées sont attachées à l'ordre de la construction usuelle ; et le même mot matériel est nom, adjectif, verbe, etc. selon la place qu'il occupe dans l'ensemble de la phrase. (Rhétorique du P. Lamy, liv. I. ch. x.) Mais l'écriture devant offrir aux yeux toutes les idées comprises dans la signification totale d'un mot, l'idée individuelle et l'idée spécifique, l'idée fondamentale et l'idée accidentelle, l'idée principale et l'idée accessoire ; chaque mot primitif suppose nécessairement plusieurs caractères, qui servent à en présenter l'idée individuelle sous tous les aspects exigés par les vues de l'énonciation.

Quoi qu'il en sait, on sent à merveille que la diversité des cinq tons qui varient au même son, doit mettre dans cette langue une difficulté très-grande pour les étrangers qui ne sont point accoutumés à une modulation si délicate, et que leur oreille doit y sentir une sorte de monotonie rebutante, dont les naturels ne s'aperçoivent point, si même ils n'y trouvent pas quelque beauté. Ne trouvons-nous pas nous-mêmes de la grâce à rapprocher quelquefois des homonymes équivoques, dont le choc occasionne un jeu de mots que les Rhéteurs ont mis au rang des figures, sous le nom de paronomase. Les Latins en faisaient encore plus d'usage que nous, amantes sunt amentes. Voyez PARONOMASE. " On doit éviter les jeux qui sont vides de sens, dit M. du Marsais, (des tropes, part. III. artic. 7.) mais quand le sens subsiste indépendamment des jeux de mots, ils ne perdent rien de leur mérite ".

Il n'en est pas ainsi de ceux qui servent de fondement à ces pitoyables rébus dont on charge ordinairement les écrants, et qui ne sont qu'un abus puérîle des homonymes. C'est connaître bien peu le prix du temps, que d'en perdre la moindre portion à composer ou à deviner des choses si misérables ; et j'ai peine à pardonner au P. Jouvency, d'avoir avancé dans un très-bon ouvrage (de ratione discendi et docendi), que les rébus expriment leur objet, non sine aliquo sale, et de les avoir indiqués comme pouvant servir aux exercices de la jeunesse : cette méprise, à mon gré, n'est pas assez réparée par un jugement plus sage qu'il en porte presque aussitôt en ces termes : hoc genus facilè in pueriles ineptias excidit.

Qu'il me soit permis, à l'occasion des homonymes, de mettre ici en remarque un principe qui trouvera ailleurs son application. C'est qu'il ne faut pas s'en rapporter uniquement au matériel d'un mot pour juger de quelle espèce il est. On trouve en effet des homonymes qui sont tantôt d'une espèce et tantôt d'une autre, selon les différentes significations dont ils se revêtent dans les diverses occurrences. Par exemple, si est conjonction quand on dit, si vous voulez ; il est adverbe quand on dit ; vous parlez si bien ; il est nom lorsqu'en termes de musique, on dit un si cadencé. En est quelquefois préposition, parler en maître ; d'autres fois il est adverbe, nous en arrivons. Tout est nom dans cette phrase, le tout est plus grand que sa partie ; il est adjectif dans celle-ci, tout homme est menteur ; il est adverbe dans cette troisième, je suis tout surpris.

C'est donc surtout dans leur signification qu'il faut examiner les mots pour en bien juger ; et l'on ne doit en fixer les espèces que par les différences spécifiques qui en déterminent les services réels. Si l'on doit, dans ce cas, quelque attention au matériel des mots, c'est pour en observer les différentes métamorphoses, qui ne sont toutes que la nature sous diverses formes ; car plus un objet montre de faces différentes, plus il est accessible à nos lumières. Voyez MOT. (B. E. R. M.)