S. m. (Grammaire) ce mot est grec ; dérivé d', transgredi : R. R. , trants, et , eo. Quintilien a donc eu raison de traduire ce mot dans sa langue par verbi transgressio : et ce que l'on nomme hyperbate consiste en effet dans le déplacement des mots qui composent un discours, dans le transport de ces mots du lieu où ils devraient être en un autre lieu.

" La quatrième sorte de figure [de construction], c'est l'hyperbate, dit M. du Marsais, c'est-à-dire, confusion, mélange de mots : c'est lorsque l'on s'écarte de l'ordre successif de la construction simple [ou analytique] : Saxa vocant Itali, mediis, quae in fluctibus, aras (Aen. I. 113.) : la construction est Itali vocant aras (illa) Saxa quae (sunt) in fluctibus mediis. Cette figure était, pour ainsi dire, naturelle au latin ; comme il n'y avait que les terminaisons des mots, qui, dans l'usage ordinaire, fussent les signes des relations que les mots avaient entr'eux, les Latins n'avaient égard qu'à ces terminaisons, et ils plaçaient les mots selon qu'ils étaient présentés à l'imagination, ou selon que cet arrangement leur paraissait produire une cadence et une harmonie plus agréable ". Voyez CONSTRUCTION.

La Méthode latine de P. R. parle de l'hyperbate dans le même sens. " C'est, dit-elle, (des figures de construction, ch. vj.) le mélange et la confusion qui se trouve dans l'ordre des mots qui devrait être commun à toutes les langues, selon l'idée naturelle que nous avons de la construction. Mais les Romains ont tellement affecté le discours figuré, qu'ils ne parlent presque jamais autrement ".

C'est encore le même langage chez l'auteur du Manuel des Grammairiens. " L'hyperbate se fait, dit-il, lorsque l'ordre naturel n'est pas gardé dans l'arrangement des mots : ce qui est si ordinaire aux Latins, qu'ils ne parlent presque jamais autrement ; comme Catonis constantiam admirati sunt omnes. Voilà une hyperbate, parce que l'ordre naturel demanderait qu'on dit, omnes sunt admirati constantiam Catonis. Cela est si ordinaire, qu'il ne passe pas pour figure, mais pour une propriété de la langue latine. Mais il y a plusieurs espèces d'hyperbate qui sont de véritables figures de Grammaire ". Part. I. chap. xiv. n. 8.

Tous ces auteurs confondent deux choses que j'ai lieu de croire très-différentes et très-distinctes l'une de l'autre, l'inversion et l'hyperbate. Voyez INVERSION.

Il y a en effet, dans l'une comme dans l'autre, un véritable renversement d'ordre ; et à partir de ce point de vue général, on a pu aisément s'y méprendre : mais il fallait prendre garde si les deux cas avaient rapport au même ordre, ou s'ils présentaient la même espèce de renversement. Quintilien (Inst. Lib. VIII. Cap. VIe de tropis,) nous fournit un motif légitime d'en douter : il cite, comme un exemple d'hyperbate, cette phrase de Cicéron (pro Cluent. n. 1.) Animadverti, judices, omnem accusatoris orationem in duas divisam esse partes ; et il indique aussitôt le tour qui aurait été sans figure et conforme à l'ordre requis ; nam in duas partes divisam esse rectum erat, sed durum et incomptum.

Personne apparemment ne disputera à Quintilien d'avoir été plus à portée qu'aucun des modernes, de distinguer les locutions figurées d'avec les simples dans sa langue naturelle ; et quand le jugement qu'il en porte, n'aurait eu pour fondement que le sentiment exquis que donne l'habitude à un esprit éclairé et juste, sans aucune réflexion immédiate sur la nature même de la figure, son autorité serait ici une raison, et peut-être la meilleure espèce de raison sur l'usage d'une langue, que nous ne devons plus connaître que par le témoignage de ceux qui la parlaient. Or, le tour que Quintilien appelle ici rectum, par opposition à celui qu'il avait nommé auparavant , est encore un renversement de l'ordre naturel ou analytique ; en un mot, il y a encore inversion dans in duas partes divisam esse, et le rhéteur romain nous assure qu'il n'y a plus d'hyperbate. C'est donc une nécessité de conclure, que l'inversion est le renversement d'un autre ordre, ou un autre renversement d'un certain ordre, et l'hyperbate, le renversement du même ordre. L'auteur du Manuel des grammairiens n'était pas éloigné de cette conclusion, puisqu'il trouvait des hyperbates qui ne passent pas pour figures, et d'autres, dit-il, qui sont de veritables figures de Grammaire.

Il s'agit donc de déterminer ici la vraie nature de l'hyperbate, et d'assigner les caractères qui le différencient de l'inversion ; et pour y parvenir, je crois qu'il n'y a pas de moyen plus assuré que de parcourir les différentes espèces d'hyperbate, qui sont reconnues pour de véritables figures de Grammaire.

1°. La première espèce est appelée anastrophe, c'est-à-dire proprement inversion, du grec : racine , in et , versio. Mais l'inversion dont il s'agit ici n'est point celle de toute la phrase, elle ne regarde que l'ordre naturel qui doit être entre deux mots correlatifs, comme entre une préposition et son complément, entre un adverbe comparatif et la conjonction subséquente : ce sont les seuls cas indiqués par les exemples que les Grammairiens ont coutume de donner de l'anastrophe. Cette figure a donc lieu, lorsque le complément précède la préposition, mecum, tecum, vobiscum, quocum, au lieu de cum te, cum me, cum vobis, cum quo ; maria omnia circum, au lieu de circum omnia maria ; Italiam contrà, pour contrà Italiam ; quâ de re, pour de quâ re : c'est la même chose lorsque la conjonction comparative précède l'adverbe, comme quand Properce a dit, Quàm priùs abjunctos sedula lavit equos.

L'anastrophe est donc une véritable inversion ; mais qui avait droit en latin d'être réputée figure, parce qu'elle était contraire à l'usage commun de cette langue, où l'on avait coutume de mettre la préposition avant son complément, conformément à ce qui est indiqué par le nom même de cette partie d'oraison.

Ainsi la différence de l'inversion et de l'anastrophe est, en ce que l'inversion est un renversement de l'ordre naturel ou analytique, autorisée par l'usage commun de la langue latine, et que l'anastrophe est un renversement du même ordre, contraire à l'usage commun et autorisé seulement dans certains cas particuliers.

2°. La seconde espèce d'hyperbate est nommée tmesis ou tmèse, du grec , sectio, coupure. Cette figure a lieu, lorsque par une licence que l'usage approuve dans quelques occasions, l'on coupe en deux parties un mot composé de deux racines élémentaires, réunies par l'usage commun, comme satis mihi fecit, pour mihi satisfecit ; reique publicae curam deposuit, pour et reipublicae curam deposuit ; septem subjecta trioni (Géorg. IIIe 381) au lieu de subjecta septem trioni. On trouve assez d'exemples de la tmèse dans Horace, et dans les meilleurs écrivains du bon siècle.

Les droits de l'inversion n'allaient pas jusqu'à autoriser cette insertion d'un mot entre les racines élémentaires d'un mot composé. Ce n'est pas même ici proprement un renversement d'ordre ; et si c'est en cela que doit consister la nature générale de l'hyperbate, les Grammairiens n'ont pas dû regarder la tmèse comme en étant une espèce. La tmèse n'est qu'une figure de diction, puisqu'elle ne tombe que sur le matériel d'un mot qui est coupé en deux ; et le nom même de tmèse ou coupure, avertissait assez qu'il était question du matériel d'un seul mot, pour empêcher qu'on ne rapportât cette figure à la construction de la phrase.

3°. La troisième espèce d'hyperbate prend le nom de parenthèse, du mot grec , interpositio, racines, inter, , in, et , positio, dérivé de , pono. Les deux prépositions élémentaires servent à indiquer avec plus d'énergie la nature de la chose nommée. Il y a en effet parenthèse, lorsqu'un sens complet est isolé et inséré dans un autre dont il interrompt la suite ; ainsi il y a parenthèse dans ce vers de Virgile, Ecl. ix. 23.

Tityre, dum redeo (brevis est via), pasce capellas.

Les bons écrivains évitent autant qu'ils peuvent l'usage de cette figure, parce qu'elle peut répandre quelque obscurité sur le sens qu'elle interrompt ; et Quintilien n'approuvait pas l'usage fréquent que les Orateurs et les Historiens en faisaient de son temps avant lui, à moins que le sens détaché mis en parenthèse ne fût très-court. Etiam interjectione, quâ et Oratores et Historici frequenter utuntur, ut medio sermone aliquem inserant sensum, impediri solet intellectus, nisi quod interponitur breve est. (liv. VIII. cap. ij.)

La quatrième espèce d'hyperbate s'appelle synchyse, mot purement grec , confusion ; , confundo ; racine , cum, avec, et , fundo, je répans. Il y a synchyse quand les mots d'une phrase sont mêlés ensemble sans aucun égard, ni à l'ordre de la construction analytique, ni à la corrélation mutuelle de ces mots : ainsi il y a synchyse dans ce vers de Virgile, Ecl. VII. 57.

Aret ager : vitio moriens sitit aèris herba ;

car les deux mots vitio, par exemple, et aèris qui sont corrélatifs, sont séparés par deux autres mots qui n'ont aucun trait à cette corrélation, moriens sitit ; le mot aèris à son tour n'en a pas davantage à la corrélation des mots sitit et herba entre lesquels il est placé : l'ordre était, herba moriens (prae) vitio aèris sitit.

5°. Enfin, il y a une cinquième espèce d'hyperbate que l'on nomme anacoluthe, et qui se fait, selon la Méthode latine de Port-royal, lorsque les choses n'ont presque nulle suite et nulle construction. Il faut avouer que cette définition n'est rien moins que lumineuse ; et d'ailleurs elle semble insinuer qu'il n'est pas possible de ramener l'anacoluthe à la construction analytique. M. du Marsais a plus approfondi et mieux défini la nature de ce prétendu hyperbate : " c'est, dit-il, une figure de mots qui est une espèce d'ellipse.... par laquelle on sous-entend le corrélatif d'un mot exprimé, ce qui ne doit avoir lieu que lorsque l'ellipse peut-être aisément suppléée, et qu'elle ne blesse point l'usage ". Voyez ANACOLUTHE. " Il justifie ensuite cette définition par l'étymologie du mot , comes, compagnon ; ensuite on ajoute l'a privatif, et un euphonique, pour éviter le baillement entre les deux a ; par conséquent l'adjectif anacoluthe signifie qui n'est pas compagnon, ou qui ne se trouve pas dans la compagnie de celui avec lequel l'analogie demanderait qu'il se trouvât ". Il donne enfin pour exemple ces vers de Virgile, Aen. II. 330.

Portis alii bipatentibus adsunt,

Millia quot magis nunquam venêre Mycenis ;

où il faut suppléer tot avant quot.

Il y a pareille ellipse dans l'exemple de Térence cité par Port-royal. Nam omnes nos quibus est alicundè aliquis objectus labor, omne quod est intereà tempus, priusquam id rescitum est, lucro est. Si l'on a jugé qu'il n'y avait nulle construction, c'est qu'on a cru que nos omnes étaient au nominatif, sans être le sujet d'aucun verbe, ce qui serait en effet violer une loi fondamentale de la syntaxe latine ; mais ces mots sont à l'accusatif, comme complément de la préposition sous-entendue ergà : nam ergà omnes nos... omne... tempus.... lucro est...

L'anacoluthe peut donc être ramenée à la construction analytique, comme toute autre ellipse, et conséquemment ce n'est point une hyperbate, c'est une ellipse à laquelle il faut en conserver le nom, sans charger vainement la mémoire de grands mots, moins propres à éclairer l'esprit qu'à l'embarrasser ; ou même à le séduire par les fausses apparences d'un savoir pédantesque. Si l'on trouve quelques phrases que l'on ne puisse par aucun moyen ramener aux procédés simples de la construction analytique, disons nettement qu'elles sont vicieuses, et ne nous obstinons pas à retenir un terme spécieux, pour excuser dans les auteurs des choses qui semblent plutôt s'y être glissées par inadvertence que par raison. Méth. lat. de Port royal, loc. cit.

Il résulte de tout ce qui précède, que des cinq prétendues espèces d'hyperbate, il y en a d'abord deux qui ne doivent point y être comprises, la tmèse et l'anacoluthe ; la première est, comme je l'ai déjà dit, une véritable figure de diction ; la seconde n'est rien autre chose que l'ellipse même.

Il n'en reste donc que trois espèces, l'anastrophe, la parenthèse et la synchyse. La première est l'inversion du rapport de deux mots autorisée dans quelques cas seulement ; la seconde est une interruption dans le sens total, qui ne doit y être introduite que par une urgente nécessité, et n'y être sensible que le moins que l'on peut ; la troisième bien appréciée, me parait plus près d'être un vice qu'une figure, puisqu'elle consiste dans une véritable confusion des parties, et qu'elle n'est propre qu'à jeter de l'obscurité sur le sens dont elle embrouille l'expression. Cependant si la synchyse est légère, comme celle dont Quintilien cite l'exemple, in duas divisam esse partes, pour in duas partes divisam esse ; on ne peut pas dire qu'elle soit vicieuse, et l'on peut l'admettre comme une figure. Mais il ne faut jamais oublier que l'on doit beaucoup ménager l'attention de celui à qui l'on parle, non-seulement de manière qu'il entende, mais même qu'il ne puisse ne pas entendre ; non ut intelligère possit, sed ne omnino possit non intelligère. Quintil. lib. VIII. cap. IIe

Or ces trois espèces d'hyperbate, telles que je les ai présentées d'après les notions ordinaires, combinées avec les principes immuables de l'art de parler, nous mènent à conclure que l'hyperbate en général, est une interruption légère d'un sens total causée ou par une petite inversion qui déroge à l'usage commun, c'est l'anastrophe, ou par l'insertion de quelques mots entre deux corrélatifs, c'est la synchyse ; ou enfin par l'insertion d'un petit sens détaché, entre les parties d'un sens principal, et c'est la parenthèse. (E. R. M.)