DÉMEMBREMENT D’UN FIEF, (Jurisprudence) c’est lorsque la foi et hommage d’un fief est divisée ; que de ce même fief on en forme plusieurs indépendants les uns des autres, et qui sont tenus chacun séparément du même seigneur dominant.

Le démembrement est la même chose que ce que les coutumes de Picardie et d'Artais appellent éclichement du fief, comme qui dirait éclipsement d'une partie du fief ; celle de Boulogne dit éclécher.

Les coutumes d'Anjou, du Maine, et de Touraine, appellent dépié de fief ce que nous appelons démembrement.

Mais le démembrement, et le jeu même excessif de fief, sont deux choses fort différentes, quoique quelques auteurs aient confondu le jeu excessif de fief avec le démembrement.

Le jeu de fief est lorsque le vassal aliene une partie de son fief sans en former un fief séparé et indépendant du sien, au lieu que le démembrement est lorsque d'un fief on en fait plusieurs séparés et indépendants les uns des autres. Voyez FIEF et JEU DE FIEF.

Par l'ancien usage des fiefs le vassal ne pouvait disposer d'aucune portion de son fief, sans la permission et le consentement de son seigneur, parce qu'alors les fiefs n'étaient donnés qu'à vie, et après la mort du vassal, soit qu'il eut des enfants ou non, le fief retournait au seigneur qui l'avait donné, au moyen de quoi tout démembrement de fief était alors prohibé.

Quoique les fiefs soient devenus depuis héréditaires, néanmoins les seigneurs dominans ont conservé autant qu'ils ont pu les fiefs de leurs vassaux dans leur intégralité, soit afin que la dignité du fief ne soit pas diminuée, soit afin que le revenu du fief ne soit pas non plus diminué, et que le vassal soit plus en état de secourir son seigneur ; car c'était anciennement une condition imposée à la plupart des fiefs, que le vassal était obligé de secourir son seigneur en cas de guerre générale ou privée : tels sont les motifs qui ont fait défendre le démembrement de fief dans la plupart des coutumes.

Présentement que les guerres privées sont défendues, et que le service militaire ne peut plus être dû qu'au roi, le démembrement ne laisse pas d'être toujours défendu, et singulièrement pour les fiefs de dignité, tels que les principautés, duchés, comtés, marquisats, et baronies ; ce qui tire son origine de la loi salique, où il est dit que ces fiefs ne se démembrent pas.

La coutume de Paris, art. 51. porte que le vassal ne peut démembrer son fief au préjudice et sans le consentement de son seigneur, mais qu'il peut seulement se jouer de son fief, sans payer aucun profit au seigneur dominant, pourvu que l'aliénation n'excède pas les deux tiers, et qu'il retienne la foi entière, et quelque droit seigneurial et domanial sur ce qu'il aliene.

L'ancienne coutume contenait déjà la même prohibition.

Elle est aussi portée dans plusieurs autres coutumes.

Il y a néanmoins plusieurs coutumes qui autorisent le démembrement de fief, proprement dit : telles sont les coutumes de Picardie et d'Artais ; mais la faculté qu'elles donnent au vassal de démembrer son fief, ne doit s'entendre que pour les fiefs simples, et non pas les fiefs de dignité qui doivent demeurer toujours en leur entier pour conserver la dignité du fief.

Le vassal peut donc dans ces coutumes partager un fief simple en autant de parties qu'il voudra, qui toutes releveront en plain-fief directement du fief dominant, et seront tenues aux mêmes droits et prérogatives qu'était le corps entier du fief servant avant le démembrement.

Cette dévolution au seigneur dominant de la mouvance immédiate des portions démembrées du fief servant, est un usage très-ancien : elle est prononcée formellement par une ordonnance de Philippe-Auguste de l'an 1210, qui est en la chambre des comptes. Cette ordonnance fut faite, selon M. Brusselles, pour ôter les parages qui constituaient dans la suite trop d'arriere-fiefs au préjudice du seigneur dominant. Mais cette vue ne fut pas remplie ; car on voit les parages autorisés par l'article 44 des établissements de S. Louis, de l'an 1270.

Le motif qui a fait admettre le démembrement de fief dans certaines coutumes, du moins pour les fiefs simples, est que l'on pense dans ces coutumes que ee démembrement ne fait aucun préjudice au seigneur, attendu que les droits de chaque portion démembrée du fief sont payés au seigneur selon la nature de l'acquisition : on peut même dire que le démembrement est en quelque sorte avantageux au seigneur, en ce que plus il y a de portions, plus il y a de vassaux, et plus il arrive de mutations et de profits de fiefs : mais aussi il faut avouer que l'on fait communément plus de cas d'une mouvance considérable par son objet, que de plusieurs petites mouvances morcelées ; c'est pourquoi il y a beaucoup plus de coutumes qui s'opposent au démembrement, qu'il n'y en a qui l'admettent.

On distingue deux sortes de démembrement de fief, savoir le démembrement forcé, et le démembrement volontaire.

Le démembrement forcé est celui qui se fait par partage entre co-héritiers, co-propriétaires, et associés.

Le démembrement volontaire est celui qui se fait volontairement par vente, donation, échange, ou autrement.

La première de ces deux sortes de démembrements, c'est-à-dire celui que l'on appelle forcé, ne laisse pas d'être sujet aux mêmes règles que le démembrement volontaire ; de sorte que si c'est dans une coutume qui défend le démembrement, comme celle de Paris, les co-partageants peuvent bien partager entr'eux le domaine du fief, mais ils ne peuvent pas diviser la foi ; il faut qu'ils la portent tous ensemble, comme s'il n'y avait point entr'eux de partage.

Ce n'est pas seulement le domaine en fonds qu'il est défendu de démembrer ; il n'est pas non plus permis de démembrer les mouvances, soit en fief ou en censive, ni de les donner en franc-aleu.

On ne peut pas non plus dans aucune coutume démembrer sans la permission du roi, la justice attachée au fief ; ainsi un seigneur haut-justicier ne peut pas donner la haute, la moyenne, ni la basse-justice à un seigneur de fief son vassal qui ne l'avait pas ; car la justice suit toujours la glebe à laquelle le roi l'a attachée lors de la concession, et on ne peut pas la vendre ni la donner séparément.

La coutume de Paris ne prononce point de peine contre le vassal qui a fait un démembrement sans le consentement de son seigneur : on ne peut pas prétendre qu'un tel démembrement donne lieu à la commise, puisque la coutume ne le dit pas ; mais il est sensible que le démembrement ne pouvant être fait sans le consentement du seigneur, il ne peut lui préjudicier ; de sorte qu'à son égard il est comme non fait et non avenu ? il n'est pas obligé de le reconnaître ; il peut même saisir féodalement tout le fief servant, lorsqu'il apprend le démembrement d'une partie de ce fief, attendu que ce démembrement fait ouverture au fief. M. Guyot prétend même que le seigneur dominant peut agir pour faire déclarer le contrat nul ; en tout cas, il est certain qu'il est nul à son égard.

Dans les coutumes d'Anjou et du Maine, le vassal en ce cas perd la féodalité entière : en Touraine il la perd seulement sur ce qu'il a démembré. Voyez DEPIE DE FIEF.

Au reste, ce n'est point démembrer son fief que d'en donner une partie à cens ou rente, ou même en faire des arriere-fiefs, pourvu que le tout soit fait sans division et démission de foi ; c'est ce que les coutumes appellent se jouer de son fief, et que la coutume de Paris permet, pourvu que l'aliénation n'excède pas les deux tiers, et que le vassal retienne la foi entière, et quelque droit seigneurial et domanial sur ce qu'il aliene. Voyez le glossaire du droit français, au mot depié de fief ; les commentateurs de la coutume de Paris sur l'art. 51 ; le traité des fiefs de Guyot sur le démembrement ; Billecoq, liv. XIII. chap. j. instit. cout. de Laisel, liv. IV. tit. 3. num. 87. L'auteur du grand coutumier, liv. II. chap. xxvij. n. 28. Papon, liv. XIII. tit. j. n. 1. Coquille, tome II. quaest. 20. Jovet, au mot seigneur ; journal des aud. tom. IV. liv. V. chap. 19. la Rocheflavin, des droits seigneuriaux, chap. Xe et xxxvj. Argou, instit. liv. II. chap. IIe Voyez FIEF et PARAGE. (A)

DEMEMBREMENT D'UNE JUSTICE, est lorsque d'une même justice on en fait plusieurs, soit égales entr'elles par rapport au pouvoir, ou que l'on réserve quelque droit de supériorité au profit de l'ancienne justice sur celles qui en sont démembrées.

Aucun seigneur, quelque qualifié qu'il sait, ne peut démembrer sa justice sans le consentement du roi.

Celui qui a haute, moyenne, et basse justice, ne peut ni la partager avec ses vassaux ou d'autres, ni leur céder en quelque façon que ce soit la haute, ou la moyenne, ou la basse-justice, à moins que ce ne soit avec la glebe à laquelle le roi a attaché le droit de justice.

La coutume d'Anjou, art. 62 et celle du Maine, art. 71 portent néanmoins que le comte, le vicomte, et le baron peuvent donner haute-justice, moyenne et basse à quelques-uns de leurs vassaux, et en retenir le ressort et suseraineté.

Mais Dumoulin, en ses notes sur cet article, dit que cela ne s'observe plus. Voyez aussi Mornac, sur la loi 8. in fide cod. de episcop. aud. Brodeau, sur Paris, art. 51. n. 14. Loiseau, des seigneuries, chap. IVe et JUSTICE. (A)