S. m. ou RACHAT, (Jurisprudence) est un droit qui est dû au seigneur pour certaines mutations de vassal, et qui consiste ordinairement au revenu d'une année du fief.

Ce terme relief, vient de relever, parce qu'au moyen de la mutation du vassal le fief tombait en la main du seigneur, et que le vassal pour le reprendre doit le relever et payer au seigneur le droit qu'on appelle relief.

On l'appelle aussi rachat, parce qu'autrefois les fiefs n'étant qu'à vie, il fallait les racheter après la mort du vassal. En Lorraine, on l'appelle reprise de fief ; en Dauphiné, plait seigneurial, placitum seu placitamentum ; en Poitou, rachat ou plect ; en Languedoc, acapte, arriere-acapte.

Relief se prend aussi quelquefois pour l'acte de foi et hommage par lequel on relève le fief.

Le droit de relief est dû en général pour les mutations, autres que celles qui arrivent en directe et par vente, ou par contrat équipollent à vente.

Mais pour spécifier les cas les plus ordinaires dans lesquels il est dû. on peut dire qu'il a lieu en plusieurs cas ; savoir,

1°. Pour mutation de vassal, par succession collatérale.

2°. Pour la mutation de l'homme vivant et mourant.

3°. Pour le second, troisième, ou autre mariage d'une femme qui possède un fief, la plupart des coutumes exceptent le premier mariage.

4°. Quelques coutumes obligent le gardien à payer un droit de relief pour la jouissance qu'il a du fief de ses enfants.

5°. Il est dû en cas de mutation du bénéficier possesseur d'un fief, soit par mort, résignation ou permutation.

Quand il arrive plusieurs mutations forcées dans une même année, il n'est dû qu'un relief, pourvu que la dernière ouverture soit avant la récolte des fruits. Si ce sont des mutations volontaires, il est dû autant de reliefs qu'il y a eu de mutations.

Le relief est communément le revenu d'une année, au dire de prud'hommes, ou une somme une fois offerte, au choix du seigneur, lequel doit faire son option dans les 40 jours ; et quand une fois il a choisi, il ne peut plus varier.

Si le fief est affermé, le seigneur doit se contenter du prix du bail, à-moins qu'il n'y eut fraude.

L'année du relief commence du jour de l'ouverture du fief.

Le seigneur qui opte le revenu d'une année, doit jouir en bon père de famille, et comme aurait fait le vassal ; il doit même lui rendre les labours et semences.

S'il y a des bois-taillis et des étangs, dont le profit ne se perçait pas tous les ans, le seigneur ne doit avoir qu'une portion du profit, eu égard au nombre d'années qu'on laisse couler entre les deux récoltes.

Il n'a aucun droit dans les bois qui servent pour la décoration de la maison, ni dans les bois de haute-futaie, à-moins que ces derniers ne soient en coupe réglée.

Le vassal est obligé de communiquer ses papiers de recette au seigneur, pour l'instruire de tout ce qui fait partie du revenu du fief.

Les droits casuels, tels que les reliefs, quints, les cens, lods et ventes, amendes, confiscations, et autres qui échéent pendant l'année du relief, appartiennent au seigneur ; même les droits dû. pour l'arriere-fief qui est ouvert pendant ce temps.

Il peut aussi user du retrait féodal ; mais sa jouissance finie il doit remettre à son vassal le fief qu'il a retiré.

Si l'on fait deux récoltes de blé dans une même année, le seigneur n'en a qu'une ; il en est autrement du regain, ou quand la seconde récolte est de fruits d'une autre espèce que la première.

Le vassal ne doit point être délogé, ni sa femme et ses enfants ; le seigneur ne doit prendre qu'un logement, si cela se peut, et une portion des lieux nécessaires pour placer la récolte.

Toutes les charges du fief qui sont inféodées, et qui échéent pendant l'année du relief, doivent être acquittées par le seigneur.

La jouissance du droit de relief peut être cédée par le seigneur à un tiers, ou bien il peut en composer avec le vassal ; et s'ils ne s'accordent pas, il peut faire estimer par experts le revenu d'une année, en formant sur les trois années précédentes une année commune.

Quand le fief ne consiste que dans une maison occupée par le vassal, celui-ci doit en payer le loyer au seigneur, à dire d'experts.

Pour connaître plus particulièrement quelles sont les mutations auxquelles il est dû. ou non, droit de relief, voyez les commentateurs de la coutume de Paris, sur le titre des fiefs ; les auteurs qui ont traité des fiefs, entr'autres Dumolin, et les mots FIEF, LODS et VENTES, MUTATION, QUINT, RACHAT.

Par rapport aux différentes sortes de reliefs, ou aux différents noms que l'on donne à ce droit, voyez les articles qui suivent. (A)

RELIEF ABONNE, est celui qui est fixé à une certaine somme, par un accord fait avec le seigneur ; on dit plus communément rachat abonné. Voyez RACHAT.

RELIEF D'ADRESSE, ce sont des lettres de chancellerie, par lesquelles le roi mande à quelque cour de procéder à l'enregistrement d'autres lettres dont l'adresse n'était pas faite à cette cour. Voyez ADRESSE, et le style des chancelleries, par du Sault.

RELIEF D'APPEL, ce sont des lettres qu'un appelant obtient en la petite chancellerie, à l'effet de relever son appel, et de faire intimer sur icelui les parties qui doivent défendre à son appel. Voyez APPEL, ILLICO, INTIMATION, RELEVER. (A)

RELIEF D'ARMES, voyez ci-après RELIEF DE CHEVAL et ARMES.

RELIEF DE BAIL, est en quelques coutumes, un rachat dû au seigneur par le mari, pour le fief de la femme qu'il épouse, encore qu'elle eut déjà relevé et droituré ce fief avant le mariage.

On l'appelle relief de bail, parce que le mari le doit comme mari et bail de sa femme ; c'est-à-dire comme baillistre et administrateur du fief de sa femme, dont il jouit en ladite qualité.

Ainsi ce relief n'est pas dû par le mari lorsqu'il n'y a point de communauté, et que la femme s'est réservé l'administration de ses biens. Voyez les coutumes de Clermont, Théroane, S. Paul, Chauny, Ponthieu, Boulenais, Artais, Péronne, Amiens, Montreuil, S. Omer, Senlis, et ci-après RELIEF DE MARIAGE.

RELIEF DE BAIL DE MINEURS ou de GARDE, est celui qui est dû par le gardien, pour la jouissance qu'il a du fief de son mineur. (A)

RELIEF DES BENEFICIERS, est celui qu'un bénéficier succédant, soit per obitum, soit par résignation ou permutation, doit au seigneur pour le fief dépendant du bénéfice dont il prend possession. Voyez les institutes féodales de Guyot, ch. Ve

RELIEF DE BOUCHE, c'est lorsque le vassal, ou tenant cottier, reconnait tenir son héritage de quelque seigneur. Voyez la coutume d 'Herly, art. 1. et 2.

RELIEF DE CHAMBELLAGE, est celui que le mari doit lorsque durant le mariage il échet un fief à sa femme. Voyez l'ancienne coutume de Beauquesne article 19.

RELIEF DE CHEVAL ET ARMES, est celui pour lequel il est dû au seigneur un cheval de service, des armes. Voyez la coutume de Cambrai, titr. 1, article 50. et 51. (A)

RELIEF DOUBLE, c'est lorsqu'il est dû deux différents droits de relief, l'un par le nouveau propriétaire, l'autre par celui qui a la jouissance du fief. Voyez ci-après RELIEF SIMPLE.

RELIEF DE FIEF, c'est lorsque le vassal relève en droiture son fief, c'est-à-dire qu'il reconnait son seigneur, et lui fait la foi et hommage pour la mutation de seigneur ou de vassal qui faisait ouverture au fief.

Il est parlé de ce relief de fief dans Fraissart et dans les coutumes de Peronne, Auxerre, Cambrai, Lille, Hesdin, style de Liege. Voyez le glossaire de Laurière au mot relief.

RELIEF DE GARDE est celui qui est dû par le gardien pour la jouissance qu'il a du fief de son mineur.

RELIEF D'HERITIER, est celui qui est dû au seigneur par le nouveau vassal pour la propriété à lui échue par succession collatérale ; c'est la même chose que le relief propriétaire ou de propriété. Voyez la coutume de Saint-Pol, et ci-après RELIEF PROPRIETAIRE.

RELIEF D'HOMME était une amende de cent sous un denier, que le plege ou caution était obligé de payer, faute de faire représenter l'accusé qui avait été élargi moyennant son cautionnement, et moyennant cette amende le plege en était quitte ; c'est ainsi que ce relief est expliqué dans le chap. cjv. des établissements de S. Louis en 1270 : il en est encore parlé dans le chap. cxxj.

RELIEF d'illico, c'étaient des lettres qu'un appelant obtenait en la petite chancellerie pour être relevé de l'illico, c'est-à-dire de ce qu'il n'avait pas interjeté son appel au moment que la sentence avait été rendue.

Présentement il n'est plus nécessaire d'appeler illico, ni d'obtenir des lettres de relief d'illico, mais on obtient des lettres de relief d'appel, ou un arrêt pour relever l'appel ; ce qui tire toujours son origine de l'usage où l'on était d'obtenir des lettres d'illico ou de relief d'illico. Voyez ci-devant APPEL, APPELLATION, RELIEF D'APPEL.

RELIEF DE LAPS DE TEMS, ce sont des lettres de chancellerie par lesquelles le roi relève quelqu'un de ce qu'il a manqué à faire ses diligences dans le temps qui lui était prescrit, et lui permet d'user de la faculté qu'il avait, comme s'il était encore dans le temps. Ces lettres sont de plusieurs sortes, selon les objets auxquels elles s'appliquent. Il y a des lettres de relief de temps de prendre possession de bénéfice ; d'autres appelées relief de temps sur rémission, lorsqu'un impétrant de lettres de rémission ne s'est pas présenté dans le temps pour faire entériner ses lettres ; et ainsi de plusieurs autres.

RELIEF DE MARIAGE est celui que le mari doit pour la jouissance qu'il a du fief de sa femme, c'est la même chose que le relief de bail.

Quelques coutumes affranchissent le premier mariage de ce droit, comme la coutume de Paris, art. 36. d'autres l'accordent au seigneur pour tous les mariages indistinctement, comme la coutume d'Anjou. Voyez ci-devant RELIEF DE BAIL, et Guyot en son traité des Fiefs, tome II. du relief, ch. Ve (A)

RELIEF A MERCI, est le nom que l'on donne en quelques lieux au revenu d'un an que le nouveau vassal est tenu de payer au seigneur ; il a été ainsi appelé parce qu'il était à la volonté du seigneur, et non pas qu'il sut ad mercedem. Voyez la coutume locale de S. Piat, de Seclin sous Lille.

RELIEF DE MONNOYER ou Monnoyeur, ce sont des lettres de chancellerie par lesquelles le roi mande à une cour des monnaies de recevoir quelqu'un en qualité de monnoyeur, encore que son père ne se soit pas fait recevoir en ladite qualité ; étant nécessaire, pour être reçu dans ces sortes de places d'être issu de parents monnoyeurs. Voyez MONNOIES et MONNOYEUR.

RELIEF DE NOBLESSE, ce sont des lettres du grand sceau, par lesquelles le roi rétablit dans le titre et les privilèges de noblesse quelqu'un qui en était déchu, soit par son fait, ou par celui de son père ou de son aïeul. Voyez REHABILITATION.

RELIEF DE PLUME, c'est un droit de rachat ou rente seigneuriale, qui ne consiste qu'en une prestation de poule, geline ou chapon. Voyez la coutume de Théroanne, art. 9. et le Glossaire de M. de Laurière au mot Plume.

RELIEF PRINCIPAL, est celui qui est dû pour le fief entier. Il est ainsi appelé lorsqu'il s'agit de distinguer le relief dû par chaque portion du fief. Voyez la coutume d 'Artais, art. 102.

RELIEF PROPRIETAIRE ou DE PROPRIETAIRE, ou RELIEF DE PROPRIETE, est celui qui est dû au seigneur par le nouveau propriétaire du fief, à la différence du relief de bail et du relief de mariage, qui sont dû. pour la jouissance qu'une personne a du fief sans en avoir la propriété. Voyez l'ancienne coutume d'Amiens, celles de S. Omer, Montreuil, et le style des cours du pays de Liege, et les articles RELIEF DE BAIL, RELIEF DE MARIAGE.

RELIEF RENCONTRé, voyez RACHAT RENCONTRé.

RELIEF DE RENTE, la coutume de Thérouanne, art. 11. appelle ainsi celui qui est dû au seigneur à la mort du tenant cottier. Voyez le Glossaire de M. de Laurière.

RELIEF SIMPLE, est lorsqu'il n'est dû que le relief de propriété par la femme, et non le relief de bail, ou bien quand il n'est dû aucun chambellage, à la différence du relief double qui est dû. l'un pour la mutation de proprietaire, l'autre pour la jouissance du baillistre. Voyez la coutume d'Artais, art. 158. et Maillart sur cet article, et la coutume de Ponthieu, art. 28. 29. 31.

RELIEF DE SUCCESSION, est celui qui est dû pour mutation d'un fief par succession collatérale, ou même par succession directe dans ces coutumes auxquelles il est dû relief à toutes mutations, comme dans le Vexin français.

RELIEF DE SURANNATION, sont des lettres de chancellerie par lesquelles sa majesté valide et permet de faire mettre à exécution d'autres lettres surannées ; c'est-à-dire dont l'impétrant a négligé de se servir dans l'année de leur obtention. Voyez CHANCELLERIE, LETTRES DE CHANCELLERIE, SURANNATION. (A)

RELIEF, (Architecture) c'est la saillie de tout ornement, ou bas relief, qui doit être proportionné à la grandeur de l'édifice qu'il décore, et à la distance d'où il doit être vu. On appelle figure de relief, ou de ronde bosse, une figure qui est isolée, et terminée en toutes ses vues. (D.J.)

RELIEF, (Sculpture) ce mot se dit des figures en saillie et en bosse, ou élevées, soit qu'elles soient taillées au ciseau, fondues ou moulées. Il y a trois sortes de reliefs. Le haut relief, ou plein relief, est la figure taillée d'après nature. Le bas relief est un ouvrage de sculpture qui a peu de saillie, et qui est attaché sur un fond. On y représente des histoires, des ornements, des rinceaux, des feuillages, comme on voit dans les frises. Lorsque dans les bas-reliefs il y a des parties saillantes et détachées, on les appelle demi-bosses. Le demi-relief est quand une représentation sort à demi-corps du plan sur lequel elle est posée. Voyez RELIEF-bas, (Sculpture) (D.J.)

RELIEF, (Peinture) le relief des figures est un prestige de l'art, que l'auteur de l'Histoire naturelle ne pouvait pas laisser passer sans l'accompagner de quelqu'un de ces beaux traits qui lui sont familiers. Apelle avait peint Alexandre la foudre à la main, et Pline s'écrie à la vue du héros, " Sa main parait saillante, et la foudre sort du tableau ". Il n'appartient qu'à cet écrivain de rendre ainsi les beautés qui le saisissent. Il emprunte ailleurs un style plus simple, pour dire que Nicias observa la distribution des jours et des ombres, et eut grand soin de bien détacher ses figures. Un lecteur qui n'apercevra dans cette phrase que le clair obscur et le relief sans leur rapport mutuel, n'y verra que le récit d'un historien ; les autres y découvriront l'attention d'un connaisseur à marquer la cause et l'effet, et à donner, sous l'apparence d'un exposé historique, une leçon importante en matière de peinture. (D.J.)

RELIEF D'UNE MEDAILLE, (Numismatique) saillie des figures et des types qui sont empreints sur la tête ou sur le revers d'une médaille.

Le relief dans les médailles, comme l'a remarqué le père Jobert, est une beauté, mais cette beauté n'est pas une marque indubitable de l'antique. Elle est essentielle aux médailles du haut-empire ; mais dans le bas-empire il se trouve des médailles qui n'ont guère plus de relief que nos monnaies. Le temps nécessaire pour graver les coins plus profondément, et pour battre chaque pièce dans ces coins, nous a fait négliger cette beauté dans nos monnaies et dans nos jetons ; par-là nous avons perdu l'avantage de les pouvoir conserver aussi longtemps que les monnaies romaines. Leurs médailles que l'on tire de terre après 1800 ans, sont encore aussi fraiches et aussi distinctes que si elles sortaient des mains de l'ouvrier. Nos monnaies au-contraire, après 40 ou 50 ans de cours, sont tellement usées, qu'à peine peut-on reconnaître ni la figure ni la légende. Ainsi les anciens nous surpassent par cet endroit ; mais dans nos grosses médailles, non-seulement nous égalons les Grecs et les Romains, souvent même nous les surpassons. Depuis qu'on a inventé la manière de battre sous le balancier, nous avons porté le relief aussi haut qu'il puisse aller, en fait de médailles. (D.J.)

RELIEF-BAS, (Sculpture) on appelle bas-relief un ouvrage de sculpture qui a peu de saillie, et qui est attaché sur un fond. Lorsque dans le bas-relief il y a des parties saillantes et détachées, on les nomme demi-bosses.

Les sujets de bas-relief ne sont point bornés, on y peut représenter toutes sortes de choses et d'ornements, des animaux, des fleurs, des rinceaux, des feuillages, et même des morceaux d'histoire.

On distingue trois sortes de bas-reliefs, autrement dits basses tailles ; dans la première, les figures qui sont sur le devant paraissent se détacher tout à fait du fond ; dans la seconde espèce, les figures ne sont qu'en demi-bosse, ou d'un relief beaucoup moindre ; dans la dernière, elles n'ont que très-peu de saillie.

Il n'est pas vrai, comme le prétendait M. Perrault, que les anciens sculpteurs aient tous violé les règles de la perspective dans leurs ouvrages ; nous connaissons plusieurs bas-reliefs antiques contraires à cette injurieuse décision. Le recueil de Rosci qui a pour titre : admiranda veteris sculpturae vestigia, nous en présente quelques-uns, et principalement trois, qui sont une preuve évidente de la connaissance des anciens dans la perspective. Le premier est à la pag. 43. il est connu sous le nom du repas de Trimalcion ; sans-doute un grec l'a exécuté à Rome ; la perspective des bâtiments s'y découvre avec la plus grande clarté, on ne ferait pas mieux aujourd'hui. A la p. 11. de ce même recueil, est encore un bas-relief, où sont représentés deux victimaires conduisant un taureau, dont le marbre est à Rome dans la vigne de Médicis. Enfin celui qui se trouve à la pag. 78. luctus funebris, et que l'on conserve à Rome dans le palais Barberin, est peut-être la preuve la plus complete qu'on pourrait opposer à l'auteur du parallèle des anciens ; non seulement on y voit un édifice dégradé, et fuyant dans la plus exacte perspective, mais aussi des intérieurs de voute.

Je ne prétends pas néanmoins que l'art des bas-reliefs ait été aussi parfaitement connu des anciens, qu'il l'est des modernes, et je conviens que souvent les dégradations de lumière manquent à la beauté de leurs ouvrages. Quelquefois, par exemple, une tour qui parait éloignée de cinq cent pas du devant du bas-relief, à en juger par la proportion d'un soldat monté sur la tour, avec les personnages placés le plus près du bord du plan ; cette tour, dis-je, est taillée comme si on la voyait à cinquante pas de distance. On aperçoit la jointure des pierres, et l'on compte les tuiles de la couverture. Ce n'est pas ainsi que les objets se présentent à nous dans la nature ; non-seulement ils paraissent plus petits à mesure qu'ils s'éloignent de nous, mais ils se confondent encore quand ils sont à une certaine distance, à cause de l'interposition de la masse de l'air.

Les sculpteurs modernes, en cela généralement mieux instruits que les anciens, confondent les traits des objets qui s'enfoncent dans le bas-relief, et ils observent ainsi la perspective aèrienne. Avec deux ou trois pouces de relief, ils font des figures qui paraissent de ronde-bosse, et d'autres qui semblent s'enfoncer dans le lointain. Ils y font voir encore des paysages artistement mis en perspective, par une diminution de traits, lesquels étant non-seulement plus petits, mais encore moins marqués, et se confondant même dans l'éloignement, produisent à-peu-près le même effet en Sculpture, que la dégradation des couleurs fait dans un tableau.

On peut donc dire qu'en général les anciens n'avaient point l'art des bas-reliefs aussi parfaits que nous les avons aujourd'hui ; cependant il y a des bas-reliefs antiques qui ne laissent rien à désirer pour la perfection. Telles sont les danseuses, que tant d'habiles sculpteurs ont pris pour modèle ; c'est un ouvrage grec si précieux, et que l'on conserve avec tant de soin dans la vigne Borghese à Rome qu'il n'en est jamais sorti.

Entre les ouvrages modernes dignes de notre admiration, je ne dois point taire le grand bas-relief de l'Algarde représentant saint Pierre et saint Paul en l'air, menaçant Attila qui venait à Rome pour la saccager. Ce bas-relief sert de tableau à un des petits autels de la basilique de saint Pierre ; peut-être fallait-il plus de génie pour tirer du marbre une composition pareille à celle de l'artiste, que pour la peindre sur une toile. En effet, la poésie et les expressions en sont aussi touchantes que celles du tableau où Raphaël a traité le même sujet, et l'exécution du sculpteur qui semble avoir trouvé le clair obscur avec son ciseau, parait d'un plus grand mérite que celle du peintre. Les figures qui sont sur le devant de ce superbe morceau, sont presque de ronde-bosse ; elles sont de véritables statues ; celles qui sont derrière ont moins de relief, et leurs traits sont plus ou moins marqués, selon qu'elles s'enfoncent dans le lointain ; enfin la composition finit par plusieurs figures dessinées sur la superficie du marbre par de simples traits.

On peut dire cependant que l'Algarde n'a point tiré de son génie la première idée de cette exécution, qu'il n'est point l'inventeur du grand art des bas-reliefs ; mais il a la gloire d'avoir beaucoup perfectionné cet art. Le pape Innocent X. donna trente mille écus à ce grand artiste pour son bas-relief. Il était digne de cette récompense ; mais on peut douter, avec M. l'abbé du Bos, si le cavalier Bernin et Girardon, n'ont pas mis autant de poésie que l'Algarde dans leurs ouvrages. Je ne rapporterai, dit-il, de toutes les inventions du Bernin, qu'un trait qu'il a placé dans la fontaine de la place Navonne, pour marquer une circonstance particulière au cours du Nil, c'est-à-dire pour exprimer que sa source est inconnue ; et que, comme le dit Lucain, la nature n'a pas voulu qu'on put voir ce fleuve sous la forme d'un ruisseau.

Arcanum natura caput non praetulit ulli,

Nec licuit populis parvum, te Nile, videre.

La statue qui représente le Nil, et que le Bernin a rendue reconnaissable par les attributs que les anciens ont assignés à ce fleuve, se couvre la tête d'un voile. Ce trait qui ne se trouve pas dans l'antique, et qui appartient au sculpteur, exprime ingénieusement l'inutilité d'un grand nombre de tentatives, que les anciens et les modernes avaient faites pour parvenir jusqu'aux sources du Nil, en remontant son canal.

Mais comme le bas-relief est une partie très-intéressante de la Sculpture, je crois devoir transcrire ici les réflexions de M. Etienne Falconet sur cette sorte d'ouvrage ; il les avait destinées lui-même au Dictionnaire encyclopédique.

Il faut, dit-il, distinguer principalement deux sortes de bas-reliefs, c'est-à-dire le bas-relief doux, et le bas-relief saillant, déterminer leurs usages, et prouver que l'un et l'autre doivent également être admis selon les circonstances.

Dans une table d'Architecture, un panneau, un fronton, parties qui sont censées ne devoir être point percées, un bas-relief saillant, à plusieurs plans, et dont les figures du premier seraient entièrement détachées du fond, ferait le plus mauvais effet, parce qu'il détruirait l'accord de l'architecture, parce que les plans reculés de ce bas-relief feraient sentir un renfoncement où il n'y en doit point avoir ; ils perceraient le bâtiment, au-moins à l'oeil. Il n'y faut donc qu'un bas-relief doux et de fort peu de plans ; ouvrage difficîle par l'intelligence et la douceur des nuances qui en font l'accord ; ce bas-relief n'a d'autre effet que celui qui résulte de l'architecture à laquelle il doit être entièrement subordonné.

Mais il y a des places où le bas-relief saillant peut être très-avantageusement employé, et où les plans et les saillies, loin de produire quelque désordre, ne font qu'ajouter à l'air de vérité que doit avoir toute imitation de la nature. Ces places sont principalement sur un autel, ou telle autre partie d'architecture que l'on supposera percée, et dont l'étendue sera suffisamment grande, puisque dans un grand espace, un bas-relief doux ne ferait aucun effet à quelque distance.

Ces places et cette étendue sont alors l'ouverture d'un théâtre, où le sculpteur suppose tel enfoncement qu'il lui plait, pour donner à la scène qu'il représente, toute l'action, le jeu, et l'intérêt que le sujet exige de son art, en le soumettant toujours aux lois de la raison, du bon gout, et de la précision. C'est aussi l'ouvrage par où l'on peut reconnaître plus aisément les rapports de la Sculpture avec la Peinture, et faire voir que les principes que l'une et l'autre puisent dans la nature, sont absolument les mêmes. Loin donc toute pratique subalterne, qui n'osant franchir les bornes de la coutume, mettrait ici une barrière entre l'artiste et le génie.

Parce que d'autres hommes, venus plusieurs siècles avant nous, n'auront tenté de faire que quatre pas dans cette carrière, nous n'oserions en faire dix ! Les sculpteurs anciens sont nos maîtres, sans-doute, dans les parties de leur art où ils ont atteint la perfection ; mais il faut convenir que dans la partie pittoresque des bas-reliefs, les modernes ne doivent pas autant d'égards à leur autorité.

Serait-ce parce qu'ils ont laissé quelques parties à ajouter dans ce genre d'ouvrage, que nous nous refuserions à l'émulation de le perfectionner ? Nous qui avons peut-être porté notre peinture au-delà de celle des anciens, pour l'intelligence du clair-obscur ; n'oserions-nous prendre le même essor dans la sculpture ? Le Bernin, le Gros, Algarde, nous ont montré qu'il appartient au génie d'étendre le cercle trop étroit que les anciens ont tracé dans leurs bas-reliefs. Ces grands artistes modernes se sont affranchis avec succès d'une autorité qui n'est recevable qu'autant qu'elle est raisonnable.

Il ne faut cependant laisser aucun équivoque sur le jugement que je porte des bas-reliefs antiques. J'y trouve, ainsi que dans les belles statues, la grande manière dans chaque objet particulier, et la plus noble simplicité dans la composition ; mais quelque noble que soit cette composition, elle ne tend en aucune sorte à l'illusion d'un tableau, et le bas-relief y doit toujours prétendre.

Si le bas-relief est fort saillant, il ne faut pas craindre que les figures du premier plan ne puissent s'accorder avec celle du fond. Le sculpteur saura mettre de l'harmonie entre les moindres saillies et les plus considérables : il ne lui faut qu'une place, du goût et du génie. Mais il faut l'admettre, cette harmonie : il faut l'exiger même, et ne point nous élever contre elle, parce que nous ne la trouvons pas dans des bas-reliefs antiques.

Une douceur d'ombres et de lumières monotones qui se répètent dans la plupart de ces ouvrages, n'est point de l'harmonie. L'oeil y voit des figures découpées, et une planche sur laquelle elles sont collées, et l'oeil est révolté.

Ce serait mal défendre la cause des bas-reliefs antiques, si on disait que ce fond qui arrête si désagréablement la vue, est le corps d'air serein et dégagé de tout ce qui pourrait embarrasser les figures. Puisqu'en peignant, ou dessinant d'après un bas-relief, on a grand soin de tracer l'ombre qui borde les figures, et qui indique si bien qu'elles sont collées sur cette planche, qu'on appelle fond : on ne pense donc pas que ce fond soit le corps d'air. Il est vrai que cette imitation ridicule est observée pour faire connaître que le dessein est fait d'après de la sculpture. Le sculpteur est donc seul blâmable d'avoir donné à son ouvrage un ridicule qui doit être représenté dans les copies, ou les imitations qui en sont faites.

Dans quelque place, et de quelque saillie que soit le bas-relief, il faut l'accorder avec l'architecture ; il faut que le sujet, la composition et les draperies soient analogues à son caractère. Ainsi la mâle austérité de l'ordre toscan n'admettra que des sujets et des compositions simples : les vêtements en seront larges, et de fort peu de plis. Mais le corinthien et le composite demandent de l'étendue dans les compositions, du jeu et de la légéreté dans les étoffes.

De ces idées générales, M. Falconet passe à quelques observations particulières qui sont d'un homme de génie.

La règle de composition et d'effet étant la même pour le bas-relief que pour le tableau, les principaux acteurs, dit-il, occuperont le lieu le plus intéressant de la scène, et seront disposés de manière à recevoir une masse suffisante de lumière, qui attire, fixe, et repose sur eux la vue, comme dans un tableau, préférablement à tout autre endroit de la composition. Cette lumière centrale ne sera interrompue par aucun petit détail d'ombres maigres et dures, qui n'y produiraient que des taches, et détruiraient l'accord. De petits filets de lumière qui se trouveraient dans de grandes masses d'ombre, détruiraient également cet accord.

Point de raccourci sur les plans de devant, principalement si les extrémités de ces raccourcis sortaient en avant : ils n'occasionneraient que des maigreurs insupportables. Perdant de leur longueur naturelle ; ces parties seraient hors de vraisemblance, et paraitraient des chevilles enfoncées dans les figures. Ainsi pour ne point choquer la vue, les membres détachés doivent, autant qu'il sera possible, gagner les fonds. Placés de cette manière, il en résultera un autre avantage : ces parties se soutiendront dans leur propre masse ; en observant cependant que, lorsqu'elles sont détachées, elles ne soient pas trop adhérentes au fond : ce qui occasionnerait une disproportion dans les figures, et une fausseté dans les plans.

Que les figures du second plan, ni aucune de leurs parties ne soient aussi saillantes, ni d'une touche aussi ferme que celles du premier ; ainsi des autres plans, suivant leur éloignement. S'il y avait des exemples de cette égalité de touche, fussent-ils dans des bas-reliefs antiques, il faudrait les regarder comme des fautes d'intelligence contraires à la dégradation, que la distance, l'air et notre oeil mettent naturellement entre nous et les objets.

Dans la nature, à mesure que les objets s'éloignent, leurs formes deviennent à notre égard plus indécises : observation d'autant plus essentielle, que dans un bas-relief les distances des figures ne sont rien moins que réelles. Celles qu'on suppose d'une taise ou deux plus reculées que les autres, ne le sont quelquefois pas d'un pouce. Ce n'est donc que par le vague et l'indécis de la touche, joints à la proportion diminuée selon les règles de la perspective, que le sculpteur approchera davantage de la vérité, et de l'effet que présente la nature. C'est aussi le seul moyen de produire cet accord que la sculpture ne peut trouver, et ne doit chercher que dans la couleur unique de sa matière.

Il faut surtout éviter qu'autour de chaque figure, il règne un petit bord d'ombre également découpée, qui en ôtant l'illusion de leurs saillies et de leur éloignement respectif, leur donnerait encore l'air de figures aplaties les unes sur les autres, et enfin collées sur une planche. On évite ce défaut en donnant une sorte de tournant aux bords des figures, et suffisamment de saillie dans leurs milieux. Que l'ombre d'une figure sur une autre y paraisse portée naturellement, c'est-à-dire, que ces figures soient sur des plans assez proches pour être ombrées l'une par l'autre, si elles étaient naturelles.

Cependant il faut observer que les plans des figures principales, surtout de celles qui doivent agir, ne soient point confus, mais que ces plans soient assez distincts et suffisamment espacés, pour que les figures puissent aisément se mouvoir.

Lorsque, par son plan avancé, une figure doit paraitre isolée et détachée des autres, sans l'être réellement, on oppose une ombre derrière le côté de sa lumière, et s'il se peut, un clair derrière son ombre : moyen heureux que présente la nature au sculpteur comme au peintre.

Si le bas-relief est de marbre, les rapports avec un tableau y seront d'autant plus sensibles, que le sculpteur aura su mettre de variété de travail dans les différents objets. Le mat, le grené, le poli, employés avec intelligence, ont une sorte de prétention à la couleur. Les reflets que renvoie le poli d'une draperie sur l'autre, donnent de la légéreté aux étoffes, et répandent l'harmonie sur la composition.

Si l'on doutait que les lois du bas-relief fussent les mêmes que celles de la Peinture, qu'on choisisse un tableau du Poussin ou de le Sueur ; qu'un habîle sculpteur en fasse un modèle : on verra si l'on n'aura pas un bas-relief. Ces maîtres ont d'autant plus rapproché la Sculpture de la Peinture, qu'ils ont fait leurs sites toujours vrais, toujours raisonnés. Leurs figures sont, en général, à peu de distance les unes des autres, et sur des plans très-justes : loi rigoureuse qui doit s'observer avec la plus scrupuleuse attention dans un bas-relief.

Enfin, conclud M. Falconet, cette partie de la sculpture est la preuve la moins équivoque de l'analogie qui est entr'elle et la peinture. Si l'on voulait rompre ce lien, ce serait dégrader la sculpture, et la restraindre uniquement aux statues, tandis que la nature lui offre, comme à la peinture, des tableaux.

A la couleur près, un bas-relief saillant est un tableau difficile. (D.J.)