S. m. (Jurisprudence) En matière criminelle, est la mention que le greffier des prisons fait sur son registre du nom, surnom et qualité de la personne qui a été amenée dans la prison, et des causes pour lesquelles elle a été arrêtée, et la charge que l'huissier porteur donne aux greffier et geolier de ladite personne. Ecrouer quelqu'un, c'est le constituer prisonnier et en faire mention sur le registre des prisons.

Bruneau dans ses observations et maximes sur les matières criminelles, dit que ce mot écroue vient du latin scrobs, qui signifie fosse ; et en effet on disait anciennement fosse pour prison, parce que la plupart des prisons étaient plus basses que le rez-de-chaussée. On appelle encore basse-fosse les cachots qui sont sous terre. Il ne serait pas fort extraordinaire que de scrobs on eut fait écroès, et ensuite écroues.

D'autres, comme Cujas sur la loi 1. cod. de excusat. artific. Guenais, tit. des prisons, et Bornier sur l'art. 9. du tit. XIIe de l'Ordonnance criminelle, tirent l'étymologie de ce mot du grec qu'ils traduisent par contrudere vel dejicère in carcerem : je ne vois pas néanmoins que ce mot signifie autre chose que pulsare ; ainsi écroue signifierait contrainte, l'acte par lequel on conduit la personne en prison.

D'autres encore prétendent qu'écroue vient d'écrit ou écrire, et en effet le terme d'écroue est employé pour écriture en plusieurs occasions : par exemple, dans l'édit d'établissement de l'échiquier de Normandie, les écritures qui contiennent les faits et raisons des parties, sont appelées écroues ; il est dit aussi que les sergens ne doivent bailler leurs exploits par écroues, c'est-à-dire, par écrit.

Mais l'étymologie de Cujas parait beaucoup plus naturelle.

Dans l'ancien style, écroue signifie aussi déclaration, rôle ou état. La coutume de Normandie, art. 192. celle de S. Paul-sous-Artais, sur l'art 27. de cette coutume, se servent des termes d'escroès (ou écroue) et déclaration comme synonymes en matière de censive. Les rôles ou états de la maison du roi s'appellent écroue, et en latin commentarius, ce qui revient assez au rôle des prisons, dont le greffier est nommé commentariensis, quia in commentaria custodias refert ; et Cujas, en parlant de ces rôles des prisons, qu'il désigne par le terme de commentaria, dit que c'est ce qu'on appelle en français écrou.

Je crois que l'écroue ou écrou, comme quelques-uns l'écrivent, mais irrégulièrement, était dans l'origine le rôle ou le registre de la prison, l'état des prisonniers ; et que dans la suite on a pris la partie pour le tout, en appliquant le terme d'écroue à chaque article de prisonnier, qui est mentionné sur le registre : de sorte que ce qu'on appelle écroue, par rapport au prisonnier, ne devrait être qualifié que comme un article ou extrait de l'écroue ou registre des prisons ; mais l'usage a prévalu au contraire.

Bruneau suppose que le terme d'écroue signifie aussi l'acte d'élargissement et décharge. M. de Laurière en son glossaire, au mot écroue, est de même sentiment ; il prétend que le mot signifie extrudere, dimovère, eximère, liberare, potius quam contrudere aut conjicère in carcerem, soit que le sergent-exploitant se décharge du prisonnier en la geole, ou que le geolier en soit déchargé par le juge ou par le créancier, pour la délivrance du prisonnier.

En effet, dans l'ordonnance de Charles VI. de l'an 1413, art. 20, les termes d'écroues et décharges paraissent synonymes.

Cela parait encore mieux marqué dans l'ordonnance de Louis XII. du mois de Mars 1498, qui distingue la mention de l'emprisonnement d'avec l'écroue, qui est dit pour élargissement.

L'art. 103 de cette ordonnance porte que le geolier ou garde des chartres et prisons fera un grand registre, dont chaque feuillet sera ployé par le milieu, que d'un côté seront écrits, et de jour en jour, les noms et surnoms, états et demeurances des prisonniers qui seront amenés en la chartre ; par qui ils seront amenés ; pourquoi, à la requête de qui, et de quelle ordonnance : et si c'est pour dette, et qu'il y ait obligation sous scel royal, la date de l'obligation ; et que le domicîle du créancier y sera aussi enregistré.

L'ordonnance du même prince, en 1507, article 182. celle de François I. en 1535, ch. XIIIe art. 19. et celle d'Henri II. en 1549, article 3. s'expliquent à-peu-près de même. La dernière dit que le geolier, suivant les anciennes ordonnances, sera tenu de faire un rôle au vrai de tous les prisonniers amenés en la conciergerie.

L'art. 104 de l'ordonnance de 1498, ajoute que de l'autre côté de la marge du feuillet sera enregistré l'écroue, élargissement ou décharge des prisonniers, telle qu'elle lui sera envoyée et donnée par le greffier, sur le registre dudit emprisonnement ; sans qu'il puisse mettre hors ou délivrer quelque prisonnier, soit à tort ou droit, sans avoir ledit écroue.

La même chose est répetée dans les ordonnances de Louis XII. en 1507 ; de François I. en 1535, ch. XIIIe art. 20. et ch. xxj. art. 12.

Enfin l'art. 105 de l'ordonnance de 1498, porte que le greffier aura un registre, où il écrira la délivrance, élargissement, et toutes autres expéditions de chaque prisonnier, en bref, mettant le jour de son emprisonnement, par qui, et comment il sera expédié ; qu'incontinent l'expédition faite, le greffier donnera ou enverra au geolier un écroue ou brevet, contenant le jour et forme de l'expédition ; et que le greffier aura pour chacun écroue et expédition, 15 deniers tournois, et non plus ; ou moins, selon les coutumes des lieux, etc.

Les ordonnances de Louis XII. en 1507, article 156 de François I. en 1535, ch. XIIIe art. 21. portent la même chose.

Enfin l'article 128 de l'ordonnance de 1498, qui défend à tous juges de prendre plus de 5 s. tournois pour les élargissements des prisonniers, ne se sert point du terme d'écroue ; ce qui confirme que ce terme ne signifiait point alors emprisonnement, mais au contraire décharge, comme on disait alors donner écroue à un receveur, c'est-à-dire, lui donner quittance et décharge de sa recette.

La discussion dans laquelle nous sommes entrés sur l'étymologie de ce mot, ne doit pas être regardée comme une simple curiosité ; elle est nécessaire pour l'intelligence des anciennes ordonnances, dans lesquelles le terme d'écroue, en matière criminelle, parait avoir eu successivement trois significations différentes. Il signifiait d'abord, comme on l'a vu, la contrainte qui s'exerce contre celui que l'on pousse en prison ; ce qui a fait croire mal-à-propos à quelques-uns, que ce mot signifiait décharge, sous prétexte que l'huissier qui fait l'emprisonnement, se décharge de celui qu'il a arrêté, en le remettant au geolier, qui s'en charge. On voit qu'ensuite ce même terme signifiait l'élargissement du prisonnier : et enfin on est revenu au premier et véritable sens que ce terme avait, suivant son étymologie, c'est-à-dire que l'écroue est la mention qui est faite de la contrainte par corps et emprisonnement sur le registre des prisons.

Suivant l'ordonnance criminelle de 1670, tit. IIe art. 6. les archers des prevôts des maréchaux peuvent écrouer les prisonniers arrêtés en vertu de leurs decrets.

L'article 7 du même titre porte qu'ils seront tenus de laisser au prisonnier qu'ils auront arrêté, copie du procès-verbal de capture et de l'écroue, sous les peines portées par l'art. 1. Cette disposition doit être observée par tous huissiers et sergens, et autres ayant pouvoir d'arrêter et constituer prisonnier.

L'article 9 du titre x des decrets ordonne, qu'après qu'un accusé pris en flagrant délit ou à la clameur publique, aura été conduit prisonnier, le juge ordonnera qu'il sera arrêté et écroué, et que l'écroue lui sera signifié parlant à sa personne.

Il faut néanmoins observer que l'on dépose quelquefois dans les prisons, pour une nuit ou autre bref délai, ceux qui sont arrêtés à la clameur publique, jusqu'à ce qu'ils aient été interrogés : en ce cas ils ne sont point écroués ; et s'il n'y a pas lieu à les decreter de prise de corps, ils doivent être élargis dans les vingt-quatre heures.

Les procureurs du roi dans les justices ordinaires, doivent, suivant l'art. 10 du même titre, envoyer aux procureurs généraux, chacun dans leur ressort, aux mois de Janvier et de Juillet de chaque année, un état signé par les lieutenans criminels et par eux, des écroues et recommandations faites pendant les six mois précédents dans les prisons de leurs siéges, et qui n'auront point été suivies de jugement définitif, contenant la date des decrets, écroues et recommandations, etc. à l'effet de quoi tous actes et écroues seront par les greffiers et geoliers délivrés gratuitement, et l'état porté par les messagers sans frais, à peine d'interdiction contre les greffiers et geoliers, et de 100 liv. d'amende envers le roi, et de pareille amende contre les messagers. La même chose doit être observée par les procureurs des justices seigneuriales, à l'égard des procureurs du roi des sièges où elles relèvent.

Ces dispositions sont encore expliquées par les arrêts de règlement du parlement de Paris, des 18 Juin et premier Septembre 1717.

L'ordonnance de 1670, tit. XIIIe art. 6 ordonne que les greffiers des geoles, où il y en a, sinon les géoliers-concierges ; seront tenus d'avoir un registre relié, coté et paraphé par le juge dans tous ses feuillets, qui seront séparés en deux colonnes pour les écroues et recommandations, et pour les élargissements et décharges. Le terme d'écroue signifie en cet endroit emprisonnement.

L'art. 9 défend aux greffiers et geoliers, à peine des galeres, de délivrer des écroues à des personnes qui ne seront point actuellement prisonnières ; ni de faire des écroues ou décharges sur feuilles volantes, cahiers, ni autrement que sur le registre coté et paraphé par le juge. Le mot ou dont se sert cet article en parlant des écroues ou décharges, n'est pas conjonctif, mais alternatif ; ainsi ces mots ne sont pas synonymes.

L'art. 10 défend aussi aux greffiers et geoliers de prendre aucuns droits pour emprisonnement, recommandation et décharge ; mais qu'ils pourront seulement, pour les extraits qu'ils délivreront, recevoir ceux qui seront taxés par le juge, etc.

Ce dernier article parle d'emprisonnement, sans employer le terme d'écroue ; et en effet l'écroue n'est pas l'emprisonnement même, mais la mention qui est faite de l'emprisonnement sur le registre de la geole.

L'art. 13 veut que les écroues et recommandations fassent mention des arrêts, jugements et autres actes en vertu desquels ils seront faits ; du nom, surnom et qualité du prisonnier ; de ceux de la partie qui les fera faire, comme aussi du domicîle qui sera par lui élu au lieu où la prison est située, sous peine de nullité ; et il est dit qu'il ne pourra être fait qu'un écroue, encore qu'il y eut plusieurs causes de l'emprisonnement.

Enfin l'art. 15 ordonne au geolier ou greffier de la geole, de porter incessamment, et dans les vingtquatre heures au plutard, au procureur du roi ou à celui du seigneur (si c'est dans une justice seigneuriale), copie des écroues et recommandations qui seront faits pour crime.

Quand le juge déclare un emprisonnement nul, tortionnaire et déraisonnable, il ordonne que l'écroue sera rayé et biffé. Voyez ci-après EMPRISONNEMENT, PRISON, PRISONNIER, RECOMMANDATION. (A)

ECROUE, (Jurisprudence) en matière civile, signifie tantôt rôle ou état, tantôt aveu et déclaration, et quelquefois quittance et décharge. Voyez ce qui est dit dans l'article précédent. (A)