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Catégorie : Economie morale
(Economie morale) c’est la première personne à qui les grands et les riches confient l’éducation d’un enfant lorsqu’il sort des bras de la nourrice: les impressions qu’il reçoit de la gouvernante sont plus importantes qu’on ne croit; celles même que la nourrice lui donne ne sont pas sans conséquence.

Des premières impressions que reçoit un enfant, dépendent ses premiers penchants ; de ses premiers penchans, ses premières habitudes ; et de ces habitudes dépendront peut-être un jour les qualités ou les défauts de son esprit, et presque toujours les vertus ou les vices de son cœur.

Considérons-le depuis l'instant qu'il est né : le premier sentiment qu'il éprouve est celui de la douleur, il la manifeste par des cris et par des larmes : si cette douleur vient de besoin, la nourrice s'empresse de le satisfaire ; si c'est d'un dérangement dans l'économie animale, la nourrice ne pouvant y apporter remède, tâche au moins de l'en distraire ; elle lui parle tendrement ; elle l'embrasse et le caresse. Ces soins et ces caresses toujours amenées par les larmes de l'enfant, sont le premier rapport qu'il aperçoit ; bien-tôt pour les obtenir il manifestera par les mêmes signes un besoin moins grand, des douleurs moins vives ; bien-tôt encore, pour être caressé, il jettera des cris et répandra des larmes sans éprouver ni besoin ni douleur. Que si après s'être assurée de la santé de l'enfant, la nourrice n'est pas attentive à réprimer ces premiers mouvements d'impatience, il en contractera l'habitude ; sa moindre volonté ou le moindre retard à la satisfaire, seront suivis de cris et de mouvements violents. Que sera-ce si une mère idolâtre veut non-seulement qu'on obéisse à son enfant, mais qu'on aille au-devant de ses moindres fantaisies ? alors ses caprices augmenteront dans une proportion centuple à l'empressement qu'on aura pour les satisfaire ; il exigera des choses impossibles, il voudra tout-à-la-fais et ne voudra pas ; chacun de ses moments sera marqué par toutes les violences dont son âge est capable : il n'a pas vécu deux ans, et voilà déjà bien des défauts acquis.

Des bras de la nourrice, il passe entre les mains d'une gouvernante : elle est bien loin de se douter qu'il faille travailler d'abord à réprimer les mauvaises habitudes que l'enfant peut avoir ; quand elle l'imaginerait, elle en serait empêchée par les parents : on ne veut pas le contrarier, on craindrait de le fâcher. Elle Ve donc, pour l'accoutumer avec elle, lui prodiguer, s'il est possible, avec plus d'excès et plus mal-à-propos les mêmes soins et les mêmes caresses ; et au lieu de prendre de l'ascendant sur lui, elle Ve commencer par lui en laisser prendre sur elle.

Cependant il se fortifie et son esprit commence à se développer ; ses yeux ont Ve plus d'objets, ses mains en ont plus touché, plus de mots ont frappé ses oreilles ; et ces mots toujours joints à la présence de certains objets, en retracent l'image dans son cerveau : de toutes parts s'y rassemblent des idées nouvelles ; déjà l'enfant les compare, et son esprit devient capable de combinaisons morales.

Il serait alors de la plus grande importance de n'offrir à son esprit et à ses yeux que des objets capables de lui donner des idées justes et de lui inspirer des sentiments louables ; il semble qu'on se propose tout le contraire.

Les premières choses qu'on lui fait valoir ne sont capables que de flatter sa vanité ou d'irriter sa gourmandise ; les premières louanges qu'il reçoit roulent sur son esprit et sur sa figure ; les premières notions qu'on lui donne de lui-même, c'est qu'il est riche ou que sa naissance est illustre ; et la naissance ou les richesses sont les premiers objets dont il entend parler avec respect ou avec envie ; s'il fait des questions, on le trompe ; veut-on l'amuser, on lui dit des absurdités ; s'il commande, on obéit ; s'il parle à-tort et à-travers, on applaudit ; on rit, s'il fait des méchancetés ; on lui apprend à frapper, à dire des injures, à contrefaire, à se moquer : ce qu'on lui recommande comme raisonnable, on lui permet de ne le pas suivre ; ce qu'on lui a défendu comme condamnable, on permet qu'il le fasse, et souvent on lui en donne l'exemple : on le menace sans le punir, on le caresse par faiblesse et par fantaisie ; on le gronde par humeur et mal-à-propos : ce qu'on a refusé à sa prière, on l'accorde à son importunité, à son opiniâtreté, à ses pleurs, à ses violences. Pourrait-on s'y prendre autrement, si l'on se proposait de lui déranger la tête et d'éteindre en lui tout sentiment de vertu ?

A l'égard des principes qu'on croit lui donner, quelle impression veut-on qu'ils fassent sur lui, quand tout contribue à les détruire ? comment respectera-t-il la religion, lorsqu'après lui en avoir enseigné les devoirs, on ne les lui fera pratiquer ni avec respect ni avec exactitude ? comment craindra-t-il ses parents, quand ils ne lui feront pas reconnaître leur autorité, et qu'ils paraitront lui rendre beaucoup plus qu'il ne leur rend ? comment saura-t-il qu'il doit quelque chose à la société, quand il verra tout le monde s'occuper de lui, et qu'il ne sera occupé de personne ?

Abandonné au déreglement de ses gouts et au désordre de ses idées, il s'élevera lui-même le plus doucement et le plus mal qu'il lui sera possible ; le moindre penchant qu'il aura, il voudra le satisfaire ; ce penchant deviendra fort par l'habitude ; les habitudes se multiplieront ; et de leur assemblage se formera dans l'enfant l'habitude générale de compter pour rien ce qu'on lui dit être la raison, et de n'écouter que son caprice et sa volonté.

Ainsi se passent les sept premières années de sa vie ; et ses défauts se sont tellement accrus, que les parents eux-mêmes ne peuvent plus se les dissimuler : l'enfant leur cede encore quand ils prennent un ton plus sérieux, parce qu'ils sont plus forts que lui ; mais dès lors il se promet bien de ne reconnaître aucune autorité quand il sera plus grand : à l'égard de la gouvernante, elle n'a plus d'empire sur lui, il se moque d'elle, il la méprise ; preuve évidente de la mauvaise éducation qu'il a reçue.

Il passe entre les mains des hommes : c'est alors qu'on pense à réparer le mal qu'on a fait ; on croit la chose fort aisée : on se flatte qu'avant trois mois l'enfant ne sera pas reconnaissable ; on est dans l'erreur. Avec beaucoup de peine on pourra, jusqu'à un certain point, retrancher la superficie de ses mauvaises habitudes : mais les racines resteront ; fortifiées par le temps, elles se sont, pour ainsi dire, identifiées avec l'âme ; elles sont devenues ce qu'on appelle la nature.

Cette peinture n'a rien d'exagéré ; relativement à beaucoup d'éducations, les traits en sont plutôt affoiblis que chargés. Ainsi sont élevés, je ne dis pas les enfants des particuliers, dont la mauvaise éducation est bien moins dangereuse pour eux et moins importante pour la société, mais les enfants des grands et des riches, c'est-à-dire ceux qui devraient être l'espérance de la nation, et qui par leur fortune et leur rang, influeront beaucoup un jour sur ses mœurs et sur sa destinée.

On s'imagine qu'il ne faut point contraindre les enfants dans leurs premières années ; on ne fait pas attention que les contradictions qu'on leur épargne ne sont rien, que celles qu'on leur prépare seront terribles. On se propose de les plier quand ils seront forts ; pourquoi ne veut-on pas voir qu'il serait bien plus facîle et plus sur d'y réussir quand ils sont faibles ? Quiconque a examiné les hommes dans leur enfance, et les a suivis dans les différents périodes de leur âge, a pu remarquer comme moi, que presque tous les défauts qu'ils avaient à sept ans, ils les ont conservés le reste de leur vie.

On craindrait en gênant un enfant, de troubler son bonheur et d'altérer sa santé : il est cependant manifeste que celui qui est élevé dans la soumission est, pour le présent même, mille fois plus heureux que l'enfant le plus gâté. Qu'on examine et qu'on juge ; on verra l'enfant bien élevé être gai, content, et tranquille ; tout sera plaisir pour lui, parce qu'on lui fait tout acheter : l'autre, au contraire, est inquiet, inégal et colere à proportion qu'il a été plus gâté ; ses désirs se détruisent l'un l'autre ; la plus petite contradiction l'irrite ; rien ne l'amuse, parce qu'il est rassasié sur tout.

Crait-on que ces mouvements violents dont il est sans-cesse agité ne puissent pas influer sur son tempérament ? croit-on que l'inquiétude de son esprit et le désordre de ses idées ne soient pas capables d'altérer les fibres délicates de son cerveau ? Qu'on y prenne garde, il n'y a guère d'enfants gâtés qui dans leurs premières années n'aient eu des symptômes de vertige ; et lorsqu'ils sont devenus grands, on peut juger par leur conduite si leur tête est bien saine.

Parents aveugles, vous vous trompez grossièrement sur les objets que vous vous proposez ; vous n'êtes pas moins dans l'erreur sur vos propres motifs ; vous vous croyez tendres, vous n'êtes que faibles : ce ne sont pas vos enfants que vous aimez, c'est l'amusement qu'ils vous donnent.

Croyez-vous que le ciel vous les confie pour être l'objet d'une passion folle, ou pour vous servir d'amusement ? ignorez-vous que c'est un dépôt dont vous lui rendrez compte ? que vous en êtes comptables à la république, à la postérité ? pourquoi faut-il vous dire que vous l'êtes à vous-mêmes ? Un jour viendra que vous payerez bien cher les faibles plaisirs que leur enfance vous donne : quelle sera votre douleur, quand vous verrez l'objet de toutes vos affections devenu celui du mépris public ? quand son mépris pour vous-mêmes deviendra le salaire de vos molles complaisances ? quand ce fils rendu dénaturé par l'excès de vos tendresses, sera le premier à vous reprocher tous ses vices comme étant votre ouvrage ? alors vous répandrez des larmes de sang ; vous accuserez la gouvernante, le précepteur, le gouverneur, tout l'univers. Parents injustes, vous n'aurez peut-être à vous plaindre que de vous !

Si c'était aux mères que j'adressasse ce discours, la plupart me regarderaient comme un moraliste atrabilaire ; c'est aux pères que je m'adresse : en leur qualité d'hommes, leur âme doit être moins faible et leurs vues moins bornées ; il ne leur est pas permis de se laisser séduire par l'objet présent, et de ne pas porter leurs yeux dans l'avenir.

Si vous êtes dignes de ce titre de père, vous devez vous occuper de l'éducation de vos enfants, même avant qu'ils soient nés. Quoique peu de mères soient capables de cette passion funeste qui Ve jusqu'à l'idolatrie, toutes sont faibles, toutes sont capables d'aveuglement : si vous voulez contenir leurs sentiments dans les bornes qu'ils doivent avoir, il faut vous y prendre de bonne heure. Faites remarquer à votre épouse la mauvaise éducation qu'on donne aux enfants de sa connaissance, les déreglements de presque tous les jeunes gens d'un certain ordre, tous les chagrins qu'ils donnent à leurs parents, et combien les sentiments de la nature sont éteints dans leur cœur ; parlez-lui sur tout cela avec la tendresse que vous lui devez, et avec la force que doit vous inspirer un intérêt si grand. Veillez en même temps sur sa tendresse ; elle-même est un enfant à qui il serait dangereux de laisser prendre une mauvaise habitude : si elle avait gâter votre fils dans les bras de la nourrice, elle continuerait de le gâter entre les mains de la gouvernante ; elle mettrait obstacle à tout le bien que pourraient faire le précepteur et le gouverneur : pour la ramener, il faudrait livrer des combats ; peut-être n'auriez-vous pas la force de combattre toujours, et votre fils serait perdu sans ressource.

Quand on choisira une nourrice, outre les qualités physiques qu'elle doit avoir, faites en sorte qu'elle soit femme de bon sens : tant que l'enfant se portera bien, qu'on ne lui passe ni volonté ni impatience ; quand même il serait indisposé, il ne faudrait pas s'écarter de cette méthode : un mois de maladie nuit plus à son éducation qu'une année de soins n'a pu l'avancer. Pour peu qu'il y ait de danger, tous les parents perdent la tête, et il est bien difficîle qu'ils ne la perdent pas : il serait à souhaiter qu'au-moins l'un des deux ne compromit point son autorité, que le père prit sur lui de ne pas voir son enfant, afin que par la suite l'ascendant qu'il aurait conservé put rendre à la mère et à la gouvernante tout celui qu'elles ont perdu. Ce n'est pas la maladie qui rend impatient, c'est l'habitude de l'être qui fait qu'on l'est davantage quand on souffre ; et c'est la faible et timide complaisance des parents qui fait qu'alors un enfant le devient à l'excès.

Si l'enfant pleure, il est aisé de démêler le motif de ses larmes ; s'il pleure pour avoir quelque chose, c'est opiniâtreté, c'est impatience ; s'il pleure sans qu'on voie pourquoi, c'est douleur : dans le premier cas, il faut le caresser, pour le distraire, n'avoir pas l'air de le comprendre, et faire tout le contraire de ce qu'il veut ; dans le second cas, consultez votre tendresse, elle vous conseillera bien.

Les premières volontés d'un enfant sont toujours faibles ; c'est un germe qui se développe et que la moindre résistance détruit ; elles resteront faibles tant qu'elles lui réussiront mal ; que si son impatience et ses volontés sont fortes, c'est une preuve que la nourrice n'est pas attentive, et qu'elle l'a gâté.

Dès qu'elle ne lui sera plus nécessaire, et qu'on l'aura sevré, qu'elle soit écartée. Le premier jour, l'enfant répandra des larmes ; si les larmes viennent d'attachement et de sensibilité, on ne peut payer par trop de caresses ces précieuses dispositions ; s'il s'y mêle de l'humeur, qu'on le caresse encore ; mais que les caresses diminuent à-mesure que l'humeur augmentera ; s'il demande quelque chose avec impatience, on lui dira avec beaucoup de douceur, qu'on est bien fâché de le refuser, mais qu'on n'accorde point aux enfants ce qu'ils demandent avec impatience : peut-être il n'entendra pas ce discours, mais il entendra l'air et le ton ; il verra qu'on ne lui donne point ce qu'il a demandé ; soit étonnement soit lassitude, il suspendra ses larmes ; qu'on profite de cet intervalle pour le satisfaire.

Le second jour, on mettra sa patience à une plus longue épreuve, et l'on continuera par degrés les jours suivants, en observant toujours de ne le caresser que lorsqu'il sera tranquille, et de cesser les caresses qu'on lui fait, ou même de prendre un air plus sérieux dès qu'il sera opiniâtre ou impatient : cette conduite n'a rien de dur ni de cruel ; l'enfant s'apercevra bientôt qu'il n'est caressé et qu'il n'obtient ce qu'il veut que quand il est doux, et il prendra son parti de le devenir.

Dès que vous l'aurez rendu tel, comptez que vous aurez tout gagné ; son âme sera entre vos mains comme une cire molle que vous paitrirez comme il vous plaira ; vous n'aurez plus à travailler que sur vous-même, pour vous soutenir dans une attention continuelle, pour démêler en lui ces semences de défauts ou de vices souvent faibles et obscures, et que néanmoins il faut réprimer dès qu'elles paraissent, si l'on veut y parvenir avec certitude et sans tourmenter l'enfant ; pour mettre votre esprit à la portée du sien, surtout pour avait une conduite soutenue : car ne croyez pas qu'on élève un enfant avec de beaux discours et de belles phrases : vos discours pourront éclairer son esprit ; mais c'est votre conduite qui formera son caractère.

Ne ressemblez point à la plupart des gouvernantes, qui sont tracassières, grondeuses, acariâtres, ou au contraire toujours en admiration devant leurs élèves, et leurs complaisantes éternelles : quelques-unes même réunissent les deux extrêmes, successivement idolâtres et pleines d'humeur. C'est leur mal-adresse, et ce sont leurs défauts qui donnent aux enfants une partie de ceux qu'ils ont. Avec beaucoup de fermeté dans la conduite, ayez beaucoup d'égalité dans l'humeur, de gaieté dans vos leçons, de douceur dans vos discours ; prêchez d'exemple, rien n'est plus puissant sur les enfants comme sur les hommes faits ; de quelque tempérament que soit votre éleve, vous verrez qu'insensiblement la douceur et la sérénité de votre âme passeront dans la sienne.

Si vous voulez l'instruire avec fruit, ne vous contentez pas de lui étaler votre éloquence devant les autres et quand vous pourrez être entendue ; ce n'est pas quand l'enfant est dissipé, que les choses sensées qu'on lui dit peuvent faire impression sur lui : c'est dans le particulier, quand son âme est tranquille et son esprit recueilli. Il n'y a point d'enfant en qui l'on ne puisse saisir de ces moments d'attention ; une gouvernante habîle peut les faire naître souvent.

Dès qu'il sera capable d'avoir une idée de Dieu, expliquez-lui ce que c'est que sa toute-puissance, sa bonté, sa justice ; apprenez-lui le culte qu'on lui doit et les prières qu'il faut lui adresser ; pour lui donner l'exemple, priez avec lui, et mettez-vous dans la posture où il doit être. Ce n'est qu'en parlant à ses yeux que vous parlerez à sa raison. A commencer du moment que vous l'aurez instruit, ne permettez jamais ni qu'il oublie de prier, ni qu'il prie dans une posture peu décente, à-moins qu'il ne soit malade : alors au lieu de ses prières ordinaires, qu'il en fasse une courte, et qu'il n'y manque jamais : vous lui apprendrez ses autres devoirs de religion, et les lui ferez pratiquer à mesure qu'il sera en âge de les remplir.

Ses devoirs envers ses parents marcheront de pair avec ceux de la religion ; apprenez-lui que son bonheur ou son malheur est dans leurs mains ; qu'il tient de leurs bontés tout ce qu'il est et tout ce qu'il a ; qu'ils sont pour lui l'image de Dieu ; que Dieu leur a donné par rapport à lui une partie de sa puissance, de sa bonté, de sa justice ; qu'il ordonne de les aimer et de les honorer, et qu'il n'a promis une longue vie qu'aux enfants qui les honorent ; mais il faut que les parents entrent bien dans vos vues : car si vos discours ne sont pas secondés par leur conduite, toutes les leçons que vous pourrez faire à l'enfant, sont autant de paroles perdues.

Le premier sentiment qu'on doit exiger d'un enfant, ce n'est pas son amitié, c'est son respect : si l'on veut s'en faire aimer par la suite, il faut commencer par s'en faire craindre ; celui qu'on élève dans l'indépendance n'est occupé que de lui-même, et son cœur s'endurcit ; celui qu'on élève dans la soumission sent le besoin qu'il a d'appui, et s'attache naturellement aux personnes dont il dépend.

Que ses parents lui cachent toute la tendresse qu'ils ont pour lui ; l'enfant en abuserait ; qu'ils viennent rarement le trouver, ou du-moins qu'ils restent peu avec lui ; qu'ils aient l'air de venir plutôt pour s'informer de sa conduite que pour le caresser ; qu'ils ne badinent point avec lui d'une manière indécente, comme avec un perroquet ou une poupée. Quand on est père, peut-on ne pas sentir le respect qu'on doit à son fils ? Que tous les jours l'enfant aille rendre à ses parents ce qui leur est dû ; qu'il y reste peu, à-moins que ce ne soit par récompense ; si vous êtes contente de lui, qu'il y soit reçu avec bonté, qu'on lui fasse quelques caresses, qu'on lui donne quelques avis toujours conformes à ceux que vous lui aurez donnés : car il faut qu'il y ait une correspondance exacte entre tous les discours qu'il entendra. Pour cela il est à-propos que quelqu'un d'intelligent vienne tous les matins savoir de vous ce qui s'est passé, ce que vous avez dit à l'enfant, ce que vous jugez à-propos qu'on lui dise. Si vous n'êtes pas contente de lui, qu'il se présente toujours, c'est un devoir auquel il ne doit jamais manquer ; mais qu'alors la satisfaction de voir ses parents lui soit refusée.

Il est vraisemblable qu'il fondra en larmes. S'il est touché comme il doit l'être, ne joignez point d'autre peine à cette punition, au contraire il faut le consoler. Entrez dans sa douleur, dites-lui qu'elle est juste, mais qu'il s'y est exposé, et qu'il ne tient qu'à lui de rentrer en grâce par une meilleure conduite : si au contraire il n'est pas assez sensible à cette disgrace, joignez-y toutes les privations capables de la lui faire sentir, imposez-les lui non comme la peine de sa première faute, mais comme celle de son insensibilité : au reste, dans une éducation bien faite, ce dernier cas ne peut guère arriver ; il faudrait que l'enfant eut été bien gâté, pour que son âme se fût endurcie à ce point-là.

Je n'ai point parlé de l'obéissance, quoiqu'elle soit la base de toute éducation ; sans elle, il est impossible de fixer aucun principe dans l'esprit d'un enfant ; elle doit être établie dans son cœur avant même qu'il sache ce que c'est qu'obéir, et je l'ai supposée en parlant des devoirs précédents. Les enfants ne sont desobéissants qu'autant qu'on veut bien qu'ils le soient ; il n'en est aucun qui ose résister soit à ce qu'on lui ordonne soit à ce qu'on lui défend, quand il est sur d'être puni ; il ne faut pas souffrir qu'il balance ; la plus légère desobéissance doit être punie. Si dès la première enfance on ne l'accoutume point à suivre la raison d'autrui, on peut-être sur qu'il ne suivra pas la sienne quand il sera plus avancé en âge.

Au lieu de nourrir son orgueil en portant ses regards sur les avantages de sa fortune et de son rang, fixez-les sur son état présent ; faites lui voir qu'il est dépourvu de tout ce qui mérite l'estime des hommes ; qu'il n'a ni science, ni raison, ni vertus ; qu'il ne peut rien pour lui-même, et que personne n'a besoin de lui ; ne lui donnez point de titres et ne souffrez pas qu'on lui en donne ; s'il en a, il sera temps qu'il les connaisse quand il entrera dans le monde.

Qu'il soit attentif et poli, qu'il reçoive avec reconnaissance les bontés qu'on aura pour lui ; que personne ne soit son complaisant ni son adulateur : si son rang ne vous permet pas de le garantir de certains respects, qu'il sache que c'est à ses parents qu'ils s'adressent, et qu'ils sont le prix de leurs bienfaits ou de leurs vertus. Qu'il ne commande à personne, qu'il demande avec douceur, qu'il remercie avec politesse ; s'il commande, que tout le monde soit sourd, et que le mot je veux, s'il sort de sa bouche, soit un arrêt de refus prononcé par lui-même.

Qu'il ne soit point, comme tous les enfants, avide de recevoir, éloigné de donner : qu'il donne de bonne grâce, sinon qu'il soit privé de ce qu'il a refusé de donner ; qu'il reçoive difficilement, qu'il ne demande jamais. On ne peut lui apprendre trop tôt qu'il est humiliant de recevoir, qu'il est doux de donner, et que c'est un devoir pour ceux qui sont dans l'abondance par rapport à ceux qui sont dans le besoin.

S'il rencontre un pauvre ou un malheureux, qu'il lui donne quelque secours : s'il reçoit un service ou un présent de gens au-dessous de lui, qu'il les récompense ou leur rende au-delà de ce qu'il a reçu : s'il brise quelque chose qu'on lui aura confié, qu'il répare le dommage par un présent qui y soit supérieur ; que tout cela se fasse par ses mains et de son argent : c'est ainsi qu'on lui en apprendra l'usage, et qu'en même temps on lui inspirera les premiers sentiments d'humanité, de générosité, de justice. Puisqu'on donne de l'argent aux enfants, il ne faut pas que ce soit pour l'amasser, comme quelques parents l'exigent, ni pour le dépenser en fantaisies, comme c'est l'intention de beaucoup d'autres, à-moins qu'on n'ait envie de les rendre avares ou dissipateurs.

Il semble qu'on ne sache louer les enfants que sur leur esprit et sur leur figure : sont-ce là les objets qu'il faut leur présenter comme louables ? Veut-on les rendre fats, présomptueux, frivoles ? Ces louanges sont d'autant plus ridicules, qu'elles sont presque toujours fausses. Ce qu'il faut louer devant eux, ce sont les choses véritablement louables : ce qu'on doit louer en eux, c'est leur douceur, leur obéissance, leur exactitude à remplir leurs devoirs, leur respect et leur attachement pour les personnes qu'ils doivent aimer ; il ne faut les louer qu'autant qu'ils le méritent. Dites à votre élève que lorsqu'on loue un enfant sur son esprit et sur sa figure, c'est qu'on le méprise, et qu'on ne voit rien en lui qui mérite d'être loué.

Veillez sur les personnes qui l'approcheront ; ne le laissez jamais entre les mains des valets, ou d'autres gens imprudents et grossiers ; que l'entrée de sa chambre ne soit permise qu'à des personnes prudentes et polies, qui, quand elles joueront avec lui, sachent conserver de la décence ; et qui, lorsqu'elles lui parleront raison, ne s'écartent jamais de la morale la plus exacte.

Faites en sorte qu'il ne soit point dans le salon, quand il y aura beaucoup de monde ; il n'y trouverait que des complaisans ou des gens qui en feraient leur jouet : ni l'un ni l'autre ne doivent convenir à des parents sensés. Les exemples qu'il verrait ne seraient point assez bons ; les conversations qu'il entendrait ne seraient point assez exactes ; beaucoup d'actions sans conséquence, ne le sont point pour un enfant ; beaucoup de discours, irrepréhensibles pour des gens faits, pourraient l'induire en erreur. Peu de gens sont capables de sentir tout le respect qu'on doit à l'enfance ; aucun n'est capable de s'y plier, à-moins qu'il n'en fasse son unique affaire. Les parents eux-mêmes ne le pourraient pas ; et leurs discours et leurs exemples seraient un piège d'autant plus dangereux pour l'enfant, qu'il a plus de respect pour eux.

Il fera des fautes, il est de l'humanité d'en faire ; mais si vous êtes attentive, il en fera peu. Les enfants ne sont presque jamais punissables, qu'il n'y ait plus de la faute de ceux qui les conduisent que de la leur. Plus votre conduite sera égale et soutenue, moins il osera s'écarter de ce que vous lui prescrirez ; plus vous mettrez de douceur, d'affection et de bonté dans vos leçons et dans vos remontrances, plus il lui sera facîle de s'y conformer ; plus vous l'avertirez de ses devoirs, moins il sera en danger d'y manquer.

Il fera des fautes par ignorance, il oubliera ce que vous lui aurez dit, parce qu'on l'aura distrait ; il brisera ou renversera quelque chose par étourderie ; il ménagera peu ses vêtements. etc. Ces bagatelles viennent de l'âge, et ne tirent point à conséquence pour l'avenir : il faut l'en avertir ; mais il ne faut pas l'en punir, à-moins qu'il n'y eut mauvaise intention.

Une desobéissance, un trait d'humeur, un mot qui n'est pas conforme à la vérité, une parole malhonnête, un coup donné, une dispute avec ses frères ou sœurs, tout ce qui peut être le germe d'un vice, tout ce qui annonce de la bassesse ou de l'insensibilité ; voilà des fautes punissables.

Ces mêmes fautes deviendront des crimes du premier ordre, quand il y aura intention marquée, récidive ou habitude ; car il faut considérer les fautes d'un enfant, moins par ce qu'elles sont, que par leur principe et par les suites qu'elles peuvent avoir.

La punition des fautes legeres, ce sera d'en avertir les parents, et de les lui reprocher devant tout le monde. Il vous priera de n'en rien faire ; soyez inexorable : bien loin de dissimuler ses fautes, il faut les exagérer. Il faut le rendre sensible à la honte, si vous voulez qu'il le devienne à l'honneur. Les fautes les plus legeres deviendront graves, à mesure qu'il y sera moins sensible : ce sera, par exemple, un crime du premier ordre, que de n'avoir pas été sensible à la honte d'une petite faute.

La punition des grands crimes sera la privation des caresses de ses parents, même la privation totale du bonheur de les voir. On y joindra, suivant l'énormité de la faute, toutes les autres privations possibles, non comme ajoutant à la première, mais comme en étant la suite. L'enfant sera négligé dans son extérieur, comme il convient à un enfant disgracié de ses parents. Tout le monde saura qu'il est en disgrace, et tout le monde le fuira. Vous ne lui accorderez d'amusements qu'autant qu'il en faut pour l'empêcher de tomber dans la langueur et dans l'abattement. Vous-même vous serez froide avec lui, mais sans cesser d'être douce. Vous lui ferez faire sur son état les remarques les plus propres à le lui rendre amer ; vous lui rappellerez qu'il est puni, dans les moments où il serait le plus tenté de l'oublier. La durée de sa punition dépendra du besoin qu'il a d'être puni ; elle sera s'il le faut de plusieurs jours : il vaut mieux qu'elle soit plus longue, et n'être pas obligé d'y revenir. Il aura beau promettre d'être plus raisonnable, ses promesses ne seront point écoutées. Pour obtenir sa grâce, il faudra qu'il la mérite, et elle ne sera jamais accordée qu'à l'excès de sa douleur et à sa bonne conduite.

En lui annonçant que ses parents consentent de le revoir, faites lui valoir l'excès de leurs bontés ; rappelez-lui la grandeur de la faute qu'il avait commise ; attendrissez son âme, pour y porter plus avant la reconnaissance et le repentir. Dès que leurs caresses auront mis le sceau à son pardon, il rentrera en possession de son état naturel, et tout reprendra sa face accoutumée : mais ayez soin qu'il y ait une si grande différence entre cet état et celui de disgrace, que l'enfant tremble toujours d'encourir le dernier.

J'ai parlé de cette grande punition, persuadé qu'elle ne peut avoir lieu que rarement. Si l'on a été attentif à punir l'enfant des petites fautes, il ne s'exposera pas à en faire de plus grandes. A l'égard des verges, je n'en ai rien dit, parce qu'il n'en doit pas être question dans une éducation bien faite, si ce n'est peut-être dans le temps où la douleur est le seul langage que l'enfant puisse entendre ; ou bien lorsqu'ayant été précédemment gâté, soit parce qu'il a été malade, soit par négligence, il est parvenu à ce point d'opiniâtreté de dire affirmativement, non : alors, comme il est de la plus grande importance de ne lui pas céder, c'est avec la verge qu'il faut lui répondre. Il serait à souhaiter qu'on le fit sans humeur ; mais si je conseillais d'attendre que la colere fût passée, je serais sur que la faute serait oubliée, et que l'enfant ne serait pas puni. A l'âge où il est, il vaut mieux qu'il soit puni avec un peu d'humeur, que de ne l'être pas.

Dans tout autre cas, et dès que l'enfant est capable d'un sentiment honnête, les verges doivent être bannies. On n'en fait usage si souvent que par négligence, par humeur, ou par incapacité ; on rend ce châtiment inutîle par la manière dont on l'emploie ; on n'y attache pas assez de honte. Il faudrait qu'il fût l'annonce et le prélude de toutes les autres punitions possibles, que ces punitions lui fussent imposées parce qu'il s'est fait traiter comme un enfant sans âme et sans honneur : alors ce châtiment deviendrait pour lui un événement unique, dont la seule idée le ferait frémir ; au lieu que de la façon dont on s'y prend, il s'accoutume à cette punition comme à toute autre chose, et n'y gagne qu'un défaut de plus.

Les coups sont un châtiment d'esclave, et je veux que votre élève soit un enfant bien-né. Ménagez la sensibilité de son âme, et vous aurez mille moyens de le punir ou de le récompenser ; accoutumez-le à penser noblement, cela n'est pas si difficîle qu'on le croit. Le principe de l'honneur est dans les enfants comme dans les hommes faits, puisque l'amour-propre y est ; il n'est question que de le bien diriger, et de l'attacher invariablement à des objets honnêtes. Les enfants sont incapables de discussion ; ils ne jugent des choses que par le prix qu'on y met ; mettez à un haut prix celles que vous voudrez qu'il estime, et vous verrez qu'il les estimera ; faites-lui faire une chose louable pour mériter d'en faire une autre, c'est une excellente économie. Accordez-lui les choses de son âge, non comme bonnes, mais comme nécessaires à sa faiblesse ; refusez-les lui, non comme estimables, mais parce qu'il les aime, et qu'on ne doit point avoir d'indulgence pour un enfant qui se conduit mal ; ne les lui proposez jamais comme des récompenses dignes de lui ; cherchez ces récompenses dans des objets qu'il doive aimer, et dont il doive faire cas toute sa vie ; placez-les dans les caresses de ses parents, dans quelque devoir de religion qu'il n'ait point encore rempli, dans quelque action supérieure à son âge qu'il n'ait point encore faite, dans le plaisir d'apprendre quelque chose qu'il ignore, dans la considération, dans l'estime, dans les louanges ; car il faut lui faire aimer les louanges pour l'amener au goût des choses louables.

Quand il s'est distingué par quelque qualité louable, qu'est-ce qui empêcherait qu'on ne lui donnât un surnom qui exprimât cette qualité ; qu'on ne l'appelât le raisonnable, le véridique, le bienfaisant, le poli ; qu'on ne lui écrivit, soit pour le louer de ce qu'il aurait fait de bien, soit pour lui reprocher ses défauts, en mettant en tête de la lettre les titres qu'il aurait mérités, ou en le menaçant de les lui supprimer, s'il continuait à s'en rendre indigne ?

C'est ainsi qu'on peut élever son âme au-dessus des sentiments de son âge ; échauffée par l'émulation et par l'amour de la gloire, elle s'ouvrira d'elle-même à toutes les semences de raison et de vertu que vous y voudrez répandre ; toute l'activité qui l'aurait entrainée vers le mal, la portera vers le bien ; à-mesure que vous y verrez croitre les semences précieuses que vous y aurez versées, cultivez-les par les mêmes moyens que vous les aurez fait naître. Caressez, louez, applaudissez. Dès que de son propre mouvement il aura fait ou pensé quelque chose de louable, imaginez-en quelqu'autre à lui faire faire pour le récompenser. Que tout le monde vienne lui faire compliment avec un air de considération. J'ai recommandé aux parents d'aller rarement chez leurs enfants, et d'être ménagers de leurs caresses, mais ceci est un cas à part ; c'est le seul où il leur soit permis de laisser éclater toute leur tendresse ; puisque l'enfant a été capable d'un sentiment vertueux, il faut pour l'instant le regarder comme un homme fait, et aller dans sa chambre lui rendre l'hommage qu'on doit à la sagesse et à la vertu.

Quand l'enfant sera près de sortir de vos mains, ne vous relâchez en rien de vos soins ni de votre attention. Ne souffrez pas qu'il s'écarte de la soumission accoutumée. C'est une chose aussi déraisonnable qu'ordinaire, de préparer un enfant par plus d'indépendance à un état plus subordonné.

J'ai parlé des mœurs de l'enfant ; je parlerai de son esprit au mot INSTITUTION, et ce ne sera qu'alors que je pourrai dire mon avis sur le choix d'une gouvernante. Article de M. LEFEBVRE.




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