(Jurisprudence anglaise) loi commune à tous les sujets anglais, et qui donne à un prisonnier la facilité d'être élargi sous caution.

Pour bien entendre cette loi, il faut savoir que lorsqu'un Anglais est arrêté, à-moins que ce ne soit pour crime digne de mort, il envoye une copie du mittimus au chancelier, ou à quelque juge de l'échiquier que ce sait, lequel est obligé, sans déplacer, de lui accorder l'acte nommé habeas corpus. Sur la lecture de cet acte, le geolier ou concierge doit amener le prisonnier, et rendre compte des raisons de sa détention au tribunal auquel l'acte est renvoyé. Alors le juge prononce si le prisonnier est dans le cas de pouvoir donner caution ou non ; s'il n'est pas dans le cas de la donner, il est renvoyé dans la prison ; s'il en a le droit, il est renvoyé sous caution.

C'est un des plus beaux privilèges dont une nation libre puisse jouir ; car en conséquence de cet acte, les prisonniers d'état ont le droit de choisir le tribunal où ils veulent être jugés, et d'être élargis sous caution, si on n'allegue point la cause de leur détention, ou qu'on diffère de les juger.

Cette loi nécessaire pour prévenir les emprisonnements arbitraires dont un roi se servirait pour se rendre absolu, pourrait avoir de fâcheuses suites dans les cas extraordinaires, par exemple dans une conspiration, où l'observation exacte des formalités favoriserait les mal-intentionnés, et assurerait aux personnes suspectes la facilité d'exécuter leurs mauvais desseins. Il semble donc que dans des cas de cette nature le bien public demande qu'on suspende la loi pour un certain temps ; et en effet depuis son établissement, elle l'a été quelquefois en Angleterre.

Elle le fut pour un an en 1722, parce qu'il y avait des bruits d'une conspiration formée contre le roi George I. et contre l'état. Les seigneurs qui opinèrent alors dans la chambre haute pour cette suspension, dirent que quand un acte devenait contraire au bien public par des circonstances rares et imprévues, il fallait nécessairement le mettre à l'écart pour un certain temps ; que dans la République Romaine composée du pouvoir royal, de celui des nobles, et de celui du peuple représenté par le sénat et les tribuns, les consuls n'avaient qu'un pouvoir assez limité ; mais qu'au premier bruit d'une conspiration, ces magistrats étaient dès-lors revêtus d'une autorité suprême, pour veiller à la conservation de la république. Cependant d'autres seigneurs attaquèrent la suspension en général, et plus encore la durée, à laquelle ils s'opposèrent par de fortes raisons. Ils soutinrent qu'un tel bill accordait au roi d'Angleterre un pouvoir aussi grand que l'était celui d'un dictateur romain ; qu'il faudrait que personne ne fût arrêté, qu'on ne lui nommât le délateur qui l'aurait rendu suspect, afin qu'il parut que la conspiration ne servait pas de couverture à d'autres sujets de mécontentement ; que l'acte habeas corpus n'avait pas encore été suspendu pour plus de six mois ; qu'en le suspendant pour un an, on autoriserait par ce funeste exemple le souverain à en demander la prorogation pour une seconde année ou davantage : au moyen de quoi l'on anéantirait insensiblement l'acte qui assurait mieux que tout autre la liberté de la nation.

" Il est vrai, dit à ce sujet l'auteur de l'Esprit des lois, que si la puissance législative laisse à l'exécutrice le droit d'emprisonner des citoyens qui pourraient donner caution de leur conduite, il n'y a plus de liberté ; mais s'ils ne sont arrêtés que pour répondre sans délai à une accusation que la loi a rendu capitale, alors ils sont réellement libres, puisqu'ils ne sont soumis qu'à la puissance de la loi. Enfin si la puissance législative se croit en danger par quelque conspiration secrète contre l'état, ou quelque intelligence avec les ennemis du dehors, elle peut, pour un temps court et limité, permettre à la puissance exécutrice de faire arrêter les citoyens suspects, qui ne perdront leur liberté pour un temps, que pour la conserver pour toujours ". (D.J.)