adj. en Droit, signifie en général quiconque est éloigné de son domicile.

ABSENT, en matière de prescription, se dit de celui qui est dans une autre province que celle où est le possesseur de son héritage. Voyez PRESCRIPTION et PRESENT. Les absens qui le sont pour l'intérêt de l'état, sont réputés présents, quoties de commodis eorum agitur.

Lorsqu'il s'agit de faire le partage d'une succession où un absent a intérêt, il faut distinguer s'il y a une certitude probable qu'il soit vivant, ou si la probabilité au contraire est qu'il soit mort. Dans le premier cas il n'y a qu'à le faire assigner à son dernier domicile, pour faire ordonner avec lui qu'il sera procédé au partage. Dans l'autre cas, ses co-héritiers partageront entr'eux la succession, mais en donnant caution pour la part de l'absent. Mais la mort ne se présume pas sans de fortes conjectures ; et s'il reste quelque probabilité qu'il puisse être vivant, on lui réserve sa part dans le partage, et on en laisse l'administration à son héritier présomptif, lequel aussi est obligé de donner caution. (H)

Lorsque M. Nicolas Bernoulli, neveu des célèbres Jacques et Jean Bernoulli, soutint à Bâle en 1709 sa thèse de docteur en Droit ; comme il était grand Géomètre, aussi-bien que Jurisconsulte, il ne put s'empêcher de choisir une matière qui admit de la Géométrie. Il prit donc pour sujet de sa thèse, de usu artis conjectandi in Jure, c'est-à-dire, de l'application du calcul des probabilités aux matières de Jurisprudence ; et le troisième chapitre de cette thèse traite du temps où un absent doit être réputé pour mort. Selon lui, il doit être censé tel, lorsqu'il y a deux fois plus à parier qu'il est mort que vivant. Supposons donc un homme parti de son pays à l'âge de vingt ans ; et voyons, suivant la théorie de M. Bernoulli, en quel temps il peut être censé mort.

Suivant les tables données par M. Deparcieux de l'Académie Royale des Sciences, de 814 personnes vivantes à l'âge de 20 ans, il n'en reste à l'âge de 72 ans que 271, qui sont à peu près le tiers de 814 ; donc il en est mort les deux tiers depuis 20 jusqu'à 72 ; c'est-à-dire, en 52 ans ; donc au bout de 52 ans il y a deux fois plus à parier pour la mort que pour la vie d'un homme qui s'absente et qui disparait à 20 ans. J'ai choisi ici la table de M. Deparcieux, et je l'ai préférée à celle dont M. Bernoulli parait s'être servi, me contentant d'y appliquer son raisonnement : mais je crois notre calcul trop fort en cette occasion à un certain égard, et trop faible à un autre ; car 1°. d'un côté la table de M. Deparcieux a été faite sur des rentiers de tontines qui, comme il le remarque lui-même, vivent ordinairement plus que les autres, parce que l'on ne met ordinairement à la tontine que quand on est assez bien constitué pour se flatter d'une longue vie. Au contraire, il y a à parier qu'un homme qui est absent, et qui depuis longtemps n'a donné de ses nouvelles à sa famille, est au moins dans le malheur ou dans l'indigence, qui joints à la fatigue des voyages, ne peuvent guère manquer d'abreger les jours. 2°. D'un autre côté je ne vois pas qu'il suffise pour qu'un homme soit censé mort, qu'il y ait seulement deux contre un à parier qu'il l'est, surtout dans le cas dont il s'agit. Car lorsqu'il est question de disposer des biens d'un homme, et de le dépouiller sans autre motif que sa longue absence, la loi doit toujours supposer sa mort certaine. Ce principe me parait si évident et si juste, que si la table de M. Deparcieux n'était pas faite sur des gens qui vivent ordinairement plus longtemps que les autres, je croirais que l'absent ne doit être censé mort que dans le temps où il ne reste plus aucune des 814 personnes âgées de vingt ans, c'est-à-dire à 93 ans. Mais comme la table de M. Deparcieux serait dans ce cas trop favorable aux absens, on pourra ce me semble faire une compensation, en prenant l'année où il ne reste que le quart des 814 personnes, c'est-à-dire environ 75 ans. Cette question serait plus facîle à décider si on avait des tables de mortalité des voyageurs : mais ces tables nous manquent encore, parce qu'elles sont très-difficiles, et peut-être impossibles dans l'exécution.

M. de Buffon a donné à la fin du troisième volume de son Histoire naturelle, des tables de la durée de la vie plus exactes et plus commodes que celles de M. Deparcieux, pour résoudre le probleme dont il s'agit, parce qu'elles ont été faites pour tous les hommes sans distinction, et non pour les rentiers seulement. Cependant ces tables seraient peut-être encore un peu trop favorables aux voyageurs, qui doivent généralement vivre moins que les autres hommes : c'est pourquoi au lieu d'y prendre les 4/5 comme nous avons fait dans les tables de M. Deparcieux, il serait bon de ne prendre que les 5/6, ou peut-être les 7/8. Le calcul en est aisé à faire ; il nous suffit d'avoir indiqué la méthode. (O)

* D'ailleurs, la solution de ce problême suppose une autre théorie sur la probabilité morale des événements, que celle qu'on a suivie jusqu'à présent. En attendant que nous exposions à l'article PROBABILITE cette théorie nouvelle qui est de M. de Buffon, nous allons mettre le lecteur en état de se satisfaire lui-même sur la question présente des absens réputés pour morts, en lui indiquant les principes qu'il pourrait suivre. Il est constant que quand il s'agit de décider par une supposition du bien-être d'un homme qui n'a contre lui que son absence, il faut avoir la plus grande certitude morale possible que la supposition est vraie. Mais comment avoir cette plus grande certitude morale possible ? où prendre ce maximum ? comment le déterminer ? Voici comment M. de Buffon veut qu'on s'y prenne ; et l'on ne peut douter que son idée ne soit très-ingénieuse, et ne donne la solution d'un grand nombre de questions embarrassantes, telles que celles du problème sur la somme que doit parier à croix ou pîle un joueur A contre un joueur B qui lui donnerait un écu, si lui B amenait pîle du premier coup ; deux écus, si lui B amenait encore pîle au second coup ; quatre écus, si lui B amenait encore pîle au troisième, et ainsi de suite : car il est évident que la mise de A doit être déterminée sur la plus grande certitude morale possible que l'on puisse avoir que B ne passera pas un certain nombre de coups ; ce qui fait rentrer la question dans le fini, et lui donne des limites. Mais on aura dans le cas de l'absent la plus grande certitude morale possible de sa mort, ou d'un événement en général, par celui où un nombre d'hommes serait assez grand pour qu'aucun ne craignit le plus grand malheur, qui devrait cependant arriver infailliblement à un d'entre-eux. Exemple : prenons dix mille hommes de même âge, de même santé, etc. parmi lesquels il en doit certainement mourir un aujourd'hui : si ce nombre n'est pas encore assez grand pour délivrer entièrement de la crainte de la mort chacun d'eux, prenons-en vingt. Dans cette dernière supposition, le cas où l'on aurait la plus grande certitude morale possible qu'un homme serait mort, ce serait celui où de ces vingt mille hommes vivants, quand il s'est absenté, il n'en resterait plus qu'un.

Voilà la route qu'on doit suivre ici et dans toutes autres conjonctures pareilles, où l'humanité semble exiger la supposition la plus favorable.