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Catégorie parente: Morale
Catégorie : Drogues
S. f. (Histoire naturelle, Drogues) la manne ordinaire des boutiques est un suc concret, blanc, ou jaunâtre, tenant beaucoup de la nature du sucre et du miel, et se fondant dans l'eau ; ce suc est gras, doué d'une vertu laxative, d'un goût douceâtre, mielleux, tant-sait-peu âcre, d'une odeur faible et fade. Il sort sans incision ou par incision, à la manière des gommes, du tronc, des grosses branches, et des feuilles de quelques arbres, en particulier des frênes cultivés ou non cultivés, qu'on appelle ornes ; arbres qui croissent en abondance dans la Calabre, en Sicile, et dans la Pouille, près du mont Saint-Ange, le Garganus des anciens.

Par la définition que nous venons de donner, on voit bien qu'il s'agit ici de ce suc mielleux, dont on fait grand usage en médecine, et qu'il ne s'agit point ni de la manne d'encens, ni de la manne céleste, ni de la graine que l'on appelle manne, et qui vient d'une espèce de chiendent bon à manger, nommé par C. B. P. 8. Gramen Dactyloïdes, esculentum.

Les Grecs anciens, les Latins et les Arabes, semblent avoir fait mention de la manne, mais très-obscurément, et comme d'un miel de rosée, qu'on cueillait, dit assez bien Amyntas, sur des feuilles d'arbres. Pline parle de ce suc mielleux avec peu de vérité, quoiqu'agréablement. Les Arabes n'ont guère été plus heureux dans leurs écrits sur les miels de rosée.

Enfin Angelo Palea, et Barthélemi de la Vieuville, franciscains, qui ont donné un commentaire sur Mesué, l'an 1543, sont les premiers qui ont écrit que la manne était un suc épaissi du frêne, soit de l'ordinaire, soit de celui qu'on appelle sauvage.

Donat-Antoine Altomarus, médecin et philosophe de Naples, qui a été fort célèbre l'an 1558, a confirmé ce sentiment par les observations suivantes. 1°. La manne est donc proprement, dit-il, le suc et l'humeur des frênes et de quelques autres arbres, que l'on recueille tous les ans pendant plusieurs jours de suite dans la canicule ; car ayant fait couvrir les frênes de toiles, ou d'étoffes de laine, pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, en sorte que la rosée ne pouvait tomber dessus, on ne laissa pas d'y trouver et d'y recueillir de la manne pendant ce temps-là ; or cela n'aurait pu être, si elle ne provenait pas des arbres mêmes.

2°. Tous ceux qui recueillent la manne reconnaissent qu'après l'avoir ramassée, il en sort encore des mêmes endroits, d'où elle découle peu-à-peu, et s'épaissit ensuite par la chaleur du soleil.

3°. On rapporte qu'aux troncs des frênes il s'élève souvent sur l'écorce comme de petites vésicules, ou tubercules remplis d'une liqueur blanche, douce et épaisse, qui se change en une excellente manne.

4°. Si on fait des incisions dans ces arbres, et que dans l'endroit où elles ont été faites on y trouve le même suc épaissi et coagulé, qui osera douter que ce ne soit le suc de ces arbres qui a été porté à leurs branches et à leurs tiges ?

5°. Cette vérité est encore confirmée par le rapport de ceux du pays, qui assurent avoir Ve de leurs propres yeux, des cigales, ou d'autres animaux qui avaient percé l'écorce de ces arbres, et en suçaient les larmes qui en découlaient ; et que les ayant chassés, il était sorti une nouvelle manne par ces trous et ces ouvertures.

6°. J'ai connu (c'est toujours Altomarus qui parle) des hommes dignes de créance, qui m'ont assuré qu'ils avaient coupé plusieurs fois des frênes sauvages pour en faire des cerceaux ; et qu'après les avoir fendus et les avoir exposés au soleil, ils avaient trouvé dans le bois même, une assez grande quantité de manne.

7°. Ceux qui font du charbon ont souvent remarqué que la chaleur du feu fait sortir de la manne des frênes voisins.

Le même auteur observe que quoiqu'il vienne beaucoup de manne sur le frêne, il ne s'en trouve jamais sur les feuilles du frêne sauvage ; qu'il ne s'en trouve que très-rarement sur ses branches ou sur ses rejetons, et que l'on n'en recueille que sur le tronc même, ou sur les branches un peu grosses. La cause de cela est peut-être, que comme le frêne sauvage ne croit que sur des pierres, et dans des lieux arides et montueux, il est plus sec de sa nature ; c'est pourquoi il ne contient pas une si grande quantité de suc, et le suc qu'il a n'est point assez faible ni assez délié pour arriver jusqu'aux feuilles et aux petites branches ; de plus, cet arbre est raboteux et plein de nœuds, de sorte qu'avant que le suc arrive jusqu'à ses feuilles et à ses petits rejetons, il est totalement absorbé entre l'écorce du tronc et les grosses branches.

Altomarus ajoute que l'on recueille encore de la manne tous les ans, des frênes qui en ont donné pendant trente ou quarante ans ; de sorte qu'il se trouve toujours des gens qui en achetent dans l'espérance d'en tirer ce revenu annuel. Il y a aussi quelques arbres qui croissent dans le même lieu, et qui sont de la même espèce, sur lesquels cependant on ne trouve point de manne.

Ces observations d'Altomarus ont été confirmées par Goropius dans son livre qui a pour titre Niloscopium, par Lobel, Pena, la Coste, Consentin, Paul Boccone, et plusieurs autres, qui s'en sont plus rapportés à leurs yeux qu'à l'autorité des auteurs.

La manne est donc une espèce de gomme, qui d'abord est fluide lorsqu'elle sort des différentes plantes, et qui ensuite s'épaissit, et se met en grumeaux sous la forme de sel essentiel huileux.

On la trouve non-seulement sur les frênes, mais quelquefois aussi sur le mélèse, le pin, le sapin, le chêne, le genèvrier, l'érabe, le saule, l'olivier, le figuier et plusieurs autres arbres.

Elle est de différente espèce, selon sa consistance, sa forme, le lieu où on la recueille, et les arbres d'où elle sort : car l'une est liquide et de consistance de miel ; l'autre est dure et en grains ; on l'appelle manne en grains. Celle-ci est en grumeaux ou par petites masses, et on l'appelle manne en marons. Celle-là est en larmes, ou ressemble à des gouttes d'eau pendantes, ou à des stalactites, elle s'appelle alors vermiculaire, ou bombycine. On distingue encore la manne orientale, qui vient de la Perse et de l'Arabie ; la manne européenne, qui croit dans la Calabre et à Briançon ; la manne de cédre, de frêne, du mélèse, etc. la manne alhagine, et plusieurs autres.

A l'égard du lieu d'où on apporte la manne, on la divise en orientale et européenne : la première nous est apportée de l'Inde, de la Perse et de l'Arabie, et elle est de deux sortes, la manne liquide, qui a la consistance de miel, et la manne dure. Plusieurs ont fait mention de la manne liquide. Robert Consentin et Belon rapportent qu'on l'appelle en Arabie tereniabin, qui est un nom fort ancien. Ils craient que c'est le d'Hippocrate, ou le miel cédrin, et la rosée du mont Liban, dont Galien fait mention.

Belon dans ses observations, remarque que les moines ou les caloyers du mont Sina, ont une manne liquide qu'ils recueillent sur leurs montagnes, et qu'ils appellent aussi tereniabin, pour la distinguer de la manne dure. Garcias et Césalpin disent que l'on trouve aussi cette manne chez les Indiens, et même en Italie sur le mont Apennin ; qu'elle est semblable au miel blanc purifié, et se corrompt facilement. Cette manne liquide ne diffère de la manne dure que par sa fluidité ; car celle qui est solide a d'abord été fluide, elle ne s'épaissit point si le temps est humide ; on ne nous en fournit plus à présent.

Avicenne, Garcias et Acosta parlent encore de plusieurs espèces de mannes dures, qu'ils n'ont pas distinguées avec assez de soin. Cependant on en compte particulièrement trois espèces ; savoir, celle que l'on appelle manne en grains, manna mastichina, parce qu'elle est par grains très-durs, comme les grains de mastic ; celle que l'on appelle bombycine, manna bombycina, qui s'est durcie en larmes, ou en grumeaux longs et cylindriques, semblables à des vers à soie, et qui est par petites masses, telle qu'était la manne d'Athénée, ou le miel céleste des anciens, que l'on apportait en masses. Telle est aujourd'hui la manne que l'on apporte par grumeaux, appelée communément manne en marons.

La manne européenne est de plusieurs sortes ; savoir, celle d'Italie ou de Calabre, celle de Sicile, et celle de France ou de Briançon. Ces espèces de mannes ne sont point liquides.

Si on considère les arbres sur lesquels on recueille la manne, elle a encore différents noms. L'une s'appelle cédrine ; c'est celle d'Hippocrate : Galien et Belon en font mention. L'autre est nommée manne de chêne, dont parle Théophraste. Celle-ci manne de frêne, qui est fort en usage parmi nous. Celle-là manne du mélèse, que l'on trouve dans le territoire de Briançon. Une autre manne alhagine, dont ont parlé quelques arabes et Rauwolfius.

De toutes ces espèces de mannes, nous ne faisons usage que de celle de Calabre ou de Sicile, que l'on recueille dans ces pays-là sur quelques espèces de frêne.

La manne de Calabre, manna Calabra, est un suc mielleux, qui est tantôt en grains, tantôt en larmes, par grumeaux ; et de figure de stalactites, friable et blanc, lorsqu'il est récent ; il devient roussâtre à la longue, se liquéfie, et acquiert la consistance de miel par l'humidité de l'air ; il a le goût du sucre avec un peu d'âcreté.

La meilleure manne est celle qui est blanche ou jaunâtre, légère, en grains, ou par grumeaux creux, douce, agréable au gout, et la moins mal-propre. On rejette celle qui est grasse, mielleuse, noirâtre et sale. C'est mal-à-propos que quelques personnes préfèrent celle dont la substance est grasse et mielleuse, et que l'on appelle pour cela manne grasse, puisque ce n'est le plus souvent qu'une manne gâtée par l'humidité de l'air, ou bien parce que les caisses où elle a été apportée, ont été mouillées par l'eau de la mer ou par l'eau de la pluie, ou de quelque autre manière. Souvent même cette manne grasse n'est autre chose qu'un suc épais mélé avec le miel et un peu de scammonée ; c'est ce qui fait que cette manne est mielleuse et purge fortement.

On rejette aussi certaines masses blanches, mais opaques, dures, pesantes, qui ne sont point en stalactites. Ce n'est que du sucre et de la manne que l'on a fait cuire ensemble, jusqu'à la consistance d'un électuaire solide ; mais il est aisé de distinguer cette manne artificielle de celle qui est naturelle, car elle est compacte, pesante, d'un blanc opaque, et d'un goût tout différent de celui de la manne.

Dans la Calabre et la Sicile, pendant les chaleurs de l'été, la manne coule d'elle-même, ou par incision, des branches et des feuilles du tronc ordinaire, et elle se durcit par la chaleur du soleil, en grains ou en grumeaux. Celle qui coule d'elle-même s'appelle spontanée : celle qui ne sort que par incision est appelée par les habitants de la Calabre, forzata ou forzatella, parce qu'on ne peut l'avoir qu'en faisant une incision à l'écorce de l'arbre. On appelle manna di fronde, c'est-à-dire manne des feuilles, celle que l'on recueille sur les feuilles ; et manna di corpo, celle que l'on tire du tronc de l'arbre.

En Calabre, la manne coule d'elle-même dans un temps serein, depuis le 20 de Juin jusqu'à la fin de Juillet, du tronc et des grosses branches des arbres. Elle commence à couler sur le midi, et elle continue jusqu'au soir sous la forme d'une liqueur très-claire ; elle s'épaissit ensuite peu-à-peu, et se forme en grumeaux, qui durcissent et deviennent blancs. On ne les ramasse que le matin du lendemain, en les détachant avec des couteaux de bois, pourvu que le temps ait été sérain pendant la nuit ; car s'il survient de la pluie ou du brouillard, la manne se fond, et se perd entièrement. Après que l'on a ramassé les grumeaux on les met dans des vases de terre non vernissés ; ensuite on les étend sur du papier blanc, et on les expose au soleil jusqu'à ce qu'ils ne s'attachent plus aux mains. C'est là ce qu'on appelle la manne choisie du tronc de l'arbre.

Sur la fin de Juillet, lorsque cette liqueur cesse de couler, les paysans font des incisions dans l'écorce des deux sortes de frêne jusqu'au corps de l'arbre ; alors la même liqueur découle encore depuis midi jusqu'au soir, et se transforme en grumeaux plus gros. Quelquefois ce suc est si abondant, qu'il coule jusqu'au pied de l'arbre, et y forme de grandes masses qui ressemblent à de la cire ou à de la résine. On les y laisse pendant un ou deux jours, afin qu'elles se durcissent ; ensuite on les coupe par petits morceaux, et on les fait sécher au soleil. C'est là ce qu'on appelle la manne tirée par incision, forzata et forzatella. Sa couleur n'est pas si blanche ; elle dévient rousse, et souvent même noire, à cause des ordures et de la terre qui y sont mélées.

La troisième espèce de manne est celle que l'on recueille sur les feuilles du frêne, et que l'on appelle manna di fronde. Au mois de Juillet et au mois d'Aout, vers le midi, on la voit paraitre d'elle-même, comme de petites gouttes d'une liqueur très-claire, sur les fibres nerveuses des grandes feuilles, et sur les veines des petites. La chaleur fait sécher ces gouttes, et elles se changent en petits grains blancs de la grosseur du millet, ou du froment. Quoique l'on ait fait autrefois un grand usage de cette manne recueillie sur les feuilles, cependant on en trouve très-rarement dans les boutiques d'Italie, à cause de la difficulté de la ramasser.

Les habitants de la Calabre mettent de la différence entre la manne tirée par incision des arbres qui en ont déjà donné d'eux-mêmes, et de la manne tirée par incision des frênes sauvages, qui n'en donnent jamais d'eux-mêmes. On croit que cette dernière est bien meilleure que la première ; de même que la manne qui coule d'elle-même du tronc est bien meilleure que les autres. Quelquefois après que l'on a fait l'incision dans l'écorce des frênes, on y insere des pailles, des chalumeaux, des fétus, ou de petites branches. Le suc qui coule le long de ces corps s'épaissit, et forme de grosses gouttes pendantes ou stalactites, que l'on ôte quand elles sont assez grandes ; on en retire la paille, et on les fait secher au soleil ; il s'en forme des larmes très-belles, longues, creuses, légères, comme cannelées en dedans, blanchâtres, et tirant quelquefois sur le rouge. Quand elles sont seches, on les renferme bien précieusement dans des caisses. On estime beaucoup cette manne stalactite, et avec raison ; car elle ne contient aucune ordure. On l'appelle communément chez nous, manne en larmes.

Après la manne en larmes, on fait plus de cas dans nos boutiques de la manne de Calabre, et de celle qu'on recueille dans la Pouille près du mont Saint-Ange, quoiqu'elle ne soit pas fort seche, et qu'elle soit un peu jaune. On place après celle-là, la manne de Sicile, qui est plus blanche et plus seche. Enfin, la moins estimée est celle qui vient dans le territoire de Rome, appelée la tolpha, près de Civita-vecchia, qui est seche, plus opaque, plus pesante, et moins chère.

Nous avons ci-dessus nommé en passant, la manne de Briançon : on l'appelle ainsi parce qu'elle découle près de Briançon en Dauphiné. Cette manne est blanche, et divisée en grumeaux, tantôt de figure sphérique, tantôt de la grosseur de la coriandre, tantôt un peu longs et gros. Elle est douce, agréable, d'un goût de sucre un peu résineux ; mais on en fait rarement usage, parce qu'elle est beaucoup moins purgative que celle d'Italie.

Les feuilles du mélèse transudent aussi quelquefois dans les pays chauds une espèce de manne au fort de l'été ; mais cela n'arrive que quand l'année est chaude et seche, et point autrement. On a bien de la peine à séparer cette espèce de manne, quand il y en a sur des feuilles du mélèse, où elle est fortement attachée. Les paysans pour la recueillir, vont le matin abattre à coups de hache, les branches de cet arbre, les mettent par monceaux, et les gardent à l'ombre. Le suc qui est encore trop mou pour pouvoir être cueilli, s'épaissit, et se durcit dans l'espace de vingt-quatre heures ; alors on le ramasse, on l'expose au soleil pour qu'il se seche entièrement, et on en sépare autant que l'on peut, les petites feuilles qui s'y trouvent mélées. Cette récolte est des plus chétives.

Enfin nous avons remarqué qu'on connaissait en Orient la manne alhagine : elle est ainsi nommée parce qu'on la tire de l'arbrisseau alhagi. Voyez ce qu'on a dit de la manne alhagine en décrivant l'arbuste. J'ajouterai seulement que la manne alhagine ne serait pas d'une moindre vertu que celle de Calabre, si elle était ramassée proprement, et nettoyée des ordures et des feuilles dont elle est chargée.

Le célèbre Tournefort ne doute point que cette manne orientale ne soit la même que le tereniabin de Sérapion et d'Avicenne, qui ont écrit qu'il tombait du ciel comme une rosée, sur certains arbrisseaux chargés d'épines. En effet, l'alhagi jette de petites branches sans nombre, hérissées de toutes parts d'épines de la longueur d'un pouce, très-aiguès, grêles et flexibles. D'ailleurs il croit abondamment en Egypte, en Arménie, en Géorgie, en Perse surtout, autour du mont Ararat et d'Ecbatane, et dans quelques îles de l'Archipel.

Je finis ici cet article, qui méritait quelque étendue, parce que l'origine de la manne est fort curieuse, parce que les anciens ne l'ont point découverte, et parce qu'enfin ce suc concret fournit à la médecine, le meilleur purgatif lénitif qu'elle connaisse, convenable à tout âge, en tout pays, à tout sexe, à toute constitution, et presque en toutes sortes de maladies. (D.J.)

MANNE, (Histoire naturelle Chim. Pharm. et mat. méd.) man ou manna est un mot hébreu, chaldaïque, arabe, grec et latin, que nous avons aussi adopté, et qui a été donné, dit Geoffroy, à quatre sortes de substances. Premièrement à la nourriture que Dieu envoya aux Juifs dans le désert ; ou plus anciennement encore, à un suc épais, doux, et par conséquent alimenteux, que les peuples de ces contrées connaissaient déjà, et qu'ils imaginaient tomber du ciel sur les feuilles de quelques arbres. Car, lorsque cette rosée céleste fut aperçue pour la première fois par les Israélites, ils se dirent les uns aux autres, man-hu, qui signifie, selon Saumaise, c'est de la manne. Ce peuple se trompa cependant, en jugeant sur cette ressemblance ; car, selon le témoignage incontestable de l'historien sacré, l'aliment que Dieu envoya aux Israélites dans le désert, leur fut miraculeusement accordé, par une protection toute particulière de sa providence ; au lieu que le suc mielleux dont ils lui donnèrent le nom, était, comme nous l'avons déjà remarqué, une production toute naturelle de ce climat, où elle est encore assez commune aujourd'hui.

Voilà donc déjà deux substances différentes qu'on trouve désignées par le nom de manne.

Les anciens Grecs ont donné aussi très-communément ce nom à une matière fort différente de celle-ci ; savoir à l'oliban ou encens à petits grains. Voyez ENCENS.

Enfin, quelques Botanistes ont appelé manne, la graine d'un certain gramen, bon à manger, et connu sous le nom de gramen dactyloides esculentum, gramen mannae esculentum, etc.

Nous ne donnons aujourd'hui le nom de manne, qu'à une seule matière ; savoir à un corps concret, mielleux, d'une couleur matte et terne, blanche ou jaunâtre, d'une odeur dégoutante de drogue, qu'on ramasse dans différentes contrées, sur l'écorce et sur les feuilles de plusieurs arbres.

Le chapitre de la manne de la matière médicale de Geoffroi, est plein de recherches et d'érudition. Cet auteur a ramassé tout ce que les auteurs anciens et modernes ont écrit de la manne. Il prouve par des passages tirés d'Aristote, de Théophraste, de Dioscoride, de Galien, d'Hippocrate, d'Amynthas, de Pline, de Virgile, d'Ovide, d'Avicenne et de Serapion, que tous ces auteurs, grecs, latins et arabes, ont fort bien connu notre manne, sous les noms de miel, de miel de rosée, de miel céleste, d'huîle mielleuse, etc. et que la plupart ont avancé que cette matière tombait du ciel, ou de l'air. Pline, par exemple, met en question, si son miel en rosée est une espèce de sueur du ciel, de salive des astres, ou une sorte d'excrément de l'air.

Ce préjugé sur l'origine de la manne, n'a été détruit que depuis environ deux siècles. Ange Palea, et Barthélemi de la Vieux-ville, franciscains, qui ont donné un commentaire sur Mesué en 1543, ont été les premiers qui ont écrit que la manne était un suc épaissi du frêne. Donat-Antoine Altomarus, médecin et philosophe de Naples, qui a été fort célèbre, vers l'année 1558, a confirmé ce sentiment par des observations décisives, dont voici le précis.

Premièrement, ayant fait couvrir des frênes de toiles ou d'étoffes de laine, pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, en sorte que la rosée ne pouvait tomber dessus, on ne laissa pas d'y trouver et d'y recueillir de la manne pendant ce temps-là.

Secondement, ceux qui recueillent la manne, reconnaissent qu'après l'avoir ramassée, il en sort encore des mêmes endroits d'où elle découle peu-à-peu, et s'épaissit ensuite par la chaleur du soleil.

Traisiemement, si on sait des incisions dans ces arbres, il en découle quelquefois de la véritable manne.

Quatriemement, les gens du pays assurent avoir Ve des cigales, ou d'autres animaux, qui avaient percé l'écorce de ces arbres, et que les ayant chassés, il était sorti de la manne par le trou qu'ils y avaient fait.

Cinquiemement, ceux qui font du charbon, ont souvent remarqué que la chaleur du feu fait sortir de la manne des frênes voisins.

Sixiemement, il y a dans un même lieu des arbres qui donnent de la manne, et d'autres qui n'en donnent point.

Ces observations d'Altomarus ont été confirmées par Goropius, dans son livre intitulé Niloscopium, par Lobel, Penna, la Coste, Corneille Consentin, Paul Boccone et plusieurs autres naturalistes. Extrait de la mat. méd. de Geoffroy.

C'est un point d'histoire naturelle très-décidé aujourd'hui, que la manne n'est autre chose qu'un suc végetal, de la classe des corps muqueux, qui découle soit de lui-même, soit par incision, de l'écorce et des feuilles de certains arbres.

On la trouve principalement sur les frênes, assez communément sur les melèses, quelquefois sur le pin, le sapin, le chêne, le genévrier, l'olivier ; on trouve sur les feuilles d'érable, même dans ce pays, une substance de cette nature ; le figuier fournit aussi quelquefois un suc très-doux, qu'on trouve sur ses feuilles, sous la forme de petits grains, ou de petites gouttes desséchées.

La manne varie beaucoup en forme et en consistance, selon le pays où on la recueille, et les arbres qui la fournissent. Les autres nous parlent d'une manne liquide qui est très-rare parmi nous, ou plutôt qui ne s'y trouve point ; d'une manne mastichina, d'une manne bombycine, d'une manne de cedre, manne alhagine, &c.

On trouve encore la manne distinguée dans les traités des drogues, par les noms des pays d'où on nous l'apporte : en manne orientale, manne de l'Inde, manne de Calabre, manne de Briançon, etc.

De toutes ces espèces de manne, nous n'employons en Médecine que celle qu'on nous apporte d'Italie, et particulièrement de Calabre ou de Sicile. Elle nait dans ce pays sur deux différentes espèces, ou plutôt variétés de frênes ; savoir, le petit frêne, fraxinus humilior, sive altera Theophrasti, et le frêne à feuille ronde, fraxinus rotondiore folio.

Pendant les chaleurs de l'été, la manne sort d'elle-même des branches et des feuilles de cet arbre, sous la forme d'un suc gluant, mais liquide, qui se durcit bientôt à l'air, même pendant la nuit, pourvu que le temps soit serein ; car la récolte de la manne est perdue, s'il survient des pluies ou des brouillards. Celle-ci s'appelle manne spontanée. La manne spontanée est distinguée en manne du tronc et des branches, di corpo, et en manne des feuilles, di fronde. On ne nous apporte point de cette dernière qui est très-rare, parce qu'elle est difficîle à ramasser. Les habitants de ces pays font aussi des incisions à l'écorce de l'arbre, et il en découle une manne qu'ils appellent forzata ou forzatella. Cette dernière opération se fait, dès le commencement de l'été, sur certains frênes qui croissent sur un terrain sec et pierreux, et qui ne donnent jamais de la manne d'eux-mêmes ; et à la fin de Juillet, à ceux qui ont fourni jusqu'alors de la manne spontanée.

Nous avons dans nos boutiques l'une et l'autre de ces mannes dans trois différents états. 1°. Sous la forme de grosses gouttes ou stalactites, blanchâtres, opaques, seches, cassantes, qu'on appelle manne en larmes. On prétend que ces gouttes se sont formées au bout des pailles, ou petits bâtons que les paysans de Calabre ajustent dans les incisions qu'ils font aux frênes. La manne en larmes est la plus estimée, et elle mérite la préférence, à la seule inspection, parce qu'elle est la plus pure, la plus manifestement inaltérée.

2°. La manne en sorte ou en marons, c'est-à-dire, en petits pains formés par la réunion de plusieurs grains ou grumeaux collés ensemble ; celle-ci est plus jaune et moins seche que la précédente : elle est pourtant très-bonne et très-bien conservée. La plupart des apothiquaires font un triage dans les caisses de cette manne en sorte ; ils en séparent les plus beaux morceaux, qu'ils gardent à part, sous le nom de manne choisie, ou qu'ils mêlent avec la manne en larmes.

3°. La manne grasse, ainsi appelée parce qu'elle est molle et onctueuse, elle est aussi noirâtre et sale. C'est très-mal-à-propos que quelques personnes, parmi lesquelles on pourrait compter des médecins, la préférent à la manne seche. La manne grasse est toujours une drogue gâtée par l'humidité, par la pluie ou par l'eau de la mer, qui ont pénétré les caisses dans lesquelles on l'a apportée. Elle se trouve d'ailleurs souvent fourrée de miel, de cassonade commune et de scammonée en poudre ; ce qui fait un remède au moins infidèle, s'il n'est pas toujours dangereux, employé dans les cas où la manne pure est indiquée.

Nous avons déjà observé plus haut, que la manne devait être rapportée à la classe des corps muqueux : en effet, elle en a toutes les propriétés, elle donne dans l'analyse chimique tous les principes qui spécifient ces corps. Voyez MUQUEUX. Elle contient le corps nutritif végétal. Voyez NOURRISSANT. Elle est capable de donner du vin. Voyez VIN.

La partie vraiment médicamenteuse de la manne, celle qui constitue sa qualité purgative, parait être un principe étranger à la substance principale dont elle est formée, au corps doux. Car quoique le miel, le sucre, les sucs des fruits doux lâchent le ventre dans quelques cas et chez quelques sujets, cependant ces corps ne peuvent pas être regardés comme véritablement purgatifs, au lieu que la manne est un purgatif proprement dit. Voyez DOUX. Voyez PURGATIF.

La manne est de tous les remèdes employés dans la pratique moderne de la Médecine, celui dont l'usage est le plus fréquent, surtout dans le traitement des maladies aiguës, parce qu'il remplit l'indication qui se présente le plus communément dans ces cas, savoir, l'évacuation par les couloirs des intestins, et qu'elle la remplit efficacement, doucement et sans danger.

Il serait superflu de spécifier les cas dans lesquels il convient de purger avec de la manne, comme tous les pharmacologistes l'ont fait, et plus encore d'expliquer comme eux, ceux dans lesquels on doit en redouter l'usage. Elle réussit parfaitement toutes les fois qu'une évacuation douce est indiquée ; elle concourt encore assez efficacement à l'action des purgatifs irritants, elle purge même les hydropiques, elle est véritablement hydragogue, et enfin elle ne nuit jamais, que dans les cas où la purgation est absolument contr'indiquée.

On la donne quelquefois seule, à la dose de deux onces jusqu'à trois, dans les sujets faciles à émouvoir, ou lorsque le corps est disposé à l'évacuation abdominale. On la fait fondre plus ordinairement dans une infusion de sené, dans une décoction de tamarins ou de plantes amères ; on la donne aussi avec la rhubarbe, avec le jalap, avec différents sels, notamment avec un ou deux grains de tartre-émétique, dont elle détermine ordinairement l'action par les selles.

On corrige assez ordinairement sa saveur fade et douceâtre, en exprimant dans la liqueur où elle est dissoute, un jus de citron, ou en y ajoutant quelques grains de crême de tartre ; mais ce n'est pas pour l'empêcher de se changer en bile, ou d'entretenir une cacochimie chaude et seche, selon l'idée de quelques médecins, que l'on a recours à ces additions.

C'est encore un vice imaginaire que l'on se proposerait de corriger, par un moyen qui produirait un vice très-réel, si l'on faisait bouillir la manne, pour l'empêcher de fermenter dans le corps, et pour détruire une prétendue qualité venteuse. Une dissolution de manne acquiert par l'ébullition, un goût beaucoup plus mauvais que n'en aurait la même liqueur préparée, en faisant fondre la manne dans de l'eau tiede. Aussi est-ce une loi pharmaceutique, véritablement peu observée, mais qu'il est bon de ne pas négliger pour les malades délicats et difficiles, de dissoudre la manne à froid, autant qu'il est possible. (b)

MANNE DU DESERT, (Critique sacrée) quant à la figure, elle ressemble assez à celle que Moïse depeint. On observe que la manne qui se recueille aux environs du mont Sinaï, est d'une odeur très-forte, que lui communiquent sans doute les herbes sur lesquelles elle tombe. Plusieurs commentateurs, et entr'autres, M. de Saumaise, craient que la manne d'Arabie est la même dont les Hébreux se nourrissaient au désert, laquelle étant un aliment ordinaire, pris seul et dans une certaine quantité, n'avait pas, comme la manne d'Arabie, une qualité médicinale, qui purge et affoiblit ; mais que l'estomac y étant accoutumé, elle pouvait nourrir et sustenter ; et même Fuschius dit, que les paysans du mont Liban, mangent la manne qui vient dans leur pays ; comme on mange ailleurs le miel ; aussi plusieurs commentateurs sont dans l'idée que le miel sauvage, dont Jean-Baptiste se nourrissait sur les bords du Jourdain, n'est autre chose que la manne de l'Orient.

On ne peut que difficilement se faire une idée juste de la manne dont Dieu nourrissait son peuple au désert, voici ce que Moïse nous en rapporte : il dit (Gen. XVIe . 13, 14, 15.), qu'il y eut au matin une couche de rosée autour du camp, que cette couche de rosée s'étant évaporée, il y avait quelque chose de menu et de rond, comme du gresil sur la terre, ce que les enfants d'Israel ayant vu, ils se dirent l'un à l'autre, qu'est-ce ? car ils ne savaient ce que c'était. L'auteur sacré ajoute, au . 31 du même chapitre : Et la maison d'Israèl nomma ce pain manne ; et elle était comme de la semence de coriandre, blanche, et ayant le goût de bignets au miel.

Il y a sur l'origine du mot manne quatre opinions principales : elles ont chacune leurs partisans qui les soutiennent, avec ce détail de preuves et d'arguments étymologiques, lesquels, comme on le sait, emportent rarement avec eux une démonstration.

La première, et la plus généralement suivie par les interpretes, c'est que le nom signifie qu'est-ce ?

La narration de Moïse fortifie cette opinion ; ils se dirent l'un à l'autre qu'est-ce ? car ils ne savaient ce que c'était. Dans l'hébreu il y a MAN-HOU ; ainsi, suivant cette idée, la manne aurait pris son nom de la question même que firent les Israèlites lorsqu'ils la virent pour la première fais.

La seconde, des savants, &, entr'autres, Hascunq, prétendent que man-hou est composé d'un mot égyptien et d'un mot hébreu, dont l'un signifie quoi, et l'autre cela, et que les Israélites appelèrent ainsi l'aliment que leur présentait Moïse, comme pour insulter à ce pain céleste, dont il leur avait fait fête, man-hou, quoi cela ?

La troisième, les rabbins, et plusieurs chrétiens après eux, font venir le mot de manne de la racine minach, qui signifie préparé, parce que la manne était toute prête à être mangée, sans autre préparation que de l'amasser, ou plutôt, parce que les Israélites, en voyant cet aliment, se dirent l'un à l'autre, voici ce pain qui nous a été préparé ; et ils l'appelèrent manne, c'est-à-dire, chose préparée. Deig, Crit. sacra, in voce manna, pag. 127.

La quatrième, enfin le savant M. le Clerc prétend que le mot manne vient du mot hébreu manach, qui signifie un don ; et que les Israélites, surpris de voir le matin cette rosée extraordinaire ; et ensuite de ce que leur dit Moïse : c'est ici le pain du ciel, s'écrièrent, man-hou, voici le don, ou, peut-être, par une expression de dédain, qui était bien dans l'esprit et le caractère de ce peuple indocîle et grossier, ce petit grain qui couvre la rosée, est-ce donc-là ce don que l'éternel nous avait promis ?

On doit, en saine philosophie, regretter le temps qu'on met à rechercher des étymologies, surtout lorsqu'elles ne répandent pas plus de jour sur le sujet dont il s'agit, et sur ce qui peut y avoir du rapport, que les diverses idées qu'on vient d'articuler, que la manne ait reçu son nom d'un mouvement d'étonnement, de gratitude ou de dédain, c'est ce qu'on ne peut décider, qu'il importe assez peu de savoir, et qui d'ailleurs ne change rien à la nature de la chose.

Ce qu'il y a de moins équivoque, c'est que sur la manière dont l'auteur sacré rapporte la chose, on ne peut pas raisonnablement douter que la manne du désert n'ait été miraculeuse, et bien différente, par-là-même, de la manne ordinaire d'Orient. Celle-ci ne parait que dans certain temps de l'année ; celle du désert tombait tous les jours, excepté le jour du sabath ; et cela pendant quarante années : car elle ne cessa de tomber dans le camp des Israélites, que lorsqu'ils furent en possession de ce pays découlant de lait et de miel, qui leur fournit en abondance des aliments d'une toute autre espèce. La manne ordinaire ne tombe qu'en fort petite quantité, et se forme insensiblement ; celle du désert venait tout-d'un-coup, et dans une si grande abondance, qu'elle suffisait à toute cette prodigieuse et inconcevable multitude, qui était à la suite de Moïse.

La manne ordinaire peut se conserver assez longtemps, et sans préparation : celle qui se recueillait dans le désert, loin de se conserver, et de se durcir au soleil, se fondait bientôt : voulait-on la garder, elle se pourrissait, et il s'y engendrait des vers : la manne ordinaire ne saurait nourrir, celle du désert sustentait les Israélites.

Concluons de ces réflexions, et d'un grand nombre d'autres, qu'on pourrait y ajouter que la manne du désert était miraculeuse, surnaturelle, et très-différente de la manne commune : c'est sur ce pied-là que Moïse veut que le peuple l'envisage, lorsqu'il lui dit (Deut. VIIIe . 23.) : " Souviens-toi de tout le chemin par lequel l'éternel ton Dieu t'a fait marcher pendant ces quarante ans dans ce désert, afin de t'humilier, et de t'éprouver, pour connaître ce qui est en ton cœur ; si tu gardois ses commandements ou non : il t'a donc humilié, et t'a fait avoir faim ; mais il t'a repu de manne, laquelle tu n'avais point connue, ni tes pères aussi, afin de te faire connaître que l'homme ne vivra pas de pain seulement ; mais que l'homme vivra de tout ce qui sort de la bouche de Dieu. "

Le pain désigne tous les aliments que fournit la nature ; et ce qui sort de la bouche de Dieu, sera tout ce que Dieu, par sa puissance infinie, peut créer et produire pour nourrir et sustenter les humains d'une manière miraculeuse.

Il me semble même que l'éternel voulut faire connaître à son peuple, que c'était bien de sa bouche que sortait la manne, puisque les Hébreux, comme le leur représente leur conducteur, virent la gloire de l'éternel, c'est-à-dire, une lumière plus vive, plus éclatante que celle qui les conduisait ordinairement ; et ce fut du milieu de ce symbole extraordinaire de sa présence, que Dieu publia ses ordres au sujet de l'aliment miraculeux qu'il leur dispensait ; et il le fit d'une manière bien propre à les faire observer. Il leur ordonna 1°. de recueillir la manne chaque matin pour la journée seulement ; 2°. d'en recueillir chacun une mesure égale, la dixième partie d'un éphu, ce qui s'appelle un hower, c'est-à-dire, cinq à six livres ; 3°. de ne jamais recueillir de la manne le dernier jour de la semaine, qui était le jour du repos, dont la loi de Sinaï leur ordonnait l'exacte observation.

Ces trois ordres particuliers, également justes, raisonnables et faciles, fournissent aux moralistes une ample matière de bien des reflexions édifiantes, et de plusieurs maximes pratiques, le tout fortifié par d'amples déclamations contre l'ingrate indocilité des Hébreux.

L'envoi de la manne au désert était un événement trop intéressant pour n'en pas perpétuer la mémoire dans la postérité de ceux en faveur desquels s'était opéré ce grand miracle ; aussi l'éternel voulut en conserver un monument autentique ; voici ce que Moïse dit à Aaron sur ce sujet, par l'ordre de Dieu (Exode XVIe . 33.) : Prends une cruche, et mets-y un plein hower de manne, et le pose devant l'éternel pour être gardé en vos âges.

S. Paul nous apprend que cette cruche était d'or ; et par ces mots, être posée devant l'éternel, (Hébr. ix. 4.) il explique être mise dans l'arche, ou, comme portent d'autres versions, à côté de l'arche, ce qui parait plus conforme à quelques endroits de l'Ecriture qui nous apprennent qu'il n'y avait rien dans l'arche que les tables de l'alliance (Exode xxv, 16. I. Rois VIIIe 9. II. chron. . 10.) ; il faut d'ailleurs observer, que lorsque Moïse donna cet ordre à son frère, l'arche n'existait point, et qu'elle ne fut construite qu'assez longtemps après.

Au reste, le célèbre M. Réland a fait de savantes et de curieuses recherches sur la figure de cette cruche ou vase, dans lequel était conservée la manne sacrée. Il tire un grand parti de sa littérature, et de sa profonde connaissance des langues, pour faire voir que ces vases avaient deux anses, que quelquefois ils s'appelaient ; ainsi dans Athénées on lit , c'est-à-dire, des ânes remplis de vin, d'où notre savant commentateur prend occasion de justifier les Hébreux de la fausse accusation de conserver dans le lieu saint la tête d'un âne en or, et d'adorer cette idole. Voyez Reland Dissertatio altera de inscript. quorumdam nummorum Samaritanorum, &c.

Le livre des nombres (xj. 7.) dit que la manne était blanche comme du bdellion. Bochart, (Hier. part. II. lib. V. cap. Ve pag. 678.), d'après plusieurs thalmudistes, prétend que le bdellion signifie une perle ; à la bonne-heure, peu importe.

Ceux d'entre les étymologistes qui ont tiré le mot manne du verbe minnach, préparer, par la raison, disent-ils, qu'elle n'avait pas besoin de préparation, n'ont pas fait attention à ce qui est dit au verset 8 du chap. XIe des nombres. Le peuple se dispersait, et la ramassait, puis il la moulait aux meules, ou la pilait dans un mortier, et la faisait cuire dans un chaudron, et en faisait des gâteaux, dont le goût était semblable à celui d'une liqueur d'huîle fraiche, ce qui, pour le dire en passant, nous fait voir combien la manne du désert devait être solide et dure, et toute différente, par-là-même, de la manne d'Arabie, ou de celle de Calabre.

Quant à son gout, l'Ecriture-sainte lui en attribue deux différents : elle est comparée à des bignets faits au miel ; et dans un autre endroit, à de l'huîle fraiche ; peut-être qu'elle avait le premier de ces gouts avant que d'être pilée et apprêtée, et que la préparation lui donnait l'autre.

Les Juifs (Schemoth Rabba, lect. xxv. fol. 24.) expliquent ces deux gouts différents, et prétendent que Moïse a voulu marquer par-là, que la manne était comme de l'huîle aux enfants, comme du miel aux vieillards, et comme des gâteaux aux personnes robustes. Peu contens de tout ce qu'il y a d'extraordinaire dans ce miraculeux événement, les rabbins ont cherché à en augmenter le merveilleux par des suppositions qui ne peuvent avoir de réalité que dans leur imagination, toujours poussée à l'extrême. Ils ont dit que la manne avait tous les gouts possibles, hormis celui des porreaux, des oignons, de l'ail, et celui des melons et concombres, parce que c'étaient-là les divers légumes après lesquels le cœur des Hébreux soupirait, et qui leur faisaient si fort regretter la maison de servitude. Thalmud Joma, cap. VIIIe fol. 75.

Ils ont accordé à la manne tous les parfums de divers aromates dont était rempli le paradis terrestre. Lib. Zoar, fol. 28. Quelques rabbins sont allés plus loin (Schemat Rabba, sect. xxv, &c.), et n'ont pas eu honte d'assurer que la manne devenait poule, perdrix, chapon, ortolan, etc. selon que le souhaitait celui qui en mangeait. C'est ainsi qu'ils expliquent ce que Dieu disait à son peuple : qu'il n'avait manqué de rien dans le désert. Deut. XIe 7. Neh. ix. 21. S. Augustin (tom. I. retract. lib. II. pag. 33.), profite de cette opinion des docteurs juifs, et cherche à en tirer pour la morale un merveilleux parti, en établissant qu'il n'y avait que les vrais justes qui eussent le privilège de trouver dans la manne le goût des viandes qu'ils aimaient le plus : ainsi, dans le système de S. Augustin, peu de justes en Israèl ; car tout le peuple conçut un tel dégoût pour la manne, qu'il murmura, et fit, d'un commun accord, cette plainte, qui est plus dans une nature faible, que dans une pieuse résignation : quoi ! toujours de la manne ? nos yeux ne voient que manne. Nomb. XIe 6.

Encore un mot des rabbins. Quelque ridicules que soient leurs idées, il est bon de les connaître pour savoir de quoi peut être capable une imagination dévotement échauffée. Ils ajoutent au récit de Moïse que les morceaux de manne étaient si hauts, et si élevés, qu'ils étaient aperçus par les rois d'Orient et d'Occident ; et c'est à cette idée qu'ils appliquent ce que le Psaumesiste dit au pseaume 23. . 6. Tu dresses ma table devant moi, à la vue de ceux qui me pressent. Thalmud Joma, fol. 76, col. 1.

Les Hébreux, et en général les orientaux, ont pour la manne du désert une vénération particulière. On voit dans la bibliothèque orientale d'Herbelot, pag. 547, que les Arabes le nomment la dragée de la toute-puissance.

Et nous lisons dans Abenezra sur l'exode, que les Juifs, jaloux du miracle de la manne, prononcent malédiction contre ceux qui oseraient soutenir l'opinion contraire.

Akiba prétendait que la manne avait été produite par l'épaississement de la lumière céleste, qui, devenue matérielle, était propre à servir de nourriture à l'homme : mais le rabbin Ismaèl désapprouva cette opinion, et la combattit gravement ; fondé sur ce principe, que la manne, selon l'Ecriture, est le pain des anges. Or les anges, disait-il, ne sont pas nourris par la lumière, devenue matérielle ; mais par la lumière de Dieu-même. N'est-il pas à craindre, qu'à force de subtilités, on fasse de cette manne une viande un peu creuse ?

Au reste le mot de manne est employé dans divers usages allégoriques, pour désigner les vérités dont se nourrit l'esprit, qui fortifient la piété, et soutiennent l'âme.

MANNE, (Vannerie) c'est un ouvrage de mandrerie, plus long que large, assez profond, sans anse, mais garni d'une poignée à chaque bout.

MANNE, qu'on nomme aussi banne, et quelquefois mannette s. f. (Chapelier) espèce de grand panier carré long, d'osier ou de chataignier refendu, de la longueur et de la largeur qu'on veut, et d'un pied ou un pied et demi de profondeur. Les marchands chapeliers et plusieurs autres se servent de ces mannes pour emballer leurs marchandises ; et les chapeaux de Caudebec en Normandie ne viennent que dans ces sortes de paniers.

MANNE, (Marine) c'est une espèce de corbeille qui sert à divers usages dans les vaisseaux.




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