sub. m. (Histoire naturelle, Ornithologie) petits d'un oiseau de l'Amérique, qu'on appelle diable ou diablotin : il parait que ce sont les becs-figues du pays. Ils sont couverts d'un duvet jaune et épais, et tous blancs de graisse. C'est un mets fort délicat. Voyez DIABLE.

* COTON, s. m. (Histoire naturelle, Botanique) xilon ; genre de plante à fleur monopétale, en forme de cloche, ouverte et découpée, du fond de laquelle s'élève un tuyau pyramidal, ordinairement chargé d'étamines. Le calice pousse un pistil qui enfîle la partie inférieure de la fleur, et le tuyau, et qui devient dans la suite un fruit arrondi, divisé intérieurement en quatre ou cinq loges. Ce fruit s'ouvre par le haut, pour laisser sortir les semences qui sont enveloppées d'une espèce de laine propre à être filée, appelée coton du nom de la plante. Tournefort.


Le P. du Tertre, le P. Labat, M. Frezier, etc. disent que l'arbuste qui porte le coton s'élève à la hauteur de huit à neuf pieds ; qu'il a l'écorce brune, et que sa feuille est divisée en trois : lorsque sa gousse est mûre et qu'elle commence à se sécher, elle s'ouvre d'elle-même ; alors le coton qui y était extrêmement resserré sort, s'étend, et si l'on ne se hâte de le cueillir, le vent en enlève une partie considérable qui se disperse entre les feuilles et les branches de l'arbre, s'y attache et se perd. Il est d'une grande blancheur, et rempli de graines noires de la grosseur du pais, auxquelles il est tellement adhérent, que ce ne serait pas sans beaucoup de travail et de patience qu'on parviendrait à l'éplucher à la main. Aussi a-t-on imaginé de petits moulins à cet usage, dont nous parlerons ailleurs.

L'arbuste qui produit cette utîle marchandise est commun en plusieurs endroits du Levant, des Indes orientales, occidentales, et surtout aux îles Antilles ; on le cultive aussi en Sicîle et dans la Pouille. Des auteurs contraires à ceux que nous avons cités plus haut, disent qu'il n'est guère plus grand que le pêcher, et qu'il s'étend en buisson, que la couleur de sa fleur varie selon la qualité du terroir, tantôt violette, tantôt d'un jaune doré ; que son fruit, sa coque ou gousse se noircit en mûrissant ; qu'il y a une sorte de coton qui rampe comme la vigne qu'on ne soutiendrait pas sur des échalats ; qu'il y a dans la terre ferme du Brésil un cotonnier de la hauteur des plus grands chênes, et dans l'île de Ste Catherine un autre, dont la feuille est large et divisée en cinq segments pointus, et le fruit de la grosseur d'un petit œuf de poule ; qu'on tire de la fleur et de la feuille du cotonnier cuites ensemble sous la braise, une huîle rousse et visqueuse propre à la guérison des ulcères ; que l'huîle de la graine est un bon cosmétique, etc. Quoi qu'il en soit de ces propriétés, il est sur que le coton mis sur les plaies en forme de tente, y occasionne l'inflammation. Leuvenoeck qui a recherché la cause de cet effet au microscope, a trouvé que les fibres du coton avaient deux côtés plats d'où il a conclu qu'elles avaient comme deux tranchants ; que ces tranchants plus fins que les molécules dont les fibres charnues sont composées, plus fermes, et plus roides, divisaient ces molécules, et occasionnaient par cette division l'inflammation.

Passons maintenant à d'autres considérations sur le coton, relatives à sa récolte, à son filage, et aux opérations qui précèdent son emploi. Cet emploi est très-étendu ; mais le seul qui puisse singulièrement piquer notre curiosité, c'est celui qui se fait en mousselines et autres toiles qui nous viennent des Indes et qui nous étonnent par leur finesse. Nous en donnerons le détail le plus exact et le plus circonstancié, d'après des mémoires de M. Jore habitant de Rouen, qui a employé son temps et une partie de son bien à perfectionner le filage du coton, et qui était parvenu à en faire des ouvrages aussi beaux que ceux qui nous viennent de l'Inde : ils nous ont été communiqués par M. le chevalier Turgot, qui s'est instruit de cette fabrique, par un goût pour les Arts utiles d'autant plus digne de nos éloges, qu'il est très-estimable en quelques personnes que ce sait, et qu'il est malheureusement trop rare dans celles de son rang et de sa fortune.

Les îles françaises de l'Amérique fournissent les meilleurs cotons qui soient employés dans les fabriques de Rouen et de Troie.. Les étrangers, nos voisins, tirent même les leurs de la Guadeloupe, de Saint-Domingue, et des contrées adjacentes. Ils ont différentes qualités. Celui qu'on appelle de la Guadeloupe est court, la laine en est grosse ; et la manière de filer le coton dont on parlera plus bas, ne lui convient point. Celui de Saint-Domingue peut être filé, comme nous le dirons, lorsqu'il est bien beau : on peut le remêler avec d'autres cotons plus fins, et en faire certains ouvrages. Mais tous ces endroits en fournissent une autre espèce qu'on appelle de Siam blanc à graine verte, pour le distinguer d'un autre de la même qualité, mais d'une couleur différente. Celui-ci est roux, l'autre est blanc ; sa laine est fine, longue, et douce sous la main ; sa graine est plus petite que celle des autres cotons, et la laine y est souvent adhérente : cette graine est noire et lisse, quand le coton a bien mûri. Si au contraire la culture et la récolte ont été mal conduites, la laine y demeure attachée, et ses extrémités qui en ont été séparées, sont vertes, surtout lorsque le coton a été nouvellement recueilli. Cette espèce n'est point cultivée en Amérique, quoiqu'on convienne de sa supériorité ; parce que sa graine étant petite, s'engage entre les cylindres du moulin, s'y écrase, tache la laine, et la remplit d'ordures ; défaut considérable qui en diminue beaucoup le prix : d'ailleurs ce coton est trop leger pour les fileuses des fabriques de Rouen etc. il leur faudrait beaucoup plus de temps pour en filer une livre, que pour une livre de tout autre ; ainsi elles ne l'estiment point, et sur leur mépris intéressé, on l'a abandonné. Ce même coton est cultivé au Mississipi, climat qui ne lui convient pas comme les îles de l'Amérique : aussi il n'y mûrit pas ; la laine en est courte et fortement attachée à la graine, en sorte qu'il n'est pas possible d'en faire un bon usage.

L'arbrisseau qui donne les cotons, dont nous venons de parler, à l'Amérique, est vivace. Sept ou huit mois après avoir été planté de graine, il donne une recolte faible. Il continue de rapporter de six en six mois pendant dix années. Celui des Indes et de Malte est annuel. Il y a aussi quelque différence pour la qualité. Celui de l'Amérique parait plus soyeux.

Du moulinage du coton. Immédiatement après la récolte, on porte le coton au moulin. Le mécanisme du moulin est fort simple : ce sont deux petits rouleaux cannelés, soutenus horizontalement ; ils pincent le coton qui passe entre leurs surfaces, et le dégagent de sa graine dont le volume est plus considérable que la distance des rouleaux qui tournent en sens contraires, au moyen de deux roues mises en mouvement par des cordes attachées à un même marche-pié qu'un homme presse du pied, comme fait un tourneur ou une fileuse au rouet, tandis qu'avec ses mains il présente le coton aux rouleaux qui le saisissent, l'entraînent et le rendent dans un panier ou dans un sac ouvert, et attaché sous le châssis ; ce qui vaut beaucoup mieux, parce que la poussière ne s'y mêle point, et que le vent ne peut en emporter, même lorsque ce travail se fait à l'air, sous un simple angard, comme c'est assez la coutume. Voyez Plan. du coton, Histoire naturelle le petit moulin à main, fig. 2. et le moulin à pied, fig. 1. A A A A, le châssis B, les deux rouleaux avec de très-petites cannelures ; C, deux roues servant de balanciers ; D, cheville posée hors du centre de la roue ; E, corde attachée à la cheville par un de ses bouts, et au marche-pié par l'autre ; F, marche-pié mobîle faisant mouvoir les roues C, C, et les rouleaux B, B ; G, tablette inclinée sur laquelle tombe la graine qui glisse sur cette tablette, et tombe à terre.

De l'emballage du coton. Lorsque le coton est séparé de sa graine, on le met dans de grands sacs de toîle forte, longs d'environ trois aulnes ; on les emplit à force et à grands coups de pince de fer. On commence par les mouiller, puis on les suspend en l'air, la gueule ouverte, et fortement attachée à des cordes passées dans des poulies fixées aux poutres d'un plancher. Un homme entre dedans, et range au fond une première couche de coton, qu'il foule avec les pieds et avec un pilon. Sur cette couche il en met une autre, qu'il enfonce et serre avec sa pince de fer ; il continue de cette manière jusqu'à ce que le sac soit entièrement plein. Pendant ce travail, un autre homme a soin d'asperger de temps en temps le sac à l'extérieur avec de l'eau, sans quoi le coton ne serait point arrêté, et remontrait malgré les coups de pince. On coud le sac avec de la ficelle, on pratique aux quatre coins des poignées pour le pouvoir remuer plus commodément : ce sac ainsi conditionné s'appelle une balle de coton ; il contient plus ou moins, selon qu'il est plus ou moins serré, plus ou moins foulé ; cela Ve ordinairement à 300, 320 livres.

De la fabrique des toiles de coton fines, appelées mousselines. Elle se divise naturellement en deux parties, le filage des cotons fins, et la fabrique des toiles et autres ouvrages, dans lesquels on emploie ce fil.

Du filage, ou de la manière de peigner le coton, de l'étouper, de le lustrer, d'en mêler diverses sortes pour différents ouvrages, de former le fil, de le dévider et des différents instruments qui ont rapport à toutes ces opérations. Lorsque l'on se proposera de ne fabriquer que des mousselines fines, des bas fins, il faudra séparer à la main le coton d'avec la graine ; cela facilitera le travail de l'ouvrière qui doit le filer : mais dans une fabrique plus étendue, il serait à-propos de recourir à une machine plus précise que celle que nous avons décrite. Lorsqu'on doit filer, on ouvre les gousses pour en tirer les graines avec les doigts ; on charpit le coton en long, observant de ménager et de ne pas rompre les filaments qui composent son tissu, et l'on en forme des flocons gros comme le doigt. Voyez deux de ces flocons, Pl. II. du coton, Histoire naturelle

Peigner le coton. Quoique cette opération se fasse avec des cardes, cependant il ne faut point carder : carder le coton, c'est le mêler en tout sens et le rendre rare et leger. Les opérations du peignage tendent à séparer les uns des autres les filaments, et à les disposer selon leur longueur, sans les plier, les rompre, ni les tourmenter par des mouvements trop répétés. Sans cette précaution il deviendrait mou et plein de nœuds, qui le rendraient mauvais et souvent même inutile. Cette opération est la plus difficîle à apprendre, et la plus nécessaire à bien savoir. C'est elle qui conduit les ouvrages en coton à leur perfection. On y réussit rarement d'abord, mais on prend l'habitude de la bien faire ; et quand on l'a, elle ne fatigue plus. Elle consiste dans la manière de se servir des cardes, et de le faire passer d'une carde à l'autre en le peignant à fond. Pour y procéder, prenez de la main gauche la plus longue de vos cardes, en sorte que les dents regardent en-haut, et que les pointes courbées soient tournées vers la main gauche ; menagez-vous la liberté du pouce, et le pouvoir de glisser la main d'un bout à l'autre de la carde. Prenez de la main droite un flocon, par le tiers de sa longueur ou environ ; portez-en l'extrémité sur la carde, engagez-la dans les dents, aidez-vous du pouce gauche, si vous le trouvez à-propos, en l'appliquant sur le coton, comme vous voyez fig. prem. tirez le flocon de la main droite, sans le serrer beaucoup, il restera une partie du coton prise par un bout dans les dents de la carde, et l'autre bout de ce coton engagé sortira hors de la carde ; réitérez quinze à seize fois cette manœuvre jusqu'à ce que le flocon soit fini ; remplissez, en procédant de la même manière, la carde d'un bout à l'autre, avec de semblables flocons ; observez seulement de n'en jamais trop charger à la fais.

La carde étant suffisamment garnie, fixez-la dans votre gauche, en la saisissant par le milieu et par le côté opposé à celui des dents. Prenez de la droite la plus petite de vos cardes dans un sens opposé à l'autre, c'est-à-dire les pointes en-bas et leur courbure tournée vers la droite ; pour la tenir, saisissez-la par les deux bouts entre le pouce et le doigt du milieu, l'index se trouvera placé sur son dos ; posez-la sur les filaments du coton qui sont au-dessus de l'autre carde, et les peignez légèrement, en commençant comme vous voyez fig. 2. Plan. II. par les bouts du coton que vous tirerez un peu avec votre carde droite, afin d'enlever et d'étendre selon leur longueur tous les filaments du coton qui n'ont pas été engagés dans les dents de la grande carde. Continuez d'un bout à l'autre, en approchant la petite carde de plus en plus des dents de la grande, en sorte qu'en dix-huit à vingt coups de cette sorte de peigne, le coton qui sort en-dehors soit bien peigné. Faites la même opération par-dessous, pour enlever ce qui s'y trouve de mal rangé, et qui n'a pu être atteint par les pointes de la petite carde, lorsqu'on s'en est servi en-dessus.

Cela fait, il se trouve du coton engagé dans les deux cardes, dont les parties extérieures ont été peignées ; mais il est évident que les bouts du coton engagés dans l'intérieur de la grande carde, ne l'ont point été : c'est pourquoi l'on fait passer tout le coton de la grande carde sur la petite, sans changer leurs positions, mais en enfonçant seulement les dents de la petite dans le coton engagé dans la grande, en commençant à l'endroit où il se montre en-dehors, observant de tourner les cardes, de sorte que le coton se puisse dégager peu à peu de l'une pour s'attacher à l'autre, peignant toujours à mesure qu'il s'attache et qu'il sort de la grande pour charger la petite. Quand la petite carde aura recueilli tout le coton de la grande, sans le plier ni le rompre, les filaments qui le composent auront tous été séparés les uns des autres dans le courant de cette manœuvre, et il se trouvera en état d'être mis sur les quenouilles pour être filé.

Les quenouilles sont les cardes mêmes, et l'opération consiste à faire passer le coton de la petite carde sur la grande, s'attachant principalement à l'y distribuer également et légèrement. Lorsque tout le coton est sur la grande carde, on examine au jour s'il n'y a point d'inégalités ; s'il y en a, on se sert de la petite carde pour les enlever ; et ce qu'elle prend de coton dans ces derniers coups, suffit pour la charger et la faire servir elle même de quenouille comme la grande.

Le coton est alors si facîle à filer, que la manœuvre du filage devient une espèce de devidage ; et le fil qui proviendra du coton ainsi préparé, sera propre pour toute sorte de toile. L'écheveau pesera depuis vingt jusqu'à trente grains, selon l'adresse de la fileuse. Au demeurant il est à propos de savoir qu'un écheveau de coton contient toujours 200 aulnes de fil, que le numéro qu'il porte est le poids de ces 200 aulnes ; ainsi que quand il s'agira d'un fil pesant 20 grains, il faudra entendre un écheveau de 200 aulnes de ce poids : d'où l'on voit que plus le poids de l'écheveau est petit, la longueur du fil demeurant la même, plus il faut que le fil ait été filé fin ; pour l'obtenir très-fin, il faut étouper le coton.

Les ouvrages faits avec les cotons dont nous avons parlé, sont mousseux, parce que les bouts des filaments du coton paraissent sur les toiles ou estames qui en sont faites : c'est cette espèce de mousse qui a fait donner le nom de mousseline à toutes les toiles de coton fines qui nous viennent des indes, qui en effet ont toutes ce duvet. Pour réformer ce défaut, qui est considérable dans les estames et dans les mousselines très-fines, il faut séparer du coton tous les filaments courts qui ne peuvent être pris en long dans le tors du fil, qui lui donnent de la grosseur sans lui donner de la liaison. C'est ce qu'on appelle étouper.

Etouper le coton. Chaisissez les plus belles gousses du coton de Siam blanc, qui aient la soie fine et longue ; charpissez-les, et les démêlez sur les cardes au point d'être mis sur les quenouilles ; que votre coton soit partagé entre vos deux cardes : alors vous tournez les deux cardes du même sens, et posez-les dents de l'une sur les dents de l'autre, les engageant légèrement et de manière que les bouts du coton qui sortent des cardes se réunissent. Voyez Pl. II. fig. 4. Fermez la main droite, saisissant entre le pouce et l'index tous ces bouts de coton que vous tirerez hors de la carde et sans lâcher prise ; portez ce que vous aurez saisi sur la partie de la grande carde qui restera découverte, comme vous voyez même figure ; afin seulement d'en peigner les extrémités en les passant dans les dents. Posez ensuite ce coton sur quelque objet rembruni, qui vous donne la facilité de le voir et de l'arranger ; continuez cette opération jusqu'à ce que vous ayez tiré tout le coton qui vous paraitra long ; peignez derechef ce qui restera dans les cardes, et recommencez la même opération. Après cette seconde reprise, ce qui ne sera pas tiré sera l'étoupe du coton, et ne pourra servir à des ouvrages fins.

Lustrer le coton. Voulez-vous approcher encore davantage de la perfection, et donner du lustre à votre coton ; faites de ce coton tiré des cardes dans l'étoupage, de petits flocons gros comme une plume, rassemblant les filaments longitudinalement, et les tordant entre les doigts, comme vous voyez fig. 1. Planc. III. assez fortement, en commençant par le milieu, comme si vous en vouliez faire un cordon ; que ce tors se fasse sentir d'un bout à l'autre du flocon. Quand vous viendrez ensuite à le détordre vous vous apercevrez que le coton se sera allongé, et qu'il aura pris du lustre comme la soie. Si vous voulez charpir un peu ce coton et le tordre une seconde fais, il n'en sera que plus beau. Voyez Pl. II. fig. 5. et 6. deux flocons ; l'un, fig. 5. lustré une première fois ; et l'autre, fig. 6. lustré une seconde fais. Pour le filer, on le met sur les quenouilles comme le coton non lustré, observant de les charger peu si l'on veut filer fin. Le fil du coton ainsi préparé, sert à faire des toiles très fines et des bas qui surpassent en beauté ce qu'on peut imaginer, ils ont l'avantage d'être ras et lustrés comme la soie. Le fil sera filé fin, au point que l'écheveau pourra ne peser que huit ou dix grains ; mais il y a plus de curiosité que d'utilité à cette extrême finesse.

Le détail de toutes ces opérations, dit M. Jore dans des mémoires très-circonstanciés et très-clairs, d'après lesquels nous donnons cette manœuvre (comme si cet homme sensé eut prévu les objections qu'il avait à craindre de la futilité de je ne sais quelle petite espèce de lecteurs) ; le détail de toutes ces opérations paraitra peut-être minutieux ; mais si les objets sont petits, la valeur n'en est pas moins considérable. Un gros de coton suffit pour occuper une femme tout un jour, et la faire subsister ; une once fait une aune de mousseline, qui vaut depuis 12 livres jusqu'à 24 livres, suivant la perfection ; une paire de bas pesant une once et demi, deux onces, vaut depuis 30 livres jusqu'à 60 et 80 livres. Il n'y a nul inconvénient pour la fileuse à employer deux heures de son temps à préparer le coton qu'elle peut filer en un jour ; puisque c'est de cette attention que dépend la solidité du fil, la célérité dans les autres opérations, et la perfection de tous les ouvrages qu'on en peut faire. L'habitude rend cet ouvrage très-courant.

Mêler des cotons de différentes sortes. On a dit que le beau coton de Saint-Domingue pouvait être employé à certains ouvrages, et surtout qu'on le mêlait avantageusement. Employé seul, on en filerait du fil pesant 72 grains, qui servirait en chaine pour des toiles qu'on voudrait brocher sur le métier, ou pour des mouchoirs de couleur. En le mêlant par moitié avec des cotons fins, le fil pesera 54 à 50 grains, et sera propre à tramer les toiles et mouchoirs dont nous venons de parler, et à faire des toiles fines qu'on pourra peindre. En mêlant trois quarts de coton fin avec un quart de coton de Saint-Domingue bien préparé et lustré, on en pourra faire les rayures des mousselines rayées, des mousselines claires et unies, et le fil en pesera 36 à 30 grains. Ce mélange se fait dans la première opération, lorsque le fil est en flocons ; on met sur la carde tant de flocons d'une telle qualité, et tant d'une autre, suivant l'usage qu'on en veut faire. Les Indiens ne connaissent point ces mélanges. La diversité des espèces que la nature leur fournit, les met en état de satisfaire à toutes les fantaisies de l'art. Au reste, les préparations qu'ils donnent à leurs cotons, n'ont nul rapport avec ce qui vient d'être dit ci-dessus. Voyez la vingt-deuxième des Lettres édifiantes. Leur coton recueilli, ils le séparent de la graine par deux cylindres de fer, qui roulent l'un sur l'autre ; ils l'étendent ensuite sur une natte, et le battent pendant quelque temps avec des baguettes ; puis, avec un arc tendu, ils achevent de le rendre rare, en lui faisant souffrir les vibrations réitérées de la corde : c'est-à-dire qu'ils l'arçonnent. V. à l'art. CHAPELIER, comment ces ouvriers font subir au poil la même opération, qui le divise extraordinairement, et qui ne parait pas peu contraire au but de l'ourdissage, et de tout art où l'on tortillera des filaments ; car il est bien démontré que, tout étant égal d'ailleurs, plus les filaments seront longs, plus le cordon qui en proviendra sera fort. Quand le coton a été bien arçonné, ils le font filer par des hommes et par des femmes. J'ai inutilement essayé ces moyens, dit l'auteur de ces mémoires, et je ne les trouve bons que pour faire du fil tout à fait commun ; ils peuvent à peine remplacer le cardage ordinaire, pratiqué dans les fabriques de Normandie ; et je suis persuadé que les Indiens en ont quelqu'autre pour la préparation de leur coton, qui ne nous est encore point parvenu. Si M. Jore eut réfléchi sur le but et l'effet de l'arçonnage, il n'en aurait rien attendu d'avantageux ; car il ne s'agit pas ici de multiplier les surfaces aux dépens des longueurs : cela est bon, quand il s'agit de donner du corps par le contact, mais non par le tortillement. L'arçonnage est une opération évidemment contraire à l'étoupage.

Filer les cotons fins. Le rouet étant préparé, comme on le dira ci-après, et la fileuse ayant l'habitude de le faire tourner également avec le pied ; pour commencer, elle fixera un bout de fil quelconque sur le fuseau d'ivoire ; elle le fera passer sur l'épinguer et dans le bouton d'ivoire ; de-là elle portera l'extrémité de ce fil, qui doit avoir environ quatre pieds de long, sur la grande carde qui doit servir de quenouille ; elle le posera sur le coton, à la partie la plus voisine du manche ; elle tiendra ce manche dans sa main gauche, faisant en sorte d'avancer le pouce et l'index au-delà des dents de la carde, vers les bouts du coton, où elle saisira le fil à un pouce près de son extrémité, sans prendre aucun filament du coton entre ses doigts. Tout étant en cet état, elle donnera de la main droite le premier mouvement au rouet, qui doit tourner de gauche à droite. Ayant entretenu ce mouvement quelques instants avec son pied, le ferin étant suffisamment tendu, l'on sent le fil se tordre jusque contre les doigts de la main gauche qui le tiennent proche le coton, sans lui permettre d'y communiquer ; prenez alors ce fil de votre droite entre le pouce et l'index, à six pouces de distance de la main gauche, et le serrez de façon que le tors que le rouet lui communique en marchant toujours, ne puisse pas s'étendre au de-là de votre main droite. Cela bien exécuté, il n'y a plus qu'un petit jeu pour former le fil ; mais observez qu'il ne faut jamais approcher de la tête du rouet plus près que de deux pieds et demi à trois pieds, et que les deux mains soient toujours à quelque distance l'une de l'autre, excepté dans des circonstances extraordinaires que l'on expliquera ailleurs.

Le bout du fil qui est entre les deux mains, qui a environ six pouces de longueur, ayant été tors comme on l'a dit, sert à former à-peu-près 4, 5, 6 pouces de nouveau fil, car en lâchant ce fil de la main gauche seulement, le tors montera dans la carde le long de sa partie qui y est posée, et y accrochera quelques bouts de coton qui formeront un fil que vous tirerez hors de la carde, en portant la main droite vers la tête du rouet, tant que le tors aura le pouvoir de se communiquer au coton. Dès que vous vous apercevrez que le tors cessera d'accrocher les filaments du coton, vous saisirez le fil nouveau fait des deux doigts de votre gauche, comme ci-devant ; alors vous laisserez aller le fil que vous teniez de votre droite, le tors qui était entre le rouet et votre droite venant à monter précipitamment jusqu'à votre gauche, vous donnera occasion de reprendre sur le champ votre fil de la droite, à 5 ou 6 pouces de la gauche, comme auparavant, et de continuer à tirer ainsi de nouveau fil de la carde. On parviendra à se faire une habitude de cette alternative de mouvement, si grande qu'il en devient d'une telle promptitude, que le rouet ne peut quelquefois pas tordre assez vite, et que la fileuse est obligée d'attendre ou de forcer le mouvement du rouet.

Le bout de fil de six pouces de long qui est intercepté entre les deux mains, et qui contient le tors qui doit former le nouveau fil, le formera inégalement si on le laisse agir naturellement ; car étant plus vif au premier instant que vers la fin, il accrochera plus de coton au premier instant que dans les instants suivants. Il est de l'adresse de la fileuse de modérer ce tors, en roulant entre ses doigts le fil qu'elle tient de la droite dans un sens opposé au tors ; et lorsqu'elle s'aperçoit que le tors s'affoiblit, en le roulant dans le sens conspirant avec le tors, afin d'en augmenter l'effet. Par ce moyen elle parviendra à former le fil parfaitement égal, si le coton a été bien préparé. Celles qui commencent cassent souvent leur fil, faute d'avoir acquis ce petit talent.

On a fait le rouet à gauche, afin que la main droite put agir dans une circonstance d'où dépend toute la perfection du fil. On a fait pareillement tourner le rouet de gauche à droite, parce que sans cela le fil se torderait dans un sens où il serait incommode à modérer, soit en le tordant, soit en le détordant entre les doigts de la main droite.

Une autre adresse de la fileuse, c'est de tourner sa carde ou quenouille de façon que le tors qui monte dedans trouve toujours une égale quantité de coton à accrocher, et qu'il soit accroché par les extrémités des filaments, et non par le milieu de leur longueur. C'est par cette raison qu'il est très-essentiel que le coton y soit bien également distribué, et que les brins soient bien détachés les uns des autres. Mais quelqu'adroite que soit la fileuse, il arrive quelquefois que le tors accroche une trop grande quantité de coton, qui forme une inégalité considérable. Pour y remédier, il faut saisir l'endroit inégal, tout au sortir de la carde, avec les deux mains, c'est-à-dire du côté de la carde avec la gauche, comme si le fil était parfait, et l'autre bout avec la droite, et détordre cette inégalité en roulant légèrement le fil entre les doigts de la droite, jusqu'à ce que le coton étant ouvert, vous puissiez allonger cette partie trop chargée de coton au point de la réduire à la grosseur du fil. Cette pratique est nécessaire, mais il faut faire en sorte de n'y avoir recours que quand on ne peut prévenir les inégalités ; elle retarde la fileuse, quand elle est trop souvent réitérée. Une femme habîle qui prépare bien son coton, forme son fil égal dans la carde même.

Il est inutîle d'avertir que lorsque le coton qui est près du manche de la carde est employé, il faut avancer la main gauche sur les dents de la carde même, pour être à portée d'opérer sur le reste. Lorsque la carde commence à se vider, il reste toujours du coton engagé dans le fond des dents : pour le filer, il faut approcher la main droite, et filer à deux pouces près de la carde ; on pourra par ce moyen aller chercher le coton par-tout où il sera, et on l'accrochera en tordant un peu le fil entre les doigts de la droite, afin de rendre le tors du fil plus âpre à saisir les filaments épars. Lorsque l'opération devient un peu difficile, on abandonne ce coton pour le reprendre avec la petite carde, et s'en servir à charger de nouvelles quenouilles.

Toutes les fois que le fuseau est chargé d'un petit monticule de coton filé appelé sillon, il faut avoir soin de changer le fil sur l'épinguer, c'est-à-dire le transporter d'une dent dans une autre, et ne pas attendre que le sillon s'éboule. Il faut remplir le fuseau de suite, autrement le fil ne se peut devider ; il est perdu. Quand le fuseau sera plein à la hauteur des épaulements, il faudra passer une épingue au-travers du fil, et y arrêter le bout du fil.

Si l'on faisait usage du fil de coton au sortir du rouet, il aurait le défaut de se friser comme les cheveux d'une perruque, il manquerait de force, il serait cassant : pour y remédier, on fait bouillir les fuseaux tels qu'ils sortent de dessus le rouet, dans de l'eau commune, l'espace d'une minute. C'est pour résister à ce débouilli qu'on a fait les fuseaux d'ivoire ; ceux de bois deviennent ovales en-dedans, et ne peuvent servir deux fois s'ils ne sont doublés de cuivre.

Une fileuse bien habîle peut filer mille aulnes de fil du numéro 16, et apprêter son coton pour les filer chaque jour. Il est presqu'inutîle de filer plus fin. Elle ne filerait pas plus d'un fil plus gros, parce qu'il lui faudrait apprêter plus de coton. Mais elle n'en filerait pas quatre cent aulnes des numéros 8 et 10, qui n'ont été filés que par curiosité.

On donne le nom de coton en laine au coton au sortir de la coque, par opposition au coton au sortir des mains de la fileuse, qu'on appelle coton filé.

Devider le coton filé. Le fil de coton ne s'emploie facilement, qu'autant qu'il est bien filé, et qu'on ne l'a pas fatigué par trop de travail. Il est donc à propos de le manier le moins qu'il est possible. Ainsi le mettre en écheveau, puis le devider ensuite pour en ourdir les chaînes, est un travail inutîle et nuisible, qu'il convient d'éviter ; et c'est en même temps une oeconomie considérable pour le fabriquant, tant à cause du prix du devidage, que parce que dans cette manœuvre on ne pourrait manquer de perdre beaucoup de fil de coton. Les Indiens ont senti cet inconvénient ; ils ourdissent leur toîle du fuseau même sur lequel le fil a été filé. Mais comme il est essentiel de se rendre compte de ce que peut devenir un établissement avant que de former aucune entreprise, M. Jore qui était dans ce cas s'est servi d'un devidoir à aspe, pour mesurer la longueur des écheveaux, auxquels il a donné deux cent aulnes ; il a comparé ces écheveaux par poids et longueur avec les mousselines fabriquées aux Indes ; et leur rapport lui ayant paru favorable, il a poussé ses essais jusqu'à faire fabriquer des mousselines unies et rayées, caladants et mouchoirs imités des Indes ; enfin il a fait fabriquer des bas aux métiers les plus fins qui soient à Paris. Mais son avis est que dans la pratique il faut ourdir à l'indienne, et ne mesurer que par le moyen qui sera indiqué dans la fabrique de la mousseline. On expliquera la manière de se servir de l'aspe, à l'article qui suivra des instruments.

Une femme qui commence à filer se donne bien de la peine les premiers jours, sans pouvoir faire un bout de fil qui soit propre à quelque chose, tant il est tors et inégal ; mais elle parvient en huit jours à filer passablement.

Des instruments qui servent au filage des cotons fins. Il y en a de trois sortes ; les cardes, le rouet, et le devidoir.

Des cardes. Elles ne diffèrent de celles qu'on emploie pour carder les laines fines et les cotons que l'on fabrique en ce pays, qu'en ce qu'elles sont plus petites et différemment montées. Ce sont des pointes de fil-de-fer peu aiguës, coudées et passées par couple dans une peau de basanne ou autre ; elles ont un pouce de largeur sur huit de longueur. La petite planche qui sert de monture doit avoir dix lignes de largeur, dix à onze pouces de longueur, sur quatre lignes d'épaisseur ; elle doit être plate d'un côté, et bombée de l'autre sur la largeur. On attache la carde sur un bout de la planchette du côté bombé, les pointes courbes disposées vers la gauche, laissant au-dessous de la partie qu'elles occupent quelques pouces de bois pour servir de poignée. Le bombé de la planchette fait séparer les pointes, ce qui donne au coton plus de facilité pour y entrer et pour en sortir. Lorsque quelques-unes des pointes du premier et second rang se renversent en arrière, se mêlent, ou font un mauvais effet, on les coupe dans le pli avec des ciseaux ; le bout qui reste a son usage dans l'emploi de la carde ; à l'égard des autres pointes, on les r'arrange quand elles se déplacent.

Les petites cardes sont des grandes cardes dont on aurait supprimé le manche, et qu'on aurait divisées en deux. Les cardes noires ont été faites pour les dames qui ont voulu essayer de filer par amusement. Voyez ces cardes grandes et petites chargées de coton, Pl. II. fig. 1, 2, 3, 4, &c.

Du rouet. Il ne diffère des rouets ordinaires que l'on fait marcher au pied pour filer le lin, qu'en quelques petites particularités qui le rendent plus doux, et qui le font tordre davantage. Plus un fil est fin, plus il le faut tordre, pour que les filaments qui le composent puissent se tenir liés, et se soutenir au point de former un continu solide. Cependant quand le tors excède ce qu'il lui en faut pour le soutenir, le fil devient cassant, et ne peut être employé à aucun ouvrage. Cet excès du tors est très-sensible à qui a l'habitude de filer le coton. Le remède est de former son fil plus promptement, sans ralentir le mouvement du rouet. La fileuse pressée obéit au rouet, s'y accoutume, et par ce moyen fait beaucoup plus de fil. C'est pour ces raisons qu'on a donné vingt-deux pouces de diamètre à la roue de celui qu'on voit Pl. III. qu'on l'a faite pesante, et que la corde porte sur une noix de dix-huit lignes de diamètre : on y a ajouté une autre noix qui a trois pouces pour servir à celles qui commenceront ; mais il convient de n'en plus faire usage aussi-tôt que l'ouvrière se perfectionnera ; il faut alors passer à la tête du rouet une nouvelle noix de neuf à dix lignes de diamètre, où l'on aura creusé une rainure comme aux autres noix : on augmentera ainsi le mouvement de la broche, et l'on forcera la fileuse à former son fil plus promptement.

Ce rouet est monté à gauche, et doit tourner de gauche à droite pour les raisons qu'on a dites au paragraphe du filage. Les jentes de la roue portent une rainure profonde, et terminée dans le fond à angle aigu. Les noix qui sont à la tête du rouet en ont de toutes semblables ; elles servent à comprimer la corde, et à lui faire communiquer du mouvement de la roue à la tête du rouet, sans être serré sensiblement, ce qui donne de la douceur au rouet. La corde est de laine, et doit être grosse au moins comme une forte plume. L'élasticité de la laine contribue encore à rendre le mouvement plus doux. Elle est faite de trois cordons réunis ensemble ; on l'ajuste sur le rouet en faisant un nœud qui joigne les deux bouts ; on observe de diviser ce nœud en tiers, en nouant séparément entr'eux les cordons qui composent la corde, en sorte que les nœuds ne passent pas ensemble sur la noix.

La tête du rouet est faite comme celle du rouet à filer le lin, mais elle est plus petite ; le fuseau est d'ivoire, pour résister au débouilli sans perdre sa rondeur, surtout dans l'intérieur ; parce que n'étant pas rond, il tournerait inégalement sur la broche.

La délicatesse du fil de coton fin, a obligé de donner huit à neuf lignes de diamètre au corps du fuseau : si le diamètre était plus petit, comme de quatre lignes, ainsi qu'on le pratique pour le lin, le fil de coton casserait en commençant les fuseaux, au lieu que le rayon du fuseau étant deux fois plus long, le fil en altère le mouvement avec un effort quatre fois moins grand. C'est par le même principe qu'on a donné à la noix du fuseau la même hauteur qu'aux joues ; le boyau qui y porte pour servir de frein, en fait le tour entier. Comme ce boyau agit par le frottement, le frottement est bien plus considérable sur une grande noix, que sur une petite, et dans un tour entier, que sur une portion de la circonférence ; d'où il arrive qu'on n'est pas obligé de comprimer fortement ce fuseau contre la broche, et que le mouvement de la broche reste plus libre pour les autres opérations du filage.

L'ouverture intérieure du fuseau passe sur un fourreau de drap qui enveloppe la broche : l'usage de ce morceau de drap est de servir de coussinet entre le fuseau et la broche, pour éviter le bruit que ferait le battement de l'ivoire contre la broche de fer.

L'épinguer est bas, afin qu'il trouve peu de résistance dans l'air qui le ferait bruir, donnerait un mouvement irrégulier à la tête du rouet, et ferait casser le fil.

On a mis au bout de la broche un bouton d'ivoire percé des deux côtés, tant pour y passer commodément le fil, que parce que l'ivoire étant doux, il ne le coupe pas.

A la tête du rouet est attaché à un fil un crochet de fil-de-laiton qu'on introduit dans les trous qui sont au bouton d'ivoire, pour accrocher le fil de coton lorsqu'on le veut passer dans le bouton.

Dévidoir. C'est une espèce de lanterne qui a une demi-aulne de tour, tournant sur un pivot par le moyen d'une poignée ou manivelle qu'on voit à sa partie supérieure, Pl. III. Sous la lanterne est une pointe qui s'engage dans les dents d'une roue, dont elle en fait passer une à chaque tour, cette roue a vingt dents, de sorte que quand la lanterne a fait vingt tours, la roue en a fait un. Cette roue porte elle-même une pointe qui s'engage dans les dents d'une roue toute semblable, de sorte que la première fait vingt tours avant que celle-ci en ait fait un ; et conséquemment la lanterne fait vingt fois 20 tours, ou 400 tours, avant que la dernière roue en ait fini un, au bout duquel un ressort se détend, et avertit que la pièce de coton est complete , c'est-à-dire qu'elle a quatre cent tours qui valent 200 aulnes : l'on forme ainsi deux pièces à la fais.

Les fuseaux qui portent le coton qui vient d'être débouilli, se placent tout mouillés à des broches entre les deux montants opposés à la lanterne. On attache les bouts du coton à un des montants de la lanterne, ou la pièce doit être refaite : on le passe aussi auparavant dans un oeil de laiton qui est sur le bâton placé debout vers le milieu du dévidoir ; en sorte que les deux fils que vous devidez forment un écheveau vers le haut de la lanterne, et l'autre dans le milieu.

Quand les deux pièces sont complete s, on met les fils dans d'autres yeux, et l'on continue de former de nouvelles pièces ; ainsi de suite jusqu'à ce que la lanterne soit couverte. On laisse sécher le fil sur la lanterne ; après quoi on attache les pièces séparément les unes des autres. Mais pour les tirer de dessus la lanterne sans les endommager, on déplace deux montants de la lanterne qui sont mobiles, et les écheveaux sortent librement.

De l'ouvrage, ou des moyens de mettre le fil de coton en œuvre, et des instruments qu'on y emploie. Avant que d'aller plus loin, il ne sera pas inutîle d'exposer sommairement ce qu'on pratique en Normandie dans la fabrication des pièces de toîle de coton qui s'y font. La fileuse forme du coton qu'elle a filé, des écheveaux dont la longueur est indéterminée ; on blanchit et l'on teint ces écheveaux de toutes couleurs, on les devide ensuite sur des fuseaux appelés rochets, pour en ourdir des chaînes, sur un moulin à ourdir semblable à celui sur lequel on ourdit les chaînes des toiles de toute autre matière. Trente ou quarante fils, et même un plus grand nombre, se devident à la fois sur le moulin. Si la toîle est de diverses couleurs en chaîne, l'ouvrier en dispose le dessein ; de sorte que la chaîne ourdie contient le dessein des raiyures. On observe vers les extrémités de la chaîne de croiser, en ourdissant les fils qui la composent sur des chevilles qui sont au moulin, et cela pour conserver l'ordre dans lequel ces fils ont été placés sur le moulin. On appelle ces fils ainsi croisés, les encroix de la chaîne. Après plusieurs tours du moulin, la chaîne ayant le nombre de fils convenable, sur une longueur de 80 à 100 aulnes, l'on passe des fils dans les deux bouts de cette chaine, au lieu et place des chevilles ; ces fils passés maintiennent les encroix dans l'ordre qu'ils ont été formés sur le moulin. Cette chaîne étant hors de dessus le moulin, on lui donne l'apprêt ; c'est-à-dire qu'on la trempe en entier dans une colle légère faite de ligaments, nerfs, et cartilages de bœufs : lorsqu'elle en est bien imbibée, l'ouvrier la porte dans un champ, l'étend sur des chevalets selon toute sa longueur ; il remet l'ordre dans les fils au moyen des encroix qui sont observés au bout de la chaîne ; il empêche que ces fils ne se collent en séchant. Cette manœuvre n'est pas très-longue ; et avec quelque négligence qu'on la fasse, elle suffit.

Un second apprêt se donne sur le métier, lorsque la chaîne est montée, à mesure que l'ouvrier la trame. Cet apprêt est une colle faite de farine de froment, longtemps pourrie et aigrie par la force du levain. L'ouvrier étend cette colle sur les fils de la chaîne avec de fortes vergettes de bruyeres, et il ne cesse de frotter que tous les fils ne soient secs.

Ourdissage du fil de coton fin par la fileuse même. Les pièces de mousselines ont ordinairement seize aulnes ; on en peut ourdir deux à la fais, qui font trente-deux aulnes. Comme il y a toujours de la perte sur les longueurs des chaînes, il faut leur en donner au moins trente-quatre.

L'ourdissoir consiste en des chevilles placées par couple dans une muraille, à la distance d'un pied les unes des autres, toutes sur une même ligne ; de sorte que sur la longueur de trente-quatre aulnes, il se trouve cent vingt couples de chevilles de six pouces de longueur, rangées comme on le voit ici.