ou CACAOYER, s. m. (Histoire naturelle) arbre étranger.

Sa description. Le cacaoyer est un arbre d'une grandeur et d'une grosseur médiocres, qui augmentent ou diminuent selon la qualité du fonds où il vient.

Sur la côte de Caraque, par exemple, il prend beaucoup plus de croissance que dans nos îles Françaises.

Son bois est poreux et fort leger : son écorce est assez unie, et de couleur de canelle plus ou moins foncée, suivant l'âge de l'arbre.

Ses feuilles sont longues d'environ neuf pouces sur quatre, dans le fort de leur largeur, qui diminue vers les deux extrémités où elles se terminent en pointe ; leur couleur est d'un verd un peu foncé, mais plus clair en-dessus qu'en-dessous ; elles sont attachées à des pédicules longs de trois pouces, et d'une ligne de diamètre. L'allongement de ces pédicules forme le long du milieu de chaque feuille une côte droite un peu relevée, qui depuis sa naissance jusqu'au bout Ve en diminuant ; et de part et d'autre de cette côte sortent alternativement treize à quatorze nervures obliques.

Comme ces feuilles ne tombent guère que successivement, et à mesure que d'autres les remplacent, l'arbre ne parait jamais dépouillé : il fleurit en tout temps ; mais plus abondamment vers les deux solstices que dans les autres saisons.

Ses fleurs qui sont régulières et en rose, mais fort petites et sans odeur, sortent par bouquets des aisselles des anciennes feuilles, dont on aperçoit encore, pour ainsi dire, les cicatrices aux endroits où l'arbre s'en était autrefois dépouillé. Une grande quantité de ces fleurs coulent, et à peine de mille y en a-t-il dix qui nouent ; en sorte que la terre qui est au-dessous parait toute couverte de ces fausses fleurs.

Chaque fleur est attachée à l'arbre par un pédicule délié, et long de cinq à six lignes ; et quand elle est encore en bouton, elle n'a qu'environ deux lignes de diamètre, sur deux et demie ou trois tout au plus de longueur. Plus elle est petite par rapport à l'arbre et au fruit, plus elle m'a paru singulière et digne d'attention.

Lorsque le bouton vient à s'épanouir, on peut considérer le calice, le feuillage et le cœur de la fleur.

Le calice se forme de l'enveloppe du bouton, divisée en cinq parties ou feuilles de couleur de chair fort pâle.

Les cinq véritables feuilles de même couleur leur succedent, et remplissent les vides ou séparations du calice. Ses feuilles ont deux parties, l'une qui est au-dessous en forme de tasse oblongue, panachée intérieurement de pourpre, se recourbe vers le centre par le moyen d'une étamine qui lui sert comme de lien, d'où sort ensuite au-dehors l'autre partie de la feuille, qui semble en être séparée, et est formée en manière de fer de pique.

Le cœur de la fleur est composé de cinq filets et de cinq étamines, avec le pistil au milieu ; les filets sont droits, de couleur de pourpre, et disposés vis-à-vis des intervalles des feuilles ; les étamines sont blanches et courbes en-dehors, avec une espèce de bouton au sommet qui s'engage dans le milieu de chaque feuille pour la soutenir.

Quand on observe ces menues parties avec le microscope, on dirait que la pointe des filets est argentine, et que les étamines sont de crystal, aussi-bien que le pistil que la nature semble avoir placé au centre, en forme de filet blanc, ou pour être les prémices du jeune fruit ou pour lui servir de défense, s'il est vrai que cet embryon ne se produise et ne se développe qu'à sa base.

Le cacaoyer porte presque toute l'année des fruits de tout âge, qui mûrissent successivement, mais qui ne viennent point au bout des petites branches, comme nos fruits en Europe, mais le long de la tige et des mères branches ; ce qui n'est pas rare en ces pays-là, où plusieurs arbres ont la même propriété : tels sont les cocotiers, les abricotiers de S. Domingue, les calebassiers, les papayers, etc.

Le fruit du cacao est contenu dans une cosse, qui d'une extrême petitesse parvient en quatre mois à la grosseur et à la figure d'un concombre qui serait pointu par le bas, et dont la surface serait taillée en côte de melon.

Cette gousse dans les premiers mois est ou rouge ou blanche, ou mêlée de rouge et de jaune ; et cette variété de couleur fait trois sortes d'arbres de cacao, qui n'ont entr'eux que cette seule difference, que je ne crois pas suffisante pour établir trois espèces de cacao.

La première est d'un rouge vineux et foncé principalement sur les côtes, lequel devient plus clair et plus pâle en mûrissant.

La seconde qui est la blanche, est au commencement d'un verd si clair, qu'il en parait blanc ; peu-à-peu elle prend la couleur de citron ; et se colorant toujours de plus en plus, elle devient enfin tout à fait jaune dans sa maturité.

La troisième, qui est rouge et jaune tout ensemble tient un milieu entre ces deux premières ; car en mûrissant la rouge pâlit, et la jaune se renforce.

On a remarqué que les cosses blanches sont plus trapues que les autres, surtout du côté qu'elles tiennent à l'arbre ; et que les cacaoyers de cette sorte en rapportent communément davantage.

Si l'on fend une de ces cosses suivant sa longueur, on trouve qu'elle a environ quatre lignes d'épaisseur et que sa capacité est pleine d'amandes de cacao, dont les intervalles sont remplis avant leur maturité d'une substance blanche et ferme, mais qui se change enfin en une espèce de mucilage d'une acidité charmante ; c'est pourquoi on se donne souvent le plaisir de mettre de ces amandes de cacao avec leurs enveloppes dans la bouche, pour la rafraichir agréablement, et pour étancher la soif : mais on se garde bien d'y appuyer la dent, parce qu'en perçant la peau du cacao on sentirait une amertume extrême.

Lorsqu'on examine avec attention la structure intérieure de ces cosses, et qu'on en anatomise, pour ainsi dire, toutes les parties, on trouve que les fibres de la queue du fruit passant à-travers la cosse se partagent en cinq branches ; que chacune de ces branches se divise en plusieurs filaments, qui se terminent chacun au gros bout d'une des amandes ; et que le tout ensemble forme comme une espèce de grappe de vingt, vingt-cinq, trente à trente-cinq grains au plus, rangés et appliqués l'un contre l'autre dans la cosse avec un ordre merveilleux.

Après un grand nombre d'expériences, on n'en trouve ni moins ni plus de vingt-cinq : peut-être qu'à force de chercher les plus grosses cosses, dans les fonds les plus féconds, et sur les sujets les plus vigoureux, on en pourrait trouver de quarante amandes ; mais comme cela n'ira jamais au-delà, il est de même certain qu'on ne trouvera point de cosses qui en aient au-dessous de quinze, à moins que ce ne soient des cosses avortées, ou le fruit de quelqu'arbre fatigué, c'est-à-dire usé de vieillesse, de méchant fonds, ou par defaut de culture.

Lorsqu'on ôte la peau à quelqu'une des graines de cacao, on découvre la substance de l'amende, qui parait tendre, lisse, un peu violette, et comme divisée en plusieurs lobes, quoique dans la vérité elle n'en ait que deux, mais fort irréguliers, et fort embarrassés l'un dans l'autre.

Enfin coupant l'amande en deux suivant la longueur, on trouve à l'extrémité du gros bout une espèce de grain cylindrique de deux lignes de long, sur demi-ligne de diamètre, qui est le vrai germe de la plante ; au lieu que dans nos amandes européennes cette partie est placée à l'autre bout.

On peut voir même en France cette irrégularité de lobes, et le germe du cacao, dans les amandes rôties et mondées pour faire le chocolat.

Du choix et de la disposition du lieu pour planter une cacaoyere. Le cacaoyer croit naturellement dans plusieurs contrées de la zone torride de l'Amérique, mais particulièrement au Mexique, dans les provinces de Nicarague et de Guatimale, comme aussi le long des bords de la rivière des Amazones, et sur la côte de Caraque, c'est-à-dire, depuis Comana jusqu'à Carthage, et à l'île d'Or ; on en a même trouvé quelques-uns dans les bois de la Martinique.

Les Espagnols et les Portugais ont été les premiers à qui les Indiens ont donné connaissance du cacao ; ils en ont longtemps usé sans le communiquer aux autres nations.

En 1649 on ne connaissait encore aux îles du Vent qu'un seul arbre de cacao, planté par curiosité dans le jardin d'un anglais habitant de l'île de Sainte-Croix. En 1655 les Caraïbes montrèrent à M. du Parquet le cacaoyer, dans les bois de l'île de la Martinique dont il était seigneur : cette découverte donna lieu à plusieurs autres de même espèce, dans les mêmes bois de la Capestère de cette ile, et c'est apparemment aux graines qu'on en tira, que les cacaoyeres qu'on y a depuis plantées doivent leur origine. Un Juif nommé Benjamin y planta la première vers l'année 1660 : mais ce ne fut que vingt ou vingt-cinq ans après, que les habitants de la Martinique commencèrent à s'appliquer à la culture du cacao, et à planter des cacaoyeres.

On appelle une cacaoyere, une espèce de verger d'arbres de cacao plantés au cordeau, à-peu-près comme nous disons en France une cerisaie, une pommeraie, une prunelaie, une figuerie, &c.

Lorsqu'on veut planter une cacaoyere, il faut surtout choisir la situation du lieu et la nature du terroir qui lui conviennent.

Le cacaoyer demande un lieu plat, humide, et à l'abri des vents, une terre neuve, et pour ainsi dire vierge, médiocrement grasse, meuble et profonde ; c'est pourquoi les fonds nouvellement défrichés, dont la terre est noire et sablonneuse, qu'une rivière tient frais, et que les coteaux ou mornes d'alentour (pour parler le langage du pays) mettent à couvert des vents, surtout du côté de la mer, sont préférables à toute autre situation ; et l'on ne manque guère de les mettre à cet usage, quand on est assez heureux pour en avoir de semblables.

J'entends par fonds nouvellement défrichés, ceux dont le bois vient d'être abattu exprès pour cela ; car il faut remarquer qu'on place encore aujourd'hui toutes les cacaoyeres au milieu des bois, de même qu'on a fait depuis la création du monde ; et cela pour deux raisons très-essentielles ; le première, afin que le bois debout qui reste autour leur serve d'abri ; et la seconde, afin qu'elles donnent moins de peine à sarcler, la terre qui n'a jamais produit d'herbe n'en poussant que peu faute de graines.

Aux cacaoyeres plantées sur des éminences, la terre n'a pas assez d'humidité ni assez de profondeur, et ordinairement le pivot ou la maîtresse racine, qui seule s'enfonce à-plomb dans la terre, ne peut percer le tuf qu'elle rencontre bien-tôt : les vents d'ailleurs y ayant plus de prise, font couler les fleurs nouées, et pour peu qu'ils soient forts, abattent les arbres dont presque toutes les racines sont superficielles.

C'est encore pis aux coteaux dont la pente est un peu rude ; car outre les mêmes inconvéniens, les avalaisons en entraînent la bonne terre, et découvrent insensiblement toutes les racines.

On peut donc conclure que toutes ces sortes de cacaoyeres sont longtemps à porter, qu'elles ne sont jamais abondantes, et qu'elles se ruinent en peu de temps.

Il est bon aussi (autant qu'il est possible) qu'une cacaoyere soit entourée de bois debout ; ou s'il y a quelque côté d'ouvert, on doit y remédier de bonne heure par une lisière à plusieurs rangs de bananiers.

Il faut encore qu'une cacaoyere soit d'une grandeur médiocre ; car les petites, surtout dans les fonds, n'ont pas assez d'air, et sont comme étouffées ; et les grandes jusqu'à l'excès sont trop exposées à la sécheresse et aux grands vents qu'on nomme ouragans en Amérique.

La place de la cacaoyere étant choisie, et les dimensions déterminées, on se met à abattre le bois : on commence par arracher les petites plantes, et à couper les arbrisseaux et le menu bois ; puis on tronçonne les tiges et les grosses branches des petits arbres, et des médiocres ; on fait des buchers et on allume des feux de toutes parts ; on brule même sur pied les plus gros arbres, pour s'épargner la peine de les couper.

Lorsque tout est brulé, qu'il ne reste plus sur la terre que les troncs des plus grands arbres qu'on néglige de faire consumer, et que l'abattis se trouve parfaitement nettoyé, on dresse au cordeau des allées équidistantes et parallèles, où l'on plante en quinconce des piquets de deux à trois pieds de long à l'intervalle de 5, 6, 7, 8, 9 ou 10 pieds, en un mot, à telle distance qu'on a résolu de donner aux cacaoyers qu'ils représentent. Enfin on fait une pièce de manioc de tout l'espace défriché, prenant garde de n'en planter aucun pied trop près des piquets.

On observera que les cacaoyeres plantées à grandes distances de 8, 6 et 10 pieds donnent bien plus de peine à tenir nettes dans les premières années (comme nous dirons dans la suite) : mais aussi quand elles sont dans de bons fonds, elles réussissent mieux de cette sorte, rapportent et durent beaucoup plus.

Les habitants qui sont pressés de leurs besoins, plantent plus près les arbres, parce que cela augmente considérablement le nombre des pieds, et diminue en même temps le travail de les tenir nets. Quand dans la suite les arbres viennent à se nuire réciproquement par leur proximité, ils ont déjà recueilli quelques levées de cacao, qui ont pourvu à leurs nécessités les plus urgentes, et au pis aller ils coupent alors une partie des arbres pour donner de l'air au reste.

A la côte de Caraque, on plante des cacaoyers à 12 et 15 pieds d'intervalle, et l'on pratique des rigoles de temps en temps pour les arroser dans les grandes sécheresses : on a fait aussi une heureuse expérience de cette pratique à la Martinique depuis quelques années.

Au reste le manioc est un arbuste dont les racines gragées et cuites sur le feu, fournissent la cassave et la farine qui servent de pain à tous les habitants naturels de l'Amérique. On en plante dans les nouveaux abattis, non-seulement parce qu'il en faut nécessairement à un habitant pour la nourriture de ses negres, mais aussi pour diminuer la production des mauvaises herbes, et pour mettre à l'ombre les pieds de cacao qui lèvent, dont la plume tendre ni même les secondes feuilles ne pourraient résister à l'ardeur excessive du soleil : c'est pourquoi on attend que le manioc puisse ombrager le pied des piquets, avant que de planter le cacao.

De la manière de planter une cacaoyere, et de la cultiver jusqu'à la maturité des fruits. Tout le cacao se plante de graine, le bois de cet arbre ne prenant point de bouture. On ouvre une cosse de cacao, et à mesure qu'on en a besoin, on en tire les amandes, et on les plante une à une : commençant, par exemple, par le premier piquet, on l'arrache, et avec une sorte de houlette de fer bien affilée ayant fait une espèce de petit labour, et coupé, en béquillant tout-autour, les petites racines qui pourraient nuire, on plante la graine à trois ou quatre pouces de profondeur, et l'on remet le piquet un peu à côté pour servir de marque ; et ainsi de piquet en piquet, et de rang en rang, on parcourt toute la cacaoyere.

Il faut observer, 1°. de ne point planter dans les temps secs ; on le peut à la vérité tous les mois, et toutes les lunes vieilles ou nouvelles ; lorsque la saison est fraiche, et que la place est prête : mais on croit communément que plantant depuis le mois de Septembre jusqu'aux fêtes de Noë, les arbres rapportent plutôt de quelques mois.

2°. De ne planter que de grosses amandes, et bien nourries ; car puisque dans les plus belles cosses il se trouve des graines avortées, il y aurait de l'imprudence de les employer.

3°. De planter le gros bout des graines en bas, c'est celui-là qui tient par un petit filet au centre de la cosse quand on tire l'amande en-dehors. Si on plantait le petit bout en-bas, le pied viendrait tortu, et ne réussirait point ; si on plantait la graine de plat, le pied ne laisserait pas de venir assez bien.

4°. De mettre deux ou trois graines à chaque piquet, afin que si par malheur les criquets ou autres petits insectes coupaient la plume encore tendre d'un ou deux pieds, il en restât une troisième pour suppléer au défaut des autres. S'il n'arrive point d'accident, on a au moins l'avantage de pouvoir choisir ensuite le brin qui est le plus droit et de meilleure venue, mais on ne se résout à couper les pieds surnuméraires, que lorsque celui qu'on a choisi, est couronné, et hors de risque selon toutes les apparences.

Les graines de cacao lèvent dans huit, dix ou douze jours plus ou moins, selon que le temps plus ou moins propre avance ou recule la végétation : le grain cylindrique du germe venant à se gonfler, pousse en-bas la radicule, qui devient ensuite le pivot de l'arbre, et en-haut la plume, qui est un raccourci de la tige et des branches : ces parties croissant et se développant de plus en plus, les deux lobes de l'amande un peu séparés et recourbés, sortent les premiers de la terre, et à mesure que le pied s'éleve, se redressent et se séparent tout à fait en deux feuilles dissemblables, d'un verd obscur, épaisses, inégales, et comme recoquillées, qui font ce qu'on appelle les oreilles de la plante : la plume parait en même temps, et se partage en deux feuilles tendres, et d'un verd clair et naissant ; à ces deux premières feuilles opposées deux à deux en succedent deux autres de même, à celles-ci deux troisiemes, le pied s'élève à proportion, et ainsi de suite durant une année ou environ.

Toute la culture du cacao se réduit alors à la pratique de deux choses.

Premièrement à le recouvrir tous les quinze jours, c'est-à-dire planter de nouvelles graines aux lieux où les premières n'ont pas levé, ou bien plutôt, où les pieds ont été rongés par les criquets et autres insectes, qui font souvent un dégât terrible de ces nouvelles plantes, lors même qu'on les croit hors de tout danger. Quelques habitants font des pépinières à part, et transplantent ensuite des pieds de cacao où il en manque, mais comme ils ne prennent pas tous, lors principalement qu'ils sont un peu grands, ou que la saison n'est pas favorable, et que la plupart même de ceux qui prennent, sont longtemps à languir, il a toujours paru plus convenable de recouvrir avec la graine.

Secondement, à ne laisser croitre aucune herbe dans la cacaoyere, recommençant à sarcler par un bout dès qu'on a fini par l'autre, et prenant garde sur toutes choses de ne laisser jamais grener aucune herbe ; car s'il arrive une fois qu'on en laisse monter en graine, on a dans la suite bien de la peine et du travail à détruire les mauvaises herbes, et à tenir nets les cacaoyers, parce que la végétation n'est jamais interrompue en ce pays-là par le froid.

Ces sarclaisons continuelles durent jusqu'à ce que les cacaoyers devenus grands, et leurs branches se croisant, l'ombrage empêche les herbes de pousser ; et que d'ailleurs les feuilles tombant des arbres et couvrant la terre, achevent d'étouffer les herbes. Ainsi finit le pénible exercice de sarcler ; il suffit alors de faire tous les mois une revue en se promenant dans la cacaoyere, d'arracher par-ci par-là le peu d'herbes qu'on y trouve, et de les transporter loin dans le bois crainte des graines.

Dès que les cacaos ont neuf mois, on doit commencer à arracher le manioc, et faire si bien qu'en trois mois au plus tard il n'y en ait plus. A mesure qu'on l'arrache, on peut encore en replanter une rangée ou deux au milieu de chaque allée, et semer dans les autres vides des concombres, des citrouilles, des giraumonts et des choux caraïbes ; parce que ces plantes ayant de grandes feuilles rempantes, sont fort propres à conserver la fraicheur de la terre, et à étouffer les méchantes herbes. Quand les cacaoyers sont parvenus à couvrir leur terre, on est contraint d'arracher tout, car rien ne peut plus profiter au-dessous.

Les cacaoyers d'un an ont ordinairement quatre pieds de tige ou environ, et commencent à faire leur tête en poussant tout-à-la-fais cinq branches au sommet, qui forment ce qu'on appelle la couronne du cacao. Il arrive rarement que cette couronne n'ait pas ces cinq branches, et lorsque par quelque accident, ou contre l'ordre de la nature, elle n'en a que trois ou quatre, l'arbre ne vient jamais bien, et il serait peut-être mieux de le recéper d'abord, et d'attendre une nouvelle couronne qui ne serait pas longtemps à se former.

Si à la fin de l'année le manioc n'était pas encore arraché, cela retarderait la portée des arbres ; et leurs tiges montant trop haut, seraient faibles, veules, et plus exposées aux coups de vent, que si elles couronnaient, les couronnes seraient trop serrées, et les mères branches ne s'évasant pas assez, les arbres ne seraient jamais bien dégagés, et n'auraient point l'étendue qui leur est naturelle.

Quand tous les pieds sont couronnés ; on fait choix des plus beaux jets, et l'on coupe sans misericorde tous les surnuméraires ; si l'on ne prend brusquement ce parti, on a bien de la peine à s'y résoudre dans la suite ; cependant il n'est pas possible que des arbres ainsi accolés ne s'entrenuisent à la fin.

Les cacaoyers ne sont pas plutôt couronnés qu'ils poussent de temps en temps un pouce ou deux au-dessous de leur couronne, de nouveaux jets qu'on appelle rejetons, si on laisse agir la nature, ces rejetons produisent bientôt une seconde couronne, sous laquelle un nouveau rejeton venant à pousser, en forme encore une troisième, etc. C'est ainsi que sont faits les cacaoyers naturels, et sans culture, qu'on trouve dans les bois de la Capestère de la Martinique. Mais parce que toutes ces couronnes à plusieurs étages ne font qu'anéantir en quelque manière la première, qui est la principale, et que l'arbre abandonné à lui-même devient trop haut et trop effilé ; on a soin tous les mois en sarclant, ou en cueillant le fruit, d'ébourgeonner, c'est-à-dire de châtrer tous ces rejetons ; et c'est ce qu'on appelle sur les lieux rejetonner.

On ne s'est point encore avisé de tailler, non plus que de greffer les cacaoyers ; il y a cependant une espèce de taille qui pourrait leur être avantageuse. Il est constant, par exemple, que ces sortes d'arbres ont toujours quelque partie de bois mort, les uns plus, les autres moins ; surtout aux extrémités des branches : et il n'y a pas lieu de douter qu'il ne leur fût très-utîle de trancher ce bois mort jusqu'au vif avec la serpette : mais comme l'avantage qu'on en retirerait ne serait pas si présent ni si sensible que le temps et le travail qu'on y emploierait, il y a bien apparence qu'on négligera toujours cette opération, et qu'on la traitera même de peine inutile. Les Espagnols n'en jugent pas de même, et ils ont au contraire un grand soin de retrancher tous ces bois morts ; aussi leurs arbres sont plus vigoureux que les nôtres, et donnent de plus beaux fruits. On doute qu'ils aient la même attention de les greffer, et que personne ait encore tenté de le faire ; on croit néanmoins que les cacaos en seraient bien meilleurs.

A mesure que les cacaoyers croissent, ils se dépouillent peu-à-peu des feuilles de la tige, qu'il faut laisser tomber d'elles-mêmes ; car dès qu'ils en sont entièrement dépouillés, ils ne sont pas longtemps à fleurir ; mais ces premières fleurs coulent ordinairement : et on ne doit guère espérer de fruit mûr avant trois ans, encore faut-il que ce soit en bonne terre : à quatre ans la levée est médiocre, et à cinq elle est dans toute sa force. Pour lors les cacaoyers portent ordinairement pendant toute l'année des fleurs et des fruits de tout âge ; il est à la vérité des mois où ils n'en ont presque point et d'autres où ils en sont chargés : vers les solstices les levées sont toujours plus abondantes que dans les autres saisons.

Comme dans les ouragans le vent peut faire le tour du compas en très-peu d'heures, il est mal-aisé que perçant par l'endroit le plus faible et le moins couvert des cacaoyers, il n'y fasse bien du désordre, et il est nécessaire d'y remédier le plus promptement qu'il est possible. Si le vent n'a fait que renverser les arbres sans rompre leur pivot, en ce cas le meilleur parti qu'il y ait à prendre, surtout dans les bonnes terres, est de relever sur le champ ces arbres, et de les remettre en place, les appuyant avec une fourchette, et les rechaussant bien avec de la terre d'alentour : de cette manière ils sont raffermis en moins de six mois, et rapportent comme s'ils n'avaient jamais eu de mal. Dans les mauvaises terres il vaut mieux les laisser couchés, rechausser les racines, et cultiver à chaque pied le rejeton de plus belle venue, et le plus proche des racines qu'il poussera, en retranchant avec soin tous les autres. L'arbre en cet état ne laisse pas de fleurir et de porter du fruit ; et quand dans deux ans le rejeton conservé est devenu un arbre nouveau, on étronçonne le vieux arbre à un demi-pié du rejeton.

De la cueillette du cacao, et de la manière de le faire ressuer et sécher pour pouvoir être conservé et transporté en Europe. Le cacao est bon à cueillir lorsque toute la cosse a changé de couleur, et qu'il n'y a que le petit bouton d'en-bas qui soit demeuré verd. On Ve d'arbre en arbre et de rang en rang, et avec des gaulettes fourchues on fait tomber les cosses mûres, prenant garde de ne point toucher à celles qui ne le sont pas, non plus qu'aux fleurs. On emploie à cela les Nègres les plus adroits ; et d'autres qui les suivent avec des paniers, ramassent les cosses à terre, et en font à droite et à gauche dans la cacaoyere des piles qu'on laisse-là quatre jours sans y toucher.

Dans les mois d'un grand rapport, on cueille tous les quinze jours ; dans les saisons moins abondantes, on cueille de mois en mois.

Si les graines restaient dans les cosses plus de quatre jours, elles ne manqueraient pas de germer et de se gâter ; c'est pourquoi lorsque de la Martinique on a voulu envoyer aux îles voisines des cosses de cacao, pour avoir de la graine à planter, on a eu un soin extrême de ne cueillir que lorsque le bâtiment de transport allait mettre à la voile, et de les employer d'abord en arrivant. Il n'est donc pas possible que les Espagnols voulant avoir de la semence pour produire ces arbres, laissent parfaitement mûrir et sécher les gousses qui la contiennent ; qu'après ils ôtent les semences de ces gousses, et qu'ils les fassent soigneusement sécher à l'ombre, pour les planter enfin en pépinière, comme le rapporte Oexmelin, histoire des avanturiers, tom. I. pag. 424. Il est nécessaire de les écaler dès le matin du cinquième jour au plus tard ; pour cela on frappe sur le milieu des cosses avec un morceau de bois, pour les fendre ; et avec les mains on acheve de les ouvrir en-travers, et d'en tirer les amandes qu'on met dans des paniers, jetant dans la cacaoyere les écosses vides pour lui servir d'amandement et d'engrais, quand elles sont pourries, à-peu-près comme les feuilles de la dépouille des arbres leur servent de fumier continuel.

On porte ensuite dans une case tout le cacao écalé, et on le met en pîle sur une espèce de plancher volant, couvert de feuille de balisier qui ont environ quatre pieds de long sur vingt pouces de large ; puis entourant le cacao de planches recouvertes des mêmes feuilles, et faisant une espèce de grenier qui puisse contenir toute la pîle de cacao étendue on couvre le tout de semblables feuilles, qu'on affermit avec quelques planches. Le cacao ainsi entassé, couvert et enveloppé de toutes parts, ne manque pas de s'échauffer par la fermentation de ses parties insensibles, et c'est ce qu'on appelle sur les lieux ressuer.

On découvre ce cacao soir et matin, et l'on fait entrer dans le lieu où il est, des Nègres qui, travaillant à force des pieds et des mains, le remuent bien, et le renversent c'en-dessus-dessous ; après quoi on le recouvre comme auparavant avec les mêmes feuilles et les mêmes planches. On continue cette opération chaque jour jusqu'au cinquième, auquel il est ordinairement assez ressué ; ce qu'on connait à la couleur, qui est beaucoup plus foncée et tout à fait rousse.

Plus le cacao ressue, et plus il perd de sa pesanteur et de son amertume ; mais s'il ne ressue pas assez, il est plus amer, sent le verd, et germe quelquefois ; il y a donc pour bien faire un certain milieu à garder, ce qui s'apprend par l'usage.

Dès que le cacao a assez ressué, on le met à l'air, et on l'expose au soleil pour le faire sécher en la manière suivante.

On a déjà dressé d'avance plusieurs établis à deux pieds ou environ, au-dessous du plan d'une cour destinée à cela : ce sont deux espèces de sablières parallèles, à deux pieds l'une de l'autre, affermies sur de petits poteaux enfoncés dans la terre. On étend sur ces établis plusieurs nattes faites de brins de roseaux refendus, assemblés avec des liens d'écorce de mahot : (le mahot est un arbrisseau dont les feuilles sont rondes et douces au maniement, comme celles de la guimauve ; son écorce, qui se lève facilement, et qu'on divise en longs rubans, sert de ficelle et de corde aux habitants et aux sauvages) ; et sur ces nattes on met du cacao ressué environ à la hauteur de deux pouces ; on le remue et on le retourne fort souvent avec un rabot de bois, surtout les deux premiers jours : le soir on plie le cacao dans ses nattes, qu'on recouvre de quelques feuilles de balisier, crainte de la pluie ; on en fait autant le jour quand il Ve pleuvoir. Ceux qui craignent qu'on ne le vole la nuit, l'enferment dans une case.

Il y a des habitants qui se servent de caisses d'environ cinq pieds de long sur deux de large, et trois à quatre pouces de rebord, pour faire sécher leur cacao. Elles ont cette commodité, que dans les grandes pluies, ou qui surviennent tout-à coup lorsque le cacao commence à sécher, on peut vite mettre toutes ces caisses en pîle l'une sur l'autre, en sorte qu'il ne reste que la dernière à couvrir ; ce qui est bientôt fait avec des feuilles de balisier recouvertes d'une caisse vide renversée. Mais ce qui rend l'usage des nattes préférable, est que l'air qui passe par-dessous à-travers les vides des roseaux, fait mieux sécher le cacao. Des caisses dont le fond serait en réseau fort serré de fil de laiton, seraient excellentes ; mais il faudrait les faire faire en Europe, ce qui serait une dépense considérable.

Quand le cacao est assez ressué, il faut l'exposer sur les nattes, quelque temps qu'il fasse : si l'on prévoyait même une pluie abondante et de durée, il serait bon de le laisser moins ressuer d'un demi-jour ou environ. On remarque que quelques heures de pluie dans le commencement, bien loin de lui nuire, ne servent qu'à le rendre plus beau et mieux conditionné. Dans la belle saison, au lieu de cette pluie, il n'est pas mal de l'exposer les premières nuits au serein et à la rosée ; la pluie même d'un jour ou deux ne lui sera pas fort nuisible, si l'on observe de ne le point couvrir absolument jusqu'à ce qu'il ait eu un jour, ou tout au moins un demi-jour de soleil : car après un jour de beau temps on le plie le soir dans sa natte, comme nous avons dit ; et après un demi-jour on se contente, sans le plier, de le couvrir pendant la nuit de feuilles de balisier arrêtées avec des pierres mises dessus aux deux bouts. Mais une trop longue pluie fait fendre le cacao ; et parce qu'alors il ne se conserve pas longtemps, on l'emploie sur les lieux à faire du chocolat.

Si le cacao n'est pas assez ressué, et qu'on le plie trop-tôt dans sa natte, il est sujet à germer ; ce qui le rend fort amer et tout à fait mauvais.

Lorsque le cacao a été une fois plié dans sa natte, et qu'il a commencé à se sécher, il ne faut plus souffrir qu'il se mouille : il ne s'agit alors que de le remuer de temps-en-temps, jusqu'à ce qu'il soit suffisamment sec ; ce qu'on connait, si en prenant une poignée de cacao dans la main, et la serrant, il craque : alors il est temps de le mettre en magasin, et de l'exposer en vente.

Ceux qui veulent acquérir la réputation de livrer de belle marchandise, se donnent le soin, avant que d'enfutailler leur cacao, de trier et de mettre à part les grains trop petits, mal nourris et plats, qui sont seulement moins beaux à la vue, et rendent un peu moins en chocolat.

C'est de cette manière que les graines ou amandes de cacao séchées au soleil, nous sont apportées en Europe et vendues chez les Epiciers, qui les distinguent, je ne sai pourquoi, en gros et petit caraque, et en gros et petit cacao des îles : car sur les lieux il n'est point fait mention de cette diversité ; et il faut apparemment que les marchands qui en font commerce, aient trouvé leur compte à faire ce triage, puisque naturellement tout cacao provenu du même arbre et de la même cosse, n'est jamais de la même grosseur. Il est bien vrai que comparant une partie entière de cacao avec une autre, on peut trouver que l'une est pour la plupart composée de plus gros grains que l'autre ; ce qui peut provenir ou de l'âge du plant, ou de la vigueur des arbres, ou bien de la fécondité particulière de la terre : mais très-assurément il n'y a point d'espèce de cacao qu'on puisse appeler grande par rapport à une autre qu'on puisse appeler petite.

Le cacao qui nous vient de la côte de Caraque, est plus onctueux et moins amer que celui de nos iles, et on le préfère en Espagne et en France à ce dernier ; mais en Allemagne et dans le Nord, on est, à ce qu'on dit, d'un goût tout opposé. Bien des gens mêlent le cacao de Caraque avec celui des îles moitié par moitié, et prétendent par ce mélange rendre leur chocolat meilleur. On croit que dans le fond la différence des cacaos n'est pas fort considérable, puisqu'elle n'oblige qu'à augmenter ou diminuer la dose du sucre, pour tempérer le plus ou le moins d'amertume de ce fruit : car il faut considérer, comme nous l'avons déjà dit, qu'il n'y a qu'une espèce de cacao, qui croit aussi naturellement dans les bois de la Martinique que dans ceux de la côte de Caraque ; que le climat de ces lieux est presque le même, et par conséquent la température des saisons égale ; et qu'ainsi il ne saurait y avoir entre ces fruits de différence intrinseque qui soit fort essentielle.

A l'égard des différences extérieures qu'on y remarque, elles ne sauraient provenir que du plus ou du moins de fécondité des terroirs, du plus ou du moins de soin donné à la culture des arbres, du plus ou du moins d'industrie et d'application de ceux qui le préparent et qui le travaillent depuis sa cueillette jusqu'à sa livraison, et peut-être même de tous les trois ensemble ; ce qu'on peut observer à la Martinique même, où il y a des quartiers où le cacao réussit mieux que dans d'autres, par la seule différence des terres plus ou moins grasses, plus ou moins humides.

On a l'expérience de ce que l'attention à la culture et à la préparation du cacao, peuvent ajouter à son prix. Avec des soins et de l'intelligence, on trouve le moyen de faire la plus belle marchandise de toute l'ile, et de se procurer la préférence de tous les marchands, pour la vente et le prix du cacao, sur tous ses voisins.

Le cacao de Caraque est un peu plat, et ressemble assez par son volume et sa figure à une de nos grosses fèves ; celui de Saint Domingue, de la Jamaïque et de l'île de Cube, est généralement plus gros que celui des Antilles. Plus le cacao est gros et bien nourri, et moins il y a de déchet après l'avoir rôti et mondé.

Le bon cacao doit avoir la peau fort brune et assez unie ; et quand on l'a ôtée l'amande doit se montrer pleine, bien nourrie et lisse, de couleur de naisette fort obscure au-dehors, un peu plus rougeâtre en-dedans ; d'un goût un peu amer et astringent, sans sentir le verd ni lemoisi ; en un mot sans odeur et sans être piqué des vers.

Le cacao est le fruit le plus oléagineux que la nature produise, il a cette prérogative admirable de ne jamais rancir, quelque vieux qu'il sait, comme font tous les autres fruits qui lui sont analogues en qualité, tels que les noix, les amendes, les pignons, les pistaches, les olives, etc.

On nous apporte aussi de l'Amérique du cacao réduit en pains cylindriques d'environ une livre chacun ; et comme cette préparation est la première et la principale qu'on lui donne pour faire le chocolat, il me semble à-propos d'ajouter ici la manière de la faire.

Les Indiens, dont on l'a tirée, n'y faisaient pas grande façon : ils faisaient rôtir leur cacao dans des pots de terre ; puis l'ayant mondé de sa peau et bien écrasé et broyé entre deux pierres, ils en formaient des masses avec leurs mains.

Les Espagnols, plus industrieux que les Sauvages, et aujourd'hui les autres nations à leur exemple, font choix du meilleur cacao, et du plus récent. (Comme le cacao n'est jamais si net que parmi les bons grains il n'y en ait d'avortés, de la terre, des pierres, etc. il faut avant que de l'employer, faire passer ces ordures à-travers un crible qui leur donne issue sans donner passage aux amandes de cacao). Ils en mettent environ deux livres dans une grande poêle de fer sur un feu clair, et ils les remuent et les retournent continuellement avec une grande spatule, jusqu'à ce que les amandes soient assez rôties pour être facilement dépouillées de leur peau ; ce qu'il faut faire une à une, et les mettre à part ; prenant un soin extrême de rejeter les grains cariés, lesmoisis, et toute la dépouille des bons : car ces pellicules restées parmi le cacao ne se dissolvent jamais dans aucune liqueur, pas même dans l'estomac, et se précipitent au fond des tasses de chocolat dont le cacao n'a pas été bien mondé. Les ouvriers, pour expédier plus promptement cette opération et gagner du temps, mettent une grosse nappe sur une table, et y étendent leur cacao sortant tout chaud de la poêle ; puis ils font couler le rouleau de fer dessus, pour faire craquer et détacher les pellicules du cacao : enfin ils vannent le tout dans un van d'osier, jusqu'à ce que le cacao soit parfaitement mondé.

Si on a eu soin de peser le cacao chez l'épicier, et qu'ensuite on le repese après qu'il est rôti et mondé, on y trouvera environ un sixième de déchet, un peu plus, un peu moins, selon la nature et les qualités du cacao ; c'est-à-dire, par exemple, que de trente livres d'achat, il en restera à-peu-près vingt-cinq toutes mondées.

Tout le cacao étant ainsi rôti et mondé à diverses reprises, on le met encore une fois rôtir dans la même poêle de fer, mais avec un feu moins violent ; on remue sans-cesse les amandes avec la spatule, jusqu'à ce qu'elles soient rôties également et au point qu'il faut ; ce qu'on connait au goût savoureux et à la couleur brune sans être noire ; l'habileté consiste à éviter les deux extrémités, de ne les pas rôtir suffisamment et de les trop rôtir, c'est-à-dire de les bruler. Si on ne les rôtit pas assez, elles conservent une certaine rudesse de goût desagréable ; et si on les rôtit jusqu'à les bruler, outre l'amertume et le dégoût qu'elles contractent, on les prive entièrement de leur onctuosité et de la meilleure partie de leurs bonnes qualités.

En France, où on outre ordinairement toutes choses, on s'est fort entêté du goût de brulé et de la couleur noire, comme de qualités requises au bon chocolat ; ne considérant pas que charbon pour charbon il vaudrait autant y mettre celui du feu que celui du cacao. Cette observation n'est pas seulement conforme à la raison et au bon sens : mais elle est d'ailleurs confirmée par le consentement unanime de tous ceux qui ont écrit sur cette matière, et elle est de même autorisée par la pratique universelle de toute l'Amérique.

Lorsque le cacao est rôti à-propos et bien mondé, on le pîle dans un grand mortier pour le réduire en masse grossière, qu'on passe enfin sur la pierre jusqu'à ce qu'elle soit d'une extrême finesse, ce qui demande une explication plus étendue.

On choisit une pierre qui résiste naturellement au feu, et dont le grain soit ferme, sans être ni trop doux pour s'égrainer, ni trop dur pour recevoir le poli. On la taille de seize à dix-huit pouces de large sur vingt-sept à trente de long et trois d'épaisseur, en sorte que sa surface soit courbe et creuse au milieu d'environ un pouce et demi ; cette pierre est affermie sur un châssis de bois ou de fer, un peu plus relevé d'un côté que de l'autre : on place dessous un brasier pour échauffer la pierre, afin que la chaleur mettant en mouvement les parties huileuses du cacao, et le réduisant en consistance liquide de miel, facilite beaucoup l'action d'un rouleau de fer, dont on se sert pour le travailler avec force, le broyer, et l'affiner jusqu'à ce qu'il n'y ait ni grumeau, ni la moindre dureté. Ce rouleau est un cylindre de fer poli, de deux pouces de diamètre sur dix-huit ou environ de long, ayant à chaque bout un manche de bois de même grosseur, et de six pouces de long pour placer les mains de l'ouvrier.

Quand la pâte est autant broyée qu'on le juge nécessaire, on la met toute chaude dans des moules de fer-blanc, où elle se fige et se rend solide en très-peu de temps. La forme de ces moules est arbitraire et chacun les peut faire à sa fantaisie : cependant les cylindriques qui peuvent contenir deux à trois livres de matière, me paraissent les plus convenables, parce que les pains les plus gros se conservent plus longtemps dans leur bonté, et sont plus commodes pour le maniement quand il s'agit de les râper. On doit conserver ces billes enveloppées de papier dans un lieu sec, et observer qu'elles sont fort susceptibles des bonnes et des mauvaises odeurs, et qu'il est bon de les garder cinq ou six mois avant que d'en user.

Au reste le cacao étant suffisamment broyé et passé sur la pierre, comme nous venons de l'expliquer, si l'on veut achever la composition du chocolat en masse il ne s'agit plus que d'ajouter à cette pâte une poudre passée au tamis de soie, et composée de sucre, de cannelle, et si l'on veut de vanille, suivant les doses et les proportions que nous enseignerons dans la suite de cet article ; de repasser le tout sur la pierre pour le bien mêler et incorporer ensemble, et de distribuer enfin cette confection américaine dans des moules de fer-blanc en forme de tablettes d'environ quatre onces chacune, ou demi-livre si l'on veut.

Propriétés du cacao. Le cacao est fort tempéré, nourrissant, et de facîle digestion. Il répare promptement les esprits dissipés et les forces épuisées ; il est salutaire aux vieillards.

Usages du cacao ; on en fait des confitures, du chocolat, et l'on en tire l'huîle qu'on appelle beurre de cacao.

Du cacao en confiture. On fait choix des cosses de cacao à demi mûres ; on en tire proprement les amandes sans les endommager, et on les met tremper pendant quelques jours dans de l'eau de fontaine, que l'on a soin de changer soir et matin : ensuite les ayant retirées et essuyées, on les larde avec des petits lardons d'écorce de citron et de cannelle, à-peu-près comme on fait les noix à Rouen.

On a cependant préparé un sirop du plus beau sucre, mais fort clair, c'est-à-dire où il y ait fort peu de sucre ; et après l'avoir bien purifié et bien clarifié, on l'ôte tout bouillant de dessus le feu, on y jette les grains de cacao, et on les y laisse tremper pendant vingt-quatre heures, après quoi on les retire de ce sirop ; et pendant qu'on les laisse égoutter, on en fait un nouveau semblable au précédent, mais plus fort de sucre, où on les fait pareillement tremper durant vingt-quatre heures. On réitère cinq ou six fois cette opération, augmentant à chaque fois la quantité de sucre, sans les mettre jamais sur le feu ni donner d'autre cuisson. Enfin ayant fait cuire un dernier sirop en consistance de sucre, on le verse sur les cacaos qu'on a mis bien essuyer dans un pot de fayence pour les conserver, et quand le sirop est presque refroidi, on y mêle quelques gouttes d'essence d'ambre.

Quand on veut tirer cette confiture au sec, on ôte les amandes hors de leur sirop ; et après les avoir bien égouttées, on les plonge dans une bassine pleine d'un sirop bien clarifié et fort de sucre, et sur le champ on les met dans une étuve, où elles prennent le candi.

Cette confiture, qui ressemble assez aux noix de Rouen, est excellente pour fortifier l'estomac sans trop l'échauffer ; ce qui fait qu'on peut même en donner aux malades qui ont la fièvre.

Du chocolat. Voyez l'article CHOCOLAT.

Beurre de cacao. On prend du cacao rôti, mondé, et passé sur la pierre ; on jette cette pâte bien fine dans une grande bassine pleine d'eau bouillante sur un feu clair, où on la laisse bouillir jusqu'à la consomption presque entière de l'eau ; alors on verse dessus une nouvelle eau dont on remplit la bassine : l'huîle monte à la surface, et se fige en manière de bourre, à mesure que l'eau se refroidit. Si cette huîle n'est pas bien blanche, il n'y a qu'à la faire fondre dans une bassine pleine d'eau chaude, où elle se dégagera et se purifiera des parties rousses et terrestres qui lui restaient.

A la Martinique cette huîle est en consistance de beurre : mais portée en France, elle devient comme du fromage assez dur, qui se fond néanmoins et se rend liquide à une légère chaleur ; elle n'a point d'odeur fort sensible, et a la bonne qualité de ne rancir jamais. L'huîle d'olive ayant manqué une année, on usa de celle de cacao pendant tout un carême : elle est de fort bon goût ; et bien loin d'être malfaisante, elle contient les parties les plus essentielles et les plus salutaires du cacao.

Comme cette huîle est très-anodyne, elle est excellente à l'intérieur pour guérir l'enrouement, et pour émousser l'acreté des sels qui dans le rhume picotent la poitrine. Pour s'en servir on la fait fondre, on y mêle une suffisante quantité de sucre candi, et on en forme de petites tablettes, qu'on retient le plus longtemps qu'on peut dans la bouche, les laissant fondre tout doucement sans les avaler.

L'huîle de cacao prise à propos, pourrait être encore merveilleuse contre les poisons corrosifs. Elle n'a pas de moindres vertus pour l'extérieur : 1°. elle est la meilleure et la plus naturelle de toutes les pommades, dont les dames qui ont le teint sec puissent se servir, pour se le rendre doux et poli, sans qu'il y paraisse rien de gras ni de luisant. Les Espagnols du Mexique en connaissent bien le mérite : mais comme en France elle durcit trop, il faut nécessairement la mêler avec l'huîle de ben, ou celle d'amandes douces tirée sans feu.

2°. Si l'on voulait rétablir l'ancienne coutume que les Grecs et les Romains avaient d'oindre le corps humain d'huile, il n'y en a point dont l'usage répondit mieux aux vues qu'ils avaient de conserver par ce moyen aux parties, et même de leur augmenter la force et la souplesse des muscles, et de les garantir des rhumatismes et de plusieurs autres douleurs qui les affligent. On ne peut attribuer l'anéantissement de la pratique de ces onctions qu'à la mauvaise odeur et à la mal-propreté qui l'accompagnaient ; mais comme en substituant l'huîle de cacao à celle d'olive, on ne tomberait point dans ces inconvéniens, parce que celle-là ne sent rien, et qu'elle se seche plutôt sur le cuir ; rien sans-doute ne serait plus avantageux, surtout pour les personnes âgées, que de renouveller aujourd'hui un usage si autorisé par l'expérience de toute l'antiquité.

3°. Les Apothicaires doivent employer cette huîle préférablement à toute autre chose pour servir de base à leurs baumes apoplectiques ; parce que toutes les graisses rancissent, et que l'huîle de muscade blanchie avec l'esprit-de-vin, conserve toujours un peu de son odeur naturelle, au lieu que l'huîle de cacao n'est point sujette à ces accidents.

4°. Il n'y en a aucune plus propre pour empêcher les armes de rouiller, parce qu'elle contient moins d'eau que toutes les autres huiles dont on se sert ordinairement pour cela.

5°. Aux îles de l'Amérique, on se sert beaucoup de cette huîle pour la guérison des hémorrhoïdes : quelques-uns en usent sans mélange ; d'autres ayant fait fondre deux ou trois livres de plomb, en ramassent la crasse, la réduisent en poudre, la passent au tamis de soie, l'incorporent avec cette huile, et en sont un liniment très-efficace pour cette maladie.

D'autres pour la même intention mêlent avec cette huîle la poudre des cloportes, le sucre de saturne, le pompholyx, et un peu de laudanum.

D'autres se servent utilement de cette huîle pour apaiser les douleurs de la goutte, l'appliquant chaudement sur la partie avec une compresse imbibée qu'ils couvrent d'une serviette chaude. On pourrait en user de même pour les rhumatismes.

6°. Enfin l'huîle de cacao entre dans la composition de l'emplâtre merveilleux, et de la pommade pour les dartres.

Emplâtre excellent pour la guérison de toutes sortes d'ulcères. Prenez huîle d'olive une livre ; ceruse de Venise (elle est plus chère que celles d'Hollande et d'Angleterre, qui sont mélangées de craie, et qu'il faut laisser aux peintres) en poudre demi-livre : mettez-les dans une bassine de cuivre ou dans une casserole de terre vernissée sur un feu clair et moderé, remuant toujours avec une spatule de bois jusqu'à ce que le tout soit devenu noir, et de consistance presque d'emplâtre (ce qu'on connait en laissant tomber quelques gouttes sur une assiette d'étain ; car si la matière se fige sur le champ, et ne prend presque point aux doigts en la maniant, elle est suffisamment cuite). Alors on y ajoute de la cire coupée en petites tranches, une once et demie ; huîle ou beurre de cacao, une once ; baume de copahu, une once et demie. Quand tout est fondu et bien mêlé, on tire la bassine de dessus le feu, et remuant toujours avec la spatule, on y ajoute peu-à-peu les drogues suivantes réduites en poudre très-subtile, séparément, et puis bien mêlées ensemble ; savoir, de la pierre calaminaire rougie au milieu des charbons, puis éteinte dans l'eau de chaux, et broyée sur le porphyre, une once ; de la myrrhe en larmes, de l'aloès succotrin, de l'aristoloche ronde, de l'iris de Florence, de chacun deux dragmes ; du camphre, une dragme. Lorsque tout sera bien incorporé, on le laissera un peu refroidir, après quoi on le versera sur le marbre, pour en former des magdaléons en la manière ordinaire.

Ce remède produit des effets surprenans ; il guérit les ulcères les plus rebelles et les plus invétérés, pourvu que l'os ne soit pas carié ; car en ce cas, pour ne pas travailler en vain, il faut commencer par la cure de l'os, et traiter ensuite l'ulcère avec l'emplâtre. On panse la plaie soir et matin après l'avoir nettoyée avec l'eau de chaux, et bien essuyée avec un linge fin.

Le même emplâtre peut servir plusieurs fais, pourvu qu'avant que de l'appliquer on l'ait lavé avec l'eau de chaux, qu'on l'ait essuyé avec un linge, présenté au feu un moment, et qu'on l'ait un peu manié avec les doigts pour le renouveller en quelque manière. On exhorte les personnes charitables de faire cet emplâtre et de le distribuer aux pauvres, surtout à ceux de la campagne.

Pommade excellente pour guérir les dartres, les rubis et les autres difformités de la peau. Prenez fleurs de soufre de Hollande (la fleur de soufre de Hollande est en pain comme le stil de grain, fort légère, douce, friable, et plutôt blanche que jaune ; elle ne doit pas moins couter de trente sols la livre. A son défaut on prendra de celle de Marseille, qui est en poudre impalpable, légère, et d'un jaune doré), salpetre raffiné, de chaque demi-once ; bon précipité blanc, deux dragmes (l'examen du précipité blanc se fait ainsi. On en met un peu sur un charbon allumé ; s'il exhale, c'est signe qu'il est bon et fidèle ; s'il reste sur le feu ou qu'il se fonde, ce n'est que de la ceruse broyée, ou quelqu'autre blanc semblable) ; benjoin, une dragme. Pilez pendant longtemps le benjoin avec le salpetre raffiné dans un mortier de bronze, jusqu'à ce que la poudre soit très-fine ; mêlez-y ensuite la fleur de soufre et le précipité blanc ; et quand le tout sera bien mélangé, gardez cette poudre pour le besoin.

A la Martinique, lorsqu'il était question de m'en servir, je l'incorporais avec le beurre de cacao ; mais en France où il durcit trop, je lui ai substitué la pommade blanche de jasmin la plus odorante ; cette odeur jointe à celle du benjoin corrige en quelque manière celle du soufre, que beaucoup de personnes abhorrent. Histoire naturelle du cacao. vol. in -12. chez M de Dhoury.