S. m. (Histoire naturelle, Zoologie) animal amphibie, à quatre pieds, qui se trouve en Afrique sur les bords du Niger, sur ceux du Nil en Egypte, et de l'Indus en Asie.

Le mérite de l'invention de la saignée attribué à l'hippopotame, dit M. de Jussieu, dans une dissertation sur ce quadrupede, et l'idée qu'il vomissait du feu, avait tellement excité la curiosité des anciens, que quelques édiles, qui dans le temps de la république romaine, voulurent gagner les bonnes grâces du peuple, lui en présentèrent en spectacle. Scaurus fut le premier, à ce que rapporte Pline, qui en fit paraitre aux jeux publics ; et longtemps après lui, les auteurs ont remarqué comme un trait de magnificence, que l'empereur Philippe en eut fait voir plusieurs dans les jeux séculaires qu'il célébra.

Les siècles qui depuis se sont écoulés jusqu'à nous, ne nous ayant ni détrompés du merveilleux de cet animal, ni guère mieux instruits de sa figure et de son caractère, nous ne pouvons presque rien ajouter à ce que Pline en a dit, et nos découvertes ne regardent que son anatomie, ou quelques usages des parties les plus solides de son corps.

Quoique Belon en ait donné le dessein d'après un de ceux qu'il avait vus à Constantinople, et Fabius Columna, d'après un autre qu'il avait Ve en Italie, et qui y avait été apporté mort d'Egypte ; néanmoins quelque exacts que soient ces deux auteurs, ils ne sont point d'accord sur la configuration de toutes les parties de l'hippopotame.

Ce que M. de Jussieu nous en a détaillé dans les mémoires de l'acad. des Scienc. année 1724, ne concerne que quelques parties du squelete de la tête et des pieds d'un de ces animaux, envoyé du Sénégal à l'académie par ordre des directeurs de la compagnie des Indes. Mais au bout du compte, puisque c'est à-peu-près tout ce que nous savons de certain de l'hippopotame, je vais continuer d'en complete r cet article, après avoir donné en gros la description de cet animal.

M. Linnaeus en constitue un genre particulier de l'espèce des juments, dont les caractères sont qu'il a deux pis et deux larges dents proéminentes en guise de défenses. C'est un quadrupede amphibie qui tient par sa figure du buson et de l'ours ; il est plus gros que le buson ou bœuf sauvage, a la tête assez semblable à celle du cheval, très-grosse à proportion du corps, la gueule très-grande, et qui peut s'ouvrir de l'étendue d'un pied ; les naseaux gros et larges, les mâchoires garnies de dents de la dernière dureté.

Il a dans son état fini d'accroissement, treize à quatorze pieds de longueur de la tête à la queue ; la circonférence de son corps est presque égale à celle de sa longueur, à cause de la graisse dont il abonde ordinairement ; ses yeux sont petits, ses oreilles courtes et minces ; son cou est court ; ses nazeaux jettent des moustaches à la manière de celles des chats, et plusieurs barbes épaisses sortent du même trou ; ce sont-là les seuls poils du corps de cet animal ; sa mâchoire supérieure est mobîle comme celle du crocodîle ; il a dans la mâchoire inférieure deux espèces de défenses à la manière du sanglier.

Ses jambes sont grosses et basses comme celles de l'ours ; son sabot est semblable à celui des bêtes à pied fourchu, mais il est seulement divisé en deux, et a quatre doigts ; cette structure de la sole de l'hippopotame, montre qu'il n'est pas fait pour nager, et que son allure est de se promener sur terre et dans les rivières ; sa queue ressemble à celle de l'ours ; elle est très-grosse à son origine, et Ve en s'amincissant en pointe vers l'extrémité ; elle n'a guère que six à huit pouces de long, et elle est trop épaisse, pour qu'il puisse la fouetter de côté et d'autre ; son cuir est fort dur, fort épais, sans poil, et de couleur tannée.

On darde ces animaux dans l'eau avec des harpons, en donnant aux dards qu'on lance sur eux, autant de corde que l'animal blessé en entraîne en fuyant, jusqu'à ce que s'affoiblissant par la perte du sang qui coule de sa blessure, il vienne expirer sur le rivage ; sa chair est de difficîle digestion.

Le poids de 45 livres que pesaient les deux mâchoires qui formaient la tête de l'hippopotame du Sénégal, dont parle M. de Jussieu, sa longueur de deux pieds, sa hauteur d'un pied quatre pouces du côté de l'occiput, et sa largeur d'un pied et demi du même côté, marquaient que l'animal était prodigieux.

A en juger par son apparence extérieure, sa tête doit ressembler en quelque façon au squelete de la tête d'un cheval, à la différence que le museau en est plus évasé, les narines plus ouvertes, et que les mâchoires sont terminées de chaque côté par deux grosses protubérances, dans lesquelles sont pratiquées les alvéoles des six dents de devant.

La figure de la mâchoire inférieure quadre assez bien à celle de la supérieure par sa largeur en-devant, qui est de huit à neuf pouces, sur six de hauteur ; mais cette mâchoire est plus massive que la supérieure, parce que les six plus grosses et plus fortes dents de cet animal, y sont presque obliquement insérées dans des alvéoles très-profondes.

De ces six dents, les deux du milieu qui tiennent lieu d'incisives, sont horizontales, cylindriques, cannelées, massives, d'un pouce et demi de diamètre, de quatre pouces de long, et de six de racine. Celles de la mâchoire supérieure auxquelles elles se rapportent, n'ont au contraire pas plus d'un demi-pouce de longueur apparente, et trois de racine, sur neuf lignes de diamètre ; les deux latérales répondant à chacune des deux longues dents de la mâchoire inférieure, et qui tiennent encore lieu d'incisives, ne sont longues au-dehors que d'un pouce et demi, sur un demi-pouce de diamètre.

Les deux dents plus considérables, placées chacune à une des extrémités du devant de la mâchoire inférieure, en manière de défenses, sont courbées en demi-cercle, de même que celles du sanglier, et ont chacune cinq pouces de saillie, sur huit de racine, qui est très-oblique ; leur forme approche du triangle, dont chaque côté à environ un pouce et demi. Celles auxquelles elles répondent, qui sont également courbées et cannelées, n'ont qu'un pouce de saillie, et six de racine. Ces quatre dents des extrémités des mâchoires, tiennent la place des racines, et font par leur jonction du côté qui est aplati, l'office de véritables cisoires ; celles qui les suivent séparées de ces dernières par un espace de trois pouces, et arrangées aux deux côtés du fond de chaque mâchoire, sont les molaires au nombre de huit ; les plus grosses ne saillent que d'un demi-pouce, et en ont un et demi d'étendue.

Toutes les dents de l'hippopotame sont très-dures, et peuvent faire du feu comme les pierres à fusil quand on les frappe avec du fer ; peut être en jetent-elles quand l'animal les frappe les unes contre les autres ; et c'est en ce cas, ce qui a pu donner lieu à quelques auteurs d'assurer que l'hippopotame vomissait du feu.

Il est surprenant que cet appareil terrible de dents placées dans une gueule, dont l'ouverture est antérieurement de plus de deux pieds, ne réponde qu'à un gosier qui n'a pas quatre pieds de circonsérence ; ce qui prouve que quelque vorace que soit cet animal, qui est dépeint dans des bas-reliefs antiques, ayant dans la gueule un crocodile, ne pourrait l'avaler, supposé qu'il s'en nourrisse, qu'après l'avoir bien mâché ; mais il n'est pas moins difficîle de concilier avec la forme de ces mêmes dents, l'usage que Pline et les anciens donnent à l'hippopotame de se repaitre de blé dans les champs voisins du Nil.

A l'égard du pied, il est du genre de ceux qui ont des doigts ; sa forme est très-massive, car dans l'état desseché de celui qu'a Ve M. de Jussieu, la plante était encore de neuf pouces de longueur, sur trois et demi de largeur. Les doigts au nombre de quatre, sont fort courts, n'ayant tout au plus avec l'ongle, qui en occupe presque la moitié, et qui les termine, que deux pouces de longueur sur un de largeur.

La solidité, la pesanteur, la dureté, et la couleur des dents canines de la mâchoire inférieure de cet animal, donnent lieu de croire qu'on pourrait en tirer aujourd'hui des usages pour les arts de Sculpture et du Tour. Peut-être doit-on mettre la manière de travailler ces dents, dans le nombre des choses pratiquées par les anciens, et qui ont échappé à notre connaissance. Au-moins le peut-on conjecturer par ce que rapporte Pausanias dans ses Archaïques, d'une statue d'or de Dindymene, vénérée par les Proconésiens, et dont la face était formée d'une de ces dents. Ce trait montre qu'elles se travaillaient alors comme celles de l'éléphant, et que la matière en était plus précieuse, non-seulement comme étant moins commune, mais encore par des qualités qui rendent cette sorte de dents préférable à l'ivoire : elle n'est point sujette aux inconvénients de se casser facilement, de s'égrainer, et de jaunir.

Ce mérite a déterminé les ouvriers qui travaillent à faire des dents artificielles, à choisir celles de l'hippopotame préférablement à toute autre, sans avoir aucune connaissance de leur origine ; et l'expérience nous apprend combien les dents artificielles, qui sont faites avec les canines de cet animal, sont au-dessus de celles qu'on peut tirer de quelque animal que ce sait, non-seulement par leur solidité, mais encore par la durée de leur couleur qui approche de celui de l'émail de nos dents.

C'est donc là le seul usage connu qu'on puisse tirer des dents de l'hippopotame ; car tout ce que les anciens et les modernes nous disent de leurs vertus pour arrêter le sang, détourner la crampe, guérir les hémorrhoïdes, et mille autres fadaises de cette espèce qu'on lit dans Bartholin, Hoechstetter, les Ephémerides curieux de la nature, ainsi que dans les livres de voyages ; tout cela, dis-je, est si pitoyable, qu'on en serait surpris si l'on ignorait jusques où s'étend le génie fabuleux de la plupart des hommes.

Je n'ai trouvé dans Marmol, dans Wormius, dans Thevenot, que des contrarietés sur la description qu'ils nous donnent du cheval de rivière ; on ne peut les croire ni les uns, ni les autres. Vossius, dans son traité latin de l'idolatrie, a rassemblé tout ce qui a été dit sur l'hippopotame, et c'est bien là un assemblage de toutes sortes de contes.

Bochart dans son Hiérozoïcon, et après lui Ludolf dans son histoire d'Ethiopie, ont prétendu que l'hippopotame est le béhémoth de Job, ch. xl. Ve 10. mais ils ont fait là-dessus des recherches et une dépense d'érudition bien inutiles : on ignorera toujours ce que c'est que le béhémoth de Job, et ceux qui craient que ce mot désigne plutôt l'éléphant qu'aucun autre animal semblent les mieux fondés en raison. Peut-être encore que le mot hébreu béhémoth signifie seulement en général toutes sortes de bêtes d'une grandeur énorme ; enfin les descriptions que j'ai lu de cet animal dans l'histoire générale des voyages, se contredisent, et sont presque toutes également fausses.

L'étymologie du mot hippopotame n'exercera point les critiques ; il est clairement formé de , cheval, et , fleuve ; ainsi hippopotame signifie cheval aquatique ; il serait plus naturel de dire hippotame, mais il porte en latin dans tous les auteurs le nom hippopotamus, par exemple dans Aldrovand, de quad. digit. 181. Gesner, de quad. digit. 483. Charleton, exerc. 14. Jonston de quad. 76. Ray, synops. animal. 123. Monti, Exot. 5. Belon, de aquat. 25. et c.

Il faudrait du moins conserver à cet animal le seul nom d'hippopotame, pour ne le pas confondre avec une espèce d'insecte de mer que les latins nomment hippocampus, et que nous appelons très-improprement cheval marin. (D.J.)