S. f. cicuta, (Histoire naturelle, Botanique) genre de plante à fleurs en rose, disposées en ombelle, composées de plusieurs pétales en forme de cœur, inégales, et soutenues par un calice qui devient un fruit presque rond, dans lequel il y a deux petites semences renflées et cannelées d'un côté, et plates de l'autre. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

La cicuta major C. B est une de celles qu'on range parmi les venimeuses, et la plus renommée de son genre. La mort de Socrate a seule suffi pour en immortaliser les effets.

Comme on ne lit point sans attendrissement dans le Phédon de Platon, l'histoire circonstanciée de ce qui précéda la mort de ce philosophe, qui avait passé sa vie à être utîle à sa patrie, et à la servir de tous ses talents ; qui ne se démentit jamais dans sa conduite ; qui témoigna jusqu'au dernier soupir une grandeur héroïque, émanée de la fermeté de son âme et de la confiance dans son innocence ; il résulte nécessairement de cette lecture, que tout ce qui regarde la fin tragique d'un homme si respectable, devient intéressant, jusqu'à la plante même qui finit ses jours. Le nom de cette plante se joint dans notre esprit avec celui de Socrate. Nous la cherchons dans nos climats, nous voulons la connaître par nos yeux, ou du moins nous en lisons la description avec avidité.

Description de notre ciguè. Sa racine est longue d'un pied, grosse comme le doigt, partagée en plusieurs branches solides. Avant que de pousser sa tige, cette racine est couverte d'une écorce mince, jaunâtre, blanche intérieurement, fongueuse, d'une odeur forte, d'une saveur douçâtre ; de plus, cette racine est creuse en-dedans quand elle pousse sa tige. Cette tige est fistuleuse, cannelée, haute de trois coudées, lisse, d'un verd gai, parsemée cependant de quelques taches rougeâtres, comme la peau des serpens. Ses feuilles sont ailées partagées en plusieurs lobes, lisses, d'un verd noirâtre, d'un odeur puante, approchant de celle du persil. Ses fleurs sont en parasol au sommet des tiges, en roses composées de cinq pétales blancs en forme de cœur, inégaux, placés en rond, et portés sur un calice qui se change, comme on l'a dit, en un fruit presque sphérique, composé de deux petites graines convexes et cannelées d'un côté, aplaties de l'autre, d'un verd pâle. Elle croit dans les lieux ombrageux, dans les champs, au bord des haies, dans les décombres, et fleurit en été. Elle vient dans les environs de Paris à l'ombre.

Toute cette plante a une saveur d'herbe salée, et une odeur narcotique et foetide ; son suc rougit très-peu le papier bleu ; d'où l'on peut conclure qu'elle contient un sel ammoniacal enveloppé de beaucoup d'huîle et de terre. Ces principes se trouvent à-peu-près dans l'opium.

Elle n'est point aussi venimeuse qu'en Grèce. Presque tout le monde convient que cette plante prise intérieurement est un poison, et personne n'ignore que c'était celui des Athéniens ; mais quelles que fussent les qualités mortelles de la ciguè dont ils se servaient, il est certain que celle qui croit dans nos contrées n'a point ce même degré de malignité. On a Ve dans nos pays des personnes qui ont mangé une certaine quantité de sa racine et de ses tiges sans en mourir. Ray rapporte dans son histoire des plantes, d'après les observations de Bowle, que la poudre des racines de ciguè, donnée à la dose de vingt grains dans la fièvre quarte, avant le paroxisme, est au-dessus de tous les diaphorétiques. M. Reneaume, médecin de Blais (observat. 3 et 4.), dit en avoir fait prendre, avec beaucoup de succès, un demi-dragme en poudre dans du vin, et jusqu'à deux dragmes en infusion pour les skirrhes du foie et du pancréas ; mais ce médecin n'a jamais guéri des skirrhes, et si son observation était vraie, elle prouverait seulement que la racine de ciguè n'est pas toujours nuisible.

Nous croyons cependant avec les plus sages médecins, que le plus prudent est de s'abstenir dans nos climats de l'usage interne de cette plante. Elle y est assez venimeuse pour se garder de la donner intérieurement ; car elle cause des stupeurs et autres accidents fâcheux. Son meilleur antidote est le vinaigre en guise de vomitif, avec de l'oximel tiede en quantité suffisante, pour procurer et faciliter le vomissement.

Elle ne passait point pour venimeuse à Rome. Ce qui est néanmoins singulier, et dont il faut convenir, c'est que la ciguè ne passait point à Rome pour un poison, tandis qu'à Athènes on n'en pouvait douter ; à Rome au contraire on la regardait comme un remède propre à modérer et à tempérer la bile. Perse, satyre V. vers 145. dit là-dessus :

bilis

Intumuit, quam non extinxerit urna cicutae.

Horace en parle aussi comme d'un remède, dans sa seconde épitre, liv. II. vers 53.

Sed quod non desit, habentem

Quae poterunt unquam satis expurgare cicutae ?

Ni melius dormire putem quam scribere versus.

" Présentement que j'ai plus de bien qu'il ne m'en faut, ma folie ne serait-elle pas à l'épreuve de toute la ciguè, si je n'étais persuadé qu'il vaut mieux dormir que de faire des vers " ?

Pline, liv. XIV. ch. xxij. vante la ciguè pour prévenir l'ivresse, et prétend qu'on en peut tirer plusieurs remèdes. Lescale rapporte quelque part, que voyageant en Lombardie, on lui servit de la salade où il y avait de la ciguè, ce qui l'étonna fort : mais qu'il revint de sa surprise quand il sut que les gens du pays en mangeaient, et qu'ils n'en étaient point incommodés. Les chèvres en broutent la racine, et les oiseaux en mangent la graine sans inconvénient ; mais les effets des plantes sur les animaux ne concluent rien pour l'homme, et toutes les autorités qu'on vient de citer ne sauraient contre-balancer le poids de celles qu'on leur oppose. Il reste toujours certain, par le grand nombre d'exemples funestes rapportés dans les Transact. philosophiq. dans les Mémoires de l'acad. des Sc. dans Wepfer, et ailleurs, que toutes les espèces de ciguè sont venimeuses.

Nous l'employons extérieurement. On doit donc se contenter de s'en servir pour l'application extérieure, et de cette manière on en fait usage avec succès. Ses feuilles sont adoucissantes et résolutives ; bouillies avec du lait, on les applique sur les hémorrhoïdes et sur les endroits où la goutte se fait sentir. Le cataplasme de feuilles de ciguè pilées avec des limaçons, et malaxées avec les quatre farines résolutives, est vanté pour l'inflammation des testicules, les douleurs de goutte et de sciatique. Henri d'Heer, observat. 7. les recommande bouillies dans l'eau de fleurs de sureau avec un peu de camfre, pour l'inflammation et la tumeur de la verge qui vient d'échauffement. En général, les feuilles et les racines sont estimées pour amollir les tumeurs skirrheuses des parties externes et des viscères du bas-ventre, surtout du foie et de la rate. C'est dans le même but que nos Apothicaires préparent une emplâtre de ciguè, qui passe pour un bon fondant. On emploie aussi la ciguè dans l'emplâtre diabotanum de Blondel.

Description de la petite ciguè. Il y a une autre espèce de ciguè, cicuta minor offic. qu'on substitue à la précédente dans les boutiques pour l'usage externe ; et elle ne diffère de la première qu'en ce qu'elle est plus petite, que sa tige n'est point marbrée de taches rougeâtres, et que son odeur n'est point aussi forte ; du reste elle a les mêmes propriétés, mais moindres. On a nommé cette dernière espèce de ciguè, le persil des fous, par la grande ressemblance de ses feuilles à celles du persil ; ressemblance qui a trompé quelques personnes, et les a presqu'empoisonnées.

Observation sur la coupe de ciguè que but Socrate. Lorsque le bourreau d'Athènes vint présenter à Socrate la coupe de suc de ciguè, il l'avertit de ne point parler, pour que le poison qu'il lui donnait opérât plus promptement. On ne voit pas comment les effets du poison pouvaient être accélérés par le silence de la personne qui le prenait : mais que ce fût un fait ou un préjugé, le bourreau n'agissait ainsi que par avarice, et dans la crainte d'être obligé, suivant la coutume, de fournir à ses dépens une nouvelle dose de ce breuvage ; car Plutarque remarque dans la vie de Phocion, tom. VI. de Dacier, pag. 409. que comme tous ses amis eurent bu de la ciguè, et qu'il n'en restait plus pour ce grand homme, l'exécuteur dit qu'il n'en broyerait pas davantage, si on ne lui donnait douze drachmes (aujourd'hui, 1752, environ neuf livres dix sous de notre monnaie), qui était le prix que chaque dose coutait : alors Phocion voulant éviter tout retard, fit remettre cette somme à l'exécuteur ; " puisque, dit-il, dans Athènes il faut tout acheter, jusqu'à sa mort ". Article de M(D.J.)

Emplâtre de ciguè de la Pharmacopée de Paris, édition de 1732. . poix-résine 28 onces ; cire jaune 20 onces ; poix blanche 14 onces ; huîle de câpres 4 onces ; de la ciguè écrasée 4 livres ; faites cuire le tout selon l'art, jusqu'à la consommation de l'humidité ; passez par un linge, en exprimant fortement l'expression ; étant un peu refroidie, délayez-y une livre de gomme ammoniac, auparavant dissoute dans du vinaigre scillitique et du suc de ciguè, et à laquelle on aura donné par la dessiccation une consistance emplastrique ; ce qui étant exactement mêlé, l'emplâtre sera faite.

CIGUE AQUATIQUE, (Botanique) cicuta aquatica vel palustris, C. B. phellandrium off.

Cette espèce de ciguè pousse une tige épaisse, creuse, cannelée, et pleine de nœuds, moins haute que celle de la ciguè ordinaire, divisée en plusieurs branches, d'où sortent des feuilles ailées, plus minces et plus tendres que celles de la ciguè. Ses fleurs naissent en parasols, et sont fort petites à proportion de la plante ; elles sont blanches, avec un oeil rougeâtre. Sa racine est composée d'un grand nombre de fibres, qui partent des nœuds qui se trouvent au bas de la tige. La ciguè aquatique croit dans les fossés et les étangs, et fleurit au mois de Juin. Elle passe pour être de la même nature et avoir les mêmes qualités que la ciguè ordinaire ; mais on l'estime beaucoup plus venimeuse, ce qui fait même qu'on l'emploie rarement dans les boutiques.

Les observations fournies par le hasard ont justifié que ses effets sont mortels, et quelquefois promptement ; du moins M. Jaugeon a rapporté à l'académie des Sciences, que trois soldats allemands partis d'Utrecht au commencement du printemps de 1714, moururent subitement tous trois en moins de demi-heure, pour avoir mangé de la cicutaria palustris, qu'ils prenaient pour le calamus aromaticus, propre à fortifier l'estomac. Il y a en effet une espèce de phellandrium ou ciguè aquatique, à feuille d'ache sauvage, qui est odorante, aromatique, et qui tromperait des gens plus habiles que ne le sont communément des soldats. On trouva à l'un de ceux-ci les membranes de l'estomac percées d'outre en outre ; et aux deux autres seulement corrodées. Dans tous l'estomac était plein d'un écume blanchâtre ; le reste des viscères du bas-ventre peu altérés ; les poumons et les muscles du cœur flasques et flétris ; et les vaisseaux pleins d'un sang tout fluide. Wepfer (Jean Jacques) rapporte aussi plusieurs exemples, moins prompts à la vérité, mais également funestes, des effets de cette plante.

Comme nous avons de cet auteur un traité complet sur cette matière, imprimé d'abord à Schaffouze en 1679, in -4°. à Leyde en 1733, in -8°. et qui est entre les mains de tout le monde ; nous nous dispenserons d'entrer dans de plus grands détails. Voyez POISON. Article de M(D.J.)

Nous ne croyons pourtant pas pouvoir nous dispenser d'indiquer les secours les plus efficaces contre ce poison, d'après le traitement du même Wepfer, dont le succès a été confirmé par plusieurs expériences postérieures.

Cet auteur recommande d'abord d'évacuer le poison qui se trouve dans l'estomac par la voie la plus abrégée et la plus sure, c'est-à-dire par le vomissement, qu'il ne trouve pas contre-indiqué dans ce cas par une espèce d'épilepsie, qui est un symptôme assez ordinaire du venin de la ciguè.

Lorsqu'on a chassé la ciguè des premières voies autant qu'il est possible, il ne s'agit plus que de remédier aux impressions qu'elle a pu faire sur ces parties, et à masquer l'action de quelques restes de ce poison qui peuvent avoir échappé au vomissement.

On remplit cette double indication par tous les adoucissants gras et huileux, comme le beurre, l'huîle d'olive, celle d'amandes douces, le bouillon gras, etc. le laitage et les émulsions, les farineux délayés dans de l'eau, comme la creme de ris, l'orge mondé, etc.

Les alexipharmaques, les cordiaux, le mouvement, et les autres ressources contre la coagulation des humeurs, sont des secours aussi peu réels que la cause qui les a fait imaginer ; le venin de la ciguè réputé froid et coagulant presque jusqu'au temps de Wepfer, a été enfin reconnu pour irritant et caustique, et il est rentré par conséquent dans la classe de ceux qu'on ne combat qu'en prévenant ou en masquant leur action sur les premières voies. (b)