ou ROCOURT, s. m. (Botanique) arbre exotique cultivé dans toutes les îles de l'Amérique. Il est nommé orleana seu orellana foliculis lapaceis, par Herman, Cat. Hort. Lugd. Bat. 464. Pluk. Almag. 292. Phytog. 209. f. 4. Orleana seu orellana sive urucu, Parad. Prod. 357. urucu ; Pison, éd. 1648, 65. éd. 1658, 133. Cat. Jam. 150. hist. 2. 52. urucu Brasiliensibus ; Marcgr. 61. Kaiabaka, daburi. Ger. Emac. 1554. Archiotl, seu medicina tingendo apta, Hern. 74. Arbor mexicana, fructu castaneae, coccifera, C. B. Pin. 417. Raii, hist. 2. 1771. Jons. Dendr. 119. Bixa oviedi, J. B. 1. 440. metella Americana maxima tinctoria ; Tourn. Inst. 242. Boerh. Ind. A. 208. arbor finium regundorum, Scalig. Arnotto. Dale.

Cet arbre est de moyenne grandeur ; il pousse de son pied plusieurs tiges droites, rameuses, couvertes d'une écorce mince, unie, pliante, flexible, brune en-dehors, blanche en-dedans ; son bois est blanc, facîle à rompre ; ses feuilles sont placées alternativement, grandes, larges, pointues, lisses, d'un beau verd, ayant en-dessous plusieurs nervures roussâtres ; ses feuilles sont attachées à des queues longues de deux ou trois doigts.

Ses rameaux portent deux fois l'année en leurs sommités des bouquets composés de plusieurs petites têtes ou boutons de couleur brune roussâtre ; ces boutons s'épanouissent en des fleurs à cinq pétales, disposées en rose, grandes, belles, d'un rouge pâle, tirant sur l'incarnat, sans odeur et sans goût ; cette fleur est soutenue par un calice à cinq feuilles, qui tombent à mesure que la fleurs s'épanouit : au milieu de cette fleur il y a une espèce de houppe composée d'un grand nombre d'étamines ou filets jaunes dans leur base, et d'un rouge purpurin dans leur partie supérieure ; chacune de ces étamines est terminée par un petit corps oblong, blanchâtre, sillonné et rempli d'une poussière blanche : le centre de la houppe est occupé par un petit embryon qui est attaché fortement à un pédicule fait en soucoupe, et échancré légèrement en cinq parties ; ce pédicule sert de second calice à la fleur à la place du premier qui est tombé : cet embryon est couvert de poils fins, jaunâtres, et surmonté d'une manière de petite trompe fendue en deux lèvres en sa partie supérieure.

L'embryon en croissant devient une gousse ou un fruit oblong ou ovale, pointu à son extrémité, aplati sur les côtés, ayant à-peu-près la figure d'un mirobolan, long d'un doigt et demi ou de deux doigts, de couleur tannée, composé de deux gousses, hérissées de pointes d'un rouge foncé, moins piquantes que celles de la châtaigne, de la grosseur d'une grosse amande verte.

Ce fruit en mûrissant devient rougeâtre, et il s'ouvre à la pointe en deux parties qui renferment environ soixante grains ou semences partagées en deux rangs ; ces grains sont de la grosseur d'un petit grain de raisin, de figure pyramidale, attachés et rangés les uns contre les autres par de petites queues à une pellicule mince, lisse et luisante, qui est étendue dans toute la cavité de chacune de ces gousses ; ces mêmes grains sont couverts d'une matière humide, très-adhérente aux doigts lorsqu'on y touche avec le plus de précaution, d'un beau rouge, d'une odeur assez forte ; la semence séparée de cette matière rouge est dure, de couleur blanchâtre, tirant sur celle de la corne. Cet arbre croit en abondance dans la nouvelle Espagne et dans le Brésil.

Les sauvages de l'Amérique le cultivent même avec grand soin, à cause des utilités qu'ils en retirent. Il sert à orner leur jardin, et le devant de leurs cases ou habitations. Ils emploient son écorce pour faire des cordages ; ils mettent de ses feuilles tendres dans leurs sauces, pour leur donner du goût et leur communiquer une couleur de safran. Ils tirent une couleur rouge des graines qu'ils délaient dans l'huîle de carapa, et s'en peignent le corps ou le visage, surtout dans les jours de réjouissance.

Les Européens qui habitent le Brésil et les îles Antilles font par art de la même graine une pâte qui est d'usage en teinture, et qu'on nomme pareillement rocou. Voyez ROCOU, Teinture. (D.J.)

ROCOU, ou ROUCOU ou ROCOURT, (Teinturier) pâte seche ou extrait qu'on a tiré, soit par infusion, soit par macération des graines contenues dans la gousse de l'arbre, nommé pareillement rocou, et qu'on a décrit dans l'article qui précède. La pâte seche dont nous parlons vient d'Amérique, et est une des couleurs que fournit le petit teint.

On connait que la gousse qui donne la graine est mûre lorsqu'elle s'ouvre d'elle-même sur l'arbre ; alors on la cueille, et l'on en prépare la pâte ou l'extrait en pilant les grains des gousses avec tout ce qui les environne ; on les fait dissoudre dans l'eau, et on coule cette liqueur par un crible ; ensuite on la verse dans des chaudières, on la fait bouillir ; elle jette une écume qu'on recueille soigneusement, et qu'on met dans une autre chaudière pour y être réduite sur le feu en consistance et en pâte, dont on fait des pains tels que nous les recevons en Europe. Mais il est à propos d'indiquer en détail toute cette opération ; et la manière dont on cultive et dont on fait le rocou aux îles Antilles françaises. Je tirerai cette manière des voyages du P. Labat, imprimés en 1722.

Le rocou, dit-il, peut se planter depuis le mois de Janvier jusqu'à la fin de Mai ; mais soit que le plantage s'en fasse tard ou de bonne heure, l'arbre n'en produit pas plus tôt. Il se plante à la manière des pois ou du mil, c'est-à-dire qu'après avoir bien nettoyé la terre, on y fait de petits trous avec la houe, dans lesquels on jette deux ou trois graines au plus. La distance ordinaire qui suffit pour chaque plan est de quatre pieds en carré : à l'égard de la culture, elle se fait comme aux autres arbres, à l'exception que quand il s'élève trop haut, on le châtre pour l'épaissir et pour l'entretenir en buisson.

La récolte du rocou se fait deux fois l'année, savoir à la S. Jean et à Noë. On le distingue comme en deux espèces ; l'un qu'on nomme rocou verd, et l'autre rocou sec. Le premier est le rocou qu'on cueille aussi-tôt que quelque cosse d'une grappe commence à sécher et à s'ouvrir ; le second est celui où dans chaque grappe il se trouve plus de cosses seches que de vertes. Ce dernier peut se garder six mois ; l'autre ne peut guère durer que quinze jours ; mais il rend un tiers plus que le rocou sec, et le rocou qu'il produit est plus beau.

Le rocou sec s'écale en le battant, après l'avoir exposé au soleil et l'avoir remué quelque temps : à l'égard du rocou verd, il ne faut pour l'écaler que rompre la cosse du côté de la queue, et le retirer en-bas avec la peau qui environne les graines, sans s'embarrasser de cette peau.

Après que les graines sont écalées, on les met successivement dans divers canots de bois faits tout d'une pièce, qui ont différents noms, suivant leurs différents usages.

Le premier canot s'appelle canot de trempe ; le second, canot de pîle ; le troisième, canot à ressuer ; le quatrième, canot à l'eau ; et enfin le cinquième, canot à laver. Il y en a aussi un sixième qu'on appelle canot de garde, mais qui n'est pas toujours nécessaire ; un autre qui se nomme canot de passe, et un huitième qu'on nomme canot aux écumes.

La graine se met d'abord à sec dans le canot de trempe, où on la concasse légèrement avec un pilon ; après quoi on remplit le canot d'eau bien claire et bien vive, à huit ou dix pouces près du bord. Il faut cinq barrils d'eau sur trois barrils de graine. Le temps qu'elle doit rester dans le canot de trempe est ordinairement de huit à dix jours, pendant lesquels on a soin de remuer deux fois par jour avec un rabot, un demi-quart d'heure environ à chaque fois ; on appelle première eau celle qui reste dans le canot de trempe, après qu'on en a tiré la graine avec des paniers.

Du canot de trempe, la graine passe dans le canot de pile, où elle est pilée à force de bras avec de forts pilons pendant un quart-d'heure ou davantage, en sorte que toute la graine s'en sente. Il faut que le canot de pîle ait au-moins quatre pouces d'épaisseur par le fonds pour mieux soutenir les coups de pilons. On met de nouvelle eau sur la graine lorsqu'elle est pilée, qui doit y demeurer une ou deux heures, après quoi on la passe au panier en la frottant avec les mains, ensuite on la repîle encore pour y mettre l'eau. L'eau qui reste de ces deux façons se nomme la seconde eau, et se garde comme la première.

Après cette façon, on met la graine dans le canot, qu'on appelle canot à ressuer, où elle doit rester jusqu'à ce qu'elle commence àmoisir, c'est-à-dire près de huit jours. Pour qu'elle se ressue mieux, on l'enveloppe de feuilles de balisier.

Après qu'elle a ressué, on la pîle de nouveau, et on la laisse tremper successivement dans deux eaux, qui s'appellent les troisiemes eaux. Quelques-uns tâchent d'en tirer une quatrième eau ; mais cette dernière eau n'a plus de force, et peut tout-au-plus servir à tremper d'autres graines.

Quand toutes les eaux sont tirées, on les passe séparement avec un hébichet, en mêlant un tiers de la première avec la seconde, et deux tiers avec la troisième. Le canot où se passent les eaux s'appelle canot de passe ; et on appelle canot à laver un canot plein d'eau, où ceux qui touchent les graines se lavent les mains, et lavent aussi les paniers, les hébichets, les pilons, et autres instruments qui servent à faire le rocou. L'eau de ce canot, qui prend toujours quelque impression de couleur, est bonne à tremper les graines.

L'eau passée deux fois à l'hébichet se met dans une ou plusieurs chaudières de fer, suivant la quantité qu'on en a ; et en l'y mettant, elle se passe encore à-travers d'une toîle claire et souvent lavée.

Quand l'eau commence à écumer, ce qui arrive presque aussi-tôt qu'elle sent la chaleur du feu, on enlève l'écume qu'on met dans le canot aux écumes, ce qu'on réïtère jusqu'à ce qu'elle n'écume plus : si elle écume trop vite, on diminue le feu. L'eau qui reste dans les chaudières, quand l'écume en est levée, n'est plus propre qu'à tremper les graines.

On appelle batterie une seconde chaudière, dans laquelle on fait cuire les écumes pour les réduire en consistance, et en faire la drogue qu'on nomme rocou. Il faut observer de diminuer le feu à mesure que les écumes montent, et qu'il y ait continuellement un negre à la batterie qui ne cesse presque point de les remuer, crainte que le rocou ne s'attache au fond ou bords de la chaudière.

Quand le rocou saute et petille, il faut encore diminuer le feu ; et quand il ne saute plus, il ne faut laisser que du charbon sous la batterie, et ne lui plus donner qu'un léger mouvement ; ce qu'on appelle vesser.

A mesure que le rocou s'épaissit et se forme en masse, il le faut tourner et retourner souvent dans la chaudière, diminuant peu-à-peu le feu, afin qu'il ne brule pas ; ce qui est une des principales circonstances de sa bonne fabrique, sa cuisson ne s'achevant guère qu'en dix ou douze heures.

Pour connaître quand le rocou est cuit, il faut le toucher avec un doigt qu'on a auparavant mouillé ; et quand il n'y prend pas, sa cuisson est finie. En cet état, on le laisse un peu durcir dans la chaudière avec une chaleur très-modérée, en le tournant de temps en temps, pour qu'il cuise et seche de tous côtés, ensuite de quoi on le tire ; observant de ne point mêler avec le bon rocou une espèce de gratin trop sec qui reste à fond, et qui n'est bon qu'à repasser avec de l'eau et des graines.

Le rocou, au sortir de la batterie, ne doit pas d'abord être formé en pain, mais il faut le mettre sur une planche en manière de masse plate, et l'y laisser refroidir huit ou dix heures, après quoi on en fait des pains ; prenant soin que le negre qui le manie se frotte auparavant légèrement les mains avec du beurre frais, ou du sain-doux ou de l'huîle de palmachristi.

Les pains de rocou sont ordinairement du poids de deux ou trois livres, qu'on enveloppe dans des feuilles de balisier. Le rocou diminue beaucoup, mais il a acquis toute sa diminution en deux mois.

Quand on veut avoir de beau rocou, il faut employer du rocou verd, qu'on met tremper dans un canot aussi-tôt qu'on l'a cueilli de l'arbre ; alors sans le battre ni le piler, mais seulement en le remuant un peu et en frottant les graines entre les mains, on le passe sur un autre canot. Après cette seule façon, on lève de dessus l'eau une espèce d'écume qui surnage ; on la fait épaissir à force de la battre avec une espèce de spatule, et finalement on le seche à l'ombre. Ce rocou est fort bon, mais on n'en fabrique que par curiosité, à cause du peu de profit.

La manière de faire le rocou chez les Caraïbes est encore plus simple ; car on se contente d'en prendre les graines au sortir de la gousse, et de les frotter entre les mains qu'on a auparavant trempées dans de l'huîle de carapat. Quand on voit que la pellicule incarnate s'est détachée de la graine, et qu'elle est réduite en une pâte très-fine, on la racle de dessus les mains avec un couteau pour la faire sécher un peu à l'ombre ; après quoi lorsqu'il y en a suffisamment, on en forme des pelotes grosses comme le poing, qu'on enveloppe dans des feuilles de cachibou. C'est avec cette sorte de rocou, mêlé d'huîle de carabat, que les Caraïbes se peignent le corps, soit pour l'embellir, soit pour se garantir de l'ardeur du soleil et de la piquure des moustiques. Ils s'en servent encore pour colorer leur vaisselle de terre.

La pâte de rocou donne une couleur orangée presque semblable à celle du fustet, et aussi peu solide : c'est une des couleurs qu'on emploie dans le petit teint. On fait dissoudre le rocou pulvérisé, où on a mis auparavant un poids égal de cendres gravelées, et on y passe ensuite l'étoffe. Mais quoique ces cendres contiennent un tartre vitriolé tout formé, les parties colorantes du rocou ne sont pas apparemment propres à s'y unir, et la couleur n'en est pas plus assurée. On tenterait même inutilement de lui donner de la solidité, en préparant l'étoffe par le bouillon de tartre et d'alun.

On doit choisir le rocou le plus sec et le plus haut en couleur qu'il est possible, d'un rouge ponceau, doux au toucher, facîle à s'étendre ; et quand on le rompt, d'une couleur en-dedans plus vive qu'au-dehors ; on l'emploie quelquefois pour donner de la couleur à la cire jaune. (D.J.)