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Catégorie parente: Physique particulière
Catégorie : Minéralogie
sub. m. (Histoire naturelle, Minéralogie) On appelle fossiles en général toutes les substances qui se tirent du sein de la terre. Souvent on se sert indistinctement du nom de fossiles et de celui de minéraux, pour désigner les mêmes substances. C'est ainsi que l'usage veut que l'on dise le règne minéral, et non pas le règne fossile. Cette dernière façon de parler serait pourtant plus exacte, attendu que la signification du mot fossîle est plus étendue, et comprend des substances dont les minéraux ne font qu'une classe. Voyez l'article MINERAUX.

On distingue deux espèces de fossiles, 1°. ceux qui ont été formés dans la terre, et qui lui sont propres ; on les appelle fossiles natifs. Tels sont les terres, les pierres, les pierres précieuses, les crystaux, les métaux, etc. 2°. ceux qui ne sont point propres à la terre, que l'on appelle fossiles étrangers à la terre. Ce sont des corps appartenans, soit au règne minéral, soit au règne végétal : tels que les coquilles, les ossements de poissons et de quadrupedes, les bois, les plantes, etc. que l'on trouve ensevelis dans les entrailles de la terre où ils ont été portés accidentellement.

On se sert encore souvent du mot fossîle comme d'un adjectif, en le joignant au nom de quelque matière, qui, sans devoir son origine à la terre, se trouve pourtant dans son sein ; et alors l'épithète de fossîle sert à la distinguer de celle qui est naturelle, et qui se trouve ailleurs que dans la terre. C'est ainsi que l'on dit de l'ivoire fossile, du bois fossile, des coquilles fossiles, &c.

De tous les phénomènes que présente l'Histoire naturelle, il n'en est point qui ait plus attiré l'attention des Naturalistes, que la prodigieuse quantité de corps étrangers à la terre qui se trouvent ensevelis dans son sein et répandus à sa surface ; ils ont donc fait des hypothèses et hasardé des conjectures, pour expliquer comment ces substances appartenantes originairement à d'autres règnes ont été, pour ainsi dire, dépaysées et transportées dans le règne minéral. Ce qui les a surtout frappés, c'est l'énorme quantité de coquilles et de corps marins, dont on rencontre des couches et des amas immenses dans toutes les parties connues de notre globe, souvent à une distance très-grande de la mer, depuis le sommet des plus hautes montagnes jusques dans les lieux les plus profonds de la terre. En effet, sans sortir de l'Europe, la France, l'Angleterre, l'Allemagne, l'Italie, etc. nous en fournissent des exemples frappans. Les environs de Paris même nous présentent des carrières inépuisables de pierres propres à bâtir, qui paraissent uniquement composées de coquilles. En général il y a tout lieu de croire que toutes les terres et pierres calcaires, c'est-à-dire qui sont propres à se changer en chaux par l'action du feu, telles que les marbres, les pierres à chaux, la craie, etc. doivent leur origine à des coquilles qui ont été peu-à-peu détruites et décomposées dans le sein de la terre, et à qui un gluten a donné de la liaison, et fait prendre la dureté et la consistance plus ou moins grande que nous y remarquons. Voyez l'article CALCAIRE.

Ces couches immenses de coquilles fossiles sont toujours parallèles à l'horizon ; quelquefois il y en a plusieurs couches séparées les unes des autres par des lits intermédiaires de terre ou de sable. Il ne parait point qu'elles aient été répandues ni jetées au hasard sur les différentes parties de notre continent ; mais il y en a qui se trouvent toujours ensemble et forment des amas immenses. Il semble que les animaux qui les habitaient aient vécu en famille et formé une espèce de société. Une chose très-digne de remarque, c'est que suivant les observations des meilleurs naturalistes, les coquilles et corps marins qui se trouvent dans nos pays ne sont point des mers de nos climats ; mais leurs analogues vivants ne se rencontrent que dans les mers des Indes et des pays chauds. Quelques individus qui sont de tous les pays, et que l'on trouve avec ces coquilles, ne prouvent rien contre cette observation générale. Il y en a plusieurs dont les analogues vivants nous sont absolument inconnus : telles sont les cornes d'Ammon, les bélemnites, les anomies, etc. Il en est de même de beaucoup de plantes, de bois, d'ossements, etc. que l'on trouve enfouis dans le sein de la terre, et qui ne paraissent pas plus appartenir à nos climats que les coquilles fossiles.

L'on avait observé déjà dans l'antiquité la plus reculée, que la terre renfermait un très-grand nombre de corps marins ; cela donna lieu de penser qu'il fallait qu'elle eut autrefois servi de lit à la mer. Il parait que c'était le sentiment de Xénophane fondateur de la secte éléatique ; Hérodote observa les coquilles qui se trouvaient dans les montagnes de l'Egypte, et soupçonna que la mer s'en était retirée. Tel fut aussi, suivant le rapport de Strabon, le sentiment d'Eratosthene qui vivait du temps de Ptolemée Philopator et de Ptolemée Epiphane. On croyait la même chose du temps d'Ovide, qui dans un passage connu de ses métamorphoses, liv. XV. dit :

Vidi ego, quod fuerat quondam solidissima tellus,

Esse fretum. Vidi factas ex aequore terras,

Et procul à pelago conchae jacuêre marinae. &c.

Ce sentiment fut aussi celui d'Avicenne et des savants arabes ; mais quoiqu'il eut été si universellement répandu parmi les anciens, il fut oublié par la suite ; et les observations d'Histoire naturelle furent entièrement négligées parmi nous dans les siècles d'ignorance qui succédèrent. Quand on recommença à observer, les savants à qui la philosophie péripatéticienne et les subtilités de l'école avaient fait adopter une façon de raisonner fort bizarre, prétendirent que les coquilles, et autres fossiles étrangers à la terre, avaient été formés par une force plastique (vis plastica) ou par une semence universellement répandue (seminium et vis seminalis). D'où l'on voit qu'ils ne regardaient les corps marins fossiles que comme des jeux de la nature, sans faire attention à la parfaite analogie qui se trouvait entre ces mêmes corps tirés de l'intérieur de la terre, et d'autres corps de la mer, ou appartenans au règne animal et au règne végétal ; analogie qui eut seule suffi pour les détromper. On sentit cependant qu'il y avait des corps fossiles auxquels on ne pouvait point attribuer cette formation, parce qu'on y remarquait clairement une structure organique : de-là vint, par exemple, l'opinion de quelques auteurs qui ont regardé les ossements fossiles que l'on trouve dans plusieurs endroits de la terre, comme ayant appartenu aux géants dont parle la Sainte-Ecriture ; cependant un peu de connaissance dans l'Anatomie aurait suffi pour les convaincre que ces ossements, quelquefois d'une grandeur demesurée, avaient appartenu à des poissons ou à des quadrupedes, et non à des hommes. Des prétendues forces plastiques et ces explications, quelques absurdes et inintelligibles qu'elles fussent, ont trouvé et trouvent encore aujourd'hui des partisans ; parmi lesquels on peut compter Lister, Langius, et beaucoup d'autres naturalistes, éclairés d'ailleurs.

Cependant dès le XVIe siècle plusieurs savants, à la tête desquels on peut mettre Fracastor, en considérant les substances fossiles étrangères à la terre, trouvèrent qu'elles avaient une ressemblance si parfaite avec d'autres corps de la nature, qu'ils ne doutèrent plus que ce ne fût la mer qui les eut apportés sur le continent ; et comme on ne voyait point de cause plus vraisemblable de ce phénomène que le déluge universel, on lui attribua tous les corps marins qui se trouvent sur notre globe, que ses eaux avaient entièrement inondé. Burnet, en suivant le système de Descartes, prétendit expliquer comment cette grande révolution s'était faite, et d'où était venue l'immense quantité d'eau qui produisit cette catastrophe. L'hypothèse de Burnet, en rendant raison de la manière dont le déluge avait pu se faire, n'expliquait point comment il avait pu apporter les corps marins que l'on trouve si abondamment répandus sur la terre. Woodward crut remédier et suppléer à ce qui manquait à la théorie de Burnet par une idée assez ingénieuse, mais qui par malheur ne s'accorde point avec les observations que l'on a eu occasion de faire. Il prétendit que toutes les parties non organisées du globe terrestre avaient été parfaitement détrempées et mises en dissolution par les eaux du déluge universel, et que toutes les substances organisées qui s'y trouvaient, après avoir été quelque temps suspendues dans ces eaux, s'étaient affaissées peu-à-peu, et enfin s'étaient précipitées chacune en raison de leur pesanteur spécifique. Ce sentiment fut adopté par un grand nombre de naturalistes, et entr'autres par le célèbre Scheuchzer. Cependant il est difficîle de concevoir que le temps de la durée du déluge ait suffi pour détremper une masse, telle que le globe de la terre, au point que Woodward le prétend. D'ailleurs l'expérience prouve que les corps marins que l'on trouve dans l'intérieur de la terre, n'y ont point été jetés au hasard, puisqu'il y a des individus qui se trouvent constamment les uns avec les autres. Outre cela, ces corps ne se trouvent point disposés comme étant tombés en raison de leur pesanteur spécifique, puisque souvent on rencontre dans les couches supérieures d'un endroit de la terre des corps marins d'une pesanteur beaucoup plus grande que ceux qui sont au-dessous. Enfin, des corps fort pesans se trouvent quelquefois mêlés avec d'autres qui sont beaucoup plus legers.

Plusieurs naturalistes, sans adopter les sentiments de Burnet sur la cause du déluge, ni l'hypothèse de Woodward, n'ont point laissé que de regarder le déluge de Noé comme la cause qui avait porté les corps étrangers sur la terre ; ils ont cru que par un changement dans la position de l'axe de la terre, la mer pouvait avoir été jetée avec violence sur le continent qu'elle avait entièrement inondé, et que de cette manière elle y avait apporté les productions et les animaux qui lui sont propres.

On ne peut douter de la réalité du déluge, de quelque voie que Dieu se soit servi pour opérer cette grande révolution ; mais il parait que, sans s'écarter du respect dû au témoignage des saintes Ecritures, il est permis à un naturaliste d'examiner si le déluge a été réellement cause des phénomènes dont nous parlons, surtout attendu que la Genèse garde un silence profond sur cet article. D'ailleurs rien n'empêche de conjecturer que la terre n'ait, indépendamment du déluge, encore souffert d'autres révolutions. Cela posé, il y a lieu de croire que ce n'est point au déluge dont parle Moyse, qui n'a été que passager, que sont dû. les corps marins que l'on trouve dans le sein de la terre. En effet l'énorme quantité de coquilles et de corps marins dont la terre est remplie, les montagnes entières qui en sont presque uniquement composées, les couches immenses et toujours parallèles de ces coquilles, les carrières prodigieuses de pierres coquillières, semblent annoncer un séjour des eaux de la mer très-long et de plusieurs siècles, et non pas une inondation passagère et de quelques mois, telle que fut celle du déluge, suivant la Genèse. D'ailleurs si les coquilles fossiles eussent été apportées par une inondation subite et violente, comme celle du déluge, ou par des courants d'eaux, comme quelques auteurs l'ont prétendu, tous ces corps auraient été jetés confusément sur la surface de la terre ; ce qui est contraire aux observations, comme nous l'avons déjà remarqué. Enfin s'ils avaient été apportés de cette manière, on devrait plutôt les trouver dans le fond des vallées que dans les montagnes ; cependant on trouve presque toujours le contraire. On voit par tout ce qui vient d'être dit, que le sentiment le plus probable est celui des Anciens qui ont cru que la mer avait autrefois occupé le continent que nous habitons. Tout autre système est sujet à des difficultés invincibles, et dont il est impossible de se tirer.

Il serait trop long d'entrer dans le détail des fossiles étrangers à la terre : les principaux sont, comme on l'a déjà remarqué, les coquilles de toute espèce, qui sont quelquefois si bien conservées, que l'on y remarque un émail aussi brillant et la même vivacité de couleurs, que dans celles qu'on vient de tirer de la mer ; d'autres fois elles sont plus ou moins détruites et décomposées : on en trouve qui sont comme rongées des vers et percées d'une infinité de trous ; d'autres enfin sont si parfaitement détruites, qu'il est impossible d'y remarquer aucune trace de structure organique. Les ouvrages d'une infinité de naturalistes sont remplis de descriptions de ces corps marins, et plusieurs ont fait l'énumération de ceux qui se rencontraient dans les différents pays qu'ils habitaient. M. Rouelle, de l'académie royale des Sciences, fait espérer un ouvrage sur la matière dont nous parlons : c'est le fruit de ses recherches et des observations qu'il a eu occasion de faire dans un grand nombre de voyages qu'il a entrepris dans le dessein de vérifier ses soupçons. Cet habîle naturaliste ayant remarqué que certains corps marins se trouvent toujours constamment ensemble dans de certains endroits, pense qu'il est plus naturel et plus commode de diviser les coquilles fossiles par familles ou par classes qu'il nomme amas ; il compte donc décrire les individus qui se trouvent toujours ensemble dans un même amas, et en donner les figures, et prouver que certains coquillages, quoique de différentes espèces, vivent toujours constamment ensemble dans certains endroits de la mer, et forment une espèce de société semblable à celle que l'on remarque dans quelques animaux terrestres, et dans un grand nombre de plantes qui croissent dans le voisinage les unes des autres. Cette méthode ne peut qu'être infiniment avantageuse, en ce qu'elle épargnera beaucoup de recherches inutiles, et facilitera la description des fossiles d'un district ; puisque, sans entrer dans le détail minutieux de toutes les coquilles qu'on trouvera dans un tel district, et s'exposer par-là à redire ce qui a déjà cent fois été dit par d'autres, il suffira de connaître deux ou trois des individus qui s'y rencontrent, pour savoir quelles sont les autres coquilles qui s'y doivent encore trouver. Si par hasard il en était échappé quelques-unes à l'auteur, on pourrait aisément donner par supplément celles qu'il n'aurait point décrites, ou celles qui dans de certains pays feraient des exceptions à la règle générale. Ces avantages joints à un grand nombre d'autres observations intéressantes, doivent faire désirer à tous les curieux d'être bien-tôt mis en possession de l'ouvrage de M. Rouelle.

Outre les corps marins, tels que les coquilles, madrépores, etc. il se trouve encore beaucoup d'autres fossiles étrangers dans les entrailles de la terre : tels sont les dents de poissons ou glossopetres, les ossements d'animaux, soit pétrifiés, soit dans leur état naturel, c'est-à-dire sans avoir souffert de décomposition, des bois, des plantes, etc. Voyez FIGUREES (PIERRES), PETRIFICATIONS, DELUGE, etc. (-)